« Pour sauver l’agriculture, il faut continuer à la soutenir dans toute sa diversité, toutes ses productions…

Le plus important, actuellement, est de parvenir à trouver des jeunes qui veuillent s’installer dans les diverses filières, et de leur permettre de vivre de leur métier. Sinon, notre agriculture est en danger…
Or, demain, l’on aura toujours besoin de manger ! », nous a confié Mme Sophie Jézéquel.

Ses gestes et le regard de ses yeux au bleu limpide vous disent déjà ce que la densité de l’échange va vous confirmer: voici une femme pétrie d’énergie, de détermination tout autant que de sincérité, de spontanéité et d’ouverture aux autres…

Et de l’énergie, il lui en a fallu pour parvenir à mener de front ce qui pourrait occuper trois vies !

Exploitante agricole, élue à la Chambre d’Agriculture, Sophie Jézéquel est une « paysanne d’aujourd’hui» – tenante et avocate d’une agriculture de pointe – au parcours de vie singulier ; femme d’action, engagée, et femme de réflexion exigeante sur son métier, sur l’agriculture, la terre, le monde rural, la société des hommes et bien au-delà, la destinée humaine…

Et cet interview aux facettes multiples, riche et dense, nous conduit avec passion sur les chemins de l’agriculture d’aujourd’hui et de demain, d’un monde rural en profonde évolution, d’un Centre-Bretagne où un emploi sur trois relève de l’activité agricole ; sur les sentiers de l’amour de la terre et de la nature, des gens d’ici et d’ailleurs… Un entretien qui mêle avec bonheur technicité et humanité.


Voudriez-vous vous présenter brièvement ?

«Je suis normande. Mes grands-parents étaient agriculteurs et ma maman agricultrice, mais j’ai moi-même un profil de tertiaire puisque j’ai fait des études supérieures comptables et financières, ayant pour objectif de devenir expert-comptable.

Mais j’ai ensuite arrêté mes études, à l’issue d’un de mes stages, pour intégrer une entreprise de production de vêtements, qui travaillait à la fois en France et au Maroc.

Puis, revenue aux études –tout en étant «pionne»–, j’ai été amenée à remplacer l’une de mes professeurs qui partait en congé maternité. J’ai beaucoup aimé mon métier d’enseignante. J’avais presque l’âge de mes élèves, puisque j’enseignais dans une Maison Familiale Rurale, en Normandie, auprès de jeunes qui travaillaient sur l’agriculture.

N’ayant pas suffisamment de compétences en lien direct avec l’agriculture à cette époque-là, il m’a paru très intéressant d’acquérir une expérience dans ce domaine, en travaillant en tant que comptable agricole, afin de me former à toutes les spécificités comptables et de tertiaire en lien avec l’agriculture, dans le but de pouvoir un jour enseigner à nouveau…

J’ai donc été comptable-conseil en agriculture, en Normandie, et là je suis tombée amoureuse d’un Breton, rencontré dans le cadre de réseaux d’amis et d’école. Je suis donc arrivée en Bretagne, où j’ai d’abord travaillé comme comptable au Centre d’Economie Rurale, puis – ayant trois enfants – j’ai pris la décision de m’installer en tant qu’exploitante agricole…

Nous travaillons en GAEC – mon mari, moi et un associé – et nous avons deux salariés.

J’aime beaucoup la photographie et le dessin, passions auxquelles je n’ai aujourd’hui absolument pas le temps de me consacrer.»

Vous avez donc choisi, après quelque 12 années dans le métier de comptable-conseil, de devenir agricultrice… Pourquoi ce changement complet de vie professionnelle ?

«Pour pouvoir concilier vie familiale et vie professionnelle! Nos trois enfants étant nés en l’espace de trois années, nous allions les placer onze heures par jour chez la nourrice. J’avais aidé le GAEC dans le domaine administratif pendant mes congés de maternité, et ils m’ont fait remarquer qu’il serait dommage de replacer les enfants en nourrice; autant m’installer en agriculture, faire le travail administratif pour le GAEC tout en élevant les enfants à la maison.

