«…Ne tuez pas mon père !»

Et l’enfant de six ans se jeta dans les jambes de l’homme, sergent de ville que les émeutiers avaient saisi chez lui…

L’enfant sortait de la même demeure et face à la foule armée qui criait : «A mort… Fusillez-le…», l’enfant en pleurs, pâle, répétait :

«Mais puisque je vous dis que c’est mon père…», et

«Père, je ne veux pas qu’on te fasse du mal !»

Victor Hugo, dans ce dramatique passage de «Guerre civile» décrit, avec toute la puissance et l’émotion de son art, les heures tragiques qui marquèrent Paris.

Son récit, sa sensibilité de poète ou simplement d’homme, sa grandeur d’âme font discerner, au-delà des faits et des mouvements de foule, les réalités superficielles ou profondes qui agitent et mènent les humains,

Victor Hugo,

interpelle chacun sur la violence, qu’elle soit aveugle ou calculée, qui peut conduire aux drames…

Son plaidoyer parle plus haut que tous les discours, car il s’adresse au cœur, 

à ce qui en l’homme est le plus noble, le plus pur, digne de sa vocation humaine.

Comme un écho,

au-delà du temps et des bruits de ce monde,

nous parvient son message :

«… Ne tuez pas mon père !

Quelques regards pensifs étaient fixés à terre,

Les poings ne tenaient plus l’homme si durement.

Un des plus furieux, entre tous inclément,

Dit à l’enfant : – Va–t–en ! – Où ? – Chez toi. – Pour quoi faire ?

 – Chez ta mère. – Sa mère est morte, dit le père.

 – Il n’a donc plus que vous ? – Qu’est–ce que cela fait ?

Dit le vaincu. Stoïque et calme, il réchauffait 

Les deux petites mains dans sa rude poitrine,

Et disait à l’enfant : – tu sais bien, Catherine ?

 – Notre voisine ? – Oui. – Va chez elle. – Avec toi ?

 – J’irai plus tard. – Sans toi je ne veux pas. – Pourquoi ?

 – Parce qu’on te ferait du mal. – Alors le père

Parla tout bas au chef de cette sombre guerre :

 – Lâchez–moi le collet. Prenez–moi par la main,

Doucement. Je vais dire à l’enfant : À demain !

Vous me fusillerez au détour de la rue,

Ailleurs, où vous voudrez. – Et d’une voie bourrue :

 – Soit, dit le chef, lâchant le captif à moitié.

Le père dit : – Tu vois. C’est de bonne amitié.

Je me promène avec ces messieurs. Sois bien sage.

Rentre. – Et l’enfant tendit au père son visage,

Et s’en alla content, rassuré, sans effroi.

 – Nous sommes à notre aise à présent, tuez–moi,

Dit le père aux vainqueurs ; où voulez–vous que j’aille ? – 

Alors, dans cette foule où grondait la bataille,

On entendit passer un immense frisson,

Et le peuple cria : Rentre dans ta maison !»

Si tous les violents et enivrés de sang de tous les siècles avaient entendu ce cri de Victor Hugo, combien d’entre eux, pères ou mères, frères ou fils,… auraient soudain vu, chez cet ennemi honni, haï… chez les siens… d’autres êtres humains comme eux-mêmes, comme leurs enfants, leurs vieux parents…

Combien, s’arrachant à l’élan, à la psychose de la foule ou de la bande, auraient rejeté les vociférations haineuses, les brutalités vengeresses ou gratuites, les pensées de meurtre, d’élimination…

La violence est de toutes les époques !

Et les raisons de son déchaînement sont diverses… tout autant que les idéologies qui la provoquent, 

ou l’absence d’idéologie que ne dissimulent même plus les instincts et pulsions méchantes…

Victor Hugo a fait jaillir un rayon de lumière,

une lueur d’humanité,

en faisant triompher soudain la sagesse, la miséricorde, la bonté, sur l’obscurantisme et la haine…

Le temps a passé… et notre monde est toujours en proie à toutes sortes de violences qui engendrent tant de souffrance.

Violence physique, jusqu’à la torture…

Violence morale,

violence affective…

Y a–t–il chez les «djihadistes» et autres personnages du même genre, et quels que soient leur «idéologie», leurs «motivations»,  «raisons» et «objectifs», une place pour «une lueur d’humanité» ?

On aimerait pouvoir l’espérer !

«La vie est sacrée» rappelle cette parole de lumière, tout comme cette affirmation de Sébastien Castellion : «Tuer un homme, ce n’est pas défendre une idée, c’est tuer un homme».

Mais la violence éclate aussi dans les «bagarres» multiples de «l’après–boire», ou même sans «l’après–boire», et même dans les enceintes sportives…

Elle blesse également parfois au sein du couple, de la famille…

Elle peut jaillir en tant de lieux…

Est–ce à dire qu’il faille tout accepter,

user de laxisme envers les fauteurs de troubles, et ceux qui veulent nuire et attenter aux libertés et à la vie des autres ?

Non! Rigueur et fermeté s’imposent ! Mais la réponse doit être juste et proportionnée.

Le respect du droit,

le recul indispensable d’une justice digne de ce nom,

la référence permanente et intangible aux «droits de l’homme»

sont les fondements de toute véritable civilisation.

Revendiquer, contester, manifester… sont des valeurs à protéger… mais la violence, la brutalité, la volonté d’éliminer, d’anéantir, sont des signes plus qu’inquiétants et des preuves d’immaturité, de non–intelligence, de régression humaine.

La «jungle» n’est pas un lieu de paix, d’harmonie, de respect de l’autre… !

D’où qu’elle vienne, la violence est à bannir…

L’écoute, le dialogue valent mieux que fureur et déchaînement.

Cela est tout aussi vrai dans le couple, l’entreprise, l’école… que dans tous les domaines de la société, et doit inspirer les instances les plus élevées – et s’imposer à elles – comme aux plus petits d’entre les modestes.

La Bible avertit chacun qu’il sera jugé avec la mesure dont il s’est servi pour les autres.

Elle célèbre la justice, mais magnifie de même la miséricorde et la bonté.