«…C’est très bien, Elénore, tu es courageuse !»

Bleunwenn, petite fille de trois ans, se trompait quelque peu dans le qualificatif qu’elle employait, mais si sa connaissance de la langue française était encore sommaire, elle possédait déjà, malgré son jeune âge, une richesse de cœur et une perception affinée des besoins de l’âme humaine.

Sa toute petite sœur, Elénore, âgée de vingt-et-un mois, venait de remporter une grande victoire sur elle-même : «elle était devenue propre» !

Pour la troisième ou quatrième fois elle avait demandé à sa maman «d’aller aux toilettes» ! Grande victoire en effet ! Victoire à son échelle, qui valait bien d’autres plus spectaculaires conquises par «les grands» !

Se vaincre soi-même, n’est-ce pas l’un des défis les plus difficiles à relever ? Et combien demeureront, toute leur vie, dans la défaite, vaincus par tel trait de caractère, des addictions… des habitudes hypothéquantes et dont ils n’ont pas su, ou voulu triompher !

«On est esclave de ce qui a triomphé de soi» dit la Bible !

Bleunwenn qui, elle-même sortait depuis peu de cet âge d’où Elénore émergeait, se rappelait fort bien quels combats furent les siens pour franchir cette étape : «être propre», autonome,

en cela réjouir sa maman et… être capable d’aller à l’école maternelle.

«C’est très bien Elénore, tu es courageuse !»

Ni l’une ni l’autre n’aurait trouvé le qualificatif approprié, mais, nul doute, Elénore a bien compris le message : sa «grande» sœur était contente d’elle et le faisait savoir !

Le ton des félicitations était éloquent, lui apportant une grande joie et un grand encouragement à poursuivre dans cette voie.

Message du cœur que le cœur recevait et interprétait.

Une fois encore, les enfants donnaient, sans le vouloir et sans le réaliser, une très grande leçon de «psychologie», ou plutôt d’humanité à tous ceux qui, au-delà de l’aspect amusant de la scène, voulaient écouter, réfléchir et peut-être descendre de leur «piédestal» et statut d’adulte, s’interroger : «Suis-je, moi aussi, capable de comprendre ce que les autres ressentent… discerner leurs espoirs, leurs espérances, leurs souffrances…?

Et puis-je, moi aussi, avoir ce langage du cœur, qui, sans naïveté ni angélisme, en toute lucidité, est comme un baume qui réjouit, encourage… et peut-être guérit des blessures cachées?»

Vouloir aider l’autre, qu’il soit petit ou grand, jeune ou vieux, riche ou pauvre, de «haute condition» ou de place modeste…,

n’est-ce pas une disposition de cœur, fruit d’humanité véritable, et, comme le disait le Christ, Jésus, «de l’amour du prochain» ?

Et plus encore si cet autre est «minoré», ou pire, méprisé, voire rejeté, à cause de la couleur de sa peau, ses origines, son handicap, ou quelque autre signe qui le marque et l’amoindrit.

Un regard de bonté, une parole d’encouragement peuvent faire merveille.

«Une journée sombre peut en être illuminée» ainsi que l’écrivait si bien le poète.

Une parole, un geste, un sourire… surgissant à bon escient peuvent être un signe qui fait renaître le courage…

Le langage du cœur est universel, et compris sous toutes les latitudes.

Les mots, les expressions… peuvent n’être que formels… mais quand ils sont échos des sentiments de l’âme, nul ne s’y trompe.

Cependant, il faut beaucoup de délicatesse pour aider !

En premier lieu, ne pas se méprendre et prêter aux autres des états d’âme qu’ils n’ont pas… ou une situation qui n’est pas la leur…

De même, ne pas créer un échange équivoque en voulant secourir ou montrer une amicale attention.

Il n’est pas toujours facile de secourir. Une maladresse est toujours possible.

La meilleure intention peut être inadéquate ou inopportune ou… mal comprise et mal reçue !

Est-ce à dire que, la tâche étant difficile, il est préférable, plus sage de s’abstenir ?

Certes non !… mais agir avec réflexion, sagesse et mesure.

Il est rare que le langage du cœur, simple, chaleureux, authentique, ne soit pas compris par celui qui en bénéficie…

Elénore avait besoin d’un petit encouragement… et Bleunwenn l’a perçu et y a répondu avec joie…

A tous les âges, l’être humain, même celui ou celle qui paraît ou veut paraître
indifférent, est sensible à l’attention qui lui est portée… ou pour le moins, devrait l’être !

Ces messages, qui expriment la chaleur humaine, peuvent revêtir diverses formes…

Les paroles exclamatives, dénuées de tout apprêt de Bleunwenn sont pourtant d’une même essence et visent le même but que l’envolée littéraire de R.Kipling s’adressant à son fils, et dont voici quelques échos :

«Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie

Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir…

…Si tu sais être fort sans cesser d’être tendre, et te sentant haï sans haïr à ton tour,

Pourtant lutter et te défendre ;

Si tu peux supporter d’entendre tes paroles travesties par des gueux pour exciter des sots,

Et d’entendre mentir sur toi leurs bouches folles sans mentir toi-même d’un mot ;

Si tu peux rester digne en étant populaire…

…Si tu sais méditer, observer et connaître,

Sans jamais devenir sceptique ou destructeur…

Tu seras un homme mon fils.»

Quelle finale forte dans son extrême simplicité !

Et quelle leçon de courage et de dignité !

Une autre manière de dire «C’est très bien,… tu es courageuse» ou «Sois courageuse toujours».

L’essentiel n’est-il pas que passe ce courant d’amitié et qu’il transcende les relations humaines?

Dans un des Psaumes, il y a cette parole, venue d’en haut :

«Je garderai mon regard sur toi».

Promesse de Dieu à celui qui se tourne vers lui,

promesse qui nous invite aussi à regarder vers l’autre avec une semblable attentive bonté.

 

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