Toujours pendant mes congés de maternité, j’avais accompagné mon mari dans les soins aux vaches, et aussi en porcherie, et je me suis rendu compte que c’était quelque chose qui me plaisait. Je n’avais pas jusque-là un regard très positif sur l’agriculture, mais j’ai alors appris à connaître les productions laitière et porcine, qui m’ont au contraire paru extrêmement intéressantes. Voir des animaux naître; travailler au chaud, moi qui imaginais avoir froid; travailler dans la propreté, avec des tenues de travail adaptées, moi qui pensais que c’était nécessairement sale…»

Une telle reconversion n’a pas dû être facile à opérer ?…

«Oui et non !… Facile, parce que dans le cadre de cette installation, j’ai pu acheter 9 hectares de terre, qui nous ont permis d’harmoniser et d’amplifier l’organisation du GAEC, non pas tant pour agrandir que pour optimiser: aujourd’hui 80 à 90% de l’alimentation de nos animaux est produite dans un rayon de dix kilomètres…

Et parce que je n’ai à m’occuper que du service administratif – fiscal, social, professionnel –, les hommes gardant leur autonomie sur les cultures et les productions laitière et porcine. Je vais travailler sur l’exploitation le week-end, ou quand on a besoin de moi, mais je n’ai pas la responsabilité de la production.

Par contre, bien qu’installée depuis 2009 et travaillant sur l’exploitation, je ne suis toujours pas considérée comme une agricultrice, dans le regard des autres. Aux yeux des hommes et femmes, je ne travaille pas. Je ne fais rien ! Et cela, c’est très dur à vivre !

Les gens ne nous considèrent pas comme exploitants agricoles à part entière, malgré tout le travail fourni, les compétences et l’autonomie acquises… C’est culturel, je pense.

Prenez une journée d’ensilage: les garçons qui conduisent les tracteurs, eux, ont travaillé ; nous les femmes qui nous sommes occupées des enfants, avons fait les courses pour le repas, préparé le repas pour tout le monde, servi le repas, rangé, préparé le repas suivant, rentré les vaches… nous n’avons rien fait de notre journée, puisque nous n’avons pas conduit le tracteur !…»

Exploitante agricole, 1ère vice-présidente de la Chambre d’Agriculture du Finistère, élue à la Chambre Régionale d’Agriculture de Bretagne, membre du Conseil économique, social et environnemental régional… Et mère de trois enfants… Comment parvenez-vous à concilier tous ces engagements et responsabilités, à réunir les fils de toutes ces «vies» ?

«J’y parviens parce que je ne le fais pas seule. Mon mari est là, notre associé aussi, les enfants ont grandi et m’aident… Mais je dois reconnaître que regardant parfois «dans le rétroviseur», je me demande comment j’ai pu avoir tout cela à faire quand nos trois enfants étaient encore en bas âge !

C’est le fait d’être à la maison grâce à mon métier d’exploitante agricole qui m’a permis de concilier ma vie de famille et ma vie professionnelle, en m’appuyant sur mon mari, qui m’accompagne énormément, qui est présent au quotidien pour nos filles comme pour l’exploitation agricole.

Etre en GAEC, avec notre associé, nous permet également d’avoir une vie sociale, de prendre un week-end sur deux, de nous remplacer les uns les autres en cas de problème, et d’avoir les uns et les autres des responsabilités à l’extérieur de l’exploitation, de s’enrichir de bien des activités et rencontres autres…

C’est donc aussi grâce aux autres que j’arrive à concilier tout cela.»

Voudriez-vous nous dire quelques mots sur votre exploitation agricole, ses orientations et caractéristiques ?

«Nous avons 80 vaches laitières, produisant 750 000 litres de lait, 250 truies en élevage naisseur-engraisseur, 157 hectares de cultures, tout en autoconsommation: toutes nos productions servent à l’alimentation de nos vaches et de nos cochons.

Et nous sommes donc trois associés: moi, mon mari Ronan qui est premier adjoint au maire de Lennon; François L’Haridon qui, entre autres engagements, est président de la Caisse du Crédit Mutuel de Pleyben et président départemental de la branche agricole du Crédit Mutuel de Bretagne… Et nous avons deux salariés Gwendal Person et Michel Le Moigne ; plus Bernard, qui est aujourd’hui à la retraite mais vient nous voir de temps en temps sur l’exploitation.

Nous avons enfin des panneaux photovoltaïques sur la toiture d’un vieux bâtiment que nous avons rénové, parce qu’il tenait à cœur à mon mari. Nous sommes sur le site d’une ferme familiale, et ce bâtiment avait été construit par son grand-père…

Cette production d’électricité est la seule activité agricole qui rémunère sans prendre de temps!

