«A 18 ans, j’ai vécu quelque chose de très fort avec beaucoup d’émotions… J’ai gagné mon premier vrai concours!

Mais je venais de perdre mon oncle, et c’est grâce à lui que je joue de la cornemuse… Quand j’ai gagné ce concours, forcément il y avait la joie de l’approbation du juge disant que j’avais fait une belle interprétation.

Mais il y avait une autre source d’émotion… Quand j’ai reçu cette première place, mon père m’a regardé droit dans les yeux… ils étaient remplis de larmes! Il y avait une cohue autour de nous, beaucoup de monde voulait me féliciter, mais je voulais me mettre à l’écart pour ne pas gâcher ce moment avec lui… », nous a confié C. Le Bozec, lors de l’entretien, réalisé quelques jours avant le décès de son ami proche Soïg Sibéril.

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Les «couleurs» d’un «Gwen ha du» qui flotte au vent, quelques notes de bagad ou de soliste qui résonnent, et le Breton de sang comme d’adoption, a le cœur qui vibre…

Cédric Le Bozec y est très sensible, il l’a fortement ressenti en lui depuis tout petit et dans son auditoire plus tard, quand, sonneur de cornemuse, il a commencé à monter sur scène.

Et c’est d’ailleurs, dit-il, ce qui donne tout son sens à ce qu’il fait.

Il a aimé, il a joué, il a enseigné cette musique et ses instruments, jusqu’à maintenant en concevoir lui-même depuis son atelier «Breizh piping», créé dans la petite commune centre-bretonne de Treffrin.

Parmi d’autres innovations, c’est là qu’a mûri et abouti –en collaboration avec des amis écossais spécialistes– l’idée d’une cornemuse adaptée à la taille des enfants, premier modèle au monde!

Très disert, cet expert s’exprime volontiers, convaincu et convaincant… Vous l’écoutez avec autant de plaisir que d’intérêt, et «mille questions» surgissent que vous voudriez lui poser!

Nous en avons sélectionné quelques-unes…

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  • Voudriez-vous vous présenter brièvement ?

«Je suis sonneur de cornemuse. Né d’un père sonneur également, j’ai été bercé au son de la cornemuse et me suis très vite moi-même mis à l’instrument…

Je suis aussi devenu saxophoniste parce que la cornemuse était acceptée seulement en option au conservatoire. Et c’est la musique classique que j’ai dû étudier pour pouvoir obtenir mes diplômes et devenir professeur… (Depuis ce temps d’ailleurs, nous n’avons cessé de nous démener auprès du ministère de l’Éducation Nationale pour faire accepter la cornemuse et la musique traditionnelle!)

Parallèlement, mon père m’a amené vers des professeurs de renom dans le monde de la cornemuse. Ils étaient passés par l’Écosse et avaient des compétences reconnues aussi auprès du ministère de la Culture, la Jeunesse et les Sports. Entourés de ces techniciens, j’ai assez rapidement gravi les échelons en tant que soliste, joueur en couple et joueur de bagad.

Mais j’ai donc dû beaucoup travailler le saxophone aussi, un minimum de 3 heures par jour… J’avais un excellent professeur qui m’a permis de perfectionner les notions de souffle, de vélocité dans les doigts, etc., que je possédais déjà et d’acquérir rapidement le niveau pour obtenir le diplôme d’État en saxophone qui m’ouvrait la voie du professorat.

Très vite, j’ai été pris dans une école de musique sur Rennes et j’ai enseigné ensuite à Sonerion, pour la Fédération…»

  • Quand et comment cet engouement s’est-il mué en passion ?

«J’ai grandi dans ce milieu, avec un papa président d’une association bretonne de solistes de cornemuses et toutes ses relations qu’il me faisait partager… Il jouait et s’occupait également d’un bagad, de plusieurs manifestations, concours et championnats de sonneurs en couple, etc. J’ai donc vraiment été “dans le chaudron” tout petit!

Cependant, je fais remonter le véritable point de départ de cette passion à une visite chez Alan Stivell. Mon père et lui étaient amis, et il arrivait à Alan d’emprunter sa cornemuse…

Nous habitions Gourin, lui Langonnet. Un jour, je devais avoir 7 ans, alors que les adultes profitaient d’une belle soirée pour dîner ensemble à l’extérieur, son fils m’a introduit dans leur longère et plus particulièrement dans la grande mezzanine qui faisait tout le tour du salon: je n’en croyais pas mes yeux! Il s’y trouvait là tellement d’instruments, plus attirants les uns que les autres: harpes, guitares, cornemuses, bombardes, batterie… Il y avait tout ce dont je pouvais rêver! Et j’avais l’autorisation d’en jouer!

