La haute silhouette qui approche à grands pas, et l’allure sportive qui s’en dégage, donnent à penser que ce jeune trentenaire est un homme de décision !

Le regard scrutateur est acéré, et serait un peu déstabilisant, si le sourire facile et engageant n’exprimait, dans ce visage aux traits juvéniles, une foncière bienveillance…

La voix calme et posée – presque douce malgré un débit rapide – énonce avec pédagogie des idées claires et des convictions fortes.

L’homme a manifestement de l’étoffe… et déjà de l’expérience humaine !

Aujourd’hui directeur des déchetteries du Centre-Ouest-Bretagne que regroupe le SIRCOB, et de son usine de traitement – après avoir dirigé les services de Communautés de Communes finistériennes – Gwen-Eric Keller a en outre plusieurs engagements associatifs et autres.

La singulière diversité de leurs facettes a incité Regard d’Espérance à réaliser avec lui, en cette période de «rentrée», un interview dense et enrichissant, où l’information, l’analyse, la pensée foisonnent de propos qui invitent à la réflexion, voire à la méditation.


Voudriez-vous vous présenter brièvement ?

«J’ai 34 ans, suis marié et père de cinq enfants. J’ai toujours habité Carhaix, par choix, même durant mes études et mes premiers postes professionnels dans le nord-Finistère.

Bien que le nom Keller ait une consonance bretonne – on m’écrit régulièrement au nom de M. Quellec’h – notre nom est d’origine suisse, la famille Keller ayant émigré de Suisse en France en 1830, ce qui fait que j’ai la double nationalité…

Les recherches généalogiques entreprises par mon père ont permis  de remonter au 16e siècle: une vieille famille protestante, dont cinq anciens curés et moniales qui avaient quitté le catholicisme au moment de la Réforme, et étaient aux côtés des réformateurs dès l’origine…

Du côté maternel, la famille est bretonne et carhaisienne; les plus anciens Carhaisiens se souviennent de Job Coent et de son cheval Luron, de François Charles, à la gare, et de Françoise Charles, infirmière, mes arrière-grands-parents, bien connus à Carhaix. Mon grand-père, Yvon Charles, est le fondateur du Centre Missionnaire… et du journal Regard d’Espérance!

Après une scolarité carhaisienne, j’ai fait à Brest une licence en administration générale et territoriale, et un Master en développement local, donc, plus axé sur l’économie.

J’ai commencé ma carrière professionnelle à Lannilis où, après un stage en fin de Master, j’ai été employé par la commune pour terminer la mission, qui était de réaliser un projet de développement durable du territoire.

Puis, la Communauté de Communes de l’Aulne Maritime (Le Faou, Pont-de-Buis…) m’a recruté en tant que directeur des services. En 2017, celle-ci a fusionné avec la Communauté de Communes de Crozon, et je suis devenu responsable des pôles «administration générale» et «aménagement et développement durable du territoire», chargé donc du Plan local d’urbanisme, du développement économique, de l’office du tourisme, des espaces naturels…

Ensuite, voulant me rapprocher de Carhaix, j’ai saisi l’occasion qui se présentait de postuler à la direction du SIRCOB (Syndicat Intercommunal de Répurgation du Centre-Ouest-Bretagne), où j’ai été recruté en juin 2019. Un travail bien plus intéressant que je l’avais imaginé!

Par ailleurs, je suis très engagé dans la communauté protestante du Centre Missionnaire et ses diverses activités, où j’ai aussi plusieurs responsabilités.

Enfin, je donne des cours à l’Université de Bretagne Occidentale, à Brest, en tant que «professionnel associé en économie».

Passionné de nature, j’ai pratiqué le scoutisme depuis mon enfance, et viens de faire ma 30e «rentrée scoute», en tant que responsable aujourd’hui, bien sûr!

Je suis chasseur, et j’aime le sport.»

N’y a-t-il pas parfois des contradictions, tout au moins en apparence, dans vos nombreux engagements et vos diverses activités ?

«Leur fil rouge est une volonté de rendre service. J’avais ciblé pour ma formation professionnelle les métiers de la fonction publique dans cette perspective. C’est aussi pour cela que j’en suis arrivé à donner des cours à l’université, dès l’année qui a suivi la fin de mes études.

Et de même dans les autres domaines. Je considère avoir beaucoup reçu dans ma jeunesse par le scoutisme, par l’Evangile, par ce que d’autres m’ont apporté… Donc aider à mon tour, participer, partager était pour moi une évidence et une pensée forte. L’on n’a qu’une vie, il faut qu’elle soit aussi utile aux autres que possible!»

De vos expériences à la direction d’une Communauté de Communes, que retenez-vous plus particulièrement? Quels enseignements avez-vous tirés ?

«Ce qui m’a le plus frappé en entrant dans la fonction publique, c’est l’immense complexité des règlements, des procédures, des normes, des exigences et contraintes, dont la plupart des gens ne soupçonnent pas l’ampleur!

On sait que l’administration est compliquée, globalement, mais on n’a pas idée, loin s’en faut, de la réalité, que l’on découvre en se confrontant aux dossiers, aux projets: chacun d’eux est complexe, exige de multiples validations, met en œuvre des chaînes de décisions, est encadré par un empilement de normes et d’obligations…

Les nouveaux élus, les nouvelles équipes, arrivent souvent avec plein d’idées, qui seront impossibles à réaliser. On le voit même parfois dans des programmes électoraux, dont on sait par avance que tel ou tel aspect sera inapplicable! Juridiquement, matériellement, on ne pourra pas le mettre en œuvre.

