« Je n’ai jamais connu le vertige, mais des appréhensions, oui !… Le plus impressionnant n’est pas forcément la hauteur de l’arbre lui-même : se trouver à 20 ou 30 mètres dans un arbre à la ramure et au feuillage abondants est moins impressionnant que de se trouver accroché au tronc totalement ébranché d’un arbre de 15 mètres qu’on « démonte », c’est comme si l’on était sur un poteau…

L’environnement compte aussi : être dans un grand arbre situé entre deux immeubles ne nous donne pas une impression de grande hauteur, mais se trouver dans un arbre isolé au sommet d’une pente, au-dessus d’une vallée encaissée, est très impressionnant !… » nous a confié Pierre-Luc Lemaire.

Écouter un jeune qui a choisi d’exercer un métier relativement neuf et singulier, et de créer sa propre petite entreprise… C’est ce que « Regard d’Espérance » a souhaité faire ce mois-ci en interviewant Pierre-Luc Lemaire, qui a résolument choisi de rester « vivre et travailler au pays » dans ce Centre-Bretagne qui l’a vu naître et grandir.

Grand amateur de nature et d’activités en plein air, il s’est pour ce faire formé à un métier encore peu courant, mais en plein essor : « Élagueur-grimpeur », encore appelé « Arboriste-grimpeur »…

Une activité qui allie la science de l’arboriste, celles du jardinier, du bûcheron, du paysagiste, et celle de l’alpiniste pour parties…

Pierre-Luc n’est pas un grand bavard, ni quelqu’un qui aime paraître. Mais la passion de son métier fait sortir de sa discrétion un rien timide ce « taiseux » par tempérament, et permet de découvrir un jeune homme dont l’allure juvénile et la mesure cachent des richesses intérieures qui mêlent au sérieux de sa nature une sage

réflexion, une solide culture, une volonté de fer, un cœur généreux nourri d’une foi profonde…

Indéniablement, celui que son aisance dans les arbres a amené ses collègues à surnommer « l’écureuil » sait où il va, sans bruit, sans précipitation, mais sans atermoiements ni aventurisme.


Voudriez-vous vous présenter brièvement ?

« J’ai 22 ans. Je suis né à Carhaix et j’ai vécu toute mon enfance et ma jeunesse à la campagne, à Plounévézel, si bien que j’ai toujours été au contact de la nature. Je passais dehors beaucoup de mon temps libre, et j’ai fait du scoutisme depuis l’âge de 6 ans…

Mon père est professeur d’économie au lycée de Carhaix, et ma mère infirmière libérale à domicile, à Plounévézel. J’ai deux sœurs et un frère, et je suis marié à Youna, qui achève des études dans le domaine de l’administration du secteur sanitaire et social.

Ma scolarité s’est déroulée tout d’abord à Treffrin – à « L’Ecole du bois » ! – puis au collège et au lycée de Carhaix, après quoi j’ai fait un baccalauréat professionnel « Aménagement paysager », suivi d’une spécialisation d’arboriste-grimpeur, à Pontivy.

J’ai travaillé pendant quatre ans dans ce métier en tant qu’employé, et je viens maintenant de créer ma propre petite entreprise, toujours dans ce domaine : « Ar Menez Elagage ».

Je suis membre de l’église protestante du Centre Missionnaire, et très engagé dans ses activités.

Bien que mon travail se passe en plein air, c’est encore dans la nature que j’aime me retrouver pour me détendre : j’aime la photo animalière, la pêche, la marche en forêt… »

Vous vous êtes orienté vers un métier relativement nouveau – semble-t-il : élagueur-grimpeur… Est-ce réelle- ment une nouvelle profession ?

« L’on a bien sûr toujours coupé des arbres ! En cela, ce n’est pas une activité totalement nouvelle… Mais ce métier précis ne s’est développé que dans les années 1990.

C’est un métier d’élagage, mais aussi de taille et de soin des arbres. Il est né de l’intérêt que des personnes ont porté à leur développement.

