«Dans l’exercice du métier de policier, le plus dur reste, à mon sens, les violences commises sur des enfants, et aussi d’autres personnes vulnérables, comme les personnes âgées.

C’est difficile à supporter, car l’on a soi-même des enfants, des parents âgés…

Après, une fois l’agresseur en garde à vue ou jugé et incarcéré, l’affaire est terminée… Mais la victime, elle, reste «abîmée» pour toujours. Notre travail s’est arrêté, mais on a le sentiment de quelque chose d’inachevé; un paquet de bijoux volés et retrouvés, même si un cambriolage est traumatisant, cela ne concerne que des objets; et la victime est contente de récupérer son bien… mais un enfant qui a été traumatisé par une agression quelconque le restera toute sa vie…» nous a confié F. Lange.

 A l’instar de Fañch Le Roy, le héros de ses romans policiers, l’on perçoit chez François Lange une personnalité qui possède de la profondeur, de «l’épaisseur»…

Une personnalité bâtie sur une nature fertile, mais aussi forgée dans un parcours de vie singulier: cet ancien para d’infanterie de marine, puis commandant de police est un homme qui «en a vu»; homme d’action et homme d’expérience… Et au regard pénétrant qu’il pose sur vous, on devine l’homme habitué à jauger son interlocuteur «au premier coup d’œil»!

Mais pas un homme blasé ou «revenu de tout»! Au contraire, si on le sait lucide sur ce dont est fait l’être humain, on le sent tout autant habité par une étonnante fraîcheur d’âme, une large ouverture d’esprit, une empathie profonde et non feinte, une réelle humanité… Et même une sensibilité que révèle sa passion pour l’histoire –y compris locale– son amour de l’écriture ou son goût pour la sculpture…

Finalement, n’est-il pas d’abord un solide Breton, Bigouden à l’âme celte, faite de roc et d’eau; de cette Bretagne qu’il chérit et dit peuplée de gens «d’authenticité et de tempérament; de pudeur, de fierté et de solidité…»?

Voici un interview aux mille facettes, où l’anecdote,  l’information, la réflexion, l’émotion rivalisent d’inattendu, de profondeur, d’épaisseur… et d’âme!


Voudriez-vous vous présenter brièvement ?

«Je suis né le 24 octobre 1958 au Havre, d’un père normand, du pays de Caux –comme Maurice Leblanc, le «père» d’Arsène Lupin, qui m’a toujours passionné– et d’une mère bigoudène, du Guilvinec, mais née au Havre.

Car mon grand-père Morvan, le Breton du Pays Bigouden, était venu travailler entre les deux guerres dans le port autonome du Havre, où existe une importante colonie bretonne. Le quartier Saint-François est un quartier breton. On y fête chaque année la Saint-Yves… Et dans ma carrière de policier, j’ai travaillé avec des Havrais qui avaient tous des patronymes bretons!

J’ai donc grandi et fait mes études au Havre. Puis, j’ai commencé des études de Droit en Fac, après le Bac… Mais après trois semaines, je me suis rendu compte que cela ne me plaisait pas. Il a fallu prendre une décision, car il était pour moi hors de question que mes parents continuent à me payer des études que je ne suivrais pas vraiment –cela aurait été de l’escroquerie!– si bien que je me suis engagé dans l’armée, interrompant mes études après avoir pris contact avec un officier orienteur, afin que tout soit irréversible: je coupais mes ponts…

En fin 1979, après avoir trouvé un petit travail dans l’attente pour ne pas être à la charge de mes parents, j’ai intégré à Bayonne le 1er RPIMA (1er Régiment de parachutistes d’Infanterie de Marine) où j’ai fait trois années, puis après l’école de sous-officiers de Saint-Maixent, j’ai rejoint le 6e RPIMA à Mont-de-Marsan… En 1985, un accident survenu sur un parcours du combattant m’a amené à mettre fin à cette carrière de parachutiste.

Ont suivi deux années de «petits boulots», que j’ai aussi mises à profit pour préparer l’Examen des Emplois Réservés de la Police, dans le but de devenir inspecteur de Police, comme on le disait à l’époque…

L’examen réussi, j’ai intégré l’école Nationale Supérieure des Inspecteurs de la Police Nationale à Cannes-Ecluse. Sorti en bonne place en 1989, j’ai choisi une affectation au Havre: brigade des mineurs, brigade criminelle, puis chef d’un secteur de police de proximité –un très bon dispositif, hélas abandonné par la suite, mais qui se mettait alors en place, sous le ministre Jean-Pierre Chevènement…

Je demandais régulièrement des mutations en Bretagne, dans le Finistère ou le Morbihan, ce que j’ai fini par obtenir, pour le commissariat de Quimper tout d’abord, avant d’intégrer l’état-major de la Direction Départementale…

C’est là que j’ai terminé ma carrière, prenant ma retraite en 2015.

Ma femme et moi sommes mariés depuis 31 ans. Nous avons 2 filles: l’aînée, qui a 24 ans, est sous-officier au 2e Régiment des Dragons de Fontevraud; la cadette a 20 ans et elle est en 3e année de fac de psychologie à Brest.

J’ai de nombreuses occupations et passions, dont l’archéologie, la sculpture sur pierre –et un peu sur bois– la lecture, le sport– pour continuer à m’entretenir, et d’autres encore…»

L’armée… La police… Le roman policier et historique… L’archéologie… Quel fil directeur relie chez vous ces métiers et «passions» ou sources d’intérêt?

«Pour ce qui concerne les «passions», c’est incontestablement l’histoire. Elle oriente mes lectures, mes visites et voyages, et m’a conduit vers l’archéologie…

Le fait d’avoir une vieille chapelle à deux pas de la maison que nous avons achetée ici a joué un rôle dans le choix de celle-ci, par exemple…»

Vous avez donc commencé par embrasser une carrière militaire…  Quels souvenirs en gardez-vous aujourd’hui, les meilleurs… et les moins bons?