Ce jour-là est resté gravé ! Je me suis mis à rêver de devenir un musicien… Et j’ai par la suite rencontré des gens qui m’ont amené à me rendre compte que le rêve était permis… En fait, c’est cela : le rêve est permis et doit faire partie de nous !

Cela ne fait qu’accroître la motivation et l’envie de se surpasser…

J’ai très tôt eu envie d’en faire mon métier, sans vouloir forcément être artiste. Monter sur une scène n’était pas l’objectif premier… Sauf que, très vite l’on monte sur une scène et très vite on y prend goût, très vite on partage avec le public et l’on est animé par ce partage, qui devient une sorte de passion, on ne peut plus s’arrêter! L’envie de transmettre vous gagne… Le retour du public est souvent touchant, et c’est d’ailleurs ce qui donne du sens à ce que l’on fait….

Tout au long de mon parcours, j’ai eu la chance de faire de magnifiques rencontres et d’avoir de superbes professeurs, américains, texans notamment, australiens aussi, écossais bien sûr…»

  • Quelle est la spécificité du saxophone et quels liens peut-il avoir avec la cornemuse ? Quels liens et différences entre la musique traditionnelle (celte en l’occurrence) et la musique dite classique ?

«La musique pour moi est universelle et l’on peut marier les musiques de tous les pays et de toutes les cultures, traditionnelles et classique…

Le conservatoire, à l’époque où j’y suis entré, était très élitiste et il fallait apprendre le solfège d’une telle manière, il fallait apprendre l’instrument d’une telle manière… Nous étions 10 au moment de commencer cette formation, mais plus que 5 pour la finir!

Cette manière de concevoir et de mener l’enseignement était aux antipodes de ce que j’avais pu apprendre auparavant. Mais même si je n’adhérais personnellement pas à la méthode, je sentais bien que cette rigueur solfégique me servirait pour la musique traditionnelle.

Bien maîtriser le solfège, mieux cerner une partition et son aspect rythmique, permet de laisser plus facilement libre cours aux émotions dans l’interprétation… Je trouvais donc intéressant cette espèce de rapport entre la musique classique et la musique traditionnelle. D’autant plus, comme je l’ai dit, qu’elles peuvent très bien se marier…

Et le saxophone m’apportait aussi, cet instrument me plaisait. Il n’est pas forcément facile à jouer mais il n’est pas difficile à faire sonner, vibrer.

J’avais appris à chanter avec Manu Kerjean –maître chanteur traditionnel du pays Fisel, personnage haut en couleur!– qui m’avait d’ailleurs déclaré que si je voulais comprendre la musique, il fallait que je chante avec lui… Et il n’avait pas tort! En musique comme ailleurs, il est important de savoir écouter et recevoir des anciens…

Il avait une connaissance de la musique, de la danse Fisel notamment et du Plinn, incroyable!

Il était excellent animateur de Fest Noz: sans se soucier de techniques vocales, etc., il chantait avec “cette voix bretonne” qu’il allait chercher au plus profond de lui-même en faisant vraiment ressortir les émotions de manière très particulière. C’est ce qu’il m’a appris et, je trouvais qu’au saxophone, je pouvais exprimer ce chant et le reproduire en quelque sorte, à travers l’instrument!

Mon professeur, M. Le Moigne, qui était le premier saxophone de l’équipage de la flotte à Brest, l’a ressenti et il m’a dit: “Mais tu chantes dans ton saxophone, c’est impressionnant!”

Il m’a pris sous sa houlette et en trois ans m’a beaucoup apporté…»

  • Qu’est-ce qu’un bagad (composition, etc.) et comment fonctionne le classement ?

«Les bagadoù sont nés de différents échanges culturels, notamment entre l’Écosse et la Bretagne. Avant, la bombarde se jouait en couple avec le biniou, mais lorsque l’on a vraiment découvert la cornemuse, surtout au moment de la Seconde Guerre mondiale, notamment lors du débarquement –comme l’a rendue célèbre la scène du film «Le Jour le plus long» qui rend hommage au jeune soldat-musicien écossais Bill Millin qui joua imperturbablement de son instrument sous les tirs ennemis pour encourager ses camarades– l’on s’est rendu compte que le son de la bombarde et celui de la cornemuse étaient assez proches et se mariaient très bien…

Peu à peu, les premiers bagadoù ont alors commencé à prendre forme, les cheminots de Carhaix en étant reconnus les précurseurs.