Il est donc différent du métier de bûcheron et des autres métiers forestiers, étant lié à l’urbanisation, à la taille des arbres en milieu urbain : parcs, jardins… et à la multiplication des constructions de maisons individuelles à la campagne, en conservant des talus, et par conséquent des arbres proches des habitations…

Les agriculteurs du passé avaient une « culture » de l’arbre taillé en « têtard », sur lequel on coupait les branches pour avoir du bois de chauffage, mais dont on conservait le tronc.

Les paysans étaient généralement fermiers, locataires des terres qu’ils cultivaient, et si les champs et leurs talus et arbres appartenaient au propriétaire, le bail précisait souvent que le tronc de l’arbre restait à l’usage exclusif de ce dernier, mais que les branches revenaient au fermier.

Ceci dit, nous avons bien sûr des techniques communes avec les métiers de bûcheronnage – pour l’abattage des arbres, par exemple – même si le métier de bûcheron tel qu’il se pratiquait autrefois a tendance à disparaître, remplacé par la mécanisation de la sylviculture… »

En dehors des outils de coupe, votre matériel et votre équipement rappellent véritablement ceux des alpinistes – casques, cordages, mousquetons, vêtements… – de même que certains de vos gestes techniques… Êtes-vous des « alpinistes » des arbres ?

« Notre matériel est directement dérivé de l’alpinisme. Ce sont d’ailleurs les mêmes marques, les mêmes fournisseurs… Ce matériel a simplement été adapté à notre métier : les baudriers, par exemple, ont été un peu modifiés pour assurer un plus grand confort, puisque nous travaillons « dans » notre baudrier, suspendus à la corde… L’arbre sur lequel nous travaillons nous sert de support.

Nos cordes sont identiques aux cordes d’alpinisme, mais elles ont une moindre élasticité : les cordes d’alpinisme sont dites « dynamiques » car elles doivent pouvoir absorber le choc d’une chute grâce à un fort coefficient d’allongement, les nôtres sont « semi-statiques » car comme nous sommes déjà suspendus à la corde, celle-ci n’a pas de chute à enrayer.

C’est grâce aux cordes que l’on peut traiter correctement un arbre, car elles nous permettent d’aller en bout de branche… »

Pourquoi tout cet équipement très technique ?

« Pour la sécurité, essentiellement, et pour faciliter le travail… La préparation du matériel au sol, avant de grimper, doit être

aussi minutieuse que celle de l’alpiniste. Il faut être très organisé. Notre sécurité en dépend… Tout doit être prêt au sol, avant de grimper.

Mais nous avons aussi développé des techniques spécifiques de lancer de la corde dans l’arbre depuis le sol – par exemple – grâce à des petits sacs de plomb qui lestent des cordelettes plus fines, que l’on lance à cheval sur une branche ou une fourche, pour ensuite hisser les cordes, puis commencer l’ascension… Nous avons des normes à respecter en matière de diamètre pour la branche qui va nous supporter : 15 cm minimum…

Les meilleurs parviennent à lancer jusqu’à 30 mètres de hauteur ! Casques, baudriers, cordes, longes diverses – puisqu’il nous faut toujours avoir deux points d’ancrage, au cas où l’un cèderait – chaussures dérivées de l’alpinisme forment l’équipement de grimpe.

Manchettes spéciales, gants, pantalons anti-coupures (etc.) sont censés nous protéger des accidents de coupe…

Et nos outils principaux sont la petite tronçonneuse-élagueuse

– ou la grosse tronçonneuse pour abattre ou « démonter » un arbre – mais surtout les petites scies à main d’origine japonaise, qui sont en réalité plus dangereuses tant elles coupent : un doigt peut être sectionné en un seul coup de scie à main. »

Qu’est-ce qui vous a personnellement attiré vers ce métier ?

« Dès mon plus jeune âge, comme je l’ai dit, j’ai aimé être dans la nature. Très tôt, j’ai commencé à suivre mon grand-père dans le jardin. A ses côtés, j’ai appris à travailler dans le potager, puis en grandissant, à tailler les arbres fruitiers…

Aimant le travail concret, j’ai toujours pensé m’orienter vers un métier essentiellement manuel, et à l’heure du choix, j’ai opté pour des études d’aménagement paysager. C’était donc surtout l’aménagement de jardins, parfois étendu à celui du territoire…

Mais j’étais davantage attiré par l’entretien que par la création de jardins. La création est souvent liée à la recherche d’un effet artificiel, or je préfère le naturel… Ce qui fait que je me suis ensuite orienté vers l’entretien des jardins, puis au fil des stages, travaillant en contact avec des arboristes, j’ai décidé de faire cette spécialisation d’élagueur-grimpeur. »

Quelle formation avez-vous suivie ? Comment devient-on « arboriste-grimpeur » ?

