«C’est Polig Monjarret qui a monté ce bagad avec les cheminots de la gare de Carhaix. Ses premières répétitions ont eu lieu durant l’hiver 1947-1948 dans des wagons désaffectés, et le premier défilé à l’occasion de la fête de la Tour d’Auvergne, au printemps 1948. Ils ont défilé ce jour-là vêtus de leurs « bleus de chauffe »…

Ce bagad était le premier à se créer, avec celui de la Kevrenn Sant Mark à Brest la même année. Il se dit que celui de Carhaix fut le premier ; c’est ce qu’a retenu la Fédération…».

En Breton qui n’aime pas «monter sur ses sabots», Jean-François Péron préfère manifestement la discrétion à l’exposition médiatique, de même que – cheville ouvrière de l’engagement associatif local – il se plaît davantage à travailler en coulisse que devant les micros

De sa démarche ample et chaloupée comme de son visage et de son regard ouverts se dégagent une franchise et une force tranquille qui paraissent lui être aussi naturelles et sereines que l’expression de son identité et de sa culture bretonnes: breton il se sent. Breton il est et aime être, sans avoir ni sentir le besoin de le dire et redire.

Et pourtant, lui et les siens sont artisans de la culture bretonne depuis leur enfance, chaque génération reprenant à son tour le flambeau – ou plutôt le manche de l’outil : lui-même dans le chant auprès de sa mère dès l’âge de 10 ans, ses deux fils dans la musique, sa fille dans le chant et la danse bretonne

Appelé à présider aux destinées du Bagad Karaez en 2007, J.F. Péron a connu avec celui-ci une belle aventure, jusqu’à l’accession au plus haut niveau : la première catégorie de la Bodadeg Ar Sonerion

Belle consécration pour un ensemble dont les racines plongent au cœur de la naissance des bagadoù puisque les origines et l’histoire de l’un et de l’autre se rattachent à l’œuvre d’un Carhaisien : Polig Monjarret, artisan majeur et figure historique de la culture bretonne.

C’est notamment cette page d’histoire et d’actualité carhaisiennes et bretonnes que Regard d’Espérance a souhaité feuilleter ce mois avec J.F. Péron, en saluant le travail et le parcours remarquables du Bagad Karaez.


Voudriez-vous vous présenter brièvement ?

«Je suis d’origine clédinoise, né à Carhaix mais ayant habité à Cléden-Poher pendant de longues années. Mais je suis maintenant carhaisien, et depuis plus longtemps encore, puisque je suis venu m’installer à Port-de-Carhaix avec mon épouse et nos enfants, en 1986.

Ma scolarité s’est déroulée à Cléden-Poher, puis à Carhaix, à St-Trémeur, et au L.E.P. ensuite, où j’ai fait une formation d’électromécanicien.

Je suis employé de Poher Communauté depuis mai 2019, où j’ai un poste de chauffeur…

Je fais donc partie du Bagad de Carhaix, que je co-préside avec Sylvain Thiémé aujourd’hui. Mais j’ai débuté très jeune dans la musique bretonne – à dix ans – âge où j’ai commencé à chanter avec ma maman dans des repas de famille, puis dans les fest-noz et fest-deiz.

J’avais acheté l’album des Tri Yann, et plusieurs vinyles à l’époque. Cela m’avait déjà attiré, et j’avais appris une ou deux chansons en breton, et d’autres en français…

C’est Patrick Lostanlen qui est venu me chercher en 2004 pour que j’intègre le Conseil d’Administration du bagad, qui manquait alors de monde.

J’ai toujours été de ces parents qui suivent de près les activités de leurs enfants, qui les accompagnent au mieux, et qui s’impliquent dans les associations où ils sont. C’est pourquoi j’ai aussi été bénévole au club de badminton, au football chez les D.C… J’ai donc donné mon accord pour «donner un coup de main» au bagad…

Et j’y suis encore, après être devenu co-président en 2007 à l’époque avec Martine Collobert – maman de l’une des sonneuses.

