«Comme une poupée de chiffons», la parachutiste de 31 ans plonge vers le sol. Inconsciente, elle ne peut rien faire pour déclencher l’ouverture de son parachute, et à une vitesse de quelque 240km à l’heure, elle va vers une mort certaine. Seules une trentaine de secondes la séparent du moment fatal où elle s’écrasera au sol.

Ce matin du 18 avril 1987, à l’aéroport de Coolidge, en Arizona, une grande fête de sauts en parachute se prépare. Un vieux DC-4 décolle avec, à son bord, 120 parachutistes qui doivent sauter par petits groupes en exécutant des figures acrobatiques diverses selon le niveau des participants.

Une collision à 4000 m d’altitude

Le groupe dont fait partie Debbie Williams doit former un cercle tout en se tenant par la main, descendre vers le sol en chute libre, se lâcher pendant quelques instants durant lesquels chacun doit effectuer quelques figures individuelles avant de reformer un cercle, toujours en chute libre, pour se séparer à nouveau à environ 900 mètres d’altitude, puis ouvrir leurs parachutes.    

Debbie Williams, n’ayant que 50 sauts à son actif, est considérée comme une novice alors que l’instructeur qui accompagne en observateur ce groupe, Gregory Robertson, 35 ans, ingénieur en électricité, un sportif d’une grande expérience, en est à son 1500e saut.

A 10H30, à un peu plus de 4000 m d’altitude, le signal est donné et les six parachutistes du groupe de D. Williams se lancent dans le vide.

L’instructeur saute en même temps mais reste légèrement au-dessus des autres, pour surveiller l’ensemble.

Debbie Williams, ainsi que Guy Fitzwater, un autre membre du groupe, se trouvent à une bonne centaine de mètres au-dessus des autres, et c’est lorsqu’ils tentent d’intégrer leur place que l’accident se produit. Guy Fitzwater plonge le premier, mais quand Debbie veut le suivre, elle entre en collision avec lui. Sa tête et son thorax heurtent violemment le dos de son camarade, elle perd immédiatement connaissance et descend vers le sol, en virevoltant.

Vers une mort certaine

Seul témoin de l’accident, l’instructeur Gregory Robertson sait que, laissée à elle-même, Debbie va vers une mort certaine. Il est le seul à pouvoir intervenir pour essayer de la sauver, mais pour qu’il ait une infime chance de réussir, il doit prendre sa décision tout de suite. Il sait aussi qu’il met sa propre vie en danger. Une toute petite erreur de calcul peut s’avérer fatale pour tous les deux, mais il n’a pas le temps de réfléchir, ni de faire des calculs, seule l’action immédiate peut lui permettre de réussir.

Un dicton courant dans les cercles de parachutistes, cité par le Los Angeles Times à cette occasion, souligne l’importance dans des situations semblables de ne jamais hésiter : «Dans la vie, où la mort te guette tel un chasseur, mon ami, il n’y a pas de temps pour la crainte ou pour des regrets, seule la décision compte.»

Il n’a pas le temps de consulter l’altimètre pour bien se situer et doit se fier à son expérience en regardant le sol et l’horizon pour évaluer quand il atteindra le moment fatal pour ouvrir le parachute. 

Pour descendre plus vite que Debbie, il pique, la tête vers le sol, les jambes droites, les bras plaqués contre son corps. Ainsi, il atteint une vitesse proche de 290kilomètres à l’heure, alors que la vitesse de D. Williams peut être estimée à 240km/h.

Une première tentative de la rejoindre échoue tout simplement parce qu’il est impossible pour Greg de voir exactement à quel moment il doit freiner sa propre descente en écartant jambes et bras pour s’approcher de la parachutiste évanouie. Il doit donc refaire un deuxième plongeon.

Et là, les yeux braqués sur le corps inerte qui tourne sans contrôle dans l’air à quelques mètres de lui, il se met à l’horizontale pour ralentir sa course, tout en essayant de se rapprocher par le côté. 

Cela fait 15 secondes que Debbie est en chute libre depuis la collision. Elle a perdu quelque 900m d’altitude, selon les estimations de G. Robertson.

S’il ne peut pas atteindre  la commande normale pour ouvrir son parachute, il a un ultime recours. Sur le paquetage fixé sur son dos, il y a une manette pour déclencher l’ouverture d’un parachute de secours.

Moins de 10 secondes avant un crash fatal

Soudain, une alarme sonne dans la manche de son blouson, un petit appareil qui avertit lorsque la pression atmosphérique indique qu’il est urgent de déclencher l’ouverture du parachute.

« Je n’avais aucune idée, dit-il, si je me trouvais à 3000 pieds (env. 900m) ou à 2500 (env. 750m), mais je savais qu’il était temps d’agir, soit me sauver moi-même ou alors tenter de nous sauver tous les deux. Une fraction de seconde après, ce serait trop tard.

La pensée de sa propre mort l’effleure, mais il n’hésite pas : plongeant la main dans le paquetage de Debbie, il arrive à saisir le câble de déclenchement de l’ouverture de son parachute. Il tire un coup sec puis, avant de s’éloigner, il parvient à redresser le corps de la parachutiste en position assise pour lui permettre d’atterrir avec plus de sécurité.

Il estime qu’ils se trouvent à environ 2700 pieds (env. 823m), et moins de 10secondes avant un crash fatal au sol.

Avant de déclencher son propre parachute, il doit poursuivre sa descente en chute libre encore un peu. Mais en instructeur expérimenté, il n’a aucun problème pour se poser sain et sauf.

Quant à Debbie Williams, elle s’écrase lourdement au sol malgré son parachute ouvert. Heureusement, sur place, un médecin peut immédiatement la prendre en charge. Elle est évacuée par hélicoptère à l’hôpital de Scottsdale où l’on constate plusieurs blessures graves: fracture du crâne, 9 côtes brisées, un poumon perforé, un rein et le foie endommagés.  

Mais sa vie est sauve, et cette jeune femme sportive se remet bien de ses blessures. Si elle a hâte de refaire du sport, notamment du ski et de la plongée sous-marine, elle renonce néanmoins désormais au saut en parachute.

L’exploit de Gregory Robertson a été inscrit dans le Livre Guinness des records en tant que sauvetage le plus bas en plein ciel dans l’histoire. L’instructeur lui-même veut minimiser son acte :

«Lorsque j’ai commencé à plonger, dit-il, je  ne savais pas si j’allais réussir. Mais il fallait que j’essaie… Elle allait vers une mort certaine, et je ne pouvais tout simplement pas laisser cela arriver. Je ne pouvais pas continuer à vivre en laissant quelqu’un mourir sans essayer de le sauver.»