Je me souviens d’un nouveau président de la Communauté de Communes qui était venu me voir pour que nous examinions où il était possible de réaliser des coupes budgétaires. Nous avons minutieusement passé le budget en revue, et il s’est rendu compte de ce que pratiquement tous les postes de dépenses étaient obligatoires ou indispensables!…

La marge de manœuvre des élus est en réalité très faible; c’est sans doute le point qui m’a le plus frappé dès le début.

Mais je retiendrai aussi que nous avons vraiment beaucoup d’élus qui se dévouent réellement pour leur territoire, d’abord dans les petites communes. Et il faut saluer –«chapeau bas»–l’engagement de ces maires, et de ces adjoints – qui le font, eux, pratiquement bénévolement – travaillant énormément pour le bien commun, étant appelés à toute heure, payant de leur personne, sacrifiant toute une partie de leur vie privée…

Et ces élus des petites communes ont beaucoup plus de «coups à prendre» que de gloire à tirer de ce travail!

Bien sûr, on rencontre aussi des carriéristes, il ne faut pas idéaliser, mais ce n’est pas le grand nombre, et l’engagement de la plupart des élus des petites collectivités territoriales est méritoire, au vu des difficultés, risques et contraintes qu’ils affrontent…»

Comment les petites communes, ou Communautés de Communes, peuvent-elles aujourd’hui faire face à cette complexité croissante du cadre administratif et réglementaire, notamment ?

«Il leur est indispensable d’avoir une vraie «ingénierie». La complexification en tous domaines, les échelles qui s’entrecroisent entre niveaux administratifs – Etat, Région, département, pays, Communauté de Communes, communes… – exigent que chacun de ces niveaux possède cette ingénierie. L’époque du secrétaire de mairie polyvalent, multitâches, est révolue. Chaque tâche demande de plus en plus de spécialisation!

Et il ne s’agit pas seulement d’avoir accès aux compétences nécessaires, mais aussi de savoir déterminer ce qui est bon pour la commune, par exemple, afin de ne pas être obligé de subir en permanence les effets des décisions des échelons supérieurs, qui ont eux la capacité d’établir des plans, des projets, des programmes en fonction de ce qu’ils savent être bon pour eux-mêmes. La petite commune ne saura généralement pas à quelle échelle agir, sur qui ou quoi faire pression, porter son attention pour obtenir des décisions qui lui soient favorables…

Elle doit aujourd’hui se doter de l’ingénierie, en interne ou en commun avec d’autres communes…»

Les fusions ou regroupements de communes vous semblent donc inéluctables et indispensables ?

«C’est souvent une nécessité financière – on voit beaucoup de petites communes exsangues sur le plan financier – et en termes d’ingénierie donc. Ajoutons que certaines communes ne parviennent plus à rassembler le nombre d’élus nécessaire à leur fonctionnement…

Mais il faut aussi mettre des «garde-fous» pour parer aux risques et craintes que l’on rencontre partout: peur de la dilution dans un « grand tout », que la grosse commune-centre «mange» les petites… Il y a donc une attention à porter à ce qu’un équilibre soit trouvé dans ces regroupements.

Ce problème se retrouve à tous les échelons: je me souviens que quand je travaillais dans le cadre de la métropole brestoise avec le Pays de Brest, toutes les Communautés de communes avaient peur de Brest; et les communes de Brest-Métropole avaient elles aussi peur de Brest; dans la région de Landerneau, les communes voisines avaient peur de Landerneau… C’est partout pareil!

Ceci dit, l’existence de toutes les communes n’est plus pertinente.  Communes et départements datent de l’époque révolutionnaire et napoléonienne, leur découpage ayant reposé sur les paroisses pour la commune et sur la distance parcourue en une journée à cheval pour les départements… Est-il utile de continuer à calquer le découpage administratif sur ce reliquat de l’histoire? L’échelle communale est-elle partout nécessaire telle quelle aujourd’hui avec les moyens de déplacements actuels?…»

Quelle réponse apportez-vous à ceux qui s’inquiètent alors de la représentation, et de la proximité des prises de décision ?

«C’est le point de vigilance que nous avons évoqué: il faut veiller à l’équilibre des représentativités et à la bonne répartition des services publics!

Je pense, par exemple, que les sénateurs – censés représenter les territoires «locaux» à l’échelon national – devraient être élus sur la base d’un espace géographique, une surface de territoire, et d’un volume de population, et non pas seulement, comme aujourd’hui, sur la seule base d’une population. Sinon, ce sont toujours des citadins, plus nombreux, qui décident pour les ruraux…

Ce type d’équilibrage peut aussi être appliqué à d’autres échelles, afin de garantir un équilibre, une équité au sein de toutes les nouvelles entités créées.»

Comment avez-vous vécu – dans le cadre de vos précédentes fonctions – les concertations et prises de décision entre les élus ?

«J’ai vu, au sein de petites entités, des maires de bords politiques opposés travailler ensemble pour l’intérêt commun.

Mais les réformes électorales qui ont imposé un scrutin par listes aux élections communautaires, et qui ont donc fait entrer les oppositions municipales dans les conseils communautaires ont politisé leur fonctionnement…

Ainsi, un maire qui s’entendait avec son homologue du bord opposé, mais qui est aujourd’hui face à son opposition municipale – du même bord que ce dernier – au sein du conseil communautaire, change souvent d’attitude, et s’oppose à lui…

Cela a tendu, modifié les débats, le climat, les relations et les prises de décision!

La «politique», au sens négatif du terme, est ainsi souvent l’ennemi du développement local, qui a besoin que l’on dépasse les querelles politiciennes et partisanes pour le bien du territoire. Si l’on a un vrai projet de territoire, basé sur des enjeux locaux que chacun est apte à voir clairement, et construit ensemble, on doit passer au-delà des querelles politiques.

