«Je dis souvent que «Carhaix, c’est mes tripes !». Comment l’expliquer ?… C’est en partie émotionnel… J’ai grandi ici. J’ai failli partir, comme beaucoup de jeunes, pour chercher du travail ailleurs. Mais si je l’avais fait, je le savais : je serais revenu…

J’intègre aussi à cet attachement le fait de travailler une terre que mes anciens ont travaillée avant moi. On se situe dans une continuité de vie, dans une tradition…» 

Yann Manac’h vous accueille d’une vigoureuse poignée de main, qui est à l’image du regard intense et franc émanant de ses yeux clairs…

Taillé comme un roc de granit breton, l’homme incarne la solidité, et une détermination d’airain, dont on perçoit vite qu’elle est de bon aloi, quand l’attitude autant que les mots et la pensée révèlent sans fard une nature généreuse, altruiste, et se chargent même parfois d’une douceur débonnaire…

Celui dont beaucoup gardent seulement l’image d’un combattant aux avant-postes des luttes carhaisiennes – notamment – ne saurait être réduit à cette facette de son action et de sa personnalité !

Yann Manac’h est tout d’abord un agriculteur d’aujourd’hui ; de cette génération d’agriculteurs que l’évolution fulgurante du monde agricole a transformés en véritables techniciens, sans lui faire perdre la fibre profonde du paysan d’hier, homme de la terre, de la nature.

Débordant d’allant et d’activités, il est aussi homme d’engagements, en particulier pour sa commune et pour le «pays» de ses pères, aimé «avec ses tripes», comme il le dit lui-même…

Amoureux d’histoire, homme de racines, ses yeux et ses propos plongent souvent dans le passé pour lire le présent et le futur, comme le montrent les multiples chemins qu’emprunte cet interview : son parcours personnel, le métier d’agriculteur, l’agriculture et ses crises, la vie de Carhaix et du Centre-Bretagne, le cheval breton… chemins semés de riches réflexions autant que de fortes interpellations.


Voudriez-vous vous présenter brièvement ?

«J’ai quarante ans. Je suis issu d’une famille d’agriculteurs – et autres, car certains faisaient aussi du commerce – de Plouguer du côté paternel ; et d’artisans-commerçants de Gourin du côté maternel.

Je suis célibataire.

J’ai un frère, qui vit à Lille avec sa famille…

Après avoir vécu à Gourin jusqu’à l’âge de cinq ans, mes parents sont revenus habiter à Carhaix, où j’ai donc suivi ma scolarité, pour ensuite la continuer à l’école d’Agriculture du Nivot, où j’ai fait tout mon lycée. J’ai passé deux BTS : l’un en Production animale, l’autre en Technologies Végétales.

Après ces études, j’ai travaillé pendant six ans en tant que conseiller d’élevage au Contrôle laitier.

Puis, voulant revenir sur l’exploitation agricole familiale, où j’avais décidé de m’installer, j’ai créé au départ l’atelier de transformation.

Après avoir lui aussi travaillé comme technicien dans le contrôle laitier, puis commercial à la Coop du Poher, mon père avait repris, en 1986, l’exploitation familiale, qui se situait alors à Kerriou,  plus près de la ville de Carhaix, au sud de l’actuel rond-point de Kerhénor. En raison de cette proximité avec la ville, qui était en extension, il a choisi de migrer un peu, sur des terres que mes arrière-grands-parents exploitaient déjà ici, à Lannouennec.

Depuis, nous avons développé l’atelier de transformation, repris un peu de terres, augmenté la production de lait ; et nous sommes aujourd’hui en phase de mutation, du fait du départ de mon père à la retraite. Cela nous a amenés à employer une salariée agricole, ce qui n’est pas facile à trouver sur Carhaix… D’autant plus qu’il faut remplacer quelqu’un qui travaillait  80 heures par semaine, par quelqu’un qui doit n’en faire que 35 !

Je suis par ailleurs élu municipal depuis 2001. Je suis un passionné d’histoire, et je lis donc beaucoup sur tout ce qui a trait au sujet, depuis l’histoire locale, celle de la Bretagne, jusqu’à l’histoire des civilisations…

Les chevaux, le cheval breton en particulier, m’intéressent aussi beaucoup. J’ai pratiqué l’équitation dans ma jeunesse, mais n’ai plus le temps d’en faire maintenant…»

Vous êtes donc exploitant agricole sur des terres que votre père et votre grand-père ont travaillées avant vous, à Lannouennec… Votre famille est une «vieille famille» carhaisienne… Que représentent pour vous Carhaix et ce Centre-Bretagne ? Qu’est-ce qui vous y attache ?

«Je dis souvent que «Carhaix, c’est mes tripes !». Comment l’expliquer ?… C’est en partie émotionnel… J’ai grandi ici. J’ai failli partir, comme beaucoup de jeunes, pour chercher du travail ailleurs. Mais si je l’avais fait, je le savais : je serais revenu…

Nous avons ici, à Lannouennec, une vraie «vie de quartier», de voisinage. Des vraies relations humaines. Et j’aime les relations avec les autres. J’aime les gens, de manière générale ; et les gens d’ici en particulier. J’aime faire des choses avec eux, et pour eux quand je peux me rendre utile…

Mais j’intègre aussi à cet attachement le fait de travailler une terre que mes anciens ont travaillée avant moi. On se situe dans une continuité de vie, dans une tradition… Même si nous avons aussi repris des terres voisines, puisqu’il y avait trois exploitations laitières ici – et trois autres fermes – quand j’étais jeune, et qu’il n’en reste plus qu’une, qui est aussi la dernière sur la commune de Carhaix, où il y en avait encore alors une quinzaine !