« J’avais donc commencé par travailler comme « homme de pied » auprès d’élagueurs : tirer et broyer les branches au sol, tailler les haies, couper le bois de chauffage…

Mais avant même de pouvoir commencer la formation, il faut avoir fait un « bac pro », puis passer par une sélection. Il y a des tests de recrutement, destinés à évaluer votre connaissance des arbres, votre psychologie et vos capacités physiques…

La formation dure un an. Je l’ai effectuée en alternance, en centre de formation et en entreprise. Les formateurs sont des arboristes qui ont leur propre entreprise, des gens de terrain donc, qui connaissent bien tous les aspects du métier.

Certains d’entre eux font aussi de la compétition, car le métier donne lieu à des championnats d’élagage. Il est devenu un sport ! La formation est sanctionnée par un examen théorique et pratique, et par un diplôme pour ceux qui réussissent… »

N’est-ce pas une activité extrêmement physique, mais aussi relativement dangereuse ?

« Le métier est très physique. Il faut avoir des aptitudes et cela exige de s’entretenir physiquement. L’ascension d’un arbre sur cordes, et sur une quinzaine de mètres, est un exercice violent, notamment pour le rythme cardiaque. On fait une pause tous les 7 mètres… Ensuite, on travaille pendant des heures dans l’arbre, suspendu dans le harnais, et tout le corps travaille. Et ce travail demande une grande concentration, une vigilance permanente, parce que, oui, le danger existe, qu’il vienne de la hauteur, des outils employés, de la chute des branches, des conditions climatiques… »

Vous êtes-vous personnellement trouvé en danger ?

« Oui. On rencontre toujours des situations délicates. L’une d’elles intervient quand on « envoie » – c’est-à-dire que l’on fait basculer – la tête d’un arbre qui doit être « démonté » ; coupé à partir du haut, sa situation empêchant qu’on l’abatte, parce qu’il est trop près d’une maison, par exemple…

On a coupé les branches, et il reste le fût, dont on coupe le haut, qu’il faut faire basculer tout en se tenant soi-même sur le tronc, ayant des griffes aux chaussures et une longe autour de la taille… Comme pour l’abattage d’un arbre, on pratique une encoche directionnelle à la tronçonneuse pour orienter la chute, mais il arrive

parfois de mauvaises surprises !

Un jour, par temps un peu venteux, une tête de cyprès – normalement donc droite et équilibrée – a basculé derrière moi, heurtant mon épaule, au lieu de partir dans le bon sens…

Dernièrement, travaillant sur un très gros cyprès avec une grosse tronçonneuse, j’ai vu ma corde de rappel être rabattue par une saute de vent sur la tronçonneuse et se faire trancher. Heureusement que j’avais mon deuxième ancrage, comme l’exigent les normes de sécurité, sinon c’était la chute ! »

Quels sont les autres risques les plus courants ?

« Les coupures… Elles sont assez fréquentes. Il suffit d’une seconde d’inattention, ou d’un mauvais positionnement dû à la volonté d’aller vite…

La fatigue est souvent à la base d’un accident. Un malaise peut aussi survenir lors de l’ascension…

C’est pourquoi il faut maintenir une bonne préparation physique, et bien connaître ses limites. Il faut savoir redescendre au moindre problème ou signe de fatigue excessive… »

Quelle impression a-t-on lorsque l’on se trouve à 12 ou 14 mètres en haut d’un arbre ? Avez-vous eu quelquefois une sorte de vertige ?

« Je n’ai jamais connu le vertige, mais des appréhensions, oui !… Le plus impressionnant n’est pas forcément la hauteur de l’arbre lui-même : se trouver à 20 ou 30 mètres dans un arbre à la ramure et au feuillage abondants est moins impressionnant que de se trouver accroché au tronc totalement ébranché d’un arbre de 15 mètres qu’on « démonte », c’est comme si l’on était sur un poteau… L’environnement compte aussi : être dans un grand arbre situé entre deux immeubles ne nous donne pas une impression de grande hauteur, mais se trouver dans un arbre isolé au sommet d’une pente,

au-dessus d’une vallée encaissée, est très impressionnant !