J’ai vu les deux types d’attitudes… J’ai même vu des élus travailler ensemble en commission, en plein accord sur un sujet, puis en conseil, parce que la parole était publique, dire le contraire de ce qu’ils avaient dit en commission!…»

Qu’est-ce qui – à vos yeux – est essentiel au développement d’un «petit territoire» ?

«Le projet de territoire. Quand j’ai pris mes fonctions dans l’un des postes que j’ai occupés, j’ai demandé aux élus s’ils en avaient un. Ils m’ont répondu que oui, et qu’ils l’avaient en tête…

Or, visiblement, ce n’était pas le même pour tous! Et l’analyse montrait que les projets se faisaient par à-coups, au gré des opportunités, sans plan ou vision d’ensemble.

Il leur fallait une personne capable d’analyser le territoire en profondeur, de définir ce qui était bon pour lui, et d’avoir une vision à moyen et long terme, leur stratégie… C’était la raison de mon recrutement.

Il faut savoir où l’on va !

Beaucoup d’élus ont des idées précises et construites, basées sur des observations pertinentes, mais manquent d’une vue d’ensemble du territoire. Il faudrait que leurs idées soient mises en perspective plus large, agrégées à d’autres éléments…

Sortir de la réflexion et de l’action « en silos » est essentiel. A Crozon, il a fallu tout un travail pour faire en sorte que soit créé un pôle « aménagement et développement », afin que le tourisme, le développement économique, les espaces naturels et le plan local d’urbanisme ne soient plus cloisonnés voire antagonistes, mais traités de concert!…

Il faut aussi savoir aller chercher les informations exactes: à mon arrivée à Lannilis, tout le monde me disait que la commune enregistrait beaucoup d’installations de jeunes couples… Or, les données de l’INSEE sur plusieurs années révélaient au contraire, l’installation d’une population plus âgée, qui exigeait de prévoir des mesures, aménagements…

Mais les jeunes couples étaient très visibles partout: inscriptions des enfants dans les écoles (etc.), alors que les personnes âgées étaient moins visibles!…»

Au cours de ces années de responsabilités, qu’avez-vous apprécié le plus, et peut-être, au contraire, déploré ?

«Les projets que l’on parvient à mener à bien; réussir à mettre tout le monde autour de la table pour aboutir, trouver des accords… Tout cela est source de satisfaction, tout comme le fait d’avoir simplement pu aider un usager venu avec un problème… Ou encore les relations avec les collègues, les relations humaines enrichissantes; et j’ai rencontré beaucoup de bonnes personnes!

Le plus difficile, c’est de voir de beaux projets être entravés ou échouer par la faute de querelles politiciennes… C’est aussi la difficulté de faire comprendre un bon projet local à l’échelon supérieur, départemental, régional ou national… De voir que l’intérêt n’en est pas compris, ou que des gens jugent cela de haut depuis un bureau parisien, rennais ou autres…

Et, ce qui arrive de plus en plus souvent, et que j’appelle «la vision-chambre-régionale-des-comptes» des services publics: «Ce service coûte trop cher, il ne vous rapporte rien!»

On me l’a dit un jour pour l’Office du Tourisme du Faou… Mais si c’est un SERVICE public, il n’a pas à être rentable, c’est un service rendu à la population! Renseigner le touriste ne va pas rapporter à la commune en tant que telle… Ce n’est pas le but! Un service public coûte; l’on va bien essayer de l’optimiser, mais pas de le rentabiliser… Si l’on ferme tout ce qui n’est pas rentable, il n’y aura plus de service public!»

Quelles sont les fonctions concrètes, les prérogatives et tâches principales d’un directeur des services dans la fonction territoriale ?

«Cela recouvre tout d’abord beaucoup de travail juridique, pour les raisons déjà dites: la constante inflation des lois, règlements et normes… Pendant mes dix années de direction, les réglementations du code des marchés publics, par exemple, ont changé plusieurs fois!

L’aspect «management» et relations humaines est aussi important : on pilote des équipes, qu’il faut garder mobilisées, et dont il faut veiller à ce que tous les éléments conservent l’esprit et les valeurs du service public…

Enfin, la partie «développement local» –mon domaine de prédilection– qui inclut une fonction de conseil auprès des élus et de mise en œuvre des projets, en se souvenant que ce sont les élus qui décident des projets à réaliser.»

Maintenant à la tête des «déchetteries» de notre région – en tant que directeur du Syndicat Intercommunal de Repurgation du Centre-Ouest-Bretagne (SIRCOB) – voudriez-vous expliquer l’importance de cette organisation ?

«Elle regroupe donc les cinq déchetteries de quatre Communautés de Communes (le Kreiz Breizh, Poher Communauté, les Monts d’Arrée, et la Haute Cornouaille), le centre de tri de Glomel et l’usine d’incinération de Carhaix, qui est désormais une « unité de valorisation énergétique des déchets»…

Son importance est relative au service rendu au public – les déchetteries ont un impact direct sur la vie de la population – et au traitement des déchets, qui est devenu un enjeu financier et environnemental majeur dans nos sociétés, et le sera plus encore dans les années à venir…

Nous produisons toujours autant de déchets, or leurs «débouchés» actuels ne sont plus viables à brève échéance : l’enfouissement, le transfert dans d’autres pays…

L’évolution du site de Carhaix est emblématique à ce sujet : il était simple décharge publique – comme partout – dans les années 1960. Puis un broyeur y a été installé dans les années 1980: les déchets étaient broyés et le broyat déposé sur une nappe d’argile, avec des drains et une lagune pour éviter de continuer à polluer cette zone humide et la nappe phréatique (Kervoazou signifie le village des sources…). En alternant des couches de 50 cm de déchets broyés et de mâchefer, on est monté à huit ou dix mètres de hauteur.