«J’en garde beaucoup de bons souvenirs! Un parcours riche, des voyages sur tout le globe… Un temps formateur. Je suis sorti de l’enfance, de l’adolescence, de la vie estudiantine –d’une vie un peu «facile»– pour passer à un cadre rigoureux, qui m’a structuré, et m’a forgé un caractère que j’ai toujours!

Il y aurait tant de «meilleurs souvenirs» à évoquer!… De ces missions de type «SAS», en Afrique… un peu «borderline» dirait-on aujourd’hui. J’étais dans un régiment étiqueté «crapahuteur»… C’était dur, mais on était fier d’appartenir à cette unité, et de parvenir à un dépassement de soi –physiquement et psychologiquement– dont on ne s’était pas cru capable.

Et finalement, je n’ai pas vraiment de mauvais souvenirs…

Nous nous rencontrons chaque année depuis 40 ans entre anciens du régiment!»

Que vous a appris la vie militaire qui demeurerait une précieuse leçon à vos yeux?

«J’y ai appris la rigueur, le sens de l’organisation, de la structuration de l’action, de l’anticipation, et de la responsabilité dans ce qu’on fait –même si mes parents et mes professeurs m’avaient déjà donné une solide éducation. Le sens de l’honneur et de la parole donnée. J’ai appris à faire ce que je dis: si on dit, on fait. Sinon, on ne dit pas. Nous avions  à l’armée une métaphore: «mettre sa peau au bout de ses idées»…

J’ai beaucoup appris de la vie en collectivité, de la camaraderie, du travail en commun… J’ai aussi appris l’humanité; et peut-être plus que tout: la loyauté. Une valeur à laquelle je tiens particulièrement. Quand dans mes notes de policier apparaissaient les mentions «fiable», «loyal», j’en étais content: c’était ce que je voulais être et dont je voulais faire preuve…»

Pourquoi avoir ensuite choisi une reconversion dans la police? Qu’est-ce qui vous y attirait?

«Les anciens militaires bénéficiant de la filière des emplois réservés pour devenir inspecteur, avec dix ou quinze postes proposés cette année-là, et trois postulants, j’ai préféré cette voie.

Si l’examen d’entrée à l’école de police n’a pas été très difficile, l’année d’instruction l’a été, car nous nous retrouvions aux côtés d’universitaires bardés de diplômes, d’anciens enquêteurs de police qui connaissaient le métier…  Il a fallu «bosser», mais j’ai plutôt bien fini: 165e sur 650 dans la promotion.

Je ne voulais pas faire un métier monotone, mais continuer dans un métier un peu atypique, avec l’idée de servir, mais aussi un peu «d’adrénaline», d’imprévu, de pression et même de danger…» 

Cette réorientation vous a-t-elle été facile?

«Oui, et sans aucun regret, même si j’ai parfois un peu douté au début, n’ayant pas été outillé pour ce métier. Tout comme les mois passés à l’école des sous-officiers de St-Maixent, l’année passée à l’école de Police a été extraordinaire; dure, mais inoubliable. La formation était très bonne.

Cette solide formation m’a permis d’intégrer directement le commissariat du Havre où, à la sûreté ou à la brigade des mineurs, je me suis trouvé confronté de but en blanc à des histoires affreuses –des histoires d’Assises– ou ensuite à la brigade criminelle, à des crimes de sang…

J’avais 30 ans et étant ancien militaire, j’avais déjà vu un certain nombre de «choses», mais j’imagine le jeune inspecteur ou la jeune inspectrice de 23 ans qui devait faire face à cela en sortant directement de l’école, où ils n’ont fait que de la théorie… Ce doit être assez éprouvant!»

De 2002 jusqu’à votre départ à la retraite en 2015 –durant 13 ans, donc– vous avez travaillé au commissariat de Quimper… Quelle y était votre fonction première?

«J’ai commencé comme lieutenant de police, puisqu’en 1994 avait eu lieu la réforme qui transformait les inspecteurs en officiers: l’inspecteur de police devenait lieutenant; l’inspecteur principal, capitaine; l’inspecteur divisionnaire, commandant…

Ce qui ne doit pas monter à la tête des policiers, car –comme je le rappelais parfois à certains collègues– un commandant de police ce n’est pas un commandant dans l’armée, où celui-ci est chef de bataillon, dirige 240 hommes, avec tout un armement… Il s’agissait de rester à notre place!

J’ai donc commencé comme enquêteur, officier de police judiciaire, travaillant successivement aux violences, aux stupéfiants, aux cambriolages.

Puis passant capitaine, j’ai été chef de groupe dans la Sûreté urbaine.

En 2005, la procureure de l’époque à Quimper a soudain trouvé que j’étais un mauvais policier et m’a causé des problèmes, alors que j’étais jusqu’alors très bien noté par mes chefs comme par les procureurs. J’ai donc préféré intégrer la Direction Départementale de la Sécurité Publique  où le directeur Philippe Trennec avait besoin d’un chef d’état-major. Et là, je suis curieusement redevenu un excellent policier, du jour au lendemain, y compris aux yeux du nouveau procureur, arrivé par la suite… Je n’ai donc bizarrement été mauvais que pendant le passage de cette dame à Quimper!

A l’état-major –qui gère l’activité des quatre commissariats du département: Brest, Quimper, Concarneau et Morlaix– j’ai travaillé à l’aide aux victimes, à la sûreté, à la communication…

L’avantage de la police est de pouvoir proposer une palette de métiers très divers, de la police judiciaire pour ceux qui aiment les enquêtes, aux CRS pour ceux qui aiment  le maintien de l’ordre, les «Renseignements Généraux» (aujourd’hui SDRT), la DGSI (ex-DST) pour le renseignement, la police scientifique… Si vous le voulez, vous faites 20 métiers en 30 ans de carrière; vous passez une porte de bureau et vous changez de métier!»

Voudriez-vous rappeler, de manière générale, comment fonctionne un commissariat: sa hiérarchie, les secteurs ou pôles de spécialisation, les principes de la conduite d’enquêtes…?