Tout cela m’occupe beaucoup, mais j’aime aussi bricoler quand j’en trouve le temps…

Et c’est aussi une «affaire de famille» puisque mon fils Yann est penn-soner au bagad, son frère Luc y joue de la cornemuse, sa sœur Nadège, qui est enseignante  bilingue à Maël-Carhaix, chante avec moi, et a longtemps dansé au cercle celtique de Spézet.

Ma femme Gaëtane, à qui certains demandent parfois «Et toi, tu ne fais rien?», répond: «Moi, c’est l’intendance, et il y a du travail!»

Et c’est vrai qu’il est important que la compagne partage l’intérêt, la passion, quand l’on est impliqué dans un engagement aussi prenant!»

Le Bagad de Carhaix est l’un des plus anciens de Bretagne. Son histoire est celle d’une naissance puis d’une renaissance Voudriez-vous nous donner un bref écho de cette longue histoire ?

«C’est Polig Monjarret qui a monté ce bagad avec les cheminots de la gare de Carhaix. Ses premières répétitions ont eu lieu durant l’hiver 1947-1948 dans des wagons désaffectés, et le premier défilé à l’occasion de la fête de la Tour d’Auvergne, au printemps 1948. Ils ont défilé ce jour-là vêtus de leurs «bleus de chauffe».

Polig Monjarret tenait à Carhaix un magasin de tapissier, je crois… 

Ce bagad était le premier à se créer, avec celui de la Kevrenn Sant Mark à Brest la même année. Il se dit que celui de Carhaix fut le premier ; c’est ce qu’a retenu la Fédération…

Polig Monjarret s’est inspiré des fameux Pipe Bands, qui existaient déjà en Ecosse. Il a voulu adapter, transposer cette tradition en Bretagne, en y ajoutant l’instrument breton qu’est la bombarde, absente des Pipe Bands écossais.

Avant-guerre, n’avaient existé que quelques regroupements de sonneurs. Dans la deuxième partie des années 1940, il s’agissait donc d’une création… La Fédération Bodadeg Ar Sonerion, qui avait été créée par Polig Monjarret et Dorig Le Voyer, avait d’ailleurs souhaité avoir au moins un couple de sonneurs par «pays» afin de répertorier, de préserver et transmettre les airs qui existaient dans chaque secteur de Bretagne…

Ce bagad de Carhaix – qui était une Kevrenn, c’est-à-dire qui avait aussi des danseurs, souvent les femmes ou les sœurs des musiciens – a arrêté ses activités vers 1968-69, au moment du démantèlement du Réseau Breton.

En 2007, lors de nos recherches pour la célébration des 70 ans du Bagad, nous avions retrouvé près de Quimperlé un de ses anciens sonneurs, qui nous a dit que le bagad s’était en fait sabordé pour protester contre leur abandon par la SNCF. (Après avoir fait partie de la Bodadeg, ils s’étaient en effet affiliés aux organisations de loisirs de la SNCF…)

Chacun est donc parti avec ses instruments et son costume… Décision de Bretons fâchés et têtus !

Mais nous nous disons toujours «quel dommage!», car Polig Monjarret est ensuite allé créer le bagad d’Auray, qui est l’un des tout meilleurs !… Peut-être celui de Carhaix aurait-il aussi été dans l’élite s’il ne s’était pas dissous?…»

Puis ce fut donc la renaissance, en 1993 ?

«Oui, grâce à quelques musiciens du Centre-Bretagne, dont Guy Plusquellec –élève de Per Guillou– qui en a été l’une des chevilles ouvrières.

La Fédération Bodadeg Ar Sonerion déplorait que le Centre-Bretagne n’ait plus de bagad – celui de Rostrenen ayant aussi disparu – et elle a prêté main-forte à cette renaissance, de même que la municipalité de Carhaix…»

Des artisans du renouveau de la culture bretonne, notamment Polig Monjarret, ont donc présidé aux destinées du Bagad de Carhaix – alors la «Kevrenn Paotred An Hent-Houarn» (les gars du chemin de fer), des figures locales telles que Per Guillou et Albert Trévidic y ont joué Qu’a-t-il gardé de ces racines anciennes ? Quelle « filiation » le rattache à ce passé ?