Puis, dans les années 1990, la déchetterie et l’usine d’incinération ont été créées, et dans les années 2000, cette dernière est donc devenue «unité de valorisation énergétique»: on ne se contente plus de brûler les déchets, mais on valorise l’énergie ainsi dégagée en produisant de la vapeur, qui est elle-même vendue à des industriels, à raison de 43000 mégawattheures sur les 70000 produits par an…

Et il va falloir trouver encore d’autres débouchés à nos déchets via le recyclage, la valorisation… en maîtrisant les coûts car tout cela, de même que le transport des déchets, coûte cher.

Certains déchets transformés en combustible sont aujourd’hui envoyés en Scandinavie pour y être incinérés, parce que nous n’avons pas en France assez d’usines d’incinération, et surtout de circuits de valorisation énergétiques («débouchés-chaleur»)! 

La France a pris le problème à l’envers, en décidant de réduire les tonnages à l’enfouissement en créant des unités de broyage destinées à produire des granulés de «combustible solide de récupération», capables d’être utilisés dans des chaudières spécifiques… Sauf que l’on n’a pas développé les réseaux de chaleur susceptibles de les absorber…

On a des usines qui produisent le combustible, mais pas celles qui peuvent le consommer. On paie donc les cimentiers pour qu’ils prennent notre combustible, ou on l’envoie en Scandinavie où existent ces circuits d’utilisation! … Maîtriser les débouchés est donc aujourd’hui fondamental, ce que favorise un regroupement à quatre Communautés de Communes…

Cela nous permet d’avoir actuellement les mêmes tarifs que Brest, soit les moins chers du Finistère.»

Quelles sont les diverses facettes de votre responsabilité et de votre travail ?

«Il est très divers. Je peux arriver au travail un matin en ayant prévu tout un programme, dont je n’aurai rien fait le soir venu, car j’aurai passé ma journée à répondre à de multiples sollicitations de collaborateurs, d’usagers, de partenaires… à résoudre de multiples problèmes techniques, d’organisation.

L’aspect juridique mobilise aussi beaucoup. Il faut assurer la sécurité juridique des actes de la collectivité pour les marchés publics, les délibérations, les projets…

La prospective, l’étude de l’avenir de l’usine, la réflexion à long terme, et l’aspect environnemental sont aussi prenants: les rapports mensuels, semestriels, annuels sur les émissions de polluants, le respect des règles environnementales pour les services d’Inspection de l’Etat, les bilans de tous les contrôles…

Il y a également, bien sûr, toute la gestion humaine des équipes; les plannings…

Mais mon travail peut aussi consister à remplacer, parfois, «au pied levé», un agent à l’accueil d’une déchetterie: un travail de terrain, très direct, dont le contact avec le public est loin de me déplaire.

Depuis que j’ai débuté à ce poste, j’ai un peu l’impression d’être un chef d’entreprise.»

Quelles difficultés principales rencontrez-vous ?

«Avec seulement 6 employés titulaires et un remplaçant sous contrat pour 5 déchetteries, la gestion des emplois du temps est mon «casse-tête» quasi quotidien! Je ne gère pas le personnel de l’usine d’incinération – 14 employés – son fonctionnement étant délégué à Suez, ni celui du centre de tri de Glomel, qui dépend des Ateliers protégés fouesnantais et compte 18 employés.

J’ajouterais à cet aspect l’importance des choix stratégiques à faire, les technologies à prévoir pour l’avenir…

Quand on parle de milliers de tonnes de déchets, chaque décision a des impacts financiers conséquents. On n’a pas le droit à l’erreur!…

Une nouvelle usine, c’est 50 à 60 millions d’euros… On peut imaginer l’endettement d’une collectivité si elle investit dans une usine dont les tonnages de déchets traités ou les débouchés ne seront pas assurés!»

Qu’en est-il des relations avec les maires et autres responsables et avec les usagers ?

«Dans le cadre du Syndicat de Communauté de Communes, les relations avec les élus sont en réalité bien moins nombreuses qu’au sein d’une collectivité même. Les collectivités sont un peu nos «actionnaires». Nous leur envoyons des factures et leur rendons des comptes… La relation est donc plus financière, un peu semblable à celle d’une entreprise avec ses actionnaires.

Et les relations avec les usagers sont globalement assez bonnes. Il y a toujours quelques réfractaires et mécontents, mais ce qui me frappe, c’est de constater combien la plupart sont intéressés et contents de se voir expliquer le comment et le pourquoi des démarches de tri, de recyclage…

Pourquoi, par exemple, le même vieux meuble mis dans la benne «mobilier» nous rapporte 20€ la tonne, alors que mis dans la benne «bois», il nous coûte 70€ la tonne…

Dès que l’on fait un peu de pédagogie, l’adhésion à la démarche est renforcée.»

Un très ancien contentieux oppose quelques riverains de la déchetterie de Carhaix et le SIRCOB concernant les pollutions engendrées par le site… Vous êtes arrivé sur place avec un regard neuf sur la question : qu’auriez-vous à dire à ce sujet ?