«Cela dépend de l’importance de la ville. Au commissariat de Quimper, où travaillent environ 200 personnes, le patron est un commissaire principal –qui dépend du directeur départemental, ce dernier étant aussi le commissaire central de Quimper…

Il gère ses différents services, les secrétariats, les brigades… trois brigades de roulement pour la police en uniforme, qui travaille 24H sur 24, ce qui explique l’usure de tout le matériel, du mobilier aux voitures…!

Ce sont les motards, «police-secours», les contraventions, les accidents…

La sûreté comporte elle aussi plusieurs brigades spécialisées –mineurs, financière, cambriolages et vols de voiture, violences aux personnes…– même si les parois ne sont pas totalement «étanches»: une grosse affaire peut mobiliser tout le monde. S’y ajoutent les services d’aides à l’enquête, comme la police technique et scientifique, qui est devenue primordiale depuis que «l’aveu n’est plus la reine des preuves»…

Sous le commandement du commissaire principal travaillent les officiers en charge de ces différentes brigades: commandants, eux-mêmes secondés par les capitaines, lieutenants, et toute la chaîne hiérarchique.

En sûreté urbaine, les enquêteurs qui travaillent en civil sont aujourd’hui tous des gardiens de la paix qui sont officiers de police judiciaire, et peuvent donc prendre des gardes à vue, faire des perquisitions, des réquisitions judiciaires… Prérogatives qui étaient auparavant l’apanage des inspecteurs de police…»

De quoi une journée ordinaire d’officier de police est-elle faite?

«Cela dépend beaucoup de «l’actualité». Tout peut-être bouleversé d’une minute à l’autre.

Une journée habituelle –après une réunion du matin très informelle qui sert à évoquer les événements de la nuit, les grandes enquêtes en cours et les grands axes de travail– c’est majoritairement pour un officier de police, de l’administratif, du management: gestion et répartition des dossiers, des effectifs, planning de la journée, suivi des enquêtes en cours, consignes à donner… Aide au commissaire pour mettre en place les plans de la préfecture en cas de manifestations ou d’autres événements…

Les officiers assurent le lien entre les services, entre le «sommet» de la hiérarchie et la base… Ce rôle d’interface est important.

Mais on ne peut pas avoir un planning assuré en début de journée, car à tout moment peut surgir un événement qui va tout bouleverser.

L’accident, l’impondérable, peuvent exiger de changer tout l’agenda dans l’instant. C’est ce qui fait un des charmes de ce métier, que choisissent en général des gens qui n’aiment pas la monotonie! Il faut savoir s’adapter, et vite…

Bien sûr, les effectifs sont mobiles, et sur les «gros coups», par exemple dans le maintien de l’ordre, on reçoit des renforts. Mais une manifestation imprévue est très difficile à gérer, comme quand les Carhaisiens sont venus plusieurs fois sur Quimper à l’époque de la défense de leur hôpital, il fallait être réactif! D’autant  que c’était assez « chaud »…»

Un commissaire est-il un homme comme les autres?

«Oui, bien sûr! C’est le patron, mais comme partout dans tous les systèmes hiérarchiques, il faut savoir travailler avec le patron, le supérieur, et avec l’homme qu’il est, en prenant en compte ses qualités et ses défauts. Pour cela, il faut savoir prendre un peu de recul afin d’avoir ce double regard.

En fin de carrière, à 55 ans, il m’est arrivé de travailler avec des commissaires de 25 ans… S’il est bon, tout va bien. S’il est mauvais, il reste le commissaire, mais il y a l’art et la manière de gérer la situation. En tant que vieux commandant de police, vous pouvez faire comprendre certaines choses. Et la plupart d’entre eux étant intelligents, brillants et bien formés, ce sont des gens qui comprennent vite…»

Il est souvent souligné que «les déformations professionnelles» changent l’attitude et la perception de beaucoup, et ce en divers métiers… Cela est-il souvent le cas pour policiers et gendarmes…? Vous-même, consciemment ou inconsciemment, aviez-vous une approche, sinon suspicieuse du moins attentive dans vos contacts avec les gens?

«Il y a forcément une sorte de «paranoïa» qui s’installe! Cela va beaucoup mieux maintenant que je suis à la retraite, mais ma femme m’a souvent dit, pendant longtemps, des choses comme: 

«Arrête de regarder ce type comme ça!…»

Et je lui répondais: «Mais tu ne vois pas comment il regarde à l’intérieur des voitures. Ce gars-là cherche à voler!»

«Il voit bien que tu le regardes…» me disait-elle.

Ces gens-là repèrent effectivement très vite le «flic»…

Et c’était ainsi tout le temps. Après la naissance de nos filles, je me relevais parfois plusieurs fois par nuit pour vérifier si les portes étaient bien fermées…

Cela en devient presque comparable à des TOC –Troubles Obsessionnels Compulsifs– à force d’avoir des réflexes automatiques de sécurité. Et on a tendance à voir le mal partout, à voir le monde dans un prisme déformant, tellement on voit des choses terribles dans le cadre du métier…»

Vous arrivait-il cependant de vous détendre, de «baisser la garde»?

«Pas vraiment, car même en vacances on demeure vigilant. Mais cela ne «parasitait» pas ces moments-là pour moi, c’était tout simplement instinctif… Et je pense effectivement que c’est vrai dans tous les métiers, sauf qu’ici cela touche des domaines plus graves et importants: la violence, la sécurité, la défense…  On ne quitte pas facilement un tel «costume», surtout que l’on nous dit que nous sommes policiers 24H sur 24!»

Le policier que vous avez été –et qui plus est officier, maintenant «retiré» du service actif– porte-t-il désormais un regard différent sur les hommes et femmes au milieu desquels vous vivez dans le quotidien de votre vie?

«Cela va mieux! Mais l’on reste un peu toujours sur la défensive.»

La vie de famille est-elle affectée par cet engagement?

«Oui, surtout par ce dont nous venons de parler: mes filles ayant grandi, je ne voulais pas les lâcher à l’arrêt du bus avant que le car n’arrive; ou j’étais constamment à leur donner des conseils de prudence: «Ne faites pas ci, ne faites pas ça…»

«Si vous voyez une voiture s’arrêter à votre hauteur, sautez le talus ou le barbelé et partez en courant…  Pour aller au centre équestre, passez par les champs…»

Ma femme me disait: « arrête de leur pourrir la vie». Et je lui disais: «Tu sais, j’en ai vu tellement!…»

C’est comme cela, on ne peut pas s’en empêcher!»