«Nous avons pu retrouver et contacter quelques-uns de ses anciens musiciens. Nous avons aussi récupéré auprès d’un ancien l’un des airs joués par le bagad de l’époque, mais nous ne l’avons pas utilisé, notamment parce que sa retranscription ne correspond pas à l’orchestration actuelle, qui a beaucoup évolué, et le rendu de certains «thèmes» n’est pas aussi intéressant à travailler qu’à l’époque…

Un de ces anciens nous avait même offert sa cornemuse, et plusieurs de nos biniaouer s’y sont essayé, mais le son qu’ils en ont sorti leur a paru très surprenant, comparé aux instruments d’aujourd’hui… Mais peut-être était-ce parce que cette cornemuse n’avait pas été utilisée depuis longtemps ?»

Qu’est-ce aujourd’hui que le Bagad Karaez, si vous aviez à le présenter à grands traits ?

«Il rassemble aujourd’hui plus de 110 personnes. En 2004, nous étions 45. Depuis quelques années, nous mettons beaucoup l’accent sur la formation des jeunes, ayant créé pour cela le bagadig et le bagadigan… Il n’y a pas d’âge pour commencer et les moins jeunes peuvent se lancer – j’en fais partie – mais l’on sait que la marge de progression est plus importante quand on commence jeune…

C’est la bombarde qui attire le plus de musiciens. La plupart des gens pensent qu’il est plus facile d’en jouer que de la cornemuse, ce qui n’est pas forcément vrai. Et nous avons un peu plus de mal à avoir des batteurs, même si cela fluctue selon les années…

Les concours sont des moments importants de l’année pour un bagad. Ils permettent de se classer dans l’une des cinq catégories de la Bodadeg Ar Sonerion, et de progresser. Notre prochaine date, pour la 2e catégorie, est le 22 mars, à Saint-Brieuc. Le concours de 1ère catégorie a eu lieu le 15 février…

Les concours d’été auront lieu à Lorient pour les  1ère et 2e catégories, au Festival Interceltique, celui de 3e catégorie à Quimper, au Festival de Cornouaille.»

Entre 2004 et 2014, il a connu une ascension très rapide –une progression record dans l’histoire des bagadoù– passant de la 4e à la 1ère catégorie ! Quelles ont été les clés de cette réussite ?

«A la base et tout d’abord, la motivation qui s’est créée dans une  «équipe de copains» passionnés ! Une partie de cette équipe est encore là aujourd’hui.

C’est cette ambiance d’amitié, de complicité  qui a permis un gros travail. Et ce travail réalisé dans une bonne ambiance a produit des résultats qui ont donné envie d’aller plus loin…

Il y a eu une dynamique, un effet d’entraînement.

Nos trois «penn» – les chefs de pupitres: bombarde, cornemuse, percussions– ont beaucoup travaillé les «suites» musicales, comme on le dit dans le «métier», et n’ont pas cessé de progresser année après année… Jusqu’à notre accession en 1ère catégorie, effectivement; une belle aventure!»

Quels autres faits marquants ont jalonné sa marche depuis la renaissance de 1993 ?

«L’année où nous avons terminé vice-champions du concours de 2e catégorie à Lorient, et sommes montés en 1ère catégorie reste pour l’heure le fait marquant de notre histoire récente!

Mais en dehors des concours, il y a eu quelques belles aventures, comme la collaboration avec DJ Zebra, de 2008 à 2012, avec la participation au Festival des Vieilles Charrues, puis à d’autres spectacles et concerts à Paris, à Grenoble, l’enregistrement d’un album…

Puis il y a aussi eu des prestations à l’étranger : en Suisse, au «Mondial 2003» à Yverdon, au Festival Paléo à Nyon en 2016. Nous avons aussi joué en Espagne…

Pour l’anecdote, notre collaboration avec Zebra avait commencé très simplement : il avait demandé, par l’intermédiaire de l’équipe des Vieilles Charrues, si deux ou trois bombardes et un ou deux binious auraient pu l’accompagner sur scène, pour jouer La Marche Impériale…

Au fur et à mesure du travail de préparation, on est passé de trois ou quatre musiciens à douze, qui sont montés sur scène: bombardes, cornemuses et caisses claires.