«Tout d’abord qu’il faut rendre justice, partout en France, à des associations de riverains qui ont été les premières à pointer du doigt des problèmes, et ont permis de faire avancer des normes environnementales. Parce qu’au départ, on ignorait la réalité des diverses pollutions…

Il en va de celles-ci comme des pollutions générées par l’agriculture: il est facile aujourd’hui de vilipender les agriculteurs, auxquels il a été demandé après la 2nde Guerre mondiale, de produire au maximum «coûte que coûte»…

Sur le cas spécifique de Carhaix, il est indéniable que le site, implanté sur une zone humide, a provoqué des pollutions; et que l’usine a pollué plus à sa création qu’elle ne l’a fait par la suite, où les connaissances et les moyens de minimiser les pollutions sont bien supérieurs à ce qui existait à l’époque.  

Ceci dit, il faut souligner que l’usine de Carhaix n’a jamais fait partie des installations de première génération, et n’a donc pas été parmi les plus polluantes, à chaque étape de ses développements. 

Elle a constamment été améliorée, et l’on va encore investir près de 2 millions d’euros pour rajouter une nouvelle couche de filtres, afin d’être conforme aux futures normes sur les émissions de particules fines, notamment…

Je suis moi-même un riverain, ayant acheté à un kilomètre de l’usine, sous les vents dominants, et je n’ai aucune crainte en mangeant les légumes de mon potager, les œufs de mon poulailler…

Des prélèvements sont faits en continu dans les fumées, deux fois par an dans la nappe phréatique et le ruisseau attenant, et les normes sont draconiennes…

Un exemple: l’émission de dioxine, qui a été la préoccupation emblématique des années 1990, est mesurée en permanence à l’usine. Elle est de 0,3 à 3 milligrammes par an, grâce aux filtres très performants. Or, une personne qui brûle une tonne de bois de chauffage émet 30 grammes de dioxine, soit 10000 fois plus que l’usine en un an!…»

Quel avenir entrevoyez-vous aux déchetteries, et plus largement, au traitement des déchets ?

«Nous sommes à la croisée des chemins… Le plan régional prévoit que l’on n’enfouisse plus que 150000 tonnes de déchets par an en 2030. Or, on en est encore à environ 650000 en 2021!

La communication sur la réduction de la production de déchets par les ménages a ses limites. On atteindra vite un seuil incompressible…

C’est donc sur les débouchés qu’il faut travailler. Les organismes nationaux réfléchissent en termes de concentration, et de « grands centres » de traitement… Mais, transporter les déchets coûte cher. Il faut donc au contraire conserver des outils de proximité et travailler sur des débouchés locaux, en particulier dans la filière «chaleur», y compris pour les déchets d’origine industrielle.

C’est ce sur quoi nous travaillons aujourd’hui au SIRCOB…

Il ne faut pas se tromper, car on parle ici de dizaines de millions d’euros d’investissement, et du retour sur investissement à calculer sur une quarantaine d’années!…»

Vous êtes chasseur – et garde-chasse particulier agréé – mais aussi « écologiste » de conviction et de pratique… N’existe-t-il pas un conflit entre ces deux activités ou philosophies liées à la nature ?

«Au contraire, pour moi l’un ne va pas sans l’autre. Petit, j’étais plutôt «anti-chasse», ayant comme beaucoup l’image des livres d’enfants où le méchant chasseur tue la maman du petit Bambi, et où le gentil renard vient donner une carotte au lapin… 

Mais plus on apprend de la réalité de la nature, plus on comprend qu’elle est notamment une chaîne alimentaire complexe; que la jolie et gentille mésange tue la chenille pour la manger, que le gentil hérisson du jardin mange des escargots et des limaces…

L’homme s’inscrit dans cette chaîne alimentaire. Il a besoin de consommer de la viande, sans quoi il va devoir prendre des gélules diverses – de vitamine B 12, par exemple – pour ne pas être carencé.

Être chasseur, c’est faire partie d’un maillon de cette chaîne; quelle différence y a-t-il à manger de la viande achetée au supermarché ou celle du gibier que l’on chasse, sinon que l’on n’a pas vu tuer l’animal d’élevage?

Personnellement, je ne conçois d’ailleurs pas de chasser sans que le gibier soit consommé; c’est alors tuer pour le plaisir de tuer…

Le gibier que l’on consomme a vécu une vie plus naturelle que l’animal d’élevage – je ne dis pas plus «heureuse», car ce serait transposer sur l’animal des sentiments humains, sans que l’on sache ce qu’il ressent réellement! Ce genre d’anthropomorphisme est très fréquent aujourd’hui. J’en sais quelque chose pour avoir porté un projet d’abattoir public au Faou! 

Il y aurait beaucoup à dire sur la notion de «bien-être» animal dont il est tant question aujourd’hui!… La vie idéalisée de l’animal «sauvage» est loin d’être celle imaginée par des gens qui ne connaissent rien aux réalités de la nature: la quasi-totalité des animaux vivent dans le stress permanent de la prédation, sont perpétuellement aux aguets, prêts à fuir…

Et les animaux bien soignés dans les parcs zoologiques vivent en moyenne bien plus longtemps que ceux qui vivent dans leur milieu naturel, par exemple.

S’opposer à la chasse pour des raisons écologiques est donc pour moi un non-sens.

Par contre, une certaine chasse sans éthique – encore pratiquée par certains – est aussi une aberration. Le célèbre sketch des «Inconnus» l’a caricaturée, certes, mais il n’est pas sans vérité!

Enfin, j’ai découvert dans le monde de la chasse – personne dans ma famille ne la pratiquait – que beaucoup de chasseurs sont de très grands connaisseurs de la nature. Des passionnés, qui ont une connaissance du terrain, bien plus que beaucoup d’écologistes…

J’ai parmi les étudiants à la fac, auxquels je donne des cours de développement durable, des écologistes convaincus, qui ne connaissent rien à la nature. Je leur ai demandé l’an dernier de me citer cinq espèces d’oiseaux présentes dans leur jardin, aucun n’en a été capable!»