Le balancement de l’arbre de même : certains bois bougent peu, d’autres, comme les eucalyptus, se balancent énormément, et c’est aussi impressionnant. Ce qui se trouve au pied de l’arbre joue également sur l’impression que l’on a…

J’ai travaillé au bord du canal dans des platanes de 35 à 40 mètres. C’était très impressionnant ! »

Le vent interdit-il momentanément l’activité ? Et l’orage ?

« Les orages sont peu fréquents en Bretagne, mais posent beaucoup problème aux élagueurs dans d’autres régions… Le vent est ici fréquent, et nous arrêtons de travailler en hauteur quand il atteint 70 km/h environ, ce qui remue déjà pas mal !

Mais la pluie accroît aussi le danger : les troncs, et les outils, sont rendus glissants… »

Ce métier n’est pas pour ceux qui ont peur, ni pour ceux qui seraient sujets au vertige, mais n’y aurait-il pas danger également pour des personnes trop sûres d’elles ou au tempérament aventureux ? Quelles qualités exige-t-il ?

« Il faut avoir beaucoup de maîtrise de soi. Être calme, réfléchi. Savoir dominer sa peur, notamment quand la situation évolue, que le danger augmente ; quand le vent se lève, par exemple…

Il faut bien se connaître. Celui qui a le goût du risque, qui veut repousser ses limites, se mettra plus en danger.

Je me souviens d’un collègue avec qui nous intervenions sur des arbres morts sur pied. Il montait toujours plus haut… Mais un arbre mort ne réagit pas comme un arbre sain. Il prenait à mon avis de gros risques…

De même, la « pression » que les employeurs mettent sur les équipes peut accroître les risques ou les réduire. La plupart des employeurs sont du métier et sont raisonnables en ce domaine. Ils savent les dangers d’un travail « sous pression ». Les exigences de vitesse d’exécution mènent tôt ou tard à l’accident ou à des dégâts matériels au sol…

Je le redis : il faut pouvoir rester très concentré, sur chaque geste, qui doit être pensé, calculé, et réalisé dans une position sûre et confortable.

Grâce aux techniques de bûcheronnage, l’on sait couper une branche de manière à la faire chuter à un endroit précis, selon la coupe, le balancement qu’elle va avoir, en la faisant « travailler » d’une certaine manière… Mais la moindre erreur de calcul peut entraîner de la casse au sol ! »

Comme en montagne, le travail ne doit-il pas s’effectuer en cordée d’au moins deux personnes ? Est-il possible en solitaire ?

« Nous ne constituons pas de cordée, puisque celui qui travaille dans l’arbre est seul, en auto-assurance, contrairement à l’alpiniste qui est souvent assuré par son camarade de cordée. Parfois, il nous arrive d’évoluer à deux dans le même arbre, en taille, mais travaillant séparément.

En revanche, il est préférable d’être deux sur un chantier, un en l’air, l’autre au sol, prêt à intervenir en cas de problème.

Étant seul dans mon entreprise naissante, je vais travailler au maximum en sous-traitance, donc avec d’autres sur un même chantier. C’est un choix, pour la sécurité notamment. Dans ce métier nous travaillons beaucoup en sous-traitance avec des paysagistes, ou en collaboration avec des collègues. »

Comme d’autres activités professionnelles très exigeantes physiquement, ce métier n’est-il pas fait pour des jeunes ?… Peut-on l’exercer en avançant en âge ?

« La majorité des arboristes sont jeunes, mais avec les nouvelles techniques qui se développent – le métier et le matériel évoluent constamment – l’on parvient à repousser l’âge où il devenait pénible de travailler auparavant.