Yann, notre penn-soner, lui avait proposé d’ajouter celles-ci, «tant qu’à faire», aux bombardes et cornemuses.

«Je n’osais pas vous le demander !» a-t-il répondu.

Et c’est ainsi que, de fil en aiguille, vu le succès, il nous a invités pour d’autres prestations, puis pour l’enregistrement d’un CD, et la tournée qui a suivi…

C’était un peu amusant, car c’était la rencontre de deux mondes différents: le monde des professionnels de la musique, avec toute son organisation, sa programmation, et le monde des amateurs. Quand il fallait réserver une date longtemps à l’avance, il nous demandait combien de musiciens pourraient être présents, ce qu’il nous était très difficile de prévoir! Je devais contacter tout le monde. Chacun avait ses obligations, professionnelles, associatives, familiales…

Il nous fallait négocier «à l’à-peu-près» là où lui voulait de la précision… mais l’on finissait toujours par trouver une solution !

Je me souviens de moments un peu stressants, comme à Grenoble, où nous avions dû amener notre matériel en fourgon: notre budget étant limité, seuls les musiciens prenaient l’avion…

Au moment de monter sur scène, le public sifflait, se demandant ce qu’un groupe comme cela pouvait bien venir faire là !… Puis dès la fin du premier morceau, c’était au contraire des acclamations…

Il faut dire que l’attelage Bagad Karaez – DJ Zebra était un peu improbable. Mais nos instruments peuvent quasiment tout faire, même si certains les considèrent comme un peu vieillots, d’une culture dépassée.»

Quelques mots sur le «Bagadig»… ? Quels constats et réflexions vous ont conduit à sa création ?

«Le bagadig a été créé en 2008, partant du constat que le bagad évoluant dans les catégories supérieures, nous avions un peu oublié la formation de la relève.

Et tout le monde ne pouvant pas continuer toujours au même rythme – ou certains déménageant pour raisons professionnelles ou autres – le groupe risquait de manquer de musiciens bien formés…

Créer le bagadig, c’était aussi permettre à des jeunes qui progressent bien de travailler en groupe, en ensemble, ce qui leur devenait difficile car ils ne pouvaient évoluer au niveau du bagad, en 2e catégorie. Il manquait un échelon pour leur mettre le pied à l’étrier.

Nous avons beaucoup de jeunes, et l’âge moyen au sein du bagad n’est pas élevé. Les plus âgés ont la quarantaine. Plusieurs ont la trentaine et la plupart sont encore beaucoup plus jeunes… Les plus jeunes, à partir de 6 ans, ou les débutants font surtout de la découverte, de l’éveil à la musique et aux instruments. Puis ils choisissent un instrument, après une année, et peuvent ensuite intégrer le bagadigan, au bout de deux ans, selon leur motivation et leur travail. Là, ils vont faire leurs premiers pas dans le travail en ensemble. C’est de l’apprentissage de base. Mais ils vont même déjà participer aux concours de la Fédération.

Puis, ceux qui progressent bien vont intégrer le bagadig, qui est d’un niveau plus élevé – il évolue en 5e catégorie – et le but est ensuite de leur permettre d’intégrer le bagad, en 2e catégorie…

Cette année, trois jeunes joueurs de cornemuse et deux joueurs de bombarde du bagadig vont monter au bagad pour les prochains concours.»

Est-il facile d’apprendre à jouer en marchant, pour les défilés ?

«C’est vrai que cela nécessite un petit apprentissage. Les premières fois ce peut être un peu particulier! Mais l’on joue généralement pour les défilés des «airs à la marche», dont le tempo rythme facilement le pas…

Les jeunes s’entraînent en faisant le tour de la place de la Tour d’Auvergne près de nos locaux…»

Et qu’en est-il du costume choisi, de son histoire et de sa symbolique ?