Des anciens ont construit ce pays, ce Centre-Bretagne, avant nous. Nous avons hérité de leur travail. Nous avons la chance d’avoir ce qu’ils ont construit… A chaque génération d’apporter sa pierre à l’édifice pour que la vie perdure ici, que les générations à venir trouvent elles aussi quelque chose sur quoi construire à leur tour…

Je n’ai jamais accepté la pensée, ni une certaine politique de développement, qui vouent ces zones rurales au déclin !»

Jeune, vous avez fait le choix du métier de la terre ; est-ce une vocation ?… Le regrettez-vous parfois aujourd’hui ?

«C’est une vocation ! Je pense qu’elle m’est venue lorsque j’aidais mes parents dans les travaux agricoles, ce qui n’était pas une obligation chez nous…

C’était aussi une envie d’apprendre, car l’agriculture est un métier très technique. On y a toujours quelque chose à apprendre: développer une ferme, c’est réfléchir à une multitude d’aspects, depuis la charge de travail jusqu’au développement du territoire et à l’économie, que ce soit la microéconomie ou la macroéconomie…

L’on est à la fois attaché à la terre, et forcément ouvert sur le monde puisque les productions et les échanges agricoles se font aujourd’hui à l’échelle de la planète. 

C’est cette ouverture sur des mondes différents qui m’a particulièrement plu dans mes études agricoles.

Je ne regrette pas le choix de ce métier aujourd’hui. Il reste passionnant.

Mais il a de grands défis à relever, et on ne les a pas relevés au bon moment. Le premier est de recréer du revenu pour l’agriculteur. Cela fait, le reste suivra: les problèmes de l’installation des jeunes agriculteurs, de la transmission des exploitations, qui étaient les sujets majeurs des trois syndicats agricoles pour les récentes élections aux chambres d’agriculture. Si les jeunes agriculteurs se voient un avenir – la possibilité de vivre décemment de leur travail, et de vivre parmi leurs contemporains et à peu près comme eux en termes de niveau de vie, et de vie sociale – il y aura un retour à la terre…

Car le métier est également passionnant par le grand défi qui lui est posé : il va falloir nourrir une population mondiale qui ne cesse d’augmenter, et la nourrir avec des produits de qualité, grâce à des techniques de plus en plus sécurisées.

A ce sujet, les accusations caricaturales qui sont faites dans la presse sur la maltraitance animale nous révoltent. On généralise à partir de quelques cas, qui représentent une infime minorité. Un éleveur aime ses animaux, et il aime sa terre. Il n’a pas envie de la gâcher! Au Nivot, au-dessus du tableau de la classe, était inscrite cette phrase de St-Exupéry : «Nous n’héritons pas de la terre de nos parents. Nous l’empruntons à nos enfants.»

La mutation de l’agriculture, et du monde agricole, se poursuit, engendrant crise sur crise, et bien des drames parmi les agriculteurs… Quels sentiments, et quelles réflexions, cela suscite-t-il en vous ?

«Mon grand-père a fait partie de ces paysans qui, avec Alexis Gourvennec, se sont levés dans les années soixante pour réclamer des droits… Sans ces gens qui ont choisi de rester vivre et travailler ici, le pays aurait périclité et nous n’aurions pas aujourd’hui les infrastructures que nous avons. Nous leur devons beaucoup.

Peut-être avons-nous ensuite manqué quelque chose. L’on voit aujourd’hui des communes devoir faire des opérations «dernier commerce» dans les bourgs ruraux… peut-être l’agriculture aurait-elle pu, et dû, le faire à une époque, quand ses coopératives étaient bien implantées… 

D’autres pays d’Europe ont su prendre les devants des évolutions agricoles. En production laitière, par exemple, des pays comme la Hollande ont investi massivement et créé des coopératives très puissantes pour anticiper la fin des quotas laitiers. La France a été le seul pays à se contenter de dire qu’il était prêt, alors que l’on ne s’est pas préparé du tout. Une chape de plomb a été mise pour éviter toute mutation… Nous avons laissé vieillir nos outils, et la France agricole se fait aujourd’hui tailler des croupières un peu partout ! Eh oui, les gens qui travaillent aux premiers maillons de la chaîne sont plongés, de ce fait, dans le marasme.

Cependant, je pense véritablement qu’il y a un avenir, à condition que nous entamions – et vite, très vite – de grandes mutations…»

Vous avez choisi de poursuivre dans la voie de la production laitière, pourtant particulièrement touchée par des difficultés récurrentes, pourquoi ?

