«J’avais toujours «rêvé» de me trouver devant une classe, et cela m’a effectivement un peu semblé comme un rêve…

Au début, la classe est silencieuse. Les élèves attendent, vous observent, s’interrogent sur ce que vous êtes, comment vous allez être et faire… On ressent cette attente, cette expectative… On la lit dans leurs yeux !

Il faut donc prendre l’initiative, se lancer…» nous a confié Mari-Wenn Le Floch.

Allure et regard volontaires, visage à l’expression énergique et tranquillement assurée qu’éclaire un franc sourire, la jeune «instit’» (le mot est d’hier mais son écho est intemporel) répond à chaque question avec un surprenant contraste de vivacité et de pondération !

Le rythme cascadant des mots énonce, en effet, le raisonnement et l’analyse avec autant de clarté que de conviction, les propos s’enchaînant avec méthode…

Et ils disent à la fois l’enthousiasme pour ce qui est sans doute plus qu’un métier – une vocation – et une réflexion approfondie sur ses réalités et ses facettes très diverses.

L’on croirait alors entendre une pédagogue pétrie d’expérience professionnelle, plus qu’une « débutante » dans la carrière, même s’il est vrai que celle-ci, née au sein d’une grande famille d’enseignants, est « tombée petite dans la potion pédagogique », pour plagier la formule d’un célèbre Gaulois de bande dessinée…

Alors que s’ouvre une nouvelle année scolaire, et que plus de douze millions de jeunes Français viennent de vivre leur «Rentrée», événement et rite social d’ampleur nationale, «Regard d’Espérance» a souhaité examiner celle-ci mais également, au-delà, l’école dans tous ses états, au travers des yeux d’une jeune «professeure des écoles» qui vient d’effectuer sa première rentrée d’enseignante en poste.


Voudriez-vous vous présenter brièvement ?

«J’ai 22 ans. Je suis née à Carhaix. J’ai une sœur aînée, qui est avocate, et un jeune frère qui suit des études de Droit…

Mes deux parents sont enseignants. Je suis engagée dans les activités de la communauté protestante du Centre Missionnaire de Carhaix, où j’ai fait du scoutisme depuis l’âge de six ans, une «école de la vie» que j’aime énormément, et qui m’a beaucoup aidée dans bien des domaines.

J’aime également beaucoup le sport, en particulier la course à pied, que je pratique plusieurs fois par semaine…

L’année dernière, j’étais professeur des écoles stagiaire dans une classe de CE1-CE2, à Melrand dans le Morbihan. Cette année, je suis professeur titulaire, sur un poste définitif donc, dans une petite école rurale, à St-Caradec-Trégomel : un poste particulier puisqu’il s’agit d’une école à classe unique, regroupant les élèves de tous les niveaux, de la «petite section» au CM2, dans une même classe ! J’ai actuellement 16 élèves et, étant la seule enseignante, je suis donc aussi la directrice de l’école…»

Vous venez de faire votre «rentrée» scolaire en tant que jeune enseignante en charge de classe… Après quelques jours, quels sont vos premiers sentiments et impressions ?

«J’ai vraiment été ravie par cette nouvelle rentrée scolaire.

Les élèves sont tous arrivés avec un grand sourire, heureux de reprendre le chemin de l’école, de retrouver leurs camarades.

Leur joie et leur enthousiasme sont très motivants et communicatifs. Cela fait plaisir à voir !

J’ai également reçu un très bon accueil de la part des parents d’élèves.

Tout le travail de préparation effectué cet été m’a permis de vivre une rentrée sereine malgré les inévitables petits imprévus…

Je garderai toujours un excellent souvenir de cette rentrée !»

Et comment avez-vous vécu l’approche puis la veille de cette rentrée ?

«Avec un sentiment un peu mélangé, entre la hâte de rencontrer les nouveaux élèves, et – comme à l’époque de mes propres rentrées d’élève – le plaisir d’ouvrir les nouveaux cahiers, les livres, d’utiliser les nouvelles fournitures… le plaisir d’un recommencement.

