«Je crois de mon devoir de vous signaler qu’un industriel se prépare à saboter un des sites les plus admirables de la Bretagne…

Il s’agit de la fameuse cascade de Saint-Herbot, près d’Huelgoat, visitée par des quantités d’amateurs de belle nature.

L’on va détourner l’eau de la petite rivière pour installer une usine électrique.

Je suis convaincu, Monsieur le Ministre, qu’il suffira de vous signaler ce véritable attentat contre l’art pour que vous y mettiez le holà…»

Voilà comment, le 4 août 1921, le peintre Charles Gérard, de passage à Châteaulin, protestait auprès du Ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, contre le projet d’Émile Allignol, ingénieur civil des Mines et actionnaire de la Société Sud-Finistère Électrique, qui voulait depuis plusieurs années capter l’eau de l’Ellez alimentant la cascade de Saint-Herbot pour «transformer la force de cette chute en énergie électrique».

Une promesse sans lendemain 

En décembre 1909, le Vicomte de Kerouartz, propriétaire des terres du Rusquec, en Loqueffret, sur lesquelles elle se situait, avait refusé son classement parmi «les sites et monuments naturels pittoresques et artistiques» protégés par une loi adoptée le 21 avril 1906, tout en promettant de veiller à ce «qu’aucune mutilation» ne vienne la dégrader.

Quelques mois plus tard, alerté par le préfet sur les dangers encourus par ce site renommé, le conseil municipal de Loqueffret avait refusé d’exproprier M. de Kerouartz, et conclu, après en avoir délibéré, que ce classement réclamé par le Conseil Général du Finistère «n’avait pas d’importance et qu’il s’en désintéressait».

Un paysage grandiose

Le Guide pratique du touriste régulièrement publié par le Syndicat d’initiative de Huelgoat, présentait pourtant avec beaucoup de lyrisme le paysage grandiose formé par la cascade, que la plupart des vacanciers qui séjournaient depuis la fin du XIXe siècle dans ce centre de villégiature réputé ne manquaient jamais d’aller contempler:

«Tout le fond du ravin, enchâssé dans d’épaisses verdures, est formé d’un indescriptible chaos de roches comparables, par la taille, aux plus beaux spécimens des abords de Huelgoat.

Un cours d’eau, dont l’importance quintuple après les pluies, dégringole à grands fracas d’une roche à l’autre, irisant parfois tout le paysage d’une impalpable poussière humide où le soleil allume des arcs-en-ciel en réduction.

Le dénivellement entre le haut et le bas de la chute est de 70 mètres, et le chaos s’étend sur 400 mètres environ… dans le plus cyclopéen des paysages de l’Argoat armoricain».

Des opposants tenaces

Aucune mesure de protection n’ayant été prise, Alain de Kerouartz put, en 1921, vendre la propriété du Rusquec à Émile Allignol, qui chargea aussitôt M. Rumeur, un ex-agent voyer d’arrondissement résidant comme lui à Huelgoat, de préparer les plans de l’usine électrique qu’il n’avait jamais renoncé à y implanter.

Celui-ci proposa donc de détourner l’eau de l’Ellez dans un petit bassin creusé sur la rive gauche de la rivière, face au village de Keramprouët, à 200 mètres environ des premiers rochers formant la cascade.

La canalisation principale serait dissimulée derrière un taillis poussant sur la rive droite et l’eau acheminée au bas du chaos jusqu’à l’usine hydroélectrique, construite à une centaine de mètres de la route menant de Huelgoat à Loqueffret.

Ces plans furent vivement critiqués à maintes reprises, notamment par la Fédération des Syndicats d’initiative de Bretagne à laquelle appartenait le Touring Club de France, mais approuvés par le Ministre des Travaux Publics Yves Le Trocquer.

Asséchée en été

Sous réserve de quelques modifications destinées à améliorer l’aspect de la centrale et de ses équipements annexes «pour accentuer leur caractère breton et mieux les harmoniser avec le paysage», ils finirent par être acceptés, le 10 novembre 1921, par la Commission départementale de protection des sites du Finistère, réunie à Quimper sous la présidence du préfet Joseph Desmars.

A la suite de diverses péripéties, l’architecte Charles Chaussepied, chargé par la Société Hydroélectrique des Monts d’Arrée de les édifier, fit donc, entre autres, élever le barrage «en pierres rustiques et enfouir les conduites de béton» sous les taillis.

L’usine, quant à elle, devait être bâtie «dans le style des moulins bretons», avec «des murs en moëllons bruts jointoyés dépourvus d’enduit», garnis «de pierres de taille aux angles et tout autour des ouvertures» et sa toiture couverte «de grosses ardoises rugueuses» provenant des Montagnes Noires.

Mais, lors de sa mise en service en 1928, la chute exceptionnelle de Saint-Herbot, asséchée en été, avait disparu, laissant place à une cascatelle en hiver.



Vers 1920: La cascade de Saint-Herbot.