«C’est notre costume qui évoque le plus nos racines: quand il a fallu remanier le premier costume, fait en 1993, nous avons choisi de reprendre la couleur bleue pour rappeler les cheminots.

Pour nous approcher des costumes d’autres bagadoù, nous  nous sommes inspirés des lithographies de Lalaisse sur les costumes bretons des années 1800, notamment le gilet orné de liserés, le large ceinturon…

Notre costume actuel est donc inspiré du «costume Lalaisse», bien connu dans les cercles celtiques et les bagadoù, avec le bleu comme couleur de base pour évoquer les origines du bagad.

A l’époque des premiers bagadoù, il y avait rarement un costume commun. Chacun portait le costume breton de sa région d’origine. L’on retrouve des photos où l’on voit très bien cette diversité de costumes dans les bagadoù et les kevrennoù…

Souvent, ce n’était même pas par choix de représenter tel ou tel coin de Bretagne, mais tout simplement parce que l’on possédait un costume hérité d’un parent, d’un grand-parent…

On portait le costume de famille que l’on avait.»

La vie d’un bagad, ce sont – certes – les grands moments tels que les concours et les prestations publiques Mais c’est aussi le quotidien ordinaire, les répétitions, le travail ardu et ingrat de la technique musicale, instrumentale?

«Bien sûr ! Il y a des cours tous les samedis matins, de 9 à 13 heures pour les bombardes, la cornemuse et la caisse claire, et un peu le mardi soir pour les batteries…

Mais la progression ne peut s’obtenir qu’en travaillant aussi personnellement. C’est à force de répétition que l’on acquiert une aisance grandissante avec son instrument. On acquiert de la maîtrise technique… Comme toujours, c’est la régularité et la persévérance qui comptent.

Les répétitions ont lieu, elles, le vendredi soir, en commençant par le bagadigan…

Le  bagad répète tous les 15 jours, puis à l’approche des concours, toutes les semaines, voire des week-ends complets. Il n’est pas toujours facile de parvenir à regrouper tout le monde pour avoir des répétitions intensives. Les uns et les autres ont aussi d’autres occupations…

En concours, il n’y a pas d’effectif maximum pour un bagad, mais il y a un effectif minimum par pupitre: 7 bombardes, 5 cornemuses, 2 caisses claires, une grosse caisse et une caisse ténor, le penn-soner, qui ne joue pas lui-même forcément, n’est pas compté dans l’effectif.»

Qu’est-ce qui fait un bon bagad ?

«Question difficile !…

Je crois, comme je l’ai dit, que si la qualité des musiciens est bien sûr importante, le plaisir de jouer ensemble, l’esprit de camaraderie, les échanges amicaux, l’ambiance font beaucoup ; former un peu une grande famille…

Nous l’avons vu lors de notre ascension vers le haut niveau: il y en avait quelques-uns qui «tiraient» l’équipe, mais tout le monde était motivé et suivait.»

Quels impératifs sont, à vos yeux, ceux qui permettent d’obtenir et de maintenir un bon niveau, et de se maintenir à haut niveau dans le classement de la Bodadeg Ar Sonerion (B.A.S.) ?

«C’est encore autre chose ! D’autant que le niveau général s’est beaucoup élevé en première catégorie. Quand on voit les suites musicales qui sont écrites aujourd’hui, et la complexité de l’orchestration, les accompagnements, les contre-voix et autres, qui viennent agrémenter les musiques de base !…

Quand on réécoute les enregistrements des premiers bagadoù, et ce que les bagadoù de première catégorie produisent aujourd’hui, on se rend compte de l’évolution et de la progression, même si les thèmes sont les mêmes. Mais ils sont beaucoup plus travaillés…

Il faut aussi dire que le nombre de répétitions et de sorties qu’un bagad comme celui de Quimper peut faire est impressionnant ! J’en ai parlé avec Steven Bodénès, son ancien penn-soner, qui donne des cours ici… Je ne sais pas comment ils font pour se rendre aussi disponibles sans être des professionnels !»

Vous êtes vous-même joueur-batteur au sein du Bagad Karaez Le poids des charges d’organisateur, de président n’a-t-il pas émoussé le plaisir de jouer ?