La formation des chasseurs vous paraît-elle adéquate ?

«Elle est vraiment très axée sur la sécurité, comme je l’ai découvert en passant le permis de chasse, et beaucoup moins sur la connaissance de la nature, précisément.

Le but est évident, réduire le nombre d’accidents, et cela fonctionne puisque, malgré leur hypermédiatisation, il y a très peu d’accidents de chasse graves. Peu de sports ont aussi peu d’accidents mortels que la chasse! Voyez le surf, le ski, l’alpinisme, le cyclisme, les sports automobiles…

Le volet naturaliste serait donc à développer, à mon avis, dans la formation du chasseur, même si beaucoup d’entre eux le travaillent par eux-mêmes…»

D’aucuns pensent que la chasse est appelée à disparaître dans nos pays urbanisés, «citadinisés»… Est-ce votre sentiment ?

«Non. Le nombre de chasseurs va probablement continuer à diminuer, mais les jeunes – et les femmes – sont de plus en plus nombreux à passer le permis de chasse. Ces nouveaux chasseurs sont souvent des gens qui ont la conviction, les compétences et les connaissances nécessaires pour la faire perdurer. 

Le chasseur de demain sera quelqu’un qui aura réfléchi à sa pratique et sera un vrai connaisseur de la nature…

On voit maintenant arriver une nouvelle population de chasseurs, ou une nouvelle attitude chez les chasseurs, qui assument et revendiquent même pleinement l’acte de chasse.

De toutes manières, la chasse demeure une nécessité pour la régulation des espèces invasives; on le voit aujourd’hui pour le sanglier, le ragondin…

Si les chasseurs ne sont plus là, il faudra les remplacer par des professionnels qui procèderont périodiquement à des abattages massifs, qui ne marchent pas, comme on le voit en Suisse, mais coûtent très cher au contribuable!

La chasse aux oies cendrées est très encadrée en France, mais la Hollande en gaze par dizaines de milliers tant elles sont nombreuses et détruisent des cultures.

Les ragondins sont en train de détruire les berges de nos cours d’eau et font maintenant des dégâts dans les champs alentour. Les ratons-laveurs, échappés du parc de Branféré dans lequel est implantée « l’école Nicolas-Hulot pour la nature et l’homme », colonisent actuellement le Morbihan, supplantant des espèces animales locales…

La régulation est indispensable pour la santé des espèces régulées elles-mêmes: les pullulations ou les surpopulations entraînent des épizooties, comme on le voit chez le chevreuil, ou le renard, qui a été décimé par la gale ces dernières années…

Et c’est une vue de l’esprit que d’imaginer que l’introduction de grands prédateurs peut régler les problèmes de surpopulations animales: on a les problèmes de prédation sur les troupeaux domestiques ; sans obtenir la régulation sur les espèces sauvages! Et on aura à terme des problèmes d’attaques sur les humains… Toutes ces questions sont à aborder et à traiter sans idéologie.»

A quelles préoccupations, ou quels problèmes, les petites sociétés de chasse locales sont-elles aujourd’hui principalement confrontées dans nos contrées ?

«Les deux principaux problèmes sont le vieillissement des effectifs, et la raréfaction de certains petits gibiers naturels, par la destruction de leur biotope: destruction des talus et haies bocagères, absence de couvert végétal d’hiver sur de très grandes parcelles, pesticides… la pratique d’une agriculture intensive, pour laquelle les agriculteurs ne sont pas les premiers à devoir être incriminé: c’est le fonctionnement de notre société qui les a poussés à cela.

Ici, en Bretagne, où la chasse au lapin était très populaire, les maladies qui déciment chaque année ses populations sont un vrai problème…

Mais nous ne rencontrons pas ici l’opposition virulente à la chasse que l’on peut voir ailleurs, contre la vénerie ou autre…»

Qu’en est-il du monde de la chasse, de manière plus générale ?

«On observe une fracture réelle – et grandissante – entre les mondes urbains et ruraux, ou plus précisément entre les ruraux d’une part, et les urbains et néo-ruraux d’autre part… Les «anti-chasse» se comptent surtout parmi ces derniers.

Mais face à ces oppositions, apparaît maintenant une chasse décomplexée, qui commence même à faire évoluer le regard porté sur la chasse, l’image et les clichés dont elle a pâti ces dernières années…»

«Ecologiste»… Tout le monde ou presque dit l’être aujourd’hui ! Mais le mot recouvre des réalités différentes, des extrémistes aux réalistes et modérées : ne faudrait-il pas redéfinir le terme, et peut-être donner à bien des membres d’ONG ou autres associations écologistes, une formation semblable à celle des chasseurs ? 

«Le mot Ecologie ne veut plus rien dire tellement il est galvaudé. Je préférais finalement les mots plus anciens d’environnement et de développement durable – «soutenable», si l’on traduit plus littéralement de l’anglais… Car l’homme reste alors au cœur de la pensée et de l’action. «Ecologie» place celui-ci sur le même plan que l’animal, ce qu’il n’est pas.

Cela mène aux dérives de l’antispécisme que l’on voit se développer depuis quelques temps, et qui sont des idéologies potentiellement très dangereuses.

J’en reviens au problème de l’anthropomorphisme déjà évoqué: beaucoup de gens projettent aujourd’hui sur les animaux leurs propres pensées, sentiments, «ressenti»… Or, on ne sait que très peu sur ce que pensent et ressentent les animaux!