Actuellement, un bagad se compose au minimum de cinq cornemuses, six bombardes, deux caisses claires, un tambour et une grosse caisse, et doit réunir au moins 17 musiciens. Il n’y a par contre pas de limite maximum, il arrive qu’un bagad se retrouve en compétition avec un effectif de 60 voire 70 musiciens!

C’est Sonerion, la fédération qui “chapeaute” l’ensemble des bagadoù, mais chaque département est géré par sa propre association. Personnellement, je dépendais par exemple de celle des Côtes d’Armor et étais missionné pour intervenir dans quasiment tous les bagadoù du département…

Un peu comme au foot, il y a des catégories de la cinquième à la première et jusqu’à présent deux concours annuels, un l’hiver et un l’été. Le jury est constitué de 12 juges spécifiques dont les notes s’additionnent. En Écosse, il faut avoir été formé et même passer un diplôme pour pouvoir faire partie d’un jury, ce qui n’est pas le cas en Bretagne.

Le groupe qui gagne et devient premier de son classement peut monter en catégorie supérieure, celui qui perd descend dans la catégorie inférieure. En fait ce sont deux bagadoù qui montent et deux qui descendent chaque année. Et le tout premier bagad de la première catégorie devient le champion de Bretagne!»

  • Bombarde, biniou bihan, biniou kozh, biniou braz, cornemuse… ces instruments sont parfois confondus. Quels sont leurs différences et leurs points communs ? Qu’apportent-ils de différent au sein d’un bagad ?

«Chez nous en Bretagne, la cornemuse, la bombarde, et le biniou ont en point commun la musique qui va être jouée avec l’instrument, notre musique traditionnelle bretonne. Elle est jouable sans aucun problème par chacun d’entre eux, à la fois dans l’aspect technique et culturel.

La cornemuse est un instrument qui vient d’Écosse, le biniou vient de Bretagne. Il est joué chez nous depuis des siècles en couple avec la bombarde, notamment pour les mariages et autres cérémonies.

D’ailleurs, à l’époque, la date des mariages ne se fixait pas comme aujourd’hui avec le traiteur et la mairie pour la disponibilité des salles, etc., mais bien pour celle des sonneurs. Il se faisait même un marché aux sonneurs: ils n’avaient pas d’étalages de légumes ou autres mais jouaient de leurs instruments et parmi les gens qui passaient, les futurs mariés faisaient leur choix et “concluaient l’affaire” sur place en réservant les musiciens si la date convenait…

Le chef est celui à la bombarde, le son de son instrument est directionnel, c’est lui qui mène la danse, qui peut parler en jouant (lors de ses pauses dans le morceau)… les joueurs de biniou sont souvent appelés les “suiveurs”.

Le biniou a un son très aigu, beaucoup plus strident, avec un chalumeau plus petit que celui de la cornemuse et une octave supérieure à la bombarde. Par contre, la cornemuse et la bombarde sont à la même hauteur de son.

Dans un bagad, il est donc plus compliqué d’introduire plusieurs binious, d’autant plus qu’ils sont plus sensibles également et extrêmement difficiles à accorder. D’autre part, les joueurs de biniou ont toujours eu davantage cet esprit du couple de sonneurs…

Le biniou a un bourdon, la cornemuse en a trois, plus grands…

Certains bagadoù ont souhaité modifier des paramètres de la cornemuse écossaise pour mieux l’adapter à la musique bretonne et en faire une cornemuse « en do » plutôt qu’en si-bémol, que l’on appelle aussi “cornemuse bretonne”. Les binioù kozh et binioù bihan désignent maintenant les binioù en général et le biniou braz, c’est la cornemuse.»

  • Vous avez développé une véritable virtuosité à la cornemuse, et êtes passé par de prestigieux bagadoù comme le Bagad Bleimor, le Bagad Cap Caval… Comment évolue-t-on et gravit-on les échelons au sein des bagadoù et plus généralement en musique traditionnelle ?