Qu’est-ce qui est le plus difficile dans la vie du policier?

«Cela  dépend sans doute du ressenti de chacun. Mais le plus dur reste, à mon sens, les violences commises sur des enfants, et aussi d’autres personnes vulnérables, comme les personnes âgées.

C’est difficile à supporter, car l’on a soi-même des enfants, des parents âgés, et automatiquement ce n’est plus seulement en vous le policier qui intervient, c’est le père, ou le fils… L’affectif s’en mêle inévitablement.

En brigade des mineurs, j’avais du mal à conserver tout mon calme en face du criminel qui s’en était pris à un enfant…

Après, une fois l’agresseur en garde à vue ou jugé et incarcéré, l’affaire est terminée… Mais la victime, elle, reste «abîmée» pour toujours. Notre travail s’est arrêté, mais on a le sentiment de quelque chose d’inachevé; un paquet de bijoux volés et retrouvés, même si un cambriolage est traumatisant, cela ne concerne que des objets; et la victime est contente de récupérer son bien… mais un enfant qui a été traumatisé par une agression quelconque le restera toute sa vie…

Et il est des scènes qui vous «poursuivent» longtemps. Au Havre, une de mes dernières «affaires» était un double crime horrible: une mère qui avait égorgé ses deux enfants dans un hôtel. J’ai vu les petits cadavres, suivi les autopsies… L’un des petits avait 6 mois, l’âge de ma fille à l’époque. Ce qui m’a traumatisé le plus, c’est de voir ce «petit bout» qui tenait une peluche pleine de sang… Cela m’est resté dans l’esprit: une peluche ne devrait jamais être remplie du sang d’un petit enfant…

Je me suis dit qu’il n’était pas possible que des êtres humains, que l’humanité puissent faire des choses pareilles! 

Je me rappellerai aussi toujours de cette fillette très bien habillée –petite jupe plissée, chaussettes bien tirées, joli loden…–- qui pleurait. Sa maman venait de se suicider par pendaison. Je suis rentré chez moi, «anéanti»…

Toutes les affaires –même violentes– qui concernaient des voyous, même des «pointures»…, je les ai évacuées. C’était le travail normal. Mais des choses comme celles-là, je n’arrivais pas à bien les «gérer».

J’avais vu certaines choses en opération avec le RPIMA, je savais à quoi m’attendre en entrant dans la police… Mais là, les enfants, c’était autre chose.

Je me souviens de la réflexion d’une infirmière d’un service d’Urgences pédiatriques au Havre, où je venais entendre un gamin victime de viol: «Je ne pourrais pas faire le métier que vous faites», m’avait-elle dit. «Et moi, je ne pourrais pas faire le vôtre!» lui ai-je répondu, elle qui voyait chaque jour arriver des enfants «en miettes»…

Chacun gérait à son niveau la misère et la méchanceté humaines.»

Parmi toutes les enquêtes que vous avez eu à mener, lesquelles vous ont le plus marqué, ou vous laissent les plus grands souvenirs?

«Curieusement, ce ne sont pas les enquêtes les plus importantes. J’ai toujours aimé travailler sur des affaires de cambriolages, à Quimper comme au Havre: faire tomber une bande de cambrioleurs, retrouver le matériel volé et le restituer aux victimes…

J’ai travaillé au Havre sur des séries de 30 à 40 cambriolages, commis par des cambrioleurs «de haut vol». Ils restaient 48 heures en garde à vue, et cela se passait très bien. C’étaient des voleurs, mais pas des tueurs; des délinquants, mais pas des violents… On se revoyait parfois dans la rue après leur sortie de prison. Et ils venaient nous serrer la main, parler…

J’ai aussi eu à travailler sur des vols par ruse, commis par des gitans déguisés en policiers –de vrais artistes!– avec de très gros préjudices: c’étaient des filatures, des mises sur écoute…

A Quimper, j’ai bien aimé travailler sur le cambriolage du musée océanographique Bolloré à Ergué-Gabéric en 2009. L’oncle de Vincent Bolloré –Gwenn-Aël Bolloré– était un océanographe amateur et a constitué un magnifique musée privé.

J’étais à l’époque chef de la sûreté, et grâce à une seule empreinte digitale relevée à l’extérieur par un excellent technicien –qui est toujours en poste à Quimper– nous avons pu remonter jusqu’à l’équipe de «pieds nickelés» qui avait fait ce cambriolage et récupérer tous les objets volés: une enquête modèle, d’école, menée dans un endroit atypique, médiatisée, sans avoir eu à travailler avec trop de pression, même si le préfet Pascal Mailhos nous avait fait comprendre qu’il serait bien de réussir, M. Bolloré étant l’ami de M. Nicolas Sarkozy, alors président de la République…

Pour des «crimes de sang», des homicides, nous parlons parfois  entre nous de «belle affaire», de «beau crime», ce qui choque les gens! Nous parlons là, bien évidemment, de l’enquête, des procédures, du succès de l’enquête, d’avoir réussi à trouver le coupable et à le faire mettre «à l’ombre»… Mais quand nous sommes devant la victime, nous avons les mêmes réflexes d’empathie, de pitié, de compassion que les autres!»

Gardez-vous à l’inverse le regret de quelque fait non résolu, ou autre échec?

«Il y en a toujours! Des affaires non élucidées, qui sont maintenant prescrites… Je pense en particulier à l’une d’entre elles: un viol, avec tentative d’assassinat, dont j’étais sûr de connaître l’auteur. Je sais qui il est. Mais nous n’avons jamais pu le prouver légalement… Cela nous reste «en travers de la gorge».