«Non ! Nous avons au Conseil d’Administration une bonne équipe, qui travaille en bonne entente. Et nous sommes deux co-présidents – Sylvain Thiémé et moi…  

Je me suis mis à la caisse claire un peu par nécessité: il y a 6 ans, nous manquions de batteurs. Le bagad avait fait une sortie où j’avais pris la grosse caisse, comme de temps en temps. Le bagad de Lann-Bihoué, où jouait mon fils, y était aussi, et celui-ci nous avait un peu «chambrés» sur la qualité de notre prestation…

J’ai dit à quelques parents de jeunes musiciens qui étaient là que j’allais relever le défi et prendre des cours. Et 6 ou 7 d’entre eux ont suivi…

C’est d’ailleurs comme cela que nous avons mis sur pied le bagadig, puis que nous avons pu le faire évoluer, progresser…

Travailler la percussion est quelque chose de particulier. C’est de la rythmique; à la différence du joueur de bombarde et de cornemuse qui a le son de son instrument et peut jouer un air, le batteur n’a que des coups…»

Qu’est-ce qui vous fait «vibrer» quand vous jouez ou écoutez de la musique bretonne ?

«J’aime toutes les musiques bretonnes, sous toutes les formes. J’ai fait mes premières armes au cercle celtique de Spézet. J’ai beaucoup chanté. J’ai fait de la danse bretonne, et j’ai donc chanté ce que je dansais. Puis je suis venu au bagad…»

Qu’a-t-elle de particulier, selon vous ?

«Sa sonorité, sa musicalité spécifique, et sa riche diversité. Chaque terroir possède ses airs, ses styles, ses harmonies…

Il y a des airs à danser, des marches, des ballades. Les airs sont plus lents sur la côte, les danses y étant plus «chaloupées». Ils sont plus enlevés, plus entraînants ici…

Dastum a réalisé un formidable travail de collectage, et ses bases sont une mine où l’on peut trouver beaucoup de choses très belles !»

Votre fils Yann est penn-soner au Bagad Karaez après l’avoir été au Bagad de Lann-Bihoué Que lui doit le Bagad Karaez dans son parcours de ces dernières années ?

«Il a fait partie du Bagad de Lann-Bihoué pendant 4 ans…

En 2007, pour les soixante ans du Bagad de Carhaix, nos musiciens lui ont demandé de prendre, au pied levé, la relève de notre ancienne penn-soner, qui avait tout arrêté.

Ce n’était pas facile, mais il a demandé à tous de se mobiliser avec lui, et avec ce soutien de toute l’équipe, prenant le projet à bras-le-corps, y est parvenu. Il s’est formé, a progressé, et l’on s’amuse parfois aujourd’hui de constater que rien ne lui échappe, pas la moindre petite discordance ou dissonance!

Il a commencé la musique très jeune, à l’école de musique de Carhaix, mais dans l’accordéon. Puis il s’est orienté vers la bombarde, il a choisi le bagad, et a progressé très vite…

Le penn-soner est un peu le chef d’orchestre du bagad, son leader; il ne joue pas forcément lui-même, même s’il est musicien. Certains sont d’ailleurs musiciens dans d’autres instruments que ceux du bagad, écrivent les suites et mènent le bagad sans jouer eux-mêmes…

Et chaque pupitre a donc en outre son penn : bombardes, cornemuses, percussions…»

Dans l’histoire de la musique bretonne – celle des ensembles, bagadoù, et ses autres formes d’expression – quelles seraient vos sources d’inspiration, vos références, voire ce qui suscite votre admiration ?

«Je n’ai pas de préférences marquées. Je trouve que chaque groupe possède son style particulier, sa façon d’orchestrer les morceaux…

Et l’on peut avoir beaucoup aimé la manière dont un groupe a interprété un morceau, mais voir le jury du concours, qui tient compte des critères techniques, ne pas le classer comme on l’aurait cru…

Je suis assez éclectique dans mes goûts dans ce domaine, comme d’ailleurs pour les différentes formes de musique bretonne.