On disait souvent qu’il devenait difficile de continuer après 40 ans, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui…

Mais cela dépend aussi de la façon dont on a travaillé pendant les premières années : il faut veiller à avoir les bons gestes, les bonnes postures, à travailler de manière réfléchie, à se ménager en ayant un emploi du temps équilibré, et à s’entretenir physiquement, sinon le corps va s’user plus vite…

Aujourd’hui, la taille, le « démontage » restent manuels et très physiques, mais le travail au sol s’est beaucoup mécanisé, ce qui soulage d’autant…

Mais c’est vrai que le soir, après une journée de travail, nous n’avons pas très envie d’aller faire du sport ! C’est l’avantage – ou l’inconvénient – du métier ! … Bien qu’une activité de course à pied modérée soit profitable, pour travailler l’endurance, nos efforts au travail étant plutôt violents… »

Quels types d’interventions êtes-vous amené à réaliser le plus souvent ?

« Le plus courant est le « démontage » : enlever un arbre situé dans un endroit qui en interdit l’abattage, à cause des risques, ou de la simple impossibilité : entre des habitations proches…

On coupe donc les branches, qui sont descendues grâce à des techniques de rétention, avec des cordages reliés à un système de freinage installé au sol, et commandé par « l’homme de pied ».

Puis le tronc est scié par « tranches », elles-mêmes descendues une par une…

Mais nous sommes aussi de plus en plus appelés pour tailler des arbres : la taille « sanitaire », qui consiste à enlever les branches mortes ou fragiles. Elle a surtout pour but de sécuriser l’arbre, en réduisant le risque de chute de branches dans des lieux fréquentés… On « ausculte » et visite tout l’arbre pour détecter ses défauts. Les tailles de maintien visent à contenir l’arbre dans son développement, son volume, quand il est situé à proximité de réseaux électriques, de toitures…

La taille d’éclaircie est aussi très demandée : elle consiste à alléger la masse du feuillage afin d’apporter de la lumière au sol, tout en conservant l’arbre.

Enfin, la taille dite « japonaise » est une taille esthétique, de « mise en plateau » de l’arbre, tout en respectant son développement naturel. Elle est plus adaptée aux conifères : cèdres, pins…

Pour la taille, nous travaillons beaucoup dans des jardins – particuliers et publics – des parcs, des domaines qui possèdent de vieux et beaux arbres… Or, un arbre vieillissant se fragilise et peut devenir dangereux…

Il nous arrive de haubaner des arbres classés : renforcer leurs grosses branches par des câbles.

Bien sûr, nous faisons aussi de la taille fruitière, de la taille de haies… l’entretien de jardins. »

Quels travaux ont votre préférence, et lesquels redoutez- vous davantage ?

« J’aime particulièrement tous les types de taille, qui sont le cœur de notre métier. C’est le domaine où nous pouvons vraiment mettre en œuvre notre savoir-faire. Abattre ou démonter un arbre peut-être impressionnant et apporter la satisfaction du travail bien fait, mais notre but est de conserver les arbres…

Et ce que j’aime le moins, c’est l’abattage, surtout lorsque les contraintes sont fortes, et même si les risques sont mesurés. »

N’est-ce pas un métier qu’il est plus agréable de faire « au soleil » ? Qu’en est-il de l’hiver breton… ?

« Il est certain que le métier est différent selon l’époque de l’année. L’on essaie de faire les tailles durant la période estivale, qui est souvent, de toute manière, la plus adaptée pour le végétal lui-même… Il y réagit mieux.

L’hiver est surtout la saison de l’abattage et du « démontage », ce que le temps fréquemment humide et venteux ne rend pas toujours agréable ! »

Comment expliquez-vous le développement de cette activité ces dernières années ?

« L’approche sociétale de l’arbre, sa médiatisation ont évolué. Des reportages dans les médias, des livres écrits sur les arbres remarquables ont intéressé et sensibilisé le grand public à cet aspect de l’environnement. Les arboristes ont été sollicités pour des émissions. Or, le métier est très large : certains font des expéditions scientifiques dans des contrées lointaines pour aller étudier des arbres rares, tiennent des registres sur leur évolution…

Les gens s’intéressent donc plus aujourd’hui aux arbres, et différemment d’autrefois, prenant conscience qu’on peut parfois les garder en taillant judicieusement plutôt que les abattre… Cette prise de conscience est liée à une certaine écologie. »

Ne conduit-elle pas parfois à une certaine idéalisation, pour certains un peu anthropomorphiste, qui mène à refuser tout abattage… ?