On peut parfois regretter d’avoir manqué de sérénité, le stress jouant, dans certaines situations tendues, face à des personnes violentes, dangereuses… Il n’y a pas d’interventions parfaites, et il faut savoir se poser des questions, avec recul, sur ses propres attitudes, actions…»

L’on entend souvent dire que «le métier n’est plus ce qu’il était»… La mission de la police a-t-elle beaucoup changé en ces dernières décennies? Quelles évolutions majeures avez-vous connues au cours de votre carrière?

«La mission elle-même n’a pas beaucoup changé. C’est toujours «la défense des personnes et des biens». Mais j’ai vu la police évoluer énormément ces deux dernières décennies: la procédure pénale, avec l’arrivée de l’avocat en 20e, puis à la 10e, et enfin à la première heure. Ils sont maintenant associés à l’enquête… 

La procédure est devenue très lourde. Les corps administratifs ont changé, les inspecteurs devenant officiers… comme nous l’avons dit.

Les missions d’enquêtes pures ont été dévolues aux gardiens de la paix –OPJ– les officiers faisant, eux, de plus en plus de travail de management, de commandant, de la gestion du personnel, de l’administratif…

La police technique et scientifique a pris une place et un rôle essentiels, avocats et juges estimant que les aveux ne sont plus déterminants…

L’informatique, les logiciels de rédaction et de procédure ont transformé notre pratique: du jour au lendemain, je suis passé de ma vieille machine à écrire au carbone à un ordinateur avec logiciel de procédure… Puis sont venues les webcams, les caméras…

Les choses n’avaient pas bougé pendant longtemps, puis il a soudain fallu s’adapter très vite à des évolutions quasi annuelles…

En vingt ans, cela a été une révolution complète sur les plans techniques, humains, structurels, qui a pu être traumatisante pour certains, notamment de ma génération, dont beaucoup se disent que «c’était mieux avant», alors que d’autres s’y retrouvent bien.

Comme j’avais un jour dit à Yves Madec, journaliste au Télégramme: «Pour ceux de ma génération, c’est très difficile d’avoir commencé avec du millefeuille et de finir avec des biscottes!»

Que regrettez-vous –ou avez regretté le plus– dans cette profonde mutation du travail de la police et des policiers?

«Je regrette cette époque où nous pouvions faire des enquêtes un peu «à la Maigret»:  aller sur le terrain, prendre le temps de bien faire le métier, faire des enquêtes de voisinage, discuter avec les gens, prendre des notes, faire des planques, de l’enquête de terrain, au contact.… Tout le travail à l’ancienne, à la Vidocq! 

Par la suite, tout cela est devenu pénible parce qu’un quart d’heure sur le terrain exigeait trois-quarts d’heure de bureau pour  tout formaliser dans des procès-verbaux à n’en plus finir…»

Si vous deviez «recommencer» tout votre parcours, aborderiez-vous les problèmes et les personnes d’une autre manière?

«Je ne le recommencerais pas dans les conditions actuelles… L’administratif a trop pris le pas sur «le terrain», sur l’enquête policière, ce pour quoi j’étais entré dans le métier.

J’ai eu la chance de n’être jamais allé au travail à reculons.»

De tragiques faits viennent de plus en plus souvent témoigner d’un profond malaise et d’un «mal-être» chez les policiers… Que vous en semble? Qu’en dites-vous?

«J’avais dit à un homme politique, qui aime venir sur le terrain pour se rendre compte personnellement des réalités, que s’il fallait retenir une chose à ce sujet, c’est le sentiment de l’inutilité des efforts faits. Cette impression de ne servir à rien qu’ont maintenant les policiers est dévastatrice! A peine arrêté, le délinquant «connu des services» et même archi-connu, se retrouve dans la rue et vient se moquer de vous…

Beaucoup de policiers ne sont plus motivés par le métier parce qu’ils ont l’impression de se donner à fond dans le travail, en prenant des risques, mais que cela n’est ni reconnu, ni suivi d’effets ensuite parce que «derrière, ça ne suit pas». C’est la même chose pour les gendarmes, et les pompiers de plus en plus…

Avoir la sensation de ne pas être reconnu et soutenu par la hiérarchie, les politiques, les responsables, mais de devoir vous justifier de vos actions, c’est démotivant au plus haut point!

Un vieil inspecteur divisionnaire m’avait dit à mes débuts:

«Notre boulot, c’est de vider la mer avec une petite cuillère!»

J’ai cité cette phrase à un jeune policier à mon départ, en ajoutant, «…Aujourd’hui, c’est avec une passoire!»

Le manque de moyens, les problèmes pour récupérer les heures supplémentaires, les paies médiocres… Tout cela est vrai, mais reste peu de chose en comparaison de ce sentiment de ne servir à rien et de perdre son temps. On a le sentiment d’avoir été trahi par rapport à la mission que l’on est censé remplir dans la société… Et c’est vrai.»

Vous avez été à un poste d’observation privilégié sur l’évolution de notre société pendant ces dernières années et décennies… Quels faits, quelles situations vous paraissent les plus préoccupants?

«Les banlieues, la radicalisation religieuse islamiste, et la délinquance liée aux divers trafics, qui font que des secteurs entiers de quartiers, et de villes, échappent au contrôle des pouvoirs publics, sont devenus des bastions de l’intégrisme, de la délinquance ou de la criminalité; cela, avec des gens surarmés…

C’est dit et redit depuis des années, le diagnostic est bien établi, mais rien de vraiment sérieux ni d’efficace n’est fait, alors la situation ne cesse d’empirer… Et un jour, elle explosera. C’est inévitable.»

Comment voyez-vous se dessiner l’avenir quant à la sécurité, la délinquance…? Qu’est-il, à vos yeux, urgent et essentiel de faire en ce domaine?

«Remettre tout à plat, hausser le ton et montrer les muscles… Appliquer simplement la loi. Il n’y a pas besoin de faire d’autres lois, mais d’appliquer celles qui existent. Avoir le courage de faire la répression prévue par le Code pénal.

Face à des gens totalement idéologisés ou à des enjeux financiers gigantesques, la discussion ne sert à rien…

Mais l’on en est parvenu à un tel point que personne n’a le courage de prendre les mesures draconiennes qui s’imposent.»