Nous faisons évoluer l’exploitation tout le temps, pour essayer de répondre aux attentes sociétales, pour économiser l’énergie, avoir des pratiques culturales qui s’approchent au mieux de la résilience de nos terres, qui limitent au mieux tous les intrants, tout en restant dans une agriculture conventionnelle.»

Votre ferme de Quillévennec Huella, en Lennon, s’appuie largement sur les technologies de pointe, particulièrement celles du numérique… Quels impératifs et quelles réflexions vous y ont incitée ?

«Nos investissements visent souvent à nous simplifier la vie et les tâches. 

Quelques exemples: nos obligations réglementaires nous imposent la réalisation d’un Plan Prévisionnel de Fumure, avec un cahier de fertilisation pour suivre la fertilisation de nos champs…

Pour le réaliser, nous utilisons les services d’un satellite grâce à Farmstar, un procédé de photographie de nos parcelles qui parvient à photo-interpréter le besoin en azote de nos cultures.

Les données informatiques résultant de cette photo-interprétation sont rentrées dans une clé USB, qui, placée dans la console d’un tracteur, permet à celui-ci de répandre très précisément la quantité d’azote correspondant aux besoins de la parcelle…

Cela permet de ne donner à la plante que ce dont elle a besoin, donc d’économiser les intrants, d’éviter de faire trop de passages – ou de ne pas en faire assez – et ainsi d’optimiser notre culture.

De la même façon, nos épandeurs sont équipés d’une barre de guidage qui évite les chevauchements ou les espacements lors des semis, donc les surdosages ou les pertes de surface ensemencée… L’on gagne ainsi jusqu’à 10% de passages du tracteur sur la totalité de nos surfaces : réduction de la consommation de fuel, de la pollution; gain de temps et optimisation du travail…

Tout cela est enregistré sur tablette, et le salarié qui prend le tracteur peut rentrer tout de suite, à partir de son téléphone, l’action qu’il réalise dans le champ: semis, traitement, apport de fertilisant… ce qui est enregistré dans le logiciel, et me permet d’avoir tout «en main» quand je dois sortir mes documents réglementaires.

Nous sommes équipés de caméras de surveillance. Tout est suivi et enregistré.

La surveillance des vêlages se fait par vidéo depuis la maison…

En revanche, nous n’avons pas voulu installer un robot de traite, car Ronan, mon mari, est un véritable éleveur, aime les animaux, leur contact, et a besoin de la traite pour suivre son troupeau. C’est un moment privilégié pour observer chaque bête, «prendre la température du troupeau»… Là, pour la transmission des données, nous écrivons encore sur une ardoise!

Mais pour les cochons, nous avons une distribution automatique des soupes, des céréales, la « Gestion technique –Troupeau–Truie» et la «Gestion technico-économique » sont informatisées…»

Quelles joies et quelles satisfactions ce dur métier d’agricultrice vous procure-t-il ?

«Je suis très contente de ma reconversion ! La décision a été difficile à prendre. J’ai eu très peur au départ, puisque l’agriculture ne m’attirait vraiment pas auparavant…

Mais j’en suis très heureuse aujourd’hui, parce que j’ai réussi à concilier ma vie de femme, de maman avec ma vie professionnelle.

De même pour mes autres engagements. Et j’invite tout le monde à s’investir, à un moment quelconque de sa vie, dans une action pour les autres. Cela vous apporte beaucoup de belles choses – beaucoup de problèmes, c’est vrai, mais surtout beaucoup de belles choses!

Pendant la scolarité de mes filles à l’école privée de Lennon, j’ai, par exemple, été soit trésorière soit présidente de l’organisation de gestion des écoles catholiques, durant 15 ans. J’y ai rencontré beaucoup de gens, j’ai pu connaître le fonctionnement d’une école et m’y investir… 

Autre chose: nous avons parlé de la technologie très présente dans l’agriculture d’aujourd’hui… Mais les animaux, eux, ne sont pas branchés sur les nouvelles technologies. Le vêlage, les mises-bas, l’alimentation (etc.) répondent à un cycle de vie, un rythme de vie dont on est coupé quand l’on n’est plus en lien avec des activités primaires, mais qui est très important, car c’est la base de la vie…

Chaque matin, j’ai devant moi un magnifique paysage, depuis le point de vue que nous avons ici. Et le soir, il a changé car la lumière n’est plus la même. Monet a peint la cathédrale de Rouen à toutes les heures du jour pour avoir les teintes changeantes; j’ai ici chaque jour un spectacle différent du paysage qui s’offre à moi !…»

Quelles peines, et quels regrets ou déceptions vous habitent au contraire ? 

