«Moi, je prendrais bien l’avion !»

Surprenant ! car le personnage qui vient de faire cette déclaration a… 3 ans !

Et, sans se laisser impressionner quand il lui est demandé :

«Pour aller où ?»

Adèle répond calmement :

«En Angleterre».

«Mais tu pourrais y aller en bateau, ou même en train par le tunnel».

«Oui ! Mais moi je voudrais prendre l’avion ! »

Sa détermination est sans faille, tout comme l’explication qu’elle donne lorsque l’interrogation porte sur « le pourquoi ».

« Eh bien, pour savoir s’ils ont des jouets et comment sont les jouets là-bas ! »

Et quand on lui fait remarquer :

« Mais le virus est très dangereux en Angleterre ! », 

elle n’en est pas pour autant ébranlée. Sa décision est mûrement réfléchie, et les risques ne l’effraient pas :

« Oh ! répond-elle, mais t’inquiète pas ; parce que moi, je ferai très attention ».

Cet étonnant dialogue mérite que l’on s’y attarde.

Notons tout d’abord l’âge de cette exploratrice : 3 ans !

Mais ces réflexions nous révèlent également que les enfants pensent et raisonnent bien plus qu’il n’y paraît.

En second lieu, remarquons le désir assumé et la volonté de voyager en dépit de la distance et d’éventuels dangers.

N’y a-t-il pas en cela la motivation profonde qui amena, 

au cours des siècles, 

de courageux et téméraires personnages à entreprendre de longues et périlleuses expéditions…

Découvrir des terres lointaines, voir comment vivent les indigènes…

Éventuellement s’intéresser à leurs « trésors », autant qu’à leurs mœurs…

Adèle paraît posséder l’âme de ces personnes quelque peu hors du commun, que ne laisserait pas supposer son jeune âge.

« Aux âmes bien nées, dira le Cid de Corneille, la valeur n’attend pas le nombre des années ».

L’avion ! L’Angleterre…

Les obstacles…

Elle y fera face, même au Covid 19…

Heureusement que la fin nous ramène à son âge :

« pour voir s’ils ont des jouets et comment ils sont là-bas ».

« Des jouets » !

Nous revoilà dans le rêve de l’enfance…

Mais est-ce si certain ?

Les jouets sont pour elle « le trésor », ce qu’il y a de plus précieux, 

bien plus que l’or !

N’est-ce pas pour conquérir ce « fabuleux métal » que la plupart des aventuriers de tous les temps se sont lancés dans de redoutables épopées, parfois sans retour…

Cet « or », les « conquistadors  » que José Maria de Heredia évoque si poétiquement dans « Les conquérants » :

 » Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal,

Fatigués de porter leurs misères hautaines

De Palos de Moguer, routiers et capitaines,

Partaient, ivres d’un rêve héroïque et brutal. 

Ils allaient conquérir le fabuleux métal

Que Cipango mûrit dans ses rives lointaines… »

Le dessein d’Adèle, exploratrice en herbe, mais à l’âme déjà bien trempée, n’est pas si différent

de ceux qui habitaient les explorateurs d’antan… et ceux d’aujourd’hui…

Sur les traces mythiques d’Ulysse, combien se sont élancés,

de Marco Polo à Christophe Colomb,

sans oublier les terribles Vikings et avant eux les Alexandre, César… et plus tard, Napoléon…

De nos jours, il en est qui ne dissimulent pas leur soif de conquête et de domination, tel Xi Jimping, le président-dictateur de l’empire de Chine, et ses semblables…

Les motivations sont diverses mais la volonté de s’évader de la vie routinière, des limites héritées ou imposées, est analogue.

Adèle… Christophe Colomb,

… le raccourci est saisissant, mais pas inconsidéré.

Certes, le désir « d’ailleurs », est totalement différent en essence comme en objectif, de ceux des guerriers et colonisateurs…

Mais cependant, transparaît chez tous le refus de vivre une existence qu’ils considèrent comme banale,

alors que d’autres la regardent comme digne d’être vécue, dans ses joies, peines et responsabilités, tant personnelles que familiales et sociales.

A chacun sa vocation, dirait le sage…

Peut-être faudrait-il ajouter que cette passion de découvrir, quelque légitime qu’elle paraisse, doit être orientée vers les buts les plus nobles, les plus élevés…

Apprendre à penser aussi aux autres, à ceux qui, différents, partagent la destinée humaine et ont le droit de cheminer à leur rythme et dans les perspectives qui sont leurs.

Aux défricheurs et découvreurs, il faut aussi rappeler que le plus important est,

d’aller vers l’autre, sans a priori, 

sans le sentiment, conscient ou inconscient, d’une quelconque supériorité… sans rejet de classe ou de race, comme sans idéalisations  subjectives ou illusions…

Ton désir, Adèle, est compréhensible et peut même être approuvé quand il devient ouverture d’esprit et de cœur aux autres,

et qu’il est préservé de tout égoïsme et de calculs méprisables.

S’intéresser au prochain, vouloir connaître et partager, est le fondement même des relations humaines souhaitables.

L’Évangile qui éclaire l’être humain de tous les lieux et de tous les temps,  

enseigne cette démarche fraternelle.

Elle seule, dans un monde si troublé, peut apporter la paix.