Quelles valeurs fondamentales se sont perdues, et sont-elles à ré-inculquer?

«Avant tout, le respect, et l’éducation. C’est un autre propos qu’il n’est pas «politiquement correct» de tenir, mais qui est un fait: il y a souvent une démission des parents, des professeurs, de la société… Et nous policiers, étions les premiers à voir arriver dans la délinquance ces jeunes laissés à eux-mêmes depuis l’enfance.

Il n’y a plus aujourd’hui de cadre, de repères, de limites, de freins… Et la réponse que le jeune délinquant adresse à ses parents, à ses profs, aux éducateurs ou animateurs, ou aux policiers… est la même: la vocifération, l’insulte, la violence…

C’est tout un système éducatif qui est à rebâtir! Et cela ne peut pas se faire par quelques mesures symboliques… Elles ne marcheront pas.»

Jeune retraité de la police, vous n’avez guère quitté le monde des enquêtes puisque vous voici auteur de romans policiers! Voudriez-vous nous conter la longue histoire de votre première intrigue?

«C’est une curieuse histoire. En 2005, à l’époque des difficultés que j’ai connues avec un magistrat du Parquet à Quimper, j’ai ressenti le besoin de «lâcher la pression», «d’évacuer»…

J’ai donc commencé à écrire, entre midi et deux heures, sur le logiciel de rédaction des procédures du commissariat. Cette histoire n’avait pas vocation à être publiée… Ni à ne pas l’être, d’ailleurs. C’était pour moi une «soupape de décompression».

J’ai inventé le personnage d’un policier quimpérois, qui évoluait sous le Second Empire. J’y ai agrégé diverses aventures. Aimant bien les cambriolages, je l’ai confronté à une bande de cambrioleurs qui mettaient à sac les maisons bourgeoises, puis à une société secrète royaliste fomentant rien moins que l’assassinat de Napoléon III… ce qui n’était pas sans arrière-plan historique.

J’ai achevé ce «roman», dont la rédaction m’a fait beaucoup de bien. Je l’ai photocopié en trois exemplaires, les ai brochés… puis le temps a passé. Je l’ai envoyé à deux ou trois personnes, dont le responsable du jury du «Prix du Quai des Orfèvres». J’y ai fini 6e des présélectionnés, sachant que seuls les six premiers concourent. Mais la Maison préfère les romans policiers contemporains, ce que je ne souhaitais pas faire. Eric de Saint-Périer, le secrétaire général, m’a dit que j’avais de ce fait peu de chance de terminer premier, mais m’a encouragé à continuer à écrire.

J’en ai donc fait un second, «La bête de l’Aven», dont j’avais adressé le manuscrit aux Editions du Palémon, créées par Jean Failler par l’intermédiaire de mon ami Firmin Le Bourrhis, sans plus de succès…

Des années après, les deux manuscrits allaient donc rejoindre définitivement mon grenier quand par un incroyable concours de circonstances, Jean Failler m’a proposé de les publier!…»

Pourquoi avez-vous choisi de situer votre héros –l’inspecteur Fañch Le Roy– et l’action de cette histoire –«Le manuscrit de Quimper»– à l’époque du Second Empire, au 19e siècle donc…?

«Je ne voulais pas écrire sur le métier tel que je l’avais connu, me replonger dans ce qui était mon travail actuel. Je voulais un policier à l’ancienne, mais d’une époque moins lointaine que celle du personnage de l’excellent auteur Jean-François Parot –Nicolas Le Floch– parce que cette période est difficile à gérer quant à la connaissance de la police.

Tandis que celle du Second Empire correspond à un moment où la police commence à se structurer, dans l’après Vidocq, avec un embryon d’organisation territoriale, et des éléments assez bien répertoriés pour obtenir un fond historique fiable, une trame solide et sérieuse, mais un cadre pas trop rigide, de façon à pouvoir laisser des coudées franches à mon policier…»

Ce roman est donc également un fruit de votre penchant pour l’archéologie et l’histoire? 

«Je voulais effectivement travailler, sur le plan de l’histoire, une période que je connaissais mal. C’était un défi de plus dans cette période personnellement un peu difficile de 2005, qui m’amenait à aller consulter les Archives départementales, diocésaines… J’ai lu le remarquable ouvrage de Philippe Séguin sur Louis Napoléon Le Grand, et celui de Pierre Micquel –deux références– de façon à construire mon personnage et mon intrigue sur une trame historique rigoureuse. J’aime l’histoire et ne veux pas prendre de liberté avec elle.

Je m’attache à faire correspondre ma fiction à des éléments historiques authentiques, même pour ce qui concerne l’histoire locale.

De toute manière, si ce n’était pas le cas, on ne me ferait «pas de cadeaux»: il y a trop de spécialistes de cette époque pour que l’on puisse se permettre des fantaisies!

Il y a bien quelques anachronismes, mais je les connais, les maîtrise et les assume, pour l’intérêt de l’intrigue, tout en essayant de les limiter…»

Fañch Le Roy n’est-il pas un peu –ou beaucoup– François Lange?

«Les gens qui me connaissent bien me disent qu’ils mettent mon visage sur mon personnage! C’est d’autant plus le cas que ce roman a été écrit comme une sorte d’exutoire à ce qui m’arrivait personnellement à l’époque. C’est donc une grande partie de moi-même que je mettais en scène, forcément…

Comme moi, Fañch Le Roy est ancien militaire, policier, bigouden… C’est grâce à cela que le personnage a un peu d’épaisseur, d’étoffe, de vérité. Cela m’amuse, aujourd’hui, notamment dans les nouvelles aventures que je lui fais vivre désormais, mais à l’époque, je n’étais pas dans l’amusement.

Et aujourd’hui, je ne peux plus revenir en arrière et changer le personnage. Il perdrait son âme! J’assume donc ma part de Fañch Le Roy.»

Avoir été policier est-il en tout un avantage pour écrire des romans policiers?

«C’est à la fois un avantage et un désavantage… Pour un romancier de «polars» actuels, c’est un avantage en ce qu’il connaît bien toutes les réalités du métier; mais c’est aussi un désavantage car le risque est que le roman perde en imaginaire ce qu’il gagne en précision et en véracité techniques.