«Travailler avec le vivant, les animaux, c’est aussi travailler avec la mort. Avoir un animal malade ou mourant, c’est bouleversant ! C’est très difficile à vivre. C’est exceptionnel dans notre exploitation, mais c’est toujours violent. Contrairement à ce qu’essayent de faire croire certains, un agriculteur ne perd jamais un animal dans l’indifférence !…

Dans tous les domaines, on trouve toujours des gens pour nous critiquer sur nos pratiques d’élevage ou de culture, sans rien connaître des raisons, des motivations réfléchies pour lesquelles on fait comme ceci ou comme cela. C’est dur d’être ainsi toujours exposé à la critique, aux jugements biaisés…

Mais l’une de mes grandes fiertés, c’est aujourd’hui le regard que mes enfants portent sur l’agriculture. Nos filles ne critiquent pas le métier de leurs parents. Elles nous accompagnent et nous soutiennent dans notre activité, et viennent nous aider. Cela fait partie de nos belles réussites !»

«Paysan»… Est-ce un métier, une vocation, ou plus encore un mode de vie ?

«Réponse de Normande: un peu des trois !

Paysan, oui. Car pour être éleveur, il faut être paysan dans l’âme, il faut aimer les animaux. L’élevage, c’est une «communion» entre l’être humain et l’animal. Il faut l’avoir en soi. Il faut une vraie passion.

Si on ne le fait que dans un but lucratif, on va changer de métier, car ce n’est pas lucratif…

Même moi, dont le travail sur l’exploitation est surtout administratif, je dois avoir ce «sens paysan» ancré en moi pour être en harmonie avec le travail des autres.

Mais cela ne m’empêche pas d’utiliser les nouvelles technologies, d’envisager de nouvelles pratiques, changer des choses. Nous devons nous inscrire dans un futur qui sera plus moderne…

Paysan, c’est un métier d’avenir. J’en suis convaincue !

J’ai eu la chance d’avoir un papy centenaire, décédé cette année, qui disait, lorsqu’il entendait critiquer l’agriculture d’aujourd’hui : «Etre paysan, ce n’est pas forcément aller biner un champ de betteraves avec une binette… La mécanisation et l’utilisation de produits phytosanitaires, tout cela a du sens…» C’est pouvoir produire mieux, produire plus, économiser la force des personnes… Et demain, il nous faudra faire beaucoup mieux, avec beaucoup moins!»

Le «paysan» du XXIe siècle est-il tout autant «attaché» à sa terre que l’étaient ses ancêtres : attaché aux deux sens du mot : le lien affectif et le lien qui assujettit ?

«Oui! Nous sommes attachés à nos terres, parce que chaque parcelle a son histoire: et bien souvent une histoire avec notre père, une histoire avec notre grand-père… Et l’histoire d’un arbre qui a été planté, d’une cabane que nous avons faite sur un talus, enfant… 

Une terre, c’est encore l’histoire de son travail, de sa fertilisation, de son amendement, de son entretien. C’est l’investissement personnel qu’on y a fait au fil des années, des décennies… On y est donc attaché parce que c’est notre outil de travail, certes, mais surtout parce qu’on y a donné du nôtre pour en faire ce qu’elle est.

Malgré tout, moi qui suis normande, mais qui ai aujourd’hui le sentiment d’arriver chez moi dès que je franchis les Monts d’Arrée, je réfléchis beaucoup à ce que je ferai du potentiel héritage que me laisseront mes parents: les terres de la ferme familiale… Je ne serai pas habitante là-bas, ma vie est désormais en Bretagne. Mais il faut que cette terre normande, que mes grands-parents et mes parents ont travaillée, continue de vivre. Il faut donc que je la transmette à quelqu’un qui sera capable de lui donner demain la même histoire, de la faire fructifier… J’y suis attachée, parce que je suis normande et que c’est la terre de mes grands-parents. Mais la vie, c’est transmettre. C’est comme un enfant à qui on donne la vie. A un moment, il faut le laisser partir, le laisser vivre. 