Quand je chantais avec ma mère, nous aimions pratiquer cette diversité dans le chant et la danse, et nous puisions aussi bien dans le répertoire du pays de Guérande que dans ceux des Côtes-d’Armor, dans celui de la région brestoise que dans celui de Pont-l’Abbé…»

Quelles ont été au fil des décennies, depuis le renouveau des bagadoù, les évolutions musicales et autres que leur pratique a connues ?

«La progression a été très importante, le niveau a beaucoup monté. Cela est dû en grande partie à l’effort de formation que les bagadoù ont fait. La Fédération Bodadeg Ar Sonerion est aujourd’hui la plus grande école de musique de Bretagne. Souvent, les tout premiers bagadoù jouaient «à l’oreille». Par la suite, ils ont mis sur pied des cours de solfège, de musique instrumentale… Tout s’est structuré, et cela a donné une montée en puissance que l’on n’aurait sans doute pas obtenue avec une simple transmission orale.

Aujourd’hui, au Bagad Karaez par exemple, pour travailler les morceaux, nous avons les partitions, certes, mais aussi souvent des enregistrements auxquels chacun peut accéder grâce à un «drive». Les partitions, les fichiers sonores peuvent être récupérés via Internet… L’informatique a apporté beaucoup de facilités pour le travail des musiciens.»

Les instruments emblématiques de la musique bretonne – le biniou, la cornemuse et la bombarde – sont-ils aujourd’hui fabriqués comme Per Guillou pouvait le fairebiniou Mod Kozh»…?

«La fabrication est souvent semi-artisanale. Les bagadoù aiment pouvoir commander des instruments qui sonnent de la même manière, qui produisent une sonorité identique.

A l’époque où Per Guillou faisait ses bombardes, l’on produisait «à façon», pièce par pièce… Les tours numériques et les instruments de précision ont là aussi changé le métier! Cela permet aux facteurs d’aujourd’hui de produire des séries d’instruments qui sonnent de façon identique. C’est ce que nous apprécions quand nous commandons une dizaine de bombardes pour le bagad, comme cela nous est arrivé de le faire…

Pour les cornemuses, certaines sont fabriquées en Bretagne, d’autres viennent d’Ecosse.

Le bois est toujours beaucoup utilisé dans la fabrication des bombardes et des cornemuses, mais aussi le plastique, notamment pour celles destinées aux enfants, afin d’alléger le poids de l’instrument…

Les prix peuvent varier énormément, selon que l’on achète une bombarde de base, à trous simples – par exemple – ou que l’on en choisisse à 2 ou 3 clés, ou plus encore avec de l’étain, de la corne – l’ivoire n’est plus disponible – et des dessins élaborés… là les prix grimpent vite car on est dans la fabrication «à façon». Une bombarde simple sans fioriture vaut 450 à 500 euros.

Le biniou est peu utilisé en bagad. On le trouve parfois pour jouer un passage entre deux morceaux, ou au départ pour présenter le morceau, en couple ou en trio de sonneurs. Mais il n’y a pas d’ensembles de binious. C’est la cornemuse qui est l’instrument du bagad à côté de la bombarde, alors que c’est le biniou qui accompagne celle-ci pour les danses, le chant…»

Existe-t-il des talabarder et facteurs de renom ?

«La maison «Hervieux» est connue et appréciée dans le milieu des bagadoù, tout comme Jorj Botuha… Ce sont les gros fournisseurs de bagadoù, et ils sont aussi eux-mêmes des sonneurs.»

Quels autres aspects de la culture bretonne vous intéressent ou vous attirent plus particulièrement ?

«Tous ses aspects m’intéressent. La culture bretonne a un trépied de base: la langue, le chant et la musique, la danse.

Pour moi, c’est un tout indissociable. L’un ne va pas sans l’autre, et c’est cet ensemble qu’il faut préserver et promouvoir.»

Comment concevez-vous l’identité bretonne ? Qu’est-ce pour vous qu’être breton ?