Un exemple, qui a fait toute une polémique mondiale dans les médias lors des jeux olympiques: le cavalier qui a donné un petit coup de cravache à son cheval lors d’un concours… Mais tous les gens qui l’ont cloué au pilori ont-ils seulement vu comment un cheval peut se gratter de tout son poids contre des pointes de fer?…

Je ne suis pas en train de justifier le coup, mais de mettre en perspective la perception que l’on peut avoir de ce que le cheval ressent…

On connaît très mal les réalités physiologiques de l’animal, et on ne peut donc pas se «mettre à sa place» avec nos propres émotions.

En revanche, limiter au maximum nos pollutions, l’impact actuel et futur de nos actions et de notre mode de vie sur l’environnement, la nature, sur le fonctionnement des écosystèmes, protéger les biotopes (etc.), oui, voilà une écologie sensée.»

Les jeunes… Vous êtes père de cinq enfants, faites partie d’une grande famille, ayant de nombreux neveux et nièces ; vous êtes de plus responsable de jeunes dans le cadre du Centre Missionnaire Evangélique de Bretagne, et «chef scout» notamment depuis de nombreuses années… Est-il difficile d’être enfant, d’être jeune en notre époque ?

«Physiquement» et matériellement, les conditions de vie des jeunes d’aujourd’hui sont globalement bien meilleures que celles des jeunes d’il y a 50 ans, et plus encore si l’on remonte plus loin dans le temps.

Mais psychologiquement – et spirituellement – leur vie est plus dure aujourd’hui. Il leur manque souvent des aspects essentiels pour la construction de leur personne et de leur vie : un cadre, des repères, des règles… que ni la société, ni beaucoup de familles ne donnent plus aujourd’hui.

«L’enfant-roi» n’est pas un enfant heureux en soi. Etre livré à lui-même face à la TV, aux écrans, aux jeux vidéo le déstructure, lui fait perdre l’habitude de se contraindre, et le transforme en être qui ne supporte pas la frustration à force d’être habitué à ne faire que ce qu’il veut et à ce que tout se plie à sa volonté… Mais dans le monde réel, dans la société, tout ne se soumet pas à ses désirs!

Alors, il est frustré, insatisfait, désorienté…

La société et les médias, par contre, lui imposent des normes, des «codes», de modes vestimentaires, «culturelles», comportementales par une pression sociale qui l’enferme dans un « modèle » dont il lui est difficile de sortir… La pression que subissent les jeunes est aujourd’hui énorme !

La sexualisation de la vie des enfants, à des âges de plus en plus précoces, est aussi destructrice pour eux. De même les déstructurations familiales… et les responsabilités que l’on fait peser sur leurs épaules de plus en plus tôt… 

L’orientation et l’avenir professionnel sont également une grande difficulté pour les jeunes générations…»

Que vous a apporté le scoutisme, et que peut-il apporter aux jeunes d’aujourd’hui ?

«Il m’a beaucoup apporté, d’abord sur le plan humain. Je pourrais redire ce qu’ont dit beaucoup de scouts : «C’est en grande partie le scoutisme qui a fait de moi la personne que je suis.»

Il m’a d’abord appris à me vaincre moi-même, à me forger un caractère, à suivre une règle de vie qui donne des repères clairs, de vérité, de droiture, d’honnêteté, de loyauté – dans le sport et ailleurs –, de franchise…

Et on pourrait dire de même dans d’autres domaines de la vie: apprendre l’effort, la persévérance, le courage, le goût du travail bien fait… Bref, à devenir un homme fiable et responsable.

Le scoutisme est, c’est vrai, une véritable « école de vie»! Et c’est aussi une école de la camaraderie, de l’entraide, du savoir vivre en groupe… Une école de la nature et de vie dans la nature: savoir faire table et chaise en rondins avec seulement de la ficelle; savoir cuire un repas sur un feu de bois quelle que soit la météo, et choisir son bois pour cela… Connaître les animaux, reconnaître leurs traces et les suivre…

C’est tout cela qu’il peut apporter aux jeunes d’aujourd’hui, mais avant tout, un idéal de vie, un cadre de vie qui leur permettent de devenir des adultes «structurés», stables, solides…»

Le scoutisme du XXIe siècle est-il différent de celui d’hier, ou garde-t-il ses bases et lignes-forces ?

«Il y a beaucoup de « scoutismes » différents, dont certains n’ont plus grand-chose à voir avec le vrai scoutisme, se rapprochant plus d’une colonie de vacances un peu orientée, vers quelques activités de plein air dans la nature…

Mais le scoutisme n’est pas cela. Il repose et se développe sur toute une «méthodologie», des fondamentaux pédagogiques structurés tels que les avait étudiés son fondateur Baden Powell…

Si on abandonne ces fondations, on ne fait plus de scoutisme, et l’on n’obtient pas les bienfaits qu’il apporte.

Ces deux courants existent aujourd’hui dans ce qui s’appelle «scoutisme»…»

Le vrai scoutisme connaît un nouveau développement spectaculaire à l’échelle mondiale… Comment expliquez-vous un tel regain plus de 110 ans après sa création ?

«Je pense qu’il y a des causes conjoncturelles: notre génération ressent le besoin de renouer un contact, un lien, avec la nature, l’authenticité, la «vraie vie», la vraie écologie…

Mais il y a aussi des raisons plus profondes, qui touchent à ce que nous avons dit: retrouver des valeurs humaines, des solides bases de vie… La pédagogie scoute correspond aux aspirations d’un certain nombre de jeunes, et de parents.»