En ce sens, ma terre ne m’appartient pas. Elle doit pouvoir continuer à nourrir des gens demain…»

Quelles sont les sources de votre engagement au sein des Chambres départementale et régionale d’agriculture, et au sein du CESER (Conseil Economique, Social et Environnemental Régional) ?

«J’ai eu la surprise de voir un jour arriver ici André Sergent et André Paul, élus à la Chambre d’Agriculture, qui venaient me proposer de faire partie de leur liste, à la FDSEA. Je pensais me placer en fin de liste, mais ils ont voulu me mettre en position éligible. Mon regard de «tertiaire» en lien avec l’agriculture les intéressait… Ils m’avaient un peu repérée parce que, sans être bavarde, quand j’ai quelque chose à dire, je le dis !

J’ai eu la chance d’être une femme, exploitante agricole, et sur un territoire du Centre-Bretagne où les candidats à un mandat à la Chambre n’étaient pas légion…

Mes filles étaient au collège et réclamaient moins d’accompagnement et de temps à leur consacrer…

Et, comme je l’ai dit, j’aime m’investir, j’aime aider et défendre les gens. Quand je peux défendre quelqu’un, j’essaie de le faire, et avec la plus grande honnêteté possible !

Je considère comme une chance cet engagement dans le travail des Chambres d’agriculture. Cela m’a beaucoup apporté.»

Voudriez-vous rappeler succinctement le rôle et le travail actuels des Chambres d’agriculture ?

«L’on y est élu par des exploitants agricoles, dont nous sommes les représentants, et nous avons donc une légitimité, bien plus importante que celle d’autres institutions, qui pourtant ont de l’influence sur le territoire…

Elue de la FDSEA, je défends l’élevage dans toute sa diversité, et une agriculture productive, ce dont je suis fière car cela correspond à ce que j’attends !

La Chambre consulaire a une mission régalienne. Nous avons des obligations dans le cadre de l’aide à l’installation des jeunes agriculteurs. Nous accompagnons les départs à la retraite. Nous portons la parole de l’agriculture au sein d’instances politiques, aux échelons départemental, régional et national.

Nous faisons de la formation, de la recherche appliquée : un exploitant agricole peut faire appel à nos stations expérimentales s’il veut faire évoluer ses pratiques.

Ces stations font des recherches sur toutes les productions existantes, afin de permettre aux exploitants d’améliorer ou de faire évoluer leurs pratiques.

Au travers de réseaux d’agriculteurs, tels que Résagri 29, nous diffusons sur le terrain l’expérience des Chambres ; nous suivons les cultures par le biais de groupes. Notre GAEC fait partie du «Réseau 30 000», par exemple, qui regroupe 30 000 exploitants, dont l’objectif est de réduire l’utilisation des produits phytosanitaires…

Nous suivons des dossiers périphériques tels que la gestion de la ressource en eau. Je siège au SAGE (Schéma d’Aménagement et de Gestion de l’Eau) de l’Aulne en tant que représentante de la Chambre d’Agriculture.

Nous travaillons sur la gestion et l’aménagement du foncier, notre avis étant sollicité en ce domaine…

Souvent tout ce travail considérable réalisé par les Chambres d’Agriculture n’est pas perçu, et c’est bien dommage !

Leur intérêt est en outre d’être neutre: elles ne vendent pas de produits, ni rien d’autre. Nos conseils sont neutres ; objectifs… 

Mais je veux dire que si les élus des Chambres d’Agriculture n’étaient pas là pour défendre l’agriculture en permanence dans des sphères où on en parle sans la connaître, celle-ci aurait peut-être déjà été arrêtée.»

Quels sont aujourd’hui vos principaux «combats» ou causes de mobilisation ?

«Avant tout aujourd’hui, la défense de l’agriculture, dans toute sa diversité. L’autonomie alimentaire dont on nous parle tant, le rôle nourricier de l’agriculture, sont des choses essentielles. Dans nos sociétés riches, on ne se rend pas vraiment compte de cela, et on dénigre beaucoup trop la production agricole.

Et je ne voudrais pas que nous en arrivions demain à des pénuries comme on en a connu, par exemple avec les fameux masques chirurgicaux, ou avec les composants électroniques actuellement…

Nous avons la chance de pouvoir manger trois fois par jour, et une nourriture de qualité!  Mais on ne se rend même plus compte de la qualité de nos productions françaises…

Et comme on peut trouver un peu partout dans le monde les mêmes produits qu’ici, mais souvent avec une qualité bien inférieure, les gens ne se rendent pas compte de la fragilité dans laquelle se trouve notre agriculture aujourd’hui.