C’est un travers qu’un auteur tel que Jean Failler n’a pas. Son personnage, Mary Lester, ne travaille pas tout à fait comme un policier le fait aujourd’hui. Elle prend des libertés, c’est un «flic» atypique, mais c’est ce qui fait tout son charme…

Si on devait écrire un roman policier comme on rédige le compte-rendu d’une journée de policier, le livre serait ennuyeux au possible. Il faut une dimension d’aventure, de romanesque pour lui donner du sel…

Le romancier-policier doit donc «oublier» un peu son métier. Je l’ai fait en décalant mon personnage dans le temps, de 160 ans, ce qui lui donne de la marge de manœuvre…»

Etiez-vous auparavant amateur de «polars», selon l’expression populaire, et avez-vous eu quelques grands inspirateurs ou modèles en matière d’écriture?

«Oui, mais j’aime justement les «polars» atypiques, et non pas ceux qui sont trop «formatés  police». J’aime beaucoup le commissaire Maigret, sa façon de «fonctionner». Ce n’est pas le «flic» du style commando, qui saute partout arme au poing… Il réfléchit beaucoup, il observe beaucoup, il parle avec les gens, il «renifle» l’ambiance, les lieux, tout cela durant les trois quarts du roman. Il mûrit les choses dans la pensée avant d’avoir le «déclic» et d’agir…

Et c’est une façon authentique de faire.

Pour des raisons semblables, j’aime aussi Pierre Magnan et son commissaire Laviolette, et le gendarme de Jean Giono, Marcel Langlois, dont les enquêtes se situent à l’époque de la Restauration… De même que le roman de Tony Hillerman, avec ses deux enquêteurs de la police indienne, tribale, qui travaillent dans une Réserve Navajo aux USA. L’un est très américanisé et trouve dépassées toutes les traditions ancestrales, l’autre au contraire y est très attaché… Encore deux «flics» atypiques.»

Que pensez-vous des «romans policiers» en général? Les «inspecteurs» et autres personnages «mis en scène» vous agacent-ils parfois? D’autres vous paraissent-ils proches de la réalité?

«Je n’apprécie pas du tout les romans policiers anglo-saxons actuels, dont les personnages sont très stéréotypés… Des genres de super-héros qui mangent un sandwich en assistant à une autopsie –ce que je défie quiconque de faire en réalité!– des filles à la plastique superbe qui vont en talons hauts faire des constatations sur le terrain; la façon de tenir leurs armes…  Tout ce que l’on voit beaucoup à la télévision, que je regarde très peu… Je préfère lire.

Ou des «polars» français dont les héros travaillent en tenues panachées: en civil mais avec un blouson qui porte l’insigne du commandant ou un gros badge, parce qu’il faut le montrer! C’est devenu une mode, mais c’est invraisemblable: on travaille en civil ou en uniforme…

Je n’aime pas tout ce qui est caricatural. C’est ridicule, et oui, cela m’agace vraiment!»

Où trouvez-vous votre inspiration d’auteur?

«Dans un agrégat fait de lectures historiques et romanesques –de jeunesse comme plus récentes– de mon expérience personnelle de policier, de mon goût pour le terroir, le local…

Quand je vais courir, je pense pendant une heure aux situations dans lesquelles je vais placer mon personnage.

Ajoutons que j’ai toujours aimé le français, l’écriture, et que je suis un peu resté «un gamin», aimant imaginer, bâtir des scénarii… Si cette aventure dans l’écriture doit continuer, je ne serai pas à court d’idées!»

L’on note dans votre premier roman que vous poussez l’exactitude historique jusque dans le détail…?

«Oui, c’est l’exigence de l’amateur d’histoire. Je me documente sur tout, jusque –par exemple– sur les costumes, ou sur le modèle précis des pistolets utilisés à l’époque… Et avant d’écrire, je me fais un épais «carnet de route», un gros cahier de notes historiques, d’idées.

Autant je prends toute liberté dans le côté fiction, autant je veux être rigoureusement exact dans tout l’arrière-plan historique, jusque dans le détail…»

Firmin Le Bourrhis, l’un de vos prédécesseurs dans la carrière –hélas tôt disparu– vous sollicitait parfois pour s’assurer de la fiabilité de tel ou tel aspect technique de ses intrigues… D’autres vous sollicitent-ils ainsi?

«J’ai eu l’occasion de conseiller pendant un ou deux ans Annie Le Coz, qui publiait ses romans policiers chez Bargain. Je travaillais alors à l’état-major, et le directeur m’avait transmis sa sollicitation. Je relisais ses manuscrits pour lui faire des suggestions…

Dans la foulée, c’est Firmin le Bourrhis qui a pris contact avec moi. Nous avons longtemps collaboré, ce qui explique que mon nom figure souvent dans les remerciements de ses romans. Je les ai tous…

Après un temps dans l’état-major, n’étant plus directement dans les enquêtes, je l’ai présenté à un de mes collègues de Quimper qui était à la pointe des dernières règles du métier, ce que Firmin voulait absolument connaître. Ses lecteurs n’imaginent pas à quel point ses romans sont dans l’hyper-réalité contemporaine en ce domaine.

Je crois qu’à la fin, il en savait plus que moi en matière de procédure pénale policière! Il aurait pu prendre une garde à vue sans problème…»

Vous avez désormais rejoint les éditions du Palémon fondées par le chef de file du roman policier breton, Jean Failler… Qu’y avez-vous trouvé?

«J’ai découvert une façon de fonctionner très familiale. Une ambiance extraordinaire… L’on s’y sent vraiment bien. C’est un lieu harmonieux. Je suis intuitif et j’ai une certaine habitude de l’observation, et je puis vous dire que cela n’est pas quelque chose d’artificiel. Tous les employés forment comme une grande famille.

Jean Failler me fait penser à un officier: il est «carré», prend ses décisions aussi rapidement que calmement. Et il fait ce qu’il dit, car c’est un homme de principe et d’honneur.