«Il n’y a jamais eu de programme pédagogique véritablement établi. A l’époque, l’on jouait par mimétisme et pour le plaisir de sonner, de se rendre ensemble au championnat à Lorient pour essayer de gagner… C’était davantage un loisir.

Pendant de nombreuses années, il n’a existé aucune règle proprement dite. A un moment, les professeurs de Sonerien ont voulu introduire un système de cycles un peu dans l’idée de ce qui se fait au conservatoire, pour gagner en crédibilité, en lisibilité aussi, mais la fédération n’a pas suivi…

Les critères d’évolution de chacun ne sont pas clairement définis, ce qui entretient un certain flou pédagogique et artistique et ne stimule pas la motivation à progresser.

C’est un débat dans la musique de bagad…

Mon parcours personnel est un petit peu atypique. J’étais vraiment passionné, je m’entraînais beaucoup dans ma chambre: quand ma mère espérait que je travaille mes maths, en fait, la porte fermée, je travaillais ma technique avec un élastique sur l’anche de mon practice pour qu’il soit plus silencieux… (Le meilleur au monde comme le débutant, tous les joueurs de cornemuse s’entraînent avec un practice, pour s’exercer, apprendre à jouer des morceaux, déchiffrer et mémoriser les partitions qui doivent toujours être connues par cœur, c’est plus pratique!)

J’ai aussi eu la chance d’avoir de très bons professeurs avec une certaine discipline et une rigueur que je pense indispensables en musique comme en sport ou ailleurs…

En six mois, j’avais passé mon premier concours en bagad et j’ai rapidement été orienté vers de plus grands bagadoù comme Bleimor et Cap Caval, tout jeune parmi des musiciens plus anciens…

Le bagad Bleimor («loup de mer» en breton) était à l’origine issu du groupe scout Bleimor à Paris, et Alan Stivell qui en a été le penn-soner pendant près de dix années en a fortement marqué l’histoire…

Je me suis mis à travailler tous les répertoires de la cornemuse: celui de la musique bretonne mais aussi écossaise et irlandaise… J’étais déterminé, avec la motivation de tendre à aller plus haut: vous gagnez des concours en soliste, où vous vous trouvez parfois en duel avec vos professeurs… et vous gravissez ainsi les échelons.»

  • Vous avez dirigé durant plusieurs années le bagad de Bourbriac, le hissant jusqu’à la première catégorie. Comment cette impressionnante ascension a-t-elle été possible ? Qu’est-ce qui fait la réussite d’un bagad ?

«J’enseignais dans une école de musique à Rennes, tout en continuant à travailler le saxophone à Brest et il devenait difficile de tout concilier. Il me fallait faire des choix artistiques et professionnels: j’ai opté pour Sonerion à plein temps dans les Côtes-d’Armor et l’on m’a alors proposé de prendre la responsabilité du bagad de Guingamp. Nous sommes montés du bas de la seconde en première avec de très bons résultats.

En parallèle, je travaillais aussi avec le bagad de Bourbriac et j’ai décidé de quitter Guingamp pour m’investir pleinement à Bourbriac.

Effectivement, pour passer des catégories inférieures à la première, il faut avoir un plan bien établi dans la pédagogie. Je me suis basé sur le programme de cycle dont j’ai parlé, en veillant à garder rigueur et discipline dans le travail personnel comme collectif lors des répétitions ensemble, moments d’entraînement comme au foot… C’est ce qui m’a permis de tenir mon cap. Musicalement, il faut que le groupe adhère à tout ce qu’il va jouer. Le secret de la réussite réside dans l’alchimie du groupe, l’énergie musicale commune, l’esprit d’équipe… C’est avant tout une aventure humaine! C’est ce qu’il y a de plus fort!

Mais le côté associatif est intéressant, l’on peut avoir le bagad de la compétition, le bagadig –bagad-école– et le bagad plijadour, le bagad loisir, pour se faire plaisir, et là on peut ouvrir la porte à toutes les catégories de joueurs… Les associations qui arrivent à porter ce genre de projets sont riches humainement et sont fortes de caractère parce que tout le monde y retrouve son compte, et sa place!»

  • Vous jouez avec des grands noms de la musique celte et bretonne tels Alan Stivell, Soïg Sibéril… vous avez également créé un groupe de musique… comment sont nées ces collaborations ?

«Je crois que j’ai eu la chance de faire les bonnes rencontres au bon moment!