Je ne comprends pas, notamment, pourquoi on la critique tant au nom de l’écologie, alors que c’est l’une des activités humaines qui a le plus évolué pour répondre le plus possible aux attentes de la société, aux besoins des hommes !

Il faut savoir que depuis des années maintenant, l’agriculture française est considérée ailleurs dans le monde comme la meilleure. Mais voilà quelque chose que l’on n’entend jamais dire !

Il y a encore des évolutions à réaliser, mais aujourd’hui, dans le monde, quand on «mange français», on consomme des produits qui correspondent le plus à toutes les attentes sociétales: normes environnementales, bien-être animal, traçabilité et qualités du produit…

Je ne supporte plus les gens qui dénigrent l’agriculture, ne montrent que ses dysfonctionnements – en citant un exemple qu’ils ont en tête mais qui n’est pas la généralité – souvent dans le but de se mettre eux-mêmes en évidence !»

L’agriculture, et plus largement le monde agricole, paraissent être frappés par une crise sans fin depuis l’Après-guerre… Comment analysez-vous les faits ou aspects majeurs de cette évolution ?

«Elle a répondu aux attentes: après-guerre, il fallait produire beaucoup pour nourrir l’Europe, elle a produit beaucoup… Aujourd’hui, on lui demande d’être plus résiliente, d’économiser l’énergie… Elle s’adapte ! 

Mais cela ne se fait pas sans difficultés.

Un des problèmes actuels est la spéculation sur l’alimentation à l’échelle mondiale. L’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) a un problème à résoudre…

Il suffit d’une fluctuation en Chine pour que l’on ait des répercussions en Bretagne.

Si l’on prend l’exemple de la filière porcine: l’on a eu ces dernières années une succession de crises de plus en plus fortes. Le sort de l’abattoir Gad en est une illustration… Le risque est que les tensions dans la filière deviennent telles que celle-ci s’écroule, tout simplement.»

Il est aujourd’hui de bon ton de décrier ou même de vilipender le «modèle breton»… Qu’en dites-vous ?

«Qu’il faudrait plutôt en être très fiers. Et qu’il n’y a pas un modèle breton, mais plusieurs. Nous avons l’agriculture conventionnelle; la production à Haute Valeur Environnementale (HVE) qui arrive ; la production bio, les circuits courts, les grandes filières, la vente directe, les coopératives…

Aujourd’hui le modèle breton, c’est sa diversité extrêmement riche. Tous y ont leur place, et peuvent vivre et se développer ensemble.»

Les erreurs ou errements du passé étaient-ils évitables ? Les agriculteurs en ont-ils été victimes ou responsables ?

«Oui et non… mais à mes yeux il n’y a pas eu «d’erreurs du passé», en ce sens que l’on n’avait pas alors connaissance d’un certain nombre de conséquences des pratiques adoptées !

A l’époque où on conduisait les voitures sans ceinture de sécurité, on ne faisait pas d’erreur: on ne connaissait pas tout l’intérêt d’avoir une ceinture de sécurité pour notre protection. Aujourd’hui, on le sait, et ce serait une erreur que de ne pas en installer sur les voitures. Mais à l’inverse, ce n’est pas parce qu’on n’en avait pas à l’époque qu’il aurait fallu ne pas conduire !…

C’est la même chose pour l’agriculture: on nous a demandé de produire. On a eu confiance en des pratiques dont un certain nombre se sont révélées nuisibles par certains aspects et par la suite…

Par contre, maintenant qu’on sait, il faut rectifier les choses, améliorer nos compétences et notre qualité de production, faire évoluer les pratiques, pour répondre aux attentes, au social, à l’environnemental, à l’économique…»

Nombreux sont ceux qui s’interrogent sur l’avenir de l’agriculture française – et même bretonne… Quelles seraient vos propres préoccupations pour la pérennité de notre agriculture ?

«Le renouvellement des générations est aujourd’hui vital pour l’agriculture française et bretonne! Celle-ci est maintenant accessible à tous, hommes et femmes. Les métiers de l’agriculture sont divers aujourd’hui ! Il existe de multiples formations… Et je n’y ai trouvé, moi, que du bonheur !