« Si, nous rencontrons des personnes qui voudraient que nous n’abattions aucun arbre… Or, il le faut parfois, pour la sécurité, ou si l’on veut que l’arbre voisin ne meure pas, mais puisse au contraire se développer !

On voit aussi des gens déplorer le travail des forestiers. Ils voudraient une forêt « naturelle », qu’ils idéalisent. Une forêt imaginaire. J’ai déjà travaillé en forêt, pour des élagages destinés à favoriser la pousse verticale et rapide des arbres. La forêt est pour le forestier ce que le champ de maïs est pour l’agriculteur. C’est de la sylviculture ! Le but recherché est totalement différent de celui que l’on a pour un parc, un jardin…

Bien sûr, chacun a mal au cœur de voir une superbe hêtraie, ou chênaie – de grands arbres majestueux poussant sur un tapis de mousse – être abattue, parce que ces arbres sont parvenus à maturité ! Mais la parcelle sera replantée… »

Après avoir exercé la profession en tant qu’employé, vous venez de créer votre propre société… Pourquoi cette orientation ?

« J’ai souhaité pouvoir gérer moi-même mon temps, notamment en raison du côté très physique dont nous avons déjà parlé : organiser ma semaine de manière à l’équilibrer, et à pouvoir continuer ce métier dans la durée…

Une autre raison de ce choix a été le contact avec le client. J’aime dialoguer, échanger avec la personne pour laquelle je vais travailler, apporter un conseil, dès la première rencontre, dès l’étude de chantier, plutôt que d’arriver pour exécuter une tâche à la suite d’un contact établi par un autre.

J’aime cette étape de la réflexion commune avec le client, dont la première question est souvent : « Que feriez-vous à ma place ? »

Parlez-nous un peu de l’expérience que vit un jeune qui crée sa propre activité professionnelle… Dans ce parcours administratif et technique, qu’est-ce qui vous a surpris, agréablement ou désagréablement ?

« La relative simplicité et la rapidité de l’enregistrement pour la création de l’entreprise m’ont positivement surpris. En une heure d’entretien avec la personne compétente, votre entreprise est ins- tallée et l’activité peut commencer… Il y a eu des progrès de faits en ce domaine-là, je pense.

Mais cela, c’est vrai une fois que les documents préparatoires nécessaires ont été réunis. Or, obtenir tous ces documents administratifs reste compliqué et fastidieux ! Il manque toujours un chiffre ici, une donnée là… et les formulaires à remplir n’en finissent pas !

J’ai eu la chance d’être entouré par des personnes compétentes, ce qui m’a facilité la tâche. Mais pour un jeune, se lancer seul, sans accompagnement, dans ce parcours peut s’avérer très ardu ! »

Cela s’est-il déroulé comme vous l’avez imaginé ou anticipé ? Vous attendiez-vous à un « parcours du combattant » dans un « maquis » de lois, règlements, statuts ?

« J’avais réfléchi à ce projet depuis déjà un temps, avais examiné les options possibles… Il a aussi évolué, surtout dans le choix des statuts possibles, qui sont très nombreux. J’avais bien soupesé le pour et le contre de ces divers régimes, en prenant des conseils auprès de gens du métier et de différents organismes…

Car la question est complexe, et c’est à ce niveau que l’on peut parler d’un « maquis ». Un exemple : si vous choisissez le statut d’élagueur-bûcheron, vous êtes inscrit au régime des artisans. Si vous êtes élagueur mais faisant de l’entretien de jardin, vous êtes dans le commerce… ! Et cela conditionne beaucoup la suite de l’entreprise ! »

Au regard de cette expérience, quels conseils donneriez- vous à un jeune qui souhaite créer sa propre activité ?