Le parcours s’ouvre alors et il faut y croire, y aller!

Pendant tout un temps, j’étais sonneur de bagad, professeur de musique et j’en étais content, j’aimais cette vie…

A 20 ans, j’ai joué dans un groupe de rock celtique où je portais le kilt et tout, l’on a fait de superbes scènes. Le temps a passé, mais j’ai finalement quitté ce groupe qui faisait trop la fête à mon goût, cela ne correspondait pas à mon ADN de travail. Et je me suis en quelque sorte un peu «freiné» quant à beaucoup d’artistes parce que je ne m’y retrouvais pas…

Mais j’ai aussi fait de magnifiques rencontres avec des artistes incroyables!

Quand Eric Legret a ouvert ici à Treffrin le café-images l’Atelier, beaucoup d’artistes sont passés, j’ai pu en rencontrer, échanger, jouer et me faire entendre aussi…

C’est là que j’ai rencontré Soïg Sibéril. Nous avons joué pour la première fois ensemble pour l’hommage aux sœurs Goadec, originaires de Treffrin aussi… Ce n’était que le début d’une longue et belle collaboration! Sans cette rencontre, je n’aurais peut-être jamais pu partager les planches avec lui!

Quant à Alan Stivell, même si nous nous étions perdus de vue, il me connaissait de nom notamment parce qu’il suit les résultats des concours, et c’est quand il a confié à un ami –que nous avons en commun– le soin de lui sélectionner deux cornemuses pour l’orchestre symphonique de la tournée de ses 50 ans de scène, que cette collaboration m’a été proposée. J’ai bien évidemment tout de suite accepté!

Nous avons fait quelques gros concerts, des répétitions aussi pour l’enregistrement de son dernier album live… Nous avons joué ensemble à Paris, à Pleyel, au Liberté à Rennes et au Festival interceltique à Lorient.

Je travaille aussi avec d’excellents joueurs de cornemuse écossais et un australien depuis que, par des concours de circonstances assez incroyables, un de mes anciens jeunes élèves, qui est allé passer son doctorat à Bergen, nous a mis en relation. Ils ont aussi, pour plusieurs d’entre eux, des entreprises de fabrication d’instruments, cornemuses traditionnelles et maintenant également électroniques, que l’on appelle «digital chanter».

J’ai par ailleurs créé, en 2009, le groupe Breizharock qui mêle sur scène cornemuses, bombardes, claviers, batteries et guitares… Enregistrements pour sortie de CD et concerts se sont succédé depuis et sont toujours d’actualité…»

  • Vous êtes aussi bien «cornemuse solo» que joueur au sein du pupitre des cornemuses d’un bagad… Y a-t-il des différences dans la façon de jouer, ou peut-être dans le type de morceaux joués ? Lequel a votre préférence ?

«Les deux sont différents, mais complémentaires… c’est un “challenge” différent, des ambiances différentes. L’on peut jouer les mêmes morceaux, mais nous allons les jouer différemment: en bagad, on va vraiment se concentrer sur le strict respect d’une partition rythmique et technique. En solo, l’on est beaucoup plus libre parce que l’on se rapproche de ce phrasé chanté. La base c’est le chant. Si j’ai envie d’apporter des éléments techniques à un moment donné, parce que je le ressens comme ça, pour relever le danseur, (ou pour relever le jury, parce que je vois qu’il va s’endormir par exemple!), je peux le faire et ainsi “pimenter” un peu ma musique… En musique bretonne, au fest noz, un peu «d’improvisation» n’est pas interdit! Il faut savoir mettre de l’émotion dans ce que l’on joue! Je dis parfois avec un peu d’humour à mes jeunes élèves qui pensent avoir bien joué, que si la grand-mère assise au fond de la salle, n’a pas eu à un moment envie de se lever pour danser, ils peuvent rentrer chez eux sans leur dû!

Jouer dans des groupes à haut niveau, comme les “pipe bands” en Écosse, exige une maîtrise technique individuelle très poussée, un entraînement très rigoureux avec un gros investissement de mémorisation: les partitions doivent être parfaitement connues, par cœur, tout doit être vraiment enregistré, répété, re-répété… Rien ne peut être laissé au hasard, la moindre erreur est fatale! Car là-bas, on ne joue pas avec le groupe, on joue pour le groupe! Personnellement, j’apprécie beaucoup de pouvoir y être associé!»