«C’était effectivement un choix. Et c’est une passion…

A l’origine, ce sont mes grands-parents qui se sont orientés vers le lait. A l’époque, les exploitations étaient généralement petites et faisaient toutes du lait parmi d’autres productions… En 1957, mon grand-père est allé acheter des vaches frisonnes directement en Hollande. Il a vu là-bas l’avance que les éleveurs hollandais avaient prise sur nous. Et il a monté ici la première stabulation libre du Finistère. Partis de rien, ces «petits paysans» – sans argent, mais avec des bras – ont développé leur exploitation. L’époque permettait à ceux qui travaillaient dur de créer beaucoup de choses…

Mon grand-père s’est intéressé à la sélection. Mon père s’en est passionné. Et j’ai appris à aimer cela à mon tour. Nous sélectionnons toujours le troupeau. Dernièrement, j’avais ici des acheteurs espagnols venus voir une bête…

C’est une passion: l’amélioration génétique des animaux. L’amélioration de leur production. L’amélioration de leur bien-être dans le troupeau…

Et j’aime le moment de la traite des vaches : je suis animalier, et c’est un moment de contact important avec l’animal.

Mais la production laitière, c’est aussi faire pousser une bonne herbe. Et cela aussi, c’est un métier! Faire produire du bon lait grâce à une bonne alimentation, et à des matières nobles…»

Le Centre-Bretagne est l’un des grands «bassins laitiers» du pays. D’où vient cette orientation de notre région vers la production laitière ?

«Nous avons un climat particulièrement propice, comme peu de zones au monde. L’herbe pousse quasiment toute l’année. En janvier, mes bêtes allaient encore aux champs !…

A l’inverse, il y a aujourd’hui une dépression de la production laitière dans tout le sud de la France, où l’évolution climatique modifie la situation. On ne peut plus vraiment y assurer de production laitière, faute de pouvoir y produire un fourrage abondant. J’ai l’impression, au contraire, que nous avons ici encore plus d’herbe qu’avant…

Il y a aussi l’histoire, l’héritage d’un savoir-faire venu de toutes ces petites fermes qui s’étaient orientées vers le lait, et de l’implantation d’usines laitières. Des gens comme Guy Wingel pour UNICOPA, ont eu l’intelligence d’installer des usines au bon endroit et au bon moment, au centre d’un bassin laitier, là où le coût de la collecte de lait est bas, et où le coût de production peut l’être également.

C’est pourquoi je ne crois pas beaucoup à l’implantation ici de très grandes exploitations travaillant avec des vaches qui ne sortent plus pâturer. L’on a ici vocation à créer des élevages, certes plus importants qu’à une époque, mais avec des vaches qui vont pâturer…»

Cette production pourra-t-elle perdurer ou va-t-elle devoir se transformer et se réorienter ?

«La production laitière perdurera, avec des mutations, comme nous l’avons dit. Le cas de l’usine Synutra est caractéristique : quoi que l’on puisse entendre ici et là, cette usine existe et fonctionne. Sodiaal a passé un accord avec Synutra pour reprendre la tour, qui l’intéresse depuis l’affaire Lactalis.

Car, comme déjà évoqué, les tours françaises sont vieilles. Les mutations n’ont pas été faites il y a vingt ans. Nous n’avons plus les outils nécessaires pour produire du lait infantile au niveau de qualité aujourd’hui exigé. Il nous faut donc obtenir rapidement des outils récents.

L’usine Synutra ne tournant pas à son plein régime, mais demeurant importante pour les Chinois puisque c’est la seule qu’ils aient au monde, un accord avec Sodiaal intéressait les deux parties : les Chinois pour revenir à leur cœur de métier, qui n’est pas la production de poudre de lait ; Sodiaal pour pallier rapidement le vieillissement de l’outil de transformation.

La mutation est dure, comme l’a aussi montré le mariage forcé de Sodiaal et Entremont Alliance qui avaient tous deux des difficultés…

Mais je pense que l’on est sur la voie du redressement. Et il est urgent qu’il arrive, parce que les premiers à en souffrir sont les agriculteurs de base, qui ont consenti de gros efforts pour relever la coopérative, et doivent maintenant en récolter le fruit, dégager des marges de manœuvre pour leurs exploitations et un revenu pour bien vivre.

Nous avons les outils qui peuvent être de bons leviers pour recréer du revenu: nos coopératives… Elles nous appartiennent, mais pendant trop longtemps, nous avons laissé leur gestion à des technocrates, non agriculteurs. Il en fallait, leur travail était utile, mais pas pour prendre la direction des choses. Notre argent a été géré par des gens qui n’étaient pas agriculteurs, et qui l’ont géré dans leur sens…

Certaines coopératives – comme URCEO – abandonnent même aujourd’hui le territoire qui les fait vivre, qui crée leurs emplois. Ils nous retirent nos interlocuteurs, se mettent à côté de l’agriculture ! Or, ils sont l’émanation de ce que nos anciens ont créé, et de ceux qui paient leurs salaires…»

Vous vous êtes lancé dans des activités de diversification sur votre exploitation, par exemple en créant une fromagerie artisanale, qui a produit en 2007 «le karaez»… Voudriez-vous nous retracer, à grands traits, l’origine et le développement de ce projet ?

«C’est un peu de l’histoire locale : «Regard d’Espérance» a interviewé, dans le passé, M. Jean Thomas, alors technicien-fromager à UNICOPA. Il se trouve qu’habitant Kerhénor, il était voisin de la ferme de nos grands-parents à Kerriou, où il venait chercher du lait pour fabriquer ses propres fromages. Il a continué à le faire à la ferme de mes parents, ici à Lannouennec…

Jean Thomas avait proposé à mon père une association pour produire un fromage, mais lui-même  ayant son emploi à UNICOPA, et mon père travaillant seul sur sa ferme, cela ne s’est pas concrétisé.