Et d’un autre côté, un peu d’inquiétude ou d’interrogation face à l’inconnu, en particulier en m’étant mieux rendu compte de tout ce qu’une directrice d’école doit effectuer comme travail administratif : la quantité de « papiers » et de dossiers à remplir, et le temps qu’il faut passer sur Internet pour ce même travail ! C’est énorme !

Mais j’avais déjà, en fait, vécu une rentrée en charge d’une classe, puisque l’an dernier, pendant notre année de stage, nous étions en poste, à mi-temps, en alternance avec un autre enseignant… Cette rentrée-ci n’était donc pas la totale inconnue pour moi.

En amont de la rentrée, il y a un travail conséquent à réaliser : la préparation des cours pour tous les niveaux et toute l’organisation matérielle de la classe.

Cependant, il y a toujours un peu d’appréhension à découvrir la classe – les élèves –, les parents…»

Vous avez choisi un métier que l’on dit de plus en plus difficile… Qu’est-ce qui vous a attirée vers l’enseignement ?

«C’est un métier que j’ai toujours voulu faire, depuis que j’étais en classe de maternelle !

J’aime travailler auprès des enfants, enseigner…

Par la suite, j’ai pu réaliser que le métier évoluait, devenait plus difficile, plus compliqué et plus exigeant, en particulier dans ses aspects administratifs, et j’aurais davantage hésité à le choisir si mes parents n’avaient pas été eux-mêmes enseignants.

Le fait que j’ai beaucoup pratiqué le scoutisme m’a habituée au contact avec les enfants et les jeunes, à organiser des activités pour eux, à me sentir à l’aise dans ce domaine…»

Avez-vous été en mesure de connaître cette profession avant de la choisir ?

«Oui, puisque mes parents l’exercent, mais aussi plusieurs de mes oncles et tantes, des cousins, des amis proches… Je connaissais beaucoup d’enseignants ! Ma sœur et mon frère s’étaient promis, eux, de ne jamais faire ce métier, en voyant ses difficultés grandissantes. Mais cela ne m’a jamais dissuadée, au contraire. 

C’est aussi un métier que tout le monde connaît, car on y a tous été confronté en tant qu’élève à l’école primaire, cependant c’est bien différent de passer de «l’autre côté de la barrière», ou plutôt du bureau !»

Outre que vos parents sont tous les deux enseignants, ils ont eu la charge délicate de la direction d’école… Quels échos ont éveillé en vous leur mission quotidienne, et quels enseignements en avez-vous tirés ?

«La conscience de ce que ce métier est très riche, polyvalent, mais aussi très prenant… Qu’il peut vraiment absorber votre vie, et qu’il faut donc aussi savoir parfois mettre le travail «entre parenthèses» sans quoi, absorbé par le souci de faire toujours plus et toujours mieux, on peut y passer ses jours et ses nuits !

C’est un métier prenant parce que l’on ne travaille pas sur des objets, mais avec de petits êtres humains, qui ont parfois des vies très compliquées, difficiles… Le soir, le week-end, l’on rentre à la maison avec ces situations douloureuses. On les porte. On y pense. On tourne et retourne les problèmes. On cherche des solutions… 

C’est aussi un métier qui n’est pas routinier, car les enfants changent toujours ; et gratifiant quand on les voit enthousiastes, s’épanouissant, progressant… Un métier qui exige de se mettre à la place des enfants, à leur portée, de voir avec leur regard et non de conserver toujours le regard de l’adulte…»

Vous souvenez-vous de tel ou telle enseignant qui ont marqué votre enfance ? 

«Oui. Et certains d’entre eux ont été un peu des modèles pour moi. Je me souviens très bien de tous mes enseignants. Généralement, les enseignants marquent beaucoup leurs élèves, à cause du temps passé auprès d’eux, et de leur position d’enfant face à l’adulte…

Les bons enseignants, ceux dont je garde un bon souvenir, sont ceux qui pouvaient paraître un peu sévères au début, savaient poser un cadre assez strict, ce qui créait une atmosphère de respect et une bonne ambiance finalement, parce que les relations claires établies permettaient ensuite la bonne humeur, l’humour, sans qu’il y ait de désordre, de chahut… On sentait que ces enseignants aimaient les élèves.

