« Je crois qu’on peut passer son temps à se plaindre des difficultés de la situation actuelle… C’est vrai que les époques sont plus ou moins faciles, mais une fois que l’on a constaté le
fait, il ne faut pas rester là à geindre. Il faut y aller, avec les moyens que l’on a !…, nous a confié M. Le Bris.

Ses yeux d’azur rivés dans les vôtres, sa haute silhouette aux larges épaules penchée sur la table que ses mains martèlent avec retenue – comme pour rythmer et appuyer ses paroles – Alexis Le Bris émaille son propos mesuré de silences où il semble méditer un instant les mots dits avec parcimonie, évaluer si ceux qui pourraient suivre valent d’être prononcés, ou attendre de voir si vous souhaitez en entendre davantage…

Car on perçoit que ce Breton discret force un peu sa nature pour parler de lui-même. Mais cette timidité masque paradoxalement une profonde empathie naturelle et une véritable estime pour la convivialité.

Elle cache également une grande richesse intérieure, empreinte d’humanité, et un «parcours de vie» qui méritent d’être découverts.

Au fil de cet entretien fourmillant d’anecdotes, A. Le Bris raconte l’étonnant chemin d’un «petit paysan» du Kreiz-Breizh que rebutait l’école au point qu’il la fit un jour buissonnière…

Puis «monta chercher du travail sur Paris» sans rien en poche, sinon un C.A.P. et un rasoir – comme le firent tant de jeunes Bretons de sa génération – et finit à la tête de sa propre entreprise, édifiée dans un secteur de haute technologie et forte de quelque 50 salariés, auxquels il la céda au moment de revenir au pays vivre une retraite mûrement réfléchie et préparée… 

Voici les échos d’un destin singulier, qui réveille pourtant ceux d’une histoire bretonne
commune à tant d’enfants de l’Argoat.


Voudriez-vous vous présenter brièvement ?

« Je suis né à Callac en 1945. Jusqu’à 14 ans, j’ai été scolarisé à Callac. Très mauvais élève : je supportais mal l’autorité et le fait d’être enfermé dans un système, une structure. J’ai même fait l’école buissonnière pendant trois ou quatre jours, à l’âge de 6 ou 7 ans. Je partais le matin dans les champs au lieu d’aller en classe, et rentrais à la maison quand j’entendais sonner la cloche de fi n des cours.

Mais je l’ai un jour confondue avec la cloche de la récréation et suis rentré trop tôt… J’ai expliqué à mes parents ce qui se passait. Ils sont allés voir l’instituteur. Je ne sais
pas ce qui s’est dit, mais je me suis trouvé mieux après.

Cependant, j’ai réalisé plus tard comment un gamin peut vite mal tourner dans ces conditions… Cela fait réfléchir. Il faut faire attention aux jeunes, à leur orientation. Trouver ce
pour quoi chacun est fait, et le laisser aller dans sa voie…

« J’ai tout de suite été embauché : les Bretons avaient la réputation d’être travailleurs… »

A 14 ans, je suis entré au Centre d’Apprentissage à Lamballe pour préparer un C.A.P. de réparation de machines agricoles… Là, au contraire, je me suis retrouvé parmi les meilleurs, si bien qu’après mon C.A.P., on m’a proposé d’intégrer une Ecole Nationale qui regroupait les
meilleurs C.A.P. de France, à St Hilaire-du-Harcouët, en Normandie. Là, il fallait à nouveau être parmi les meilleurs, car l’école ne gardait que la moitié des admis après le premier
trimestre : 30 sur 60.

J’ai passé un deuxième C.A.P. de mécanicien en construction mécanique, puis un brevet de technicien.
Après le Service militaire, effectué – à reculons – dans l’aviation à Romilly-sur-Seine, il fallait trouver du travail. A l’époque, ce n’était pas difficile : je suis «monté à Paris» et j’ai tout de suite été embauché grâce à un contact qui m’avait été donné. Le fait de venir de Bretagne était un avantage : les Bretons avaient la réputation d’être travailleurs…

Je suis resté douze ans dans cette société, la C.F.I. (Compagnie des Fours Industriels), spécialisée dans la fabrication de fours pour le traitement thermique des métaux : de très grosses installations et des technologies de pointe.

Nous travaillions pour l’industrie automobile, l’aéronautique (etc.) dans toute l’Europe. Je faisais les montages et les mises en service des installations sur les chantiers. La semaine de travail était de 54 heures : 10 heures par jour, plus 4 heures le samedi matin, sans compter les heures de route. C’était une autre époque !…

En 1980, avec un collègue de travail – Guy Bourdet, Breton de St-Malo – nous avons monté notre propre entreprise, dans le même secteur industriel : la SERTHEL.

Nous avons travaillé ensemble pendant 20 ans, développant cette société, qui est passée de deux employés au départ à une cinquantaine, quand nous l’avons cédée, en interne, à notre directeur technique. Je suis resté avec eux pour les aider dans la transition jusqu’en 2005.

« Auprès de mon père, j’avais coupé le foin, le blé avec des chevaux… »

Et je suis venu vivre ma retraite en Bretagne, à Callac.

Moi qui n’ai pratiquement jamais pris de vacances durant ma vie professionnelle, je me suis pris de passion pour les chevaux bretons. J’en ai trois et je fais de l’attelage. Chaque matin, quand il ne pleut pas trop, j’attelle et je vais dans les chemins creux et sur les petites routes du secteur. J’ai d’ailleurs créé une association pour nettoyer et entretenir les chemins creux : Diharzer… Pour moi, c’était un peu un retour aux sources, à la vie que j’avais connue à la ferme dans mon enfance. Auprès de mon père, j’avais coupé le foin, le blé avec des chevaux. Dès l’âge de 8 ans, on conduisait l’attelage des faucheuses…

Mes parents étaient agriculteurs, mon père de Kernestic, ma mère de Rosfao, à deux kilomètres. Après leur mariage pendant la guerre, ils se sont installés sur la ferme familiale
de Kernestic. Six mois plus tard, un frère de mon père rentrait des camps de prisonniers en Allemagne. L’on n’avait plus de nouvelles de lui depuis 5 ans, et on l’avait cru mort.

Il était dans l’état de santé que l’on imagine… Mes parents ont décidé de lui laisser la ferme et, ne trouvant pas d’autres fermes, ont déménagé dans un petit logement à Callac.

« A l’époque, les vacances, c’était le travail aux champs… »

Mon père s’est mis à travailler dans les carrières, puis à faire du bois de chauffage qu’il fendait à la hache, puis à vendre du charbon, et ensuite du fuel, puis à fabriquer des parpaings pour le bâtiment…

Durant les quatre ou cinq premières années de ma vie, j’ai surtout été élevé par mes grands-parents, à la ferme à Rosfao, «heureux comme un pape». J’étais dans la campagne, auprès de mon oncle et de ma tante qui étaient jeunes.

A l’époque, dans les campagnes, les vacances, c’était le travail aux champs…

Je me suis marié en juin 1968, avec une jeune Bretonne qui travaillait à Vitré dans les P.T.T. Nous avons un fils et des petits-enfants. »

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