Les éditions du Palémon sont le reflet de ce qu’est Jean Failler, de sa gentillesse, et son dynamisme, de son charisme…

A 60 ans, je revis une nouvelle carrière. Je découvre des choses, un nouveau monde… Je suis un peu «sur un nuage»!

Que vous inspirent Mary Lester, le commissaire Fabien, le capitaine Fortin… personnages qui hantent les couloirs et bureaux de ce commissariat de Quimper où vous avez longtemps travaillé?

«J’ai lu mon premier «Failler» –Marée Blanche– dans des circonstances assez amusantes: ma tante bigoudène, du Guilvinec, en découpait tous les jours les épisodes publiés dans Ouest-France, et à la fin, elle a attaché tous ces feuillets de papier journal ensemble grâce à une grosse pince. J’ai donc lu «Marée Blanche» en feuilletant un à un ces découpages qui noircissaient les doigts…

J’ai deviné avant la fin qui était le coupable, comme cela m’arrive souvent –l’expérience du métier oblige…

Mary Lester est montée en grade en même temps que moi: inspecteur, lieutenant, capitaine, commandant… Je savais où était sa maison de la Venelle du Pain cuit… Je croisais Jean Failler  de temps en temps, sans l’aborder car je savais combien ses très nombreux lecteurs le sollicitent!

Son commissaire Fabien est sympathique, un peu «soupe au lait», mais je n’ai jamais vu dans la réalité un commissaire rester si longtemps en poste dans le même commissariat.

Fortin, un peu «brut de décoffrage» est venu ajouter une touche nouvelle, complémentaire. Il m’est sympathique… Et montre que Jean Failler a sans doute manié l’argot dans sa jeunesse!

Et je le redis, ce qui me plaît dans ces romans, c’est la marge de liberté que Jean Failler sait prendre avec la stricte procédure, pour obtenir une fiction romanesque agréable à lire…»

Votre deuxième roman est prêt et sa parution est prévue pour février… Voudriez-vous nous en dire quelques mots?

«Oui, et même sur le troisième puisqu’il est en cours de rédaction.

Mais le deuxième, écrit en 2009, a une histoire singulière: c’est ce roman-là –La bête de l’Aven– que j’avais adressé aux éditions du Palémon, aux bons soins de mon ami Firmin Le Bourrhis, en partant à la retraite en 2015. Le temps a passé… Pas de nouvelles… Je  m’apprêtais donc à mettre définitivement mes deux manuscrits au grenier, quand j’ai été amené à téléphoner à Jean Failler pour le décès de notre ami Firmin, survenu en avril dernier… Incidemment, au détour de la conversation, j’ai évoqué le manuscrit que Firmin avait déposé pour moi aux éditions du Palémon. Jean n’en avait pas de souvenir, mais l’a retrouvé dans les deux minutes!…

Il me rappelle deux jours plus tard et me propose de le publier. Je lui parle alors de mon premier roman «Le Manuscrit de Quimper», de 2005. «Envoie-le moi», me dit-il.

Si bien qu’il m’a fallu le retaper en entier –puisque je n’en avais qu’une photocopie!– profitant pour le corriger et l’actualiser… Il lui a plu, et me voilà donc avec deux romans, qui allaient partir au grenier après des années de latence, et qui se trouvent au contraire publiés, tout cela en une année! Par moments, je crois rêver! D’autant que Jean m’a demandé d’en écrire un troisième…

On retrouve dans «La bête de l’Aven» mon personnage Fañch Le Roy, qui part dans le pays de l’Aven, afin d’y mener une double enquête. Il a eu vent d’un projet d’attaque, par d’anciens forçats du bagne de Brest, de la malle-poste transportant les fonds des banques de l’Ouest à Quimper… Et parallèlement, une série d’abominables meurtres dans le pays de l’Aven fait penser à une bête ou à un dément… Le succès de Fañch Le Roy dans la résolution de l’affaire du manuscrit de Quimper incite le préfet à lui confier l’enquête…

Mon troisième roman envoie Fañch Le Roy à Paris, où il va se retrouver aux prises avec les conspirateurs de la compagnie du Lys qui étaient à l’œuvre dans le Manuscrit de Quimper. J’y avais ouvert une porte qui n’était pas refermée… C’est le Paris des grands travaux du Baron Haussmann, où il fait partie de la police secrète, le cabinet de l’ombre de l’empereur, en se faisant passer pour un archéologue…

Ce n’est pas sans rappeler quelques aspects d’une affaire de trésor qui me passionne depuis mes 15 ans, et sur laquelle j’ai collaboré à la rédaction d’un ouvrage à plusieurs mains, publié en début d’année: « L’affaire de Rennes-le- Château », qui s’est déroulée dans le sud de la France fin 19e, début 20e siècles…»

«Le manuscrit de Quimper» est émaillé d’expressions bretonnes… Vous êtes d’origine bigoudène… Qu’est-ce pour vous que la Bretagne? Ou quelle est votre Bretagne?

«Ma Bretagne, c’est celle de mon personnage. Celle que j’ai connue dans le pays bigouden de mon enfance, dans les années soixante, qui avait peu changé, ce qui n’est pas du tout péjoratif pour moi. On y sentait un monde ancien. Un autre pays, comme j’en ai retrouvé ensuite dans des pays à forte identité: la Corse, le Pays Basque…

J’aimais énormément ces ambiances, ces scènes paysannes et maritimes, ces odeurs… Des choses ressenties de manière physique!

La langue, le breton, en faisait entièrement partie. Cette vieille langue celtique; celle de ces Celtes qui avaient fait l’Occident…

Je ne la parle pas, à cause du combat que des «Hussards noirs de la République» ont mené contre elle, mais j’aime l’entendre.

J’en retrouve des expressions dans des livres, et je tiens à les faire dire à mon personnage, que je veux fier de ses racines bretonnes –et plus que cela– viscéralement attaché à son pays.

C’est ma Bretagne qui transparaît là; ses paysages, ses gens, leur façon d’être et de faire, faite de pudeur, de fierté, de solidité… J’aime ce tempérament, cette authenticité!»