« Vraiment s’entourer de gens compétents. Rechercher un accompagnement. Demander des conseils. Et notamment, aller voir des professionnels du métier qui ont déjà fait cette expérience de création de leur propre société… Ces entrepreneurs-là savent réellement sur quoi insister, alors qu’une personne travaillant dans l’administration n’aura pas forcément ce même regard sur les réa- lités très concrètes du secteur d’activité où l’entreprise va se créer. Il ne faut donc pas se précipiter, mais prendre au contraire le temps de réfléchir, d’étudier les possibilités, notamment en fonction de ce que l’on envisage pour l’avenir de l’entreprise créée, son orientation future…

Et je conseillerais à un jeune qui sort de la formation – je ne parle pas de ceux qui ont déjà une expérience du secteur d’activité et qui se réorientent – de commencer par être salarié pour découvrir le métier avant de se lancer à son compte. J’ai ainsi eu la chance de voir et de faire beaucoup de devis, d’avoir une proximité avec les chefs d’entreprises où j’ai travaillé, d’avoir accès à des informations sur les divers aspects de l’activité : juridiques, économiques, techniques… parce que je m’y suis intéressé. »

Et quels aspects de la législation, ou des diverses dispositions, vous sembleraient à améliorer ?

« Une simplification des statuts des entreprises serait vraiment bénéfique ; un regroupement des statuts qui sont très proches les uns des autres… »

Beaucoup de jeunes sont interrogateurs, voire angoissés, quant au choix de leur futur métier. Et beaucoup s’engagent finalement dans les chemins battus sans enthousiasme… N’y a-t-il pas des voies méconnues, des possibilités ignorées du plus grand nombre, qu’une recherche persévérante et dynamique permettrait de découvrir ?

« Je pense que beaucoup de jeunes ont tort de suivre sans réfléchir la filière des études prolongées. En France, l’on pousse les jeunes dans cette voie, qui ne va mener nulle part pour beaucoup d’entre eux. On privilégie les études très théoriques, on méprise les filières professionnalisantes, qui sont délaissées… Alors que des métiers manuels, pratiques, sont à la recherche de jeunes formés et n’en trouvent pas. On manque aujourd’hui d’artisans dans des savoir-faire – de base ou plus pointus – qui offrent donc des débouchés où l’emploi est quasiment assuré, alors que l’on oriente des jeunes vers des filières qui les condamnent, ou presque, au chômage !

Il faut faire des études qui permettent d’acquérir une bonne culture générale, puis bien se former dans son métier, pour être

spécialisé, « pointu », et professionnel dans son travail… »

Vous avez déjà eu l’occasion de travailler en parc comme en forêt, ou chez des particuliers… ce qui vous donne certainement un autre regard sur l’arbre et les arbres, sur les bois et les forêts… En quoi votre regard a-t-il changé en ce domaine ?

« J’ai tendance à regarder aujourd’hui un arbre en observant son développement. Je cherche à comprendre son « histoire » : pourquoi tel arbre a des rameaux si tordus, ou si courts, alors que cette essence, dans un autre endroit, donne des rameaux plus longs… Je vois des « défauts », des maladies, ou simplement des spécificités dues à l’environnement d’un arbre.

Face à un arbre remarquable, j’ai aussi tendance à chercher comment je m’y prendrais si j’avais à y travailler : comment j’évoluerais dans cet arbre, les ancrages que je choisirais, les opérations à effectuer… Un travail de réflexion que nous faisons toujours avant de commencer.

J’ai un regard un peu conditionné par le métier ! »

Vous qui êtes amené à intervenir pour « démonter » des arbres devenus dangereux dans des jardins, quels conseils donneriez-vous pour les plantations ?

« Ne jamais planter un arbre trop près d’un bâtiment. C’est une erreur courante, et nous devons souvent intervenir pour démonter des arbres dont les gens n’avaient pas imaginé la vitesse de croissance et la taille qu’ils atteindraient un jour…

Je prends l’exemple d’un cèdre, belle essence à la mode : on plante devant la maison un joli petit cèdre, et quinze ans après on se retrouve face à un arbre de 10 à 15 mètres de hauteur, sans qu’on y ait pensé.

Il faut aussi éviter de planter des arbres trop près les uns des autres dans un jardin si l’on veut avoir des arbres esthétiques. Plantés serrés, ils vont entrer en compétition pour la lumière, et pousser en hauteur le plus vite possible, produisant donc du tronc, au lieu de s’épanouir en une forme harmonieuse.