Puis lorsque j’ai voulu m’installer, il m’a proposé de me former. Nous étions amis, et le sommes toujours. Nous avons lancé la fromagerie. Elle s’est développée, puis son activité a été ralentie quand nous avons dû agrandir la partie exploitation de la ferme. Et elle devrait repartir pour un projet de développement quand nous aurons bien «calé» l’actuelle mutation de l’exploitation consécutive au départ de mon père à la retraite…»

N’était-ce pas une «aventure» risquée ? Par quels états d’âme et sentiments êtes-vous passé à mesure que s’implantait cette unité artisanale ?

«C’était, et c’est, surtout une autre organisation, un autre métier. Quand l’on est agriculteur, l’on n’est pas forcément commerçant…

Ce sont deux organisations du travail différentes, et difficiles à concilier. Le défi est de bien cadrer l’ensemble.

Quand vous devez partir livrer un client, et qu’une vache commence à vêler, c’est compliqué à gérer. Et la production laitière, plus la transformation, plus la commercialisation… Cela peut finir par être usant !

Il y a des fermes où l’effectif est de 7 ou 8 personnes, avec des postes dédiés bien définis. Nous étions seuls. Il nous faudra aussi pouvoir créer des postes à l’avenir, mais avec l’idée de  maintenir un état d’esprit familial ; le but étant aussi que chacun s’épanouisse dans son travail, car j’aime donner aux gens la possibilité de réaliser quelque chose, de se réaliser…

J’ai du mal à être heureux si ceux avec qui je travaille ne le sont pas.»

Puis, en 2012, vous avez lancé le «laez karaez» : une production et commercialisation de «lait fermier» en vente directe et «circuit court»…?

«C’était l’envie de créer un nouveau produit. Nous l’avions mis en grande surface. Le temps que cette commercialisation exigeait nous a un peu bridés : les «dates limites de vente» étaient courtes, il fallait retourner souvent dans les commerces changer les bouteilles… 

Nous avons recadré et réorienté l’activité. Nous livrons actuellement des écoles, par exemple, ou le traiteur Le Manac’h…»

Aujourd’hui, quel bilan faites-vous de ces initiatives ? Et quels projets nourrissez-vous ?

«Nous avons des demandes, et des idées, pour une production de crème, par exemple, toujours avec nos «petits cousins» Le Manac’h, qui sont de la vieille et grande famille, dont beaucoup sont restés dans la région…»

Vous avez fondé en 2009, avec d’autres, l’association  «producteurs laitiers fermiers de Bretagne»… Quel en est l’objectif ?

«J’avais donc créé ici la fromagerie… Mais la Bretagne n’étant pas, historiquement, une région de transformation de produits directement à la ferme, nous manquions de conseillers, d’une part, et de «poids» entre producteurs pour aller discuter avec les administrations, par exemple des questions de normes sanitaires…

Des problèmes étant survenus, nous avons voulu nous associer afin de rencontrer régulièrement l’administration, démarche qu’elle a appréciée. Nous avons défini des règles de travail en commun…

L’Association était alors finistérienne, puis elle est devenue bretonne. étant vice-président de l’Association finistérienne, et le président partant à la retraite, il m’a demandé de lui succéder.

Nous avons créé – avec les collègues car c’est un travail d’équipe – en lien avec la Chambre d’Agriculture et le GDS (Groupement de Défense Sanitaire) un service, avec un technicien qui vient conseiller les producteurs-transformateurs dans leur ferme, qui assure des formations…

J’ai laissé la présidence de cette association au printemps pour gérer la phase de mutation sur l’exploitation familiale, et récupérer des forces après les années où nous avons accompagné ma mère dans une dure maladie…»

«La terre»… la terre peut être une passion qui absorbe et motive une vie ! Que dites-vous aux jeunes qui voudraient retrouver ce sillon ancestral et s’y consacrer ? Est-ce encore possible au XXIe siècle ?

«J’encourage des jeunes à s’engager dans l’agriculture, à condition qu’ils n’imaginent pas rester travailler simplement sur leur ferme, c’est-à-dire sans s’ouvrir à tout ce qui concerne l’agriculture : la gestion des coopératives, parce que l’avenir du métier, pour créer leurs conditions de revenus et le bien vivre à la ferme, passe par cela. L’agriculteur d’aujourd’hui et de demain, doit s’occuper de tout ce qui est lié à son métier.

Il ne faut pas continuellement se demander s’il faut faire plus, agrandir la ferme, et comment le faire, mais entrer dans la gestion de nos outils collectifs…

Le métier est passionnant et le restera, parce que les avancées technologiques sont permanentes, et que le défi à venir est de nourrir le monde en préservant l’environnement : un grand et beau défi à relever !

La Bretagne a commencé à le faire: regardez la qualité de l’eau. Elle s’était gravement dégradée – à cause de nos erreurs; quel corps de métier n’en a pas fait en matière d’environnement ? – mais en 25 ans nous sommes passés de la dernière place à l’une des premières en ce domaine…»

Le cheval breton vous passionne également, et vous êtes vice-président de l’association Foar Kala-Goañv, organisatrice de la foire aux chevaux de Carhaix. Voudriez-vous rappeler l’histoire de cette foire qui fut célèbre des siècles durant ?