J’ai été marquée par des enseignants capables de s’adapter, de gérer les imprévus avec le sourire, de «rebondir», de se mettre à la place des enfants. Des gens qui savaient se renouveler, et trouver un enthousiasme renouvelé à faire leur métier…

A l’inverse, quelques-uns m’ont marquée négativement, paraissant très «gentils» au départ, mais avec qui s’installait un climat de «copinage» débouchant à terme sur le chahut, la mise à mal du cadre de travail. Il n’y avait plus de respect ni l’autorité nécessaire à l’enseignement. La situation devenait désagréable et nuisible pour l’enseignant et pour les élèves… On ne peut pas gérer une classe comme cela.»

Quel parcours avez-vous suivi avant de pouvoir vous trouver, cette année, «professeure des écoles» en titre, et en poste ?

«Voulant depuis toujours être enseignante, j’aurais aimé pouvoir intégrer une formation spécifique immédiatement après l’obtention du baccalauréat… Mais il faut aujourd’hui avoir un Master pour être formée, et donc passer d’abord une licence quelconque, ou un diplôme «bac+3» équivalent.

J’ai choisi d’étudier à l’université de Brest une des matières que je préférais: la biologie. C’était très intéressant. J’ai appris beaucoup de choses durant ces trois années de licence, mais elles ne m’ont pratiquement servi à rien pour l’enseignement par la suite !…

Il y a donc ensuite deux années de Master «Métiers de l’Enseignement, de l’éducation et de la Formation» : la première année est assez théorique car essentiellement consacrée à la préparation du concours de recrutement, qui a lieu en fin d’année de «Master I».

C’est une année difficile, car il faut à la fois passer le Master I (examens, dossiers, mémoire de recherche…) et le concours. Quand j’ai passé ce concours régional, il y avait 180 places pour 3000 inscrits. Cela fait qu’un très grand nombre de personnes qui obtiennent le Master manquent le concours, et se retrouvent donc sans solution, puisque le Master prépare spécifiquement à l’enseignement…

Si l’on réussit le concours, l’année de «Master II» se passe ensuite en alternance dans une classe, en situation d’enseignant – avec rémunération – et en formation à l’école Supérieure du Professorat et de l’éducation, à la fac…

Puis, il faut «valider» le Master II et cette année de stage (des tuteurs viennent nous visiter en classe). Certains obtiennent l’un sans obtenir l’autre, et doivent recommencer. Si l’on valide les deux, l’on est titularisé par l’éducation Nationale.»

Le concours de recrutement, puis la formation dispensée aux futurs enseignants vous ont-ils paru adaptés aux réalités du métier ?

«La première année de Master, qui prépare au concours, est vraiment très théorique, hormis trois semaines passées dans une seule classe. On y apprend beaucoup de choses, mais pas toujours très concrètes pour le métier lui-même. J’ai entendu et vu que des Majors de promotion, très bien classés donc, ont démissionné par la suite, réalisant ce qu’était le métier une fois arrivés devant une classe… Ils se sont rendu compte alors qu’ils n’étaient pas faits pour travailler auprès des enfants.

A l’inverse, d’autres, qui étaient très bons pédagogues, avaient un bon contact avec les enfants en classe, ont échoué à cause de difficultés dans une matière ou une autre…

La deuxième année est, elle, plus pratique puisque nous sommes en classe le lundi et le mardi, puis pouvons exposer nos problèmes, examiner des questions pratiques le reste de la semaine. Durant cette année, nous sommes davantage formés par des professeurs des écoles maîtres formateurs (PEMF)…

Dans le cadre de ce mi-temps d’enseignant, nous sommes censés nous trouver dans la classe en alternance avec un autre enseignant expérimenté, voire formateur ; mais assez souvent, il s’agit en fait d’un enseignant qui débute aussi…»

N’avez-vous pas hésité ou craint, chemin faisant, de vous lancer dans une profession – l’on pourrait dire une vocation – réputée en crise profonde, alors même que de vos collègues, aînés dans le métier, sont de plus en plus nombreux à arrêter et à réorienter leur vie professionnelle ?