A l’inverse, si on veut des arbres élancés semblables à ceux que l’on trouve en forêt, il faut planter serré. J’ai été impressionné, en travaillant en forêt, de voir à quelle vitesse poussent de jeunes plants de 40 cm que nous avions plantés. Trois ans plus tard, ils faisaient déjà 2 mètres ! »

L’on voit survenir de temps à autre des maladies qui ravagent certaines espèces – l’orme, le sitka, le cyprès, le frêne désormais… – que préconiser pour le choix des espèces d’arbre à planter dans les parcs et les jardins ?

« Nous sommes maintenant confrontés à des pathologies qui n’existaient pas, ou qui étaient rares auparavant. Cela est dû aux « voyages » des espèces, et du bois : comme les gens, les arbres « transportent » leurs maladies à travers les continents. L’import- export du bois et des plants contribue à la propagation des pathologies en dehors de leurs aires d’origine.

Les pépiniéristes parviennent à produire des « cultivards » résistants à certaines maladies.

Mais, de manière générale, je préconiserais de planter des essences locales, adaptées au climat de la région, de préférence. Elles sont plus résistantes, pousseront bien mieux… Les plantes exotiques se développent rarement bien, et l’on a souvent de grosses déconvenues. »

Une part de votre métier est de tailler des arbres… Les raisons de ces interventions peuvent être multiples, mais un arbre que l’on laisse pousser « naturellement » n’est-il pas l’idéal ?

« Si ! Mais ce n’est pas toujours possible…

Notre idée de l’arbre est qu’il n’a pas normalement besoin d’être taillé, et que nous n’allons donc intervenir qu’en raison des contraintes de son environnement.

Un arbre se développe en fonction du sol, des conditions climatiques… En Bretagne, par exemple, nous avons des arbres relativement petits à cause de la fréquence des vents, et de leur force. Hormis quelques sujets plus grands, un arbre adulte en Bretagne atteint généralement 20 à 25 mètres.

Il faut bien comprendre que toute intervention sur un arbre va lui occasionner des blessures, donc donner la possibilité à un champignon parasite de s’installer. C’est pourquoi, nous n’effectuons pas de grosses coupes. Elles fragilisent beaucoup l’arbre, en augmentant la surface de cicatrisation, voire le condamnent à terme en la rendant impossible… Quand on voit les mutilations infligées à des arbres !… Il aurait mieux valu les abattre tout de suite, car ils sont condamnés.

Tout l’intérêt de notre spécialisation d’arboriste-élagueur est précisément de permettre au client d’avoir un arbre dont la durée de vie est prolongée, en fonction de l’intervention nécessaire ou souhaitée, des contraintes qui ont exigé celle-ci… »

Vous avez choisi ce métier en partie par « amour de la nature »… Mais le rythme de travail, le bruit des machines… laissent-ils encore une place au « rêve », à la sérénité que l’on y recherche en général, et le temps pour goûter le contact avec cette nature ?

« Il est certain que l’on n’entend plus le chant des oiseaux quand on tronçonne ! Mais lorsqu’on taille ou éclaircit, en hauteur, à la scie à main, on voit des oiseaux venir se poser non loin de nous ; on voit des écureuils…

J’ai pu observer des cerfs en travaillant en forêt à la scie, plusieurs fois. »

Grimper dans les arbres est souvent un rêve et un geste d’enfant… L’appréciez-vous toujours autant ?

« C’est différent ! L’activité professionnelle n’est pas un loisir.

Certains jours, on se passerait bien d’avoir à grimper !

Et aujourd’hui, il m’est devenu assez difficile, psychologiquement, de grimper sans mon matériel de sécurité. Je suis un peu « perdu » et ressens une petite appréhension !… Par contre, grimper avec des cordes ne pose pas de problèmes. Les élagueurs qui font de la compétition en font un sport, un loisir.

En fait, ces compétitions comprennent divers exercices qui reproduisent des gestes du métier, sans réaliser des coupes ou des tailles effectives. L’arbre n’est plus que le support d’une activité sportive. Mais il y a même une épreuve de secourisme… Et des parcours chronométrés à faire dans l’arbre selon un itinéraire balisé, en ayant sur soi tout le matériel habituel ; du « grimper de vitesse », soit directement sur l’arbre, soit sur cordes.

Les meilleurs grimpent les 15 mètres en 14 secondes… Cela exige une vraie préparation physique de sportif de haut niveau. »