«La ville de Carhaix ayant été créée pour être un centre névralgique au cœur de l’Armorique puis de la Bretagne, elle a toujours été un lieu de grandes foires. Or, historiquement, l’on retrouve de grandes foires aux chevaux là où se tenaient de grandes foires, étant donné l’importance de cet animal pour l’homme et ses activités à travers les siècles.

La foire de Carhaix avait de plus lieu en novembre, à la saison où il fallait «délaiter» les poulains. Tout ce qui n’avait pas été vendu avant venait se vendre à Carhaix. Espérant obtenir le meilleur prix, les propriétaires étaient déjà allés présenter leurs poulains sur les autres foires, puis ils venaient à Carhaix où ils retrouvaient souvent les mêmes acheteurs…

Jusque dans les années 1950, la foire attirait un monde considérable. Les rues étaient envahies de gens, de chevaux, de charrettes… Il n’y avait pas école ce jour-là…»

L’on ne peut évoquer le cheval breton et la foire aux chevaux de Carhaix sans parler d’Hubert Le Bec, cheville ouvrière et figure emblématique de celle-ci…

«Sans des gens comme lui, le cheval breton n’existerait plus ! Ils se sont attachés à le préserver, avec une persévérance extraordinaire.

J’ai l’impression que ces Bretons à qui on avait interdit, à l’école, de parler breton, se sont tournés chacun vers d’autres expressions de leur identité bretonne : les uns vers la musique et la danse bretonnes, la lutte bretonne, d’autres – des paysans – vers le cheval breton.

Erwan Peuron, actuel président de l’association, a joué de la bombarde ou du biniou, sa femme a été au cercle celtique, et ils ont aujourd’hui des chevaux bretons.

Et même si les agriculteurs ont arrêté de travailler avec le cheval, tous reconnaissent l’importance qu’il a eue, et rares sont ceux qui sont indifférents au cheval.

La place du cheval à la ferme était autrefois essentielle. Mon arrière-grand-mère disait que les juments étaient mises au repos avant de mettre bas, alors que les femmes travaillaient jusqu’au terme ultime de leur grossesse ! Et les Bretonnes disaient que leur mari prenait plus soin de leur cheval que de leur femme…

Pour revenir à la foire aux chevaux de Carhaix et à Hubert Le Bec, c’est lui qui est à l’origine de sa relance. L’anecdote dit que Christian Troadec ayant croisé Hubert sur la foire, lui avait demandé:

«Alors Hubert, ça va ?»

«Non, je n’ai même pas trouvé un copain pour boire un coup. Il n’y a plus personne à la foire !»

Christian lui ayant demandé ce qu’il pourrait faire s’il était élu maire, Hubert lui avait répondu :

«Si tu es maire, vote-moi une subvention, et je vais te recréer la foire aux chevaux !»

C’est ce que nous avons fait. Et j’ai été chargé à l’époque par le bureau municipal de m’atteler à la tâche, avec Hubert Le Bec, tout d’abord via la société hippique qu’il présidait, puis en créant l’association Foar Kala-Goañv, dont il a aussi assuré la présidence, avant de la laisser à Erwan Peuron…»

Cette foire n’a plus son lustre d’antan, mais grâce au dynamisme de ses organisateurs et promoteurs, et à l’aide de la commune de Carhaix, elle a retrouvé sa place parmi les manifestations importantes de la ville et de sa région… Quel avenir lui prédisez-vous ?

«Elle est bien partie pour durer ! D’autant que se sont ajoutés à la foire des concours de maniabilité qui rencontrent un beau succès. C’était une idée d’Hervé Le Boulch, de Kergloff. Nous avons donc créé le «Championnat de Bretagne de maniabilité aux longues rênes», dont la marque est déposée. De plus en plus de gens viennent concourir à Carhaix. Des jeunes s’intéressent à cette discipline et incitent leurs parents à acheter des chevaux pour pratiquer l’attelage…

Cette initiative a permis la création d’autres concours et antennes : des éliminatoires ont maintenant lieu dans divers endroits de Bretagne, et les épreuves finales du Championnat ont lieu à Carhaix.»

Et quelles destinées envisagez-vous pour le cheval breton ?

«Son avenir est moins dans le travail aux champs que dans les loisirs, même si l’on voit un retour dans des activités comme le débardage forestier dans des zones difficiles ou sensibles, ou l’entretien et le nettoyage de la voirie…

Nous en avions fait un essai à Carhaix, et je pense que ce genre de travail avec le cheval est amené à se développer. Mais cela nécessite du temps, de la préparation, de la formation même, pour que les employés municipaux, par exemple, s’habituent au travail avec l’animal, que des appréhensions soient levées, parfois…

Nous aimerions aussi avoir à l’avenir une calèche hippomobile adaptée aux personnes handicapées, qui permettrait à l’association d’amener en promenade les résidents de maisons de retraite. L’IME s’intéresse aussi à ce projet. Chacun sait combien le cheval peut susciter un lien affectif  particulier…

La commune de Carhaix a tout récemment acheté un cheval breton, dans le cadre de la création dans la vallée de l’Hyères d’un parc animalier axé sur les races locales: moutons d’Ouessant, vaches bretonnes ; la pie-noire, et la pie-rouge qui est très rare…

Le cheval  breton est l’un de ceux qui se vendent le plus au monde, en cheval lourd, et  le retour des Japonais sur le marché devrait contribuer au maintien du cheptel : les prix augmentent…

On trouve le cheval breton partout : du Japon à l’Amérique du Sud… L’Auvergne en possède de grands élevages, tout comme les Pyrénées, où ils sont utilisés pour l’entretien des pâturages…»

A quelles qualités particulières doit-il sa survie, et son succès quelque peu retrouvé ?