«C’est un attachement à notre culture, à nos racines, et à tout ce qui fait la spécificité de la Bretagne…

Ceci dit, des personnes qui ne sont pas originaires de la Bretagne et qui découvrent cette culture, ce pays, se mettent à l’aimer, à se l’approprier et à le défendre, alors que d’autres parfois – Bretons nés en Bretagne – n’en ont «rien à faire» de la langue, de la musique bretonne, voire considèrent tout cela comme des «biniouzeries»… Lesquels sont bretons ?

Luc, l’un de nos joueurs de cornemuse au bagad –qui est originaire de la région parisienne et dont les parents vivent dans la région de Pau– avait découvert une cornemuse chez son oncle… Il s’est intéressé à la musique bretonne, puis à la langue, et il est aujourd’hui prof de breton à l’école Diwan…»

Vous êtes bénévole et militant associatif depuis longtemps Diriez-vous comme bien des dirigeants de clubs et d’associations très divers que «le bénévolat, l’engagement ne sont plus ce qu’ils étaient»… ?

«Oui… Voilà quelque chose de difficile, qui se vit partout. Je crois que nous en sommes arrivés à une société de consommation où le «chacun pour soi» devient la règle. On dépose le gamin devant la porte du club et le reprend devant la porte après les activités; point final. Et les associations, les clubs trouvent de moins en moins de gens prêts à s’impliquer comme bénévoles, et moins encore comme cadres, dans les instances…»

Vous vous occupez également des «Bagadañs» – des rassemblements annuels de bagadoù et cercles celtiques – qui ont connu un grand succès au fil des années Quelles pistes seraient à trouver pour leur donner un second souffle ?

«L’on retrouve ici ce dont nous venons de parler : nous ne trouvons plus de bénévoles ! J’en ai été jusqu’à lancer un appel sur RBO… Sans aucun résultat ! Il ne reste que le président et la trésorière…

Nous avons essayé de relancer la manifestation par diverses formules. Mais c’est compliqué. Nous trouvons des gens pour «donner un coup de main» le jour de l’événement, mais pas au-delà.

Il est vrai qu’à la différence du bagad, qui a des activités permanentes et qui forme une grande famille, il s’agit pour les bagadañs d’une seule date dans l’année. C’est moins mobilisateur…

Mais l’un des problèmes est aussi que les gens considèrent aujourd’hui la culture comme un service gratuit. Or, cela a un coût. On ne peut pas organiser quelque chose sans que quelqu’un paie! Subventions, mécénat ou autres peuvent donner un «coup de pouce», mais il faut bien faire face aux frais… Or, la plupart des gens voudraient que tout soit gratuit. Même les tarifs les plus abordables ne leur suffisent plus… C’est un peu décourageant.

Mais quand mes deux garçons allaient au concours de bagadoù, je payais mes entrées…»

Pour conclure en revenant sur l’avenir du Bagad Karaez, quelles sont ses perspectives à court terme, et au-delà ?

«A court terme, c’est donc le concours du 22 mars à St-Brieuc avec l’objectif d’un maintien en 2e catégorie. Nous nous étions bien battus l’an dernier pour parvenir à rester au milieu du tableau, et notre intention est de continuer dans les quelques années à venir à figurer dans ce milieu de tableau, voire dans le haut… Et avec les jeunes que nous continuons à former, pourquoi ne pas viser la première catégorie dans quelques années ? En ayant trois groupes – bagadigan, bagadig et bagad – un peu plus fournis.

Nous avons plus que doublé nos effectifs depuis 2004… Peut-être pourrions-nous envisager d’atteindre un effectif de 150 à 200 d’ici à une dizaine d’années, ce qui nous permettrait d’avoir des groupes plus étoffés et d’avoir un jour le bagad en 1ère catégorie, le bagadig en 4e ou 3e catégorie ?

Nous avons manqué de peu la montée en 4e avec le bagadig, ce qui n’est pas grave car sa vocation première est de former des jeunes qui pourront intégrer le bagad. Mais le fait de concourir à un niveau plus élevé est, pour chaque musicien, une motivation supplémentaire pour hausser son niveau personnel, et donc un moyen de hausser celui du groupe.»