Malgré son dos un peu voûté et les quelques signes qui témoignent de son grand âge, Arès a encore assez fière allure lorsqu’il arpente d’un pas digne – bien que ralenti par l’arthrose – le champ bien entretenu où il coule une paisible retraite, près de Quiberon.

A 33 ans, le vieux cheval d’Emilie Ollivier est choyé par sa propriétaire à qui l’attache une indéfectible et vieille complicité.

Et pour cause : Emilie dit et redit à qui veut l’entendre qu’Arès lui a «sauvé la vie»…

Etudiante en lycée agricole à Laval, la jeune fille est victime d’un grave accident en novembre 1997 dans un haras de Vitré où elle effectue un stage : elle est découverte inanimée sur le sol, une large blessure à la tête, notamment, consécutive à la ruade d’un cheval, conclura l’enquête.

Après quinze jours, Emilie sort du coma, mais avec les séquelles d’un sérieux traumatisme crânien. Elle doit tout réapprendre, souffre de troubles de la concentration et de l’humeur, de syndromes dépressifs…

Ses amis s’éloignent d’elle; une solitude à moitié volontaire devient son univers… Et la compagnie d’Arès son refuge et sa «planche de salut».

Car c’est avec lui qu’elle va petit à petit, année après année, retrouver la force de vivre, l’équilibre, l’énergie; surmonter difficultés et vicissitudes…

Alors, quand à la mi-mars 2021, Emilie voit une militante d’une association de défense des animaux pénétrer sans autorisation dans le champ d’Arès, et apprend que «quelqu’un a déposé plainte contre elle pour maltraitance envers animal», la jeune femme est sidérée et révoltée !

Bien sûr, le vétérinaire venu ensuite examiner le cheval l’a trouvé en bonne santé. Il porte le poids des ans, tout simplement…

Mais ce genre de fait n’est-il pas le signe d’une dérive de l’époque ?

La délation a toujours existé, comme pourraient en témoigner les services du fisc et de la police, eux qui reçoivent tant de lettres et d’appels «courageusement» anonymes… Et les infamies de la Collaboration durant l’Occupation en sont aussi un éloquent rappel de triste mémoire !

Mais, comme d’aucuns s’en sont dernièrement inquiété, l’émergence récente et plus que légitime de la dénonciation d’abominations telles que l’inceste, la pédophilie, le viol (etc.), et d’une très nécessaire «libération de la parole», a hélas également favorisé une «libération» de bien bas instincts, où vengeances, jalousies, inimitiés et autres sont à la manœuvre !

Et il est ainsi des «justiciers» auto-proclamés estimant que leur «cause» leur donne tous les droits, ou des délateurs à l’âme gestapiste, qui se prennent pour d’éminents «lanceurs d’alerte», et parent leurs basses œuvres de prétentions ou de paravents vertueux…

Notre époque ne pourra faire l’économie d’un tri entre le vice et la vertu dans cette effervescence aux effluves parfois nauséabondes, sauf à vouloir ajouter de l’inquisition et de la surveillance généralisées à une société déjà gangrenée par la défiance.