«C’est un Breton ! Il est à l’image de son peuple : c’est un cheval très travailleur, robuste… Il est aussi d’une gentillesse remarquable. Facile à mener, docile…

Le cheval breton actuel, dans ses conformations, trait ou postier, descend du fameux bidet breton, qui était très réputé, et recherché par l’armée en 14-18, par exemple…

Nous avons de la famille en Champagne, où ces cousins sont allés participer à la reconstruction après la Première Guerre mondiale. Ils étaient partis avec leurs chevaux, qui étaient recherchés pour ces travaux…»

Un autre de vos engagements est politique…Quelles motivations ou considérations vous ont conduit à vous engager dans les affaires de la cité ?

«J’entendais trop dire à l’époque que pour le Centre-Bretagne il fallait «gérer la pente» ; un discours défaitiste…

Mais j’avais en même temps l’exemple de ce qu’avaient été capables de faire des jeunes qui étaient nos aînés de quelques années, en créant des choses comme les Vieilles Charrues. Ils n’avaient pas «géré la pente» mais créé quelque chose d’ascendant. Et je me disais que s’ils avaient réussi en ce domaine-là, on pouvait peut-être réussir de même ailleurs…

J’avais rencontré Christian Troadec, lors d’une fête locale, avant qu’il se présente aux élections municipales. Nous avons beaucoup parlé de Carhaix, de son avenir… Je m’étais toujours beaucoup intéressé à la vie politique carhaisienne, en étant attiré par les idées et l’action d’un homme que je ne connaissais pas particulièrement, mais qui militait depuis longtemps et qui était élu municipal : Daniel Cotten. Sans doute lui dois-je en grande partie mon ouverture à l’histoire, à la Bretagne, à notre passé, nos racines et notre avenir…

Tout cela m’a décidé, tout d’abord à rester ici, puis à m’investir dans la vie locale en me présentant aux élections municipales sur la liste de Christian Troadec, en 2001 et par la suite…

Pour Carhaix, l’objectif de mon engagement était de contribuer à la remettre sur une voie ascendante, de lui faire grimper une marche, qui puisse permettre à d’autres –car cela ne se fait pas en une génération – de l’amener plus loin, plus haut… Et je crois que, déjà, Carhaix a retrouvé une certaine place en Bretagne ; que sa voix porte un peu plus…

Par ailleurs, au fond de moi-même, je suis fédéraliste. J’ai toujours eu du mal à comprendre comment un état pouvait bien fonctionner en étant centralisé !…»

Pourriez-vous rappeler les responsabilités spécifiques qui vous incombent au sein du conseil municipal ?

«Depuis le début de mon premier mandat, j’ai toujours été délégué à l’agriculture et à la zone rurale.  Cela m’a amené, durant le premier mandat, à beaucoup m’occuper – avec Roger Lostanlen et  Guy Plusquellec – de la voirie, qui en avait grand besoin, particulièrement dans la partie rurale de la commune… Son taux d’usure était de 80% à l’époque !

Je pense qu’après trois mandats, nous sommes parvenus à redresser la situation, même si l’on peut toujours mieux faire. Il n’y a plus de «zones noires», et en dehors de grands travaux au centre-ville, on va pouvoir entrer, dans les années à venir, dans une gestion normale du vieillissement de la voirie, sans avoir de sommes énormes à investir en rattrapage…

J’ai aussi été conseiller communautaire dans un premier temps, ayant choisi de renoncer à ce travail lorsque je me suis installé ici sur la ferme, pour me réserver au travail municipal.»

De ce travail d’élu, déjà relativement long, quels aspects vous plaisent le plus ?… Et lesquels vous rebuteraient ou attireraient le moins ?

«C’est un travail très enrichissant. L’on y est en formation continue étant donné l’évolution constante des lois, des conditions générales, par exemple, en urbanisme, dont je me suis aussi occupé…

L’on est en permanence sur le terrain, au contact des gens, qui nous appellent pour créer telle ou telle petite amélioration qui leur permette de mieux vivre… C’est un plaisir de repasser dans un quartier et de constater que l’on a bien fait les choses, que les gens sont contents, que leur argent a été bien utilisé…

Pouvoir venir en aide à des personnes, des familles, qui passent par des moments difficiles – ne serait-ce qu’en donnant le bon conseil ou en orientant vers le bon service – est aussi quelque chose d’humainement positif.

L’aspect négatif c’est de voir des décisions «venues d’en haut» anéantir de bons projets, pour lesquels l’on s’est battu «contre vents et marées»… ou des considérations politiciennes aboutir au rejet de bonnes idées, parce qu’elles viennent d’un bord ; ou parce que dans le cadre du Pays, c’est Carhaix qui propose…

Or, Carhaix n’est pas là pour vivre et grandir au détriment des autres communes, mais pour les faire avancer avec elle, pour que tous ensemble nous tirions ce territoire vers le haut. Je suis carhaisien, mais aussi de Gourin par ma mère, et mon souhait est de voir Gourin se développer, mais aussi Huelgoat, Rostrenen, Callac, Châteauneuf… Unis, nous pourrions développer une énergie décuplée, et peser davantage en Bretagne.