  • Sonerion a défrayé la chronique ces derniers temps en raison de problèmes financiers faisant peser une menace sur les concours de bagadoù… Quelles seraient les conséquences d’une «mise en pause» des concours ?

«Je trouve que la mise en pause des concours est problématique, c’est comme si on s’entraînait sur un terrain de foot sans championnat, sur un tatami de judo sans compétition…

Le concours motive à travailler pour progresser, à se surpasser pour faire de son mieux sur une performance musicale et artistique.

C’est un travail collectif mais aussi individuel. Si faute de concours, un bagad ne peut plus monter alors qu’il pouvait prétendre à la catégorie supérieure, tout va rester figé… Un jeune musicien motivé va être tenté d’aller frapper à la porte d’un autre bagad.

Ils vont alors rechanger les règlements, des “transferts” vont avoir lieu… Les gens pourront plus facilement aller voir ailleurs, préférant certains groupes, certaines énergies: “l’herbe est toujours plus verte à côté!”

Il y a certes des soucis financiers, mais ils sont prédits depuis longtemps!

Il est vrai aussi que l’organisation des concours coûte cher: louer le Quartz à Brest, le palais des congrès à Pontivy, etc., représente un certain budget, mais sans doute y a-t-il d’autres solutions! Et les concours d’été en plein air ne demandent pas autant d’efforts financiers. Il y aurait moyen de s’arranger, c’est déjà par exemple, le Festival Interceltique qui prend en charge certains frais comme la Sacem…

D’autres endroits pourraient aussi être envisagés, pourquoi pas, aux beaux jours, le parc du château de Tronjoly à Gourin? C’est dans l’ordre du possible et de la bonne ambiance: toutes les catégories de la cinquième à la première pourraient s’y retrouver en plein air (avec scènes et chapiteaux ou pas, comme en Écosse) nous ne serions plus sur des locations de salles, et des budgets hors normes!»

  • Après 25 ans d’enseignement, vous avez choisi de créer votre propre société «Breizh piping» et de maintenant vous y investir pleinement, en quoi consiste-t-elle ?

«En 2018, j’ai commencé à travailler avec les écossais. J’ai été invité dans un atelier à Kircaldy –au nord-est d’Edimbourg côté mer– chez John Elliott, excellent piper mais aussi fabricant d’anches, qui est devenu un ami, hélas décédé aujourd’hui… Il avait créé sa propre marque “G1”, et m’envoyait des vidéos, des enregistrements puis par la poste le produit innovant qu’il avait réalisé (un “chanter” en anglais, appelé aussi “chalumeau” en français). Et moi j’analysais et lui présentais mes propositions de modifications…

C’est un peu compliqué à expliquer: il s’agissait en fait de concevoir un “chanter” en do… Complexe question de fréquence d’accordage, succession de modifications sur des prototypes pour obtenir, toujours des harmoniques égales, les mêmes notes, mais avec une hauteur de son différente, moins aiguë, plus compatible avec la bombarde.

Travail long et minutieux donc, jouant sur d’infimes paramètres qui, changeant légèrement le son, vont produire celui qui va nous plaire.

Je me suis attaché à trouver une dynamique dans le produit pour que les groupes en Bretagne en soient satisfaits et l’adoptent.

Je travaille aussi avec Wallace, une autre entreprise dirigée par un autre ami, Graig Munro et située sur Paisley au sud-ouest de Glasgow, mais cette fois sur un autre élément des cornemuses: le bourdon.

Bien que les déplacements en avion soient chers et la vie là-bas aussi, je me rends souvent sur place. Dans mon activité, il y a la partie conception, la partie conseil –des groupes viennent me voir– et la partie vente. Je vends surtout en Bretagne, aux bagadoù, mais aussi en France –où il y a en fait beaucoup de pipe bands!– et un peu à l’étranger…

Mes amis écossais vendent dans le monde entier: aux États-Unis, en Australie, en Allemagne, au Japon, en Nouvelle-Zélande… partout! Il y a des championnats jusqu’en Afrique du Sud! Et tous jouent de la musique écossaise…

Le projet de cornemuse pour enfant m’a pris beaucoup de temps, il est maintenant au point et numérisé. Je l’avais à cœur parce qu’il entre dans une démarche pédagogique différente. Il permet à l’enfant de ne pas s’éterniser uniquement sur le practice en pouvant plus rapidement jouer vraiment de la cornemuse, c’est plus motivant! Et il peut jouer sans problème avec le reste de son bagad –et de n’importe quel bagad de Bretagne d’ailleurs– avec la même tonalité, au même diapason!