«J’étais très enthousiaste jusqu’à l’entrée en E.S.P.E. et la confrontation avec les difficultés du concours ; j’entendais aussi parler de collègues de mes parents qui démissionnaient pour changer de métier, «n’en pouvant plus» ; je voyais des jeunes démissionner en première année de Master… Tout cela m’a un peu «refroidie», mais pas au point de remettre en question mon choix.

Mais j’avais aussi beaucoup entendu dire que cette première année était particulièrement difficile, et que l’expérience aidant, cela devenait plus facile…

J’ai persévéré, et je ne l’ai pas du tout regretté ! 

Ce qui peut paraître un peu contradictoire, c’est que le métier est de plus en plus difficile et pourtant il y a de plus en plus de personnes qui passent le Concours de Recrutement des Professeurs des écoles.

De même, comme je viens de le dire, il y a des enseignants qui démissionnent, mais il y a aussi un bon nombre de gens qui, après avoir exercé d’autres professions pendant plusieurs années, souhaitent passer le concours d’enseignant. Il y a des reconversions dans un sens comme dans l’autre.

Ainsi cette année, dans la promotion du Master, la grande majorité était en reconversion après avoir été infirmières, artiste, volcanologue, ATSEM, guides dans les musées, pompier de Paris, sage-femme, comédienne, historiens…

D’ailleurs, la moyenne d’âge de réussite au concours était de presque 28 ans en Bretagne.»

Quel souvenir gardez-vous de votre tout premier contact avec une classe ?

«Un très bon souvenir ! J’avais toujours «rêvé» de me trouver devant une classe, et cela m’a effectivement un peu semblé comme un rêve.

Mais on réalise aussi plus encore la responsabilité que l’on a : tous ces enfants qui nous sont confiés. Notre mission d’enseignant à leur égard. L’exigence de sécurité. La nécessité de créer une bonne ambiance…

L’on est un peu intimidé dans les premières heures, puis l’aisance vient, et cela se passe très bien. C’est très intéressant.

Au début, la classe est silencieuse. Les élèves attendent, vous observent, s’interrogent sur ce que vous êtes, comment vous allez être et faire… On ressent cette attente, cette expectative… On la lit dans leurs yeux !

Il faut donc prendre l’initiative, se lancer. On repère dès ces premières heures ceux qui seront des «moteurs» de la classe ; ceux qui prennent déjà facilement la parole, alors que d’autres restent réservés, plus timides…»

Votre année de stage, lors de l’année scolaire 2018-2019, vous a-t-elle permis de découvrir un exercice du métier tel que vous l’aviez entrevu ou imaginé ?

«Oui… Parce que j’avais déjà fait plusieurs stages, au collège et en licence, dans des classes diverses. Je n’ai pas eu de vraies surprises, hormis ce temps à consacrer au travail administratif, dont j’ai déjà parlé…

L’on peut aussi constater que certaines des choses apprises à l’E.S.P.E.  fonctionnent très bien, et que d’autres sont trop générales ou trop théoriques pour s’appliquer à la diversité des situations.

Il faut beaucoup adapter, et s’adapter aux réalités des classes !»

Qu’est-ce qui vous a paru le plus difficile ?… Et le plus aisé voire agréable ?

«Le plus agréable a été le contact établi tout de suite avec les enfants, et le fait d’enseigner, de transmettre…

Le plus difficile, outre le travail administratif, c’est de gérer des cas difficiles, des situations de grande souffrance chez des enfants. Cela nous affecte beaucoup nous-mêmes, d’autant que l’on ne détient pas les solutions. Le plus touchant, c’est de voir de ces enfants qui ne s’expriment pas, et de savoir tout ce dont ils souffrent en silence… 

Une autre difficulté que j’ai pu observer est «l’école inclusive». C’est une très belle construction qui consiste à ouvrir l’école à tous les enfants présentant un handicap, en y adaptant leur scolarité.

Cependant, nous manquons de formation et de moyens pour bien les accueillir.»

Existe-t-il encore aujourd’hui une réelle différence entre les «écoles rurales» et les écoles des grandes villes ?

«J’ai pu connaître un peu de ces deux types d’écoles, ayant fait plusieurs stages d’observation dans des écoles situées en grande zone urbaine, à la périphérie de grandes villes… Et oui, il y a souvent une grande différence, ce sont des environnements bien différents, et bien que les programmes soient les mêmes, on ne rencontre pas les mêmes problématiques.