Des élus qui aujourd’hui font de l’obstruction auront demain une lourde responsabilité face à l’histoire, si l’évolution démographique et économique de notre territoire est mauvaise.

Il nous faudrait plus de «combattants» pour notre Centre-Bretagne !…»

Quels succès ou projets menés à bien vous laissent les meilleurs souvenirs ?

«C’est principalement le travail de terrain, au contact des gens, plus que tel ou tel projet… Et le fait d’avoir remis la commune à niveau en équipements…

Sinon, je citerais le développement de la fibre optique sur Poher Communauté, ce pour quoi il a fallu aussi lutter contre vents et marées et y mettre de notre poche… Mais c’est très important pour l’avenir. C’est un atout considérable par rapport aux territoires qui ne l’auront pas avant des années. Pour nous agriculteurs, c’est essentiel. Nous travaillons en permanence avec Internet, pour toutes nos déclarations…

L’hôpital, le combat des citoyens et des élus pour son maintien, reste aussi bien sûr un grand succès. Mais la plus belle chose, c’est peut-être d’avoir contribué à faire que les habitants de ce territoire relèvent la tête, se disent fiers d’être d’ici et d’y avoir un avenir…»

Est-il des échecs qui vous ont peiné ou des situations qui vous aient déçu ?

«Oui, par exemple le fait que le «Pôle Alzheimer» n’ait pas pu voir le jour, à cause d’intérêts divergents, à mon sens plus politiciens qu’autre chose. Ou que la synergie avec Huelgoat dans le domaine du tourisme ait rencontré des freins qui ont empêché d’aller plus loin…

Mais l’avenir est le domaine du possible, et nous avons des cartes en main.»

Vous avez été de tous les grands «combats» de ces dernières années  à Carhaix et en Centre-Bretagne – et même «en pointe» de ces luttes parfois : les actions menées pour la sauvegarde de l’hôpital de Carhaix… Quels ressorts vous ont animé pour participer  à ces manifestations parfois «dures» ?

«Je vois l’hôpital comme un outil dont ce Centre-Bretagne ne peut pas se passer, non seulement sur le plan médical, mais aussi sur le plan économique : quelle entreprise voudra s’installer ici si le pôle de santé le plus proche est à une heure de route ?…

Je le considère également comme un dû pour nos anciens, qui ont travaillé ici toute leur vie, et ont le droit d’être soignés ici. C’était pour moi tout un symbole que le Conseil National de la Résistance ait apporté son soutien à notre combat. Dans l’après-guerre, la Résistance a voulu reconstruire le pays en veillant au mieux-vivre de la population sur tout le territoire. Je crois fondamentalement aux valeurs d’égalité – notamment – de ce combat.

C’est pourquoi, il était insupportable de voir notre hôpital être sacrifié, de voir que des jeunes Carhaisiens ne pourraient plus naître à Carhaix… Et il fallait donc tout faire pour le garder, tout simplement. Nous qui nous battions tant pour essayer de donner un avenir à Carhaix, avons ressenti le projet de fermeture comme un «coup de poignard dans le dos», une Injustice ! On nous traitait comme des citoyens de seconde zone…»

L’action des «Bonnets rouges» vous a mobilisé ; avec un peu de recul, que pensez-vous de cette croisade, de ses objectifs et de ses résultats ?

«Cette fameuse écotaxe était une catastrophe pour les Bretons et pour la Bretagne. Nous vivons dans une péninsule, qui n’a pas de transit, à la différence des régions de l’Est, par exemple. Le transport breton ne concerne que l’activité économique bretonne. 

Telle quelle, cette taxe allait mettre des entreprises bretonnes en grande difficulté. Nous avions fait nos calculs, ici à la ferme : le prix de toutes les denrées allait augmenter…

L’écotaxe n’est sans doute pas une mauvaise chose en soi. Mais il faudrait qu’elle s’applique aux grands axes de transit routier. L’appliquer à tout le territoire, puis la retirer partout, était une aberration d’état centraliste…

La tension a commencé dans les campagnes. Thierry Merret et d’autres ont pris les devants, et comme l’état ne voulait rien entendre, même après la chute d’un premier portique, la révolte a pris de l’ampleur. Mais je pense que nous n’avons jamais dépassé les limites. Comme pour l’hôpital, nos démonstrations de force n’ont jamais versé dans les débordements et la violence. La protestation était organisée ; déterminée, mais bien cadrée…»

Cela vous a valu de difficiles moments et expériences, y compris face à la justice…?

«Cela n’a pas été agréable à vivre ! Mais je me savais soutenu par la population, qui me l’a montré; et par ma famille, qui me l’a montré. Mon grand-père, qui avait connu les grandes manifestations paysannes des années 60, m’avait dit de ne pas m’inquiéter, que les gens seraient là pour me soutenir… Les agriculteurs de sa génération en avaient fait beaucoup plus à leur époque !»

Là encore, dans tous ces engagements et combats, quelles ont été vos sources de satisfaction ; et vos regrets ?