Des adultes, des anciens, qui souhaitent jouer uniquement pour le plaisir, commencent aussi à s’intéresser à ce modèle, plus « facile »…»

  • Comment se situe la Bretagne dans l’univers de la musique celtique ?

«La Bretagne se situe plutôt bien… Mon professeur Jakez Pincet, qui avait lui-même appris auprès des célèbres Bob Brown et Bob Nicol, sonneurs de la Reine, a remporté à l’époque des prix. Par chez nous aussi, Patrick Molard de la même “école”, s’est fait une réputation… Mais cela s’est un temps limité à quelques noms.

Dans les années 90, les échanges culturels avec nos cousins celtes, qui ont toujours existé, se sont intensifiés. Le bagad Kemper s’est particulièrement démarqué avec Kenny MacLeod, grand sonneur, aussi fabricant de cornemuses, des amitiés se sont tissées, tout un “business” s’est créé… Jusqu’à l’exploit du bagad Cap Caval qui, dans les années 98, va participer en Écosse aux championnats du monde de pipe bands et gagne en troisième catégorie, en deuxième puis monte en première! Monter en “grade one”! En jouant en “pipe band”, sur de la musique écossaise, selon un règlement précis…

Les Bretons, moi-même aussi, avons pu bénéficier de professeurs grands maîtres de la cornemuse: Mike Cusack du Texas, Bob Wallace d’Écosse… et d’autres incroyables pipers comme Jimmy McIntosh qui jouait encore à 96 ans! D’un enregistrement de lui à 92 ans, plus d’un jeune aurait du mal à rivaliser!

Ils ont transmis des connaissances et des maîtrises techniques qui nous permettent de nous présenter armés aux concours… Après avoir été décriés –on nous regardait, se demandant qui étaient ces “ploucs” qui arrivaient avec leurs costumes traditionnels– nous sommes aujourd’hui considérés. Et le monde de la cornemuse n’a pas de frontières!

Plusieurs Bretons jouent dans des grands pipe bands aussi maintenant et participent à d’importants concours.

Je vais en juillet prochain au championnat d’Écosse et j’y retourne au mois d’août pour le championnat européen. Je suis également sélectionné pour le Gordon Duncan Memorial organisé chaque année en août aussi à Glasgow en mémoire de ce piper exceptionnel. Un musicien écossais, un irlandais, un breton et un autre y sont invités pour représenter en solo leur pays…»

  • Vous êtes aussi sélectionné pour le Festival Interceltique de Lorient. Que représente pour vous cette sélection ? Comment se déroule-t-elle ?

«Fin novembre, j’ai passé les qualifications pour accéder à cette compétition internationale: le trophée McCrimmon. Trois Bretons, trois écossais, trois Irlandais, un Américain, un Canadien et un Néo-Zélandais sont sélectionnés pour participer à la finale qui a lieu le 3 août pendant le Festival Interceltique de Lorient.

Chaque compétiteur doit jouer trois medleys, une succession de différents rythmes, dans un même terroir: un medley de musique irlandaise, un de musique écossaise et un de musique bretonne, devant un jury spécifique à chaque fois.

Si je gagne, je serais content, mais… cela ne va pas changer ma vie!

Le fait de préparer un concours nous aide à travailler dans la perspective de cette échéance. Mais une fois que l’on a gagné, le lendemain est un autre jour… et il faut recommencer! C’est comme cela qu’il faut considérer les concours, ça évite les déceptions!»

  • Vous avez été plusieurs fois récompensé à différents concours, quel prix a le plus d’importance à vos yeux ?

«A 18 ans, j’ai vécu quelque chose de très fort avec beaucoup d’émotions… J’ai gagné mon premier vrai concours. J’avais déjà réussi diverses performances, j’ai d’ailleurs gardé les coupes, elles sont toutes dans un coin de grenier chez ma maman (mon père n’est plus de ce monde depuis plus de vingt ans)…

Mais ce jour-là, je l’ai remporté sur 48 compétiteurs avec une catégorie open, c’est-à-dire celle ouverte à tous, donc les plus expérimentés et plus forts, en général. Il y avait aussi A, B, C, D, E… toutes catégories confondues! (Cela