Les grandes écoles, en ville, m’ont paru assez impersonnelles et froides : les enfants ne se connaissent pas tous. Ils sont éclatés en petits groupes. Les conflits sont plus nombreux. 

Les enseignants non plus ne se connaissent pas vraiment. L’atmosphère est souvent plus individualiste, la relation avec les parents plus distante…

En revanche, ce sont des classes d’un seul niveau, plus faciles à enseigner de ce point de vue, et les moyens financiers – et donc l’équipement – y sont souvent supérieurs à ceux dont disposent les petites écoles rurales…

Mais je préfère, et de beaucoup, enseigner dans ces petites écoles qui, hélas, disparaissent en grand nombre. L’ambiance y est plus familiale. Chaque élève est bien connu. Chacun y trouve sa place. Il existe un échange, une connivence, entre les «petits» et les «grands», notamment dans la cour… Ce cadre me paraît meilleur pour enseigner, même si le travail est plus difficile, l’investissement personnel plus grand en tous domaines, jusque dans l’apport de matériel personnel…

Mais oui, sans aucun doute, je préfère les petites écoles… Et j’ai été servie en cela cette année !»

L’on dit parfois qu’une  classe est un «petit monde», avec son atmosphère, sa vie interne particulière… L’avez-vous remarqué ? Et peut-on aussi le dire des écoles : chacune a-t-elle son «ambiance» spécifique ?

«Aucune classe ne ressemble vraiment à une autre ! Chacune est un petit monde, avec son organisation, son ambiance… Et on perçoit cette ambiance dès que l’on entre dans une classe. On sait si on aimerait y travailler ou non, en tant qu’enseignant ou en tant qu’élève!

On sent s’il y a de la tension, des conflits entre élèves… Si l’enseignant y est à l’aise ou s’il est en difficulté…

De même à l’échelle de l’école: on sent si l’ambiance est bonne entre collègues, s’il y a entente, entraide… ou individualisme. Et l’on perçoit enfin si les parents d’élèves sont investis dans la marche de l’école ou si la plupart se contentent de «déposer» les enfants à l’école parce que c’est obligatoire…

L’enseignant peut construire l’ambiance de sa classe, même s’il est parfois très difficile de changer des habitudes et une atmosphère qui ne dépendent pas de la classe ou de l’école seulement…

Les interférences entre l’école et l’environnement sont nombreuses et importantes.

Dans un petit bourg, comme celui où j’enseigne cette année, l’école reste parfois le dernier lieu vivant du village, quand tous les commerces sont partis. Elle est l’objet de toutes les attentions, en particulier des élus. On y fait tout pour la garder…»

Les récits et anecdotes des anciens, ou la visite de «musées vivants» de l’école d’autrefois – tels ceux de Bothoa ou de Trégarvan – révèlent aux jeunes générations ce qu’était l’école d’hier… Tout un monde semble la séparer de l’école d’aujourd’hui ! Qu’ont-elles encore en commun et qu’est-ce qui les différencie ?

«La manière d’enseigner a beaucoup changé. Elle était plus magistrale. Il y avait moins de jeu, même pour les «petites» classes. La pédagogie était beaucoup plus «descendante» : l’instituteur transmettait un savoir à des élèves «réceptionnaires», assez «passifs»… 

Il y avait de bonnes choses, mais je  pense que c’était plus difficile pour les élèves qu’aujourd’hui où la pédagogie est plus centrée sur l’enfant, où il nous est demandé d’adapter si possible l’enseignement à chaque enfant, où celui-ci est appelé à apprendre aussi par lui-même, à découvrir, à faire, à manipuler… On y apprend également par le jeu. L’on pourrait dire que l’enfant est davantage acteur, participant de son apprentissage.

Pour l’enseignant, ce devait être globalement plus facile dans le passé, parce que les élèves étaient plus disciplinés, plus respectueux… la situation actuelle en ce domaine est aussi un reflet de l’évolution de la société.»