Le groupe scout «Ar Menez» du Centre Missionnaire existe depuis plus de cinquante ans, et a accueilli une foule de jeunes de divers horizons… A-t-il conservé le même élan, le même dynamisme ?

«Oui, et la même veine profonde du vrai scoutisme, tout en s’adaptant aux réalités de notre époque, à son contexte légal, normatif, technique… Car c’est aussi cela le scoutisme: une pédagogie et une méthodologie fondées sur des bases fortes, claires et «immuables», mais aussi une faculté à s’adapter aux époques, aux cultures, aux contextes sociétaux…»

La présence de nombreux «chefs» et «cheftaines» est primordiale ; y a-t-il difficulté de recrutement ?

«Non, pas du tout, au contraire! Beaucoup des jeunes qui ont bénéficié, comme moi, du scoutisme que leur ont permis de vivre leurs aînés, ont envie de le transmettre à leur tour aux générations suivantes ! Ils ont tant reçu qu’ils veulent aussi donner…

Il y a le nombre, la diversité et la complémentarité, tant dans les compétences que l’étagement des âges parmi les responsables…»

Que représente l’Evangile dans votre vie, et dans votre vie de famille ?

«L’essentiel, le plus important… car il est le socle, la fondation primordiale.

Tout d’abord dans ma vie personnelle. J’ai appris, depuis mon enfance, à connaître, non seulement l’Evangile, mais Dieu; et non pas une religion, mais un Dieu vivant, proche, qui agit, répond aux prières…

C’est la raison de tout mon engagement dans la foi, dans l’équipe communautaire du Centre Missionnaire, avec le désir profond de servir Dieu et mon prochain, les autres…

De même pour la famille. Mon épouse partageait la même foi et la même volonté de servir. Cette foi et cet engagement communs sont le socle et le ciment de notre vie. Le mariage a pour nous un sens profond. C’est un engagement mutuel pour la vie!

Et nous avions dès lors la certitude de la solidité de notre couple, comme nos enfants savent la solidité de notre famille. Ils se sentent sécurisés.»

Nous vivons dans des sociétés de plus en plus «numérisées», «connectées», «médiatisées»… Comment garder l’indispensable espace de liberté et le contrôle de son existence dans un tel environnement ?

«C’est – et cela va être – de plus en plus difficile, parce que tout se numérise. Un certain nombre de services publics ne sont plus accessibles que numériquement, par exemple…

L’outil numérique devient indispensable, et il devient difficile de ne pas être un «numéro», pour les Allocations Familiales, les Impôts, la Sécurité Sociale… Tous ces organismes enregistrent nos données. Nous sommes de plus en plus fichés !

Raison de plus pour maîtriser tout ce qui est «réseaux sociaux», demande de contenu en ligne, connexions multiples; garder la maîtrise et réduire tout ce que l’on rentre dans l’ordinateur…

Car il faut toujours se rappeler que tout ce qu’on y rentre y reste pour toujours, et peut être piraté, utilisé à notre insu, ou contre nous… Cet «espace privé» est en réalité un espace public potentiel!

J’essaie d’alerter souvent les étudiants sur cette portée potentielle de tout ce qui est mis sur le web…

Et il faut aussi réaliser que les connexions sont très chronophages. On peut y gaspiller énormément de temps… Ce qui revient à gaspiller sa vie! Il faut garder le contrôle, prendre du recul, et réfléchir à l’utilité et au but.»

Carhaix et le Centre-Bretagne ont un long et riche passé historique… Ont-ils un avenir assuré dans ce «monde mondialisé» et en continuel changement ?

«Le mouvement croissant des citadins vers les campagnes, accéléré par la pandémie ces derniers mois, montre que le Centre-Bretagne est finalement dans «le vrai»!

C’est évident en termes de qualité de vie, d’échanges sociaux…

Mais l’avenir sera étroitement dépendant des volontés politiques. On sait qu’en Centre-Bretagne, il faut se «battre» plus qu’ailleurs pour obtenir quelque chose. Il faut donc se battre ensemble, et non pas entre nous !

Dans le contexte des stratégies et des facteurs «d’échelles» dont nous avons parlé, le Centre-Bretagne a besoin de se fédérer pour exister, à l’heure où Brest se constitue en métropole pour avoir accès à des leviers importants.

Aujourd’hui, une Communauté de Communes comme Poher Communauté ne peut se suffire à elle-même, peser dans les décisions…

Il faut une stratégie commune, qui passe par un abandon des querelles politiciennes et des craintes réciproques, mais aussi par une définition très précise et transparente de toutes les questions de représentativité, de gouvernance, de pacte financier et fiscal entre les communes, de proximité des services au public…

J’ai vécu cela dans la fusion entre les Communautés de Communes de Crozon et de l’Aulne maritime, puis en participant à l’étude de la fusion potentielle de cette nouvelle Communauté avec la métropole de Brest. Techniquement, cela pouvait apporter beaucoup. Mais, ce travail de représentativité de toutes les parties du territoire et de pacte financier n’a pas été réalisé…

On peut avoir un très bon projet commun, mais il ne pourra fonctionner que si cet aspect «technique» de la gouvernance et du fiscal est traité… et vice-versa.

Notre territoire a un potentiel, qui sera encore accru une fois la mise à 2 fois 2 voies de l’axe central achevée: centralité et qualité de vie du territoire feront alors un ensemble attractif, propice au développement de ce Centre-Bretagne. A nous de maîtriser, d’orienter ce développement pour qu’il ne soit pas anarchique, désordonné, ou nuisible à l’identité du territoire… de travailler sur nos «plus-values» – ce qu’on appelle «les avantages» comparatifs – afin de les développer…»