Il faut que nous parvenions à y attirer des jeunes et à communiquer avec le grand public…

Mais je redoute un «effet domino» désastreux: un nombre important de départs d’éleveurs à la retraite, sans remplacements, qui engendre une diminution de la production, avec des conséquences sur l’activité des abattoirs – l’emploi donc aussi – et sur le ramassage, sur l’alimentation… de «moins de» en «moins de», on risque de voir disparaître toute une production.

Le plus important actuellement, est de parvenir à trouver des jeunes qui veuillent s’installer dans les diverses filières, et de leur permettre de vivre de leur métier. Sinon, notre agriculture est en danger… Or, demain, l’on aura toujours besoin de manger !

93% de la production agricole bretonne est exportée hors de Bretagne. Une grosse partie va nourrir les grands pôles urbains comme Paris, Lyon… Si l’on réduit notre production pour ne plus répondre qu’aux demandes de «circuits courts», cela ne fera plus que 7%. 93% de notre production disparaîtrait; donc 93% des emplois, sachant qu’en Bretagne, un emploi sur trois est en lien avec l’agriculture… !

Pour sauver l’agriculture, il faut continuer à la soutenir dans toute sa diversité, toutes ses productions, la déconnecter de toutes ces variations internationales tout en maintenant l’import-export, qui nous est indispensable, et en s’interdisant la spéculation sur l’alimentation.»

L’équation «agriculteur/pollueur» est aujourd’hui souvent faite, et cette caricature stigmatisante, voire infâmante leur est apposée sans nuance ni réflexion… Quelle place les préoccupations environnementales ont-elles dans votre vision de l’agriculture de demain ?

«L’agriculture peut polluer, c’est évident. Mais chacun pollue. Celui qui ne veut pas polluer doit cesser de se chauffer, de se nourrir, de se déplacer, d’avoir un téléphone… Le confort de la vie moderne pollue. 

On me dit que mes vaches sont les plus gros producteurs de gaz à effet de serre… D’accord, mais mes vaches pâturent. J’ai donc des talus, des prairies, de la biodiversité… Si je retire mes vaches pour laisser tout à la friche, on ne mangera plus; si je mets mes parcelles en céréales, j’appauvrirai la biodiversité, je devrai y passer plus souvent la machine, je mettrai davantage de produits phytosanitaires…

De même, on dit Bretagne=algues vertes… Mais ce sont 13% des 2470 kilomètres de côtes bretonnes qui sont polluées par les algues vertes. Cela signifie que 87% du territoire breton répond aux normes de la Directive-cadre sur l’eau que nous fixe l’Europe. 

Il faut donc améliorer la situation des 13%, mais aussi parler de celle des 87% qui vont bien ! Et aussi dire que dans ces 13% de bassins touchés – et on comprend la lassitude de leurs habitants ! – se trouvent des villes, avec des stations d’épuration qui posent des problèmes, et l’afflux touristique qui les décuple… L’agriculture n’est pas la seule en cause, mais elle est le coupable tout désigné, facile à pointer du doigt, le bouc émissaire…

Or, la Cour des Comptes a dénoncé le fait que 83% des fonds octroyés à la lutte contre les algues vertes vont vers divers types d’animations faites autour d’elles et non à la lutte concrète contre elles, dans des investissements!

Il faut arrêter de dire, pour faire ce que l’on dit ; arrêter de «sensibiliser», pour mettre des moyens dans les investissements, dans l’action de terrain.»

Quelle sera l’agriculture de demain ? Sera-t-elle «biologique» ?

«Surtout pas ! Ce serait catastrophique pour l’alimentation des Français, parce que nous ne serions plus capables de les nourrir tous… 

Un grand nombre d’entre eux dépendraient de nos «partenaires» étrangers pour leur nourriture quotidienne. Or, nous n’avons pas la maîtrise de leurs productions, et quand je vois ce qui se passe en d’autres domaines, par exemple dans les relations entre la France et l’Angleterre après le Brexit, je m’interroge beaucoup! Notre autonomie alimentaire est quelque chose de fondamental. Nous ne devons pas dépendre demain d’autres pays pour nous alimenter…

Moi, agricultrice, j’aurais mes vaches, mes poules, mes cultures… Mais je craindrais beaucoup pour les habitants des grands centres urbains !

Cultiver sur les toits et les murs, c’est très bien, mais la capacité de production et les rendements sont limités.

C’est pourquoi il ne faut pas abandonner, ni décourager, nos agriculteurs bretons, ni les autres !