Et qu’en est-il des élèves, des enfants d’hier et d’aujourd’hui, tels que vous pouvez les percevoir ?

«L’enfant reste l’enfant ! Le fond demeure le même. La plupart des élèves sont enthousiastes, curieux de découvrir, ce qui est toujours agréable quand on enseigne… A l’inverse, beaucoup d’entre eux sont aujourd’hui trop «mûrs» pour leur âge ; c’est-à-dire que leur sont imposés des problèmes d’adultes, difficiles à porter pour eux.

Par ailleurs, de très récentes études commencent aussi à démontrer les méfaits de «l’enfant-roi», à qui l’on permet tout, qu’il ne faut pas «frustrer»… Des enfants dont on fait des insatisfaits perpétuels, et à l’école, des élèves incapables de s’adapter à la vie collective, aux règles communes, de respecter l’autre… On fabrique presque des «asociaux».

Ces études montrent que ces enfants qui ne sont pas confrontés à des limites, à un cadre clair, développent des troubles psychologiques et sont désécurisés. Les enfants ont besoin de points de repère pour se construire.

A l’école, on voit tout de suite les enfants qui ont ce cadre à la maison : ils s’adaptent sans difficulté aux contraintes de la vie en groupe. Les autres y ont souvent beaucoup de mal.

L’enfant, l’élève, essaie de pousser les limites au début, puis il est rassuré de trouver un cadre, des règles… Et l’on observe même que ceux qui semblent ne pas accepter les règles, et les enfreignent, sont inquiets si l’enseignant laisse faire. L’absence de cadre est désécurisante et inquiétante… 

Un grand problème aujourd’hui est le fait que de plus en plus d’enfants passent beaucoup de temps devant les écrans, ce qui occasionne de la fatigue, des troubles de l’attention…»

Quant à «l’instituteur»  et «l’institutrice» d’aujourd’hui, peuvent-ils être le «maître» et la «maîtresse» d’hier ?

«L’image de l’enseignant du passé est souvent celle du maître sévère, des punitions qui allaient jusqu’aux coups parfois… Ce qui est révolu !

Les exigences de l’institution scolaire ont changé. L’enseignant doit être bienveillant dans son attitude, plus en retrait dans sa démarche didactique afin d’amener l’élève à participer davantage, afin de mieux comprendre et retenir ce qu’il apprend…

L’on pourrait dire que le rôle fondamental de l’enseignant n’a pas changé, mais que la façon de faire a beaucoup évolué… et change souvent selon les «modes» pédagogiques !»

On dit parfois l’école «malade»… Mais n’est-elle pas en réalité «malade» d’une société elle-même «malade» ?

«Si, l’école est vraiment le reflet de la société. Tout s’y répercute. Et pour beaucoup d’enfants désorientés, l’école est un point d’ancrage, de référence, de sécurité…»

L’un des problèmes de cette école n’est-il pas que l’on fait peser sur elle des responsabilités, missions et charges qui ne sont pas les siennes ? Ne lui en demande-t-on pas de trop ?

«On lui demande de se substituer de plus en plus à ce que d’autres acteurs de la société devraient assumer, y compris la famille…

L’école est constamment sollicitée pour intervenir auprès des enfants dans des domaines qui n’appartiennent pas à sa mission première. De plus en plus d’associations, de groupes, d’instances demandent à pouvoir y  promouvoir leur cause… Les enfants et l’école sont un peu une cible idéale !

Jeune, je pensais que mon rôle d’enseignante serait d’apporter des cours… Je n’imaginais pas tout ce qu’un enseignant doit faire. Or, notamment dans les petites écoles, il doit tout faire, depuis la commande de fournitures et toute la «paperasserie» jusqu’aux impératifs très divers de sécurité, les relations avec les parents et d’autres partenaires : collectivités, associations, et souvent aussi (hélas !) des services sociaux…

L’application des programmes officiels eux-mêmes est très difficile, du fait – par exemple – que le volume hebdomadaire de cours fixé pour chaque matière à enseigner ne tient pas compte des temps de récréation… Il est déjà donc impossible à tenir !