«La satisfaction est d’être allés jusqu’au bout et d’avoir obtenu gain de cause… Le regret est de devoir aller jusque-là pour l’obtenir, de ne pas être entendus sans faire ce genre de choses.

Mais ce qui reste de plus grand pour moi, c’est d’avoir vu la population du Centre-Bretagne se mobiliser, former une communauté pour défendre son hôpital. Cela force le respect. Et cette solidarité demeure. Des amitiés indéfectibles se sont forgées là. Ce sont des moments que l’on n’oubliera jamais.»

«Les Gilets jaunes» sont-ils «des cousins» des Bonnets rouges ? Quelles ressemblances et quelles différences y voyez-vous ?

«Je ne sais pas si on peut les dire cousins… Les «Gilets jaunes» me semblent faire partie d’un «peuple» qui se voyait délaissé, sans voix, et qui a dit soudain : «Ça suffit ! On a le droit d’être écoutés !»

Je reçois ici beaucoup de stagiaires, et je suis effaré de voir les conditions de vie de certaines familles, leur précarité. Et face à cela, le désengagement des services de l’état laisse ces gens seuls…

C’est le bien-être de son peuple, et non l’argent, qui doit guider la politique d’un état. Et on peut se demander si un état a lieu d’être s’il ne s’occupe plus du bien-être de son peuple… Si une république, qui est un système d’organisation au service du peuple, ne remplit plus sa fonction, il faut la changer, la modifier… Sinon l’on va vers des conflits.

Une différence entre les Gilets jaunes et les Bonnets rouges est que ceux-ci étaient plus organisés et avaient des revendications plus ciblées. Mais peut-être les Gilets jaunes vont-ils aussi apprendre à s’organiser, à gérer leur mouvement…»

La Bretagne et, en particulier, la Bretagne centrale, le Kreiz-Breizh, sont-ils historiquement terre de refus ? Qu’en est-il aujourd’hui ?

«C’est une terre où il a toujours fallu combattre, parce qu’elle est éloignée des lieux de pouvoir et de décision. Pour se faire entendre, il lui a souvent fallu avoir des esprits forts, capables d’avoir un peu de mordant, et de mobiliser à leur suite la population dans un élan commun. Jean Rohou en a été. On dit qu’un jour, où le Conseil Régional avait refusé de le recevoir, ne pouvant passer par la porte, il était passé par la fenêtre…

Carhaix, et ce territoire, ont vu émerger de tels personnages régulièrement, et je pense qu’il leur en faut pour se faire entendre !»

L’énergie que vous déployez, le travail considérable que vous accomplissez, sont-ils un trait caractéristique familial, voire breton ?

«Sans doute. Mon grand-père, mon père m’ont toujours appris le goût du travail. Ma grand-mère, même à 90 ans, ne peut s’empêcher de travailler…

Mon grand-père a aussi toujours aimé s’instruire, a travaillé jusqu’à ses 85 ans. Sa peur était l’ennui. Une infirmière lui a demandé, alors qu’il était tombé malade : «Ça ne va pas Monsieur Manac’h ?»

Il a répondu : «Non, je suis un vieux paysan qui est devenu inutile…»

Je lui ai dit, il y a quelque temps : «Tu n’es pas inutile, pépé, tu nous apprends à vieillir !»

Quelles appréciations vos père et mère et grands-parents ont-ils portées sur tous vos engagements ? 

«Ils m’ont encouragé, non sans avoir des craintes, parfois…

Ils ont aussi été des cadres, car on peut vite se disperser quand on se lance dans divers engagements. Et l’on a alors besoin de conseillers autour de soi; de gens capables de nous dire: «Attention…!» J’écoute beaucoup ce que pensent les autres…

Ces «cadres» nous permettent de ne pas dévier; ou si on a dévié, de revenir dans le bon chemin. Je crois beaucoup au cadre familial…»

Carhaisien d’origine et de cœur, acteur économique dans le Poher, élu municipal… Quel est votre regard sur l’avenir de notre contrée, sur les voies à emprunter pour lui assurer un développement harmonieux ?

«Parvenir à se retrouver tous ensemble, au niveau politique, pour faire les bons choix, me paraît être l’essentiel. S’unir. Ne pas rester chacun dans son coin… En Centre-Bretagne, si l’on ne s’unit pas, tout le monde sera perdant !

C’est maintenant un moment historique, vu l’évolution démographique. C’est une responsabilité historique pour les élus. On peut tout perdre, ou tout avoir… Il faut s’unir, et rapidement. Nous n’avons plus le choix, ni le temps.

Il ne s’agit pas que Carhaix seulement «tire bien son épingle du jeu», mais que tout ce territoire du Centre-Bretagne le fasse avec nous.

Je n’ai pas l’habitude d’utiliser la langue de bois face à quelqu’un, ni de dire du mal de lui derrière son dos. Mais je suis aussi capable d’oublier des choses difficiles pour travailler en commun. Il faut mettre les conflits personnels sous le chapeau et avancer pour le bien de toute la population.

Ma seule ambition dans tous mes engagements est de pouvoir demain continuer à marcher droit sur les trottoirs, pouvoir continuer à serrer des mains. Et de bien vieillir ici, avec ma génération et celle des plus jeunes, en voyant que la vie continuera dans ce pays que nos anciens ont construit.»