Aujourd’hui, l’activité laitière de notre exploitation agricole nourrit l’équivalent de 2040 personnes, soit 54% de la population d’une commune comme Pleyben. Et avec notre activité porcine, nous nourrissons l’équivalent de 17635 personnes, soit 75% de la Communauté de Communes Châteaulin-Pleyben-Porzay…»

Les campagnes –le monde rural– font face à un afflux de ceux que l’on appelle communément les «néo-ruraux», pour beaucoup d’entre eux citadins fuyant les grandes villes et ayant de «la vie à la campagne» une image idéalisée… Quel regard portez-vous sur ce phénomène relativement nouveau, et décuplé par la pandémie actuelle ?

«Que dire?… C’est bien qu’ils viennent s’installer chez nous, et qu’ils se rendent soudain compte de ce que les hommes de la terre, les paysans –je dirais presque les «bouseux»– ne sont pas des primaires…

Que la vie à la campagne est peut-être meilleure que celle qu’offrent les grandes métropoles… Ils redonnent un peu de valeur à notre qualité de vie.

Mais le problème, c’est qu’il leur faut tous les équipements et facilités de la grande ville, en réseau routier, débit internet…

Alors on nous demande de planter des arbres d’un côté, et on nous demande de les couper de l’autre pour faire passer la fibre en réseau aérien, parce qu’elle coûte trop cher à passer en réseau souterrain ici…

Il y a dans les politiques menées des incohérences folles !

Et ces néo-ruraux vont crier contre les agriculteurs quand un arbre tombera sur un fil et leur coupera momentanément Internet…

Et puis, on salit les routes, on épand du lisier, on attire les choucas, et ainsi de suite…

Enfin, j’ai peur de voir les prix de notre immobilier s’envoler, comme c’est le cas dans des zones côtières, où les maisons secondaires deviennent majoritaires, où nos jeunes ne peuvent plus acquérir une maison principale, ni donc rester vivre et travailler au pays.

Je ne veux pas la multiplication des résidences secondaires. Oui à des acquisitions pour des résidences principales, non pour des résidences secondaires.»

Monde rural et monde urbain semblent aujourd’hui vivre sur deux planètes qui s’éloignent l’une de l’autre; est-ce votre sentiment ?

«Oui… Nous n’avons jamais été dans une société aussi axée sur la communication, mais l’on a rarement aussi mal communiqué les uns avec les autres qu’aujourd’hui.

Les citadins ne savent pas ce que je fais, et je ne sais pas ce qu’ils font… Par contre, je suis très «visible» parce que j’ai des champs, de grands bâtiments, et tout le monde se permet de me critiquer. Moi, je ne regarde pas ce qu’ils font!…

Ceci dit, à moi d’aller vers l’autre pour lui montrer, lui expliquer quel est mon métier, pourquoi je le fais et comment je le fais… et que sa valeur est liée au montant qu’il est prêt à payer pour la nourriture que je lui apporte.

L’association «Agriculture de Bretagne» a ici un rôle très important à jouer.» 

Vous êtes – avec Anthony Taoc, de Dinéault – élue référente pour le territoire du Centre-Finistère à la Chambre régionale d’agriculture. Comment voyez-sous la situation de ce territoire, ses problèmes et ses atouts particuliers, en matière d’agriculture, mais aussi au-delà ?

«Pour l’agriculture, je redis ma grande crainte de voir l’effondrement de filières faute de pouvoir remplacer les départs à la retraite des années à venir, faute de voir des jeunes s’installer en raison des revenus trop faibles…

Nous avons déjà perdu beaucoup d’exploitants dans la filière laitière. La production de volaille est fragile. La perte de la société Doux lui a porté un coup très dur. J’ai bon espoir que la filière porcine s’en sorte mieux…

Or, perdre de l’élevage, c’est perdre notre bocage, parce que les terres vont être utilisées pour la culture des céréales.

Nous avons ici la chance de la centralité, pour laquelle la RN164 à 2X2 voies est une vraie richesse. Il faut l’utiliser comme un véritable atout, pour le développement de l’agriculture comme pour celui des zones industrielles. Il faut que tout cela se fasse avec équilibre…

Le Centre-Finistère est un vrai territoire, qui possède de vraies richesses. 

Il faut que nos jeunes puissent rester y vivre, y gagner leur vie, et que nous puissions y faire venir s’installer d’autres.»