Souvent les jeunes enseignants se culpabilisent et se découragent en première année, en constatant qu’ils ne parviennent pas à «tenir» le programme… Puis, en discutant avec leurs aînés, ils se rendent compte que c’est le cas général, et apprennent à aller à l’essentiel.

Un autre problème en ce domaine est le temps de plus en plus important que l’on doit consacrer à instaurer en classe le cadre, les comportements nécessaires à l’enseignement. Apprendre le respect, la maîtrise d’eux-mêmes à des élèves en manque de repères… Avant d’enseigner, il faut de plus en plus souvent éduquer, ce qui prend du temps.»

Parents, enfants, enseignants… et administration… Est-ce une gageure d’espérer l’harmonie, ou un but que l’on peut atteindre ?

«J’espère que le but puisse être atteint, mais il est certain que c’est très compliqué tant la diversité des situations est grande.

Les «conseils d’école» sont souvent révélateurs des tensions qui existent, par exemple, entre parents d’élèves ou association de parents d’élèves et élus locaux…

L’enseignant se trouve à la charnière de toutes ces relations complexes et doit souvent servir de médiateur, ou de tampon !»

Vous venez d’achever votre formation d’enseignante… Si vous deviez conseiller un jeune qui envisage de le devenir, que lui diriez-vous ?

«Tout d’abord, que c’est un très beau métier ! Très riche mais très prenant. Où il lui faudra être bien plus polyvalent qu’il ne l’imagine généralement. 

Et je lui conseillerais de faire beaucoup de stages dans des écoles, choisir d’aller voir des classes, par exemple dans le cadre de stages imposés aux élèves des collèges, des lycées, ou ensuite en licence… Et discuter beaucoup avec des enseignants, car la réalité du métier est parfois très différente de ce qu’on peut lire «sur le papier».

Il faut s’assurer qu’on aime les enfants, que l’on saura travailler auprès d’eux, que l’on sait  transmettre, et instaurer le cadre nécessaire pour le faire dans un groupe d’enfants…»

Vous voici à l’orée d’une année scolaire ; quels critères vous permettront de la juger réussie dans quelques mois, quand vous refermerez la porte de votre classe ?

«Que les élèves aient appris, non seulement dans les savoirs à acquérir, mais aussi à vivre ensemble ; qu’ils aient progressé dans leurs comportements…

Qu’ils aient été heureux de venir à l’école; qu’ils y aient trouvé un bon cadre pour s’épanouir, prendre confiance en eux, préparer leur vie future… sans oublier la satisfaction des parents.

J’ai été frappée – l’année dernière – de voir des élèves qui avaient des difficultés scolaires venir cependant chaque matin à l’école avec le sourire, me disant au retour du week-end : «Ah ! Maîtresse, tu m’as manqué !» ; ou me donnant tous les jours de petits dessins dans des enveloppes… Et en fin d’année, de recevoir des parents de très gentils mots de reconnaissance et d’encouragement…»

Enseigner, c’est-à-dire accompagner l’enfant en l’éveillant, le respectant, n’est-ce pas l’un des plus beaux métiers en ce monde, et plus encore, une mission exaltante et essentielle car elle conditionne non seulement l’avenir de l’enfant, mais pour le moins en partie, la société de demain ?

«C’est vrai… Et on le réalise, je pense, surtout au début, quand on prend en charge une première classe, avec la crainte de ne pas être à la hauteur de la mission qui nous est confiée…

Mais il faut aussi savoir prendre du recul. Savoir, par exemple, que l’on ne pourra pas faire réussir tous les enfants en difficulté au même niveau, et ne pas s’acharner mais, en fonction de ce qu’est chacun, lui permettre de progresser dans de bonnes conditions, faire en sorte qu’il se sente bien à l’école.»

Qu’est-ce, à vos yeux, qu’être un bon enseignant ?

«C’est comme on le dit, un bon didacticien et un bon pédagogue : quelqu’un qui sait bien transmettre, expliquer, apporter de bons cours, attrayants…

Quelqu’un qui sait adapter sa façon d’enseigner aux élèves qu’il a devant lui, prendre en compte chacun de ceux-ci, ayant de l’empathie pour chacun, étant patient tout en se faisant respecter ; et qui est prêt à consacrer une bonne partie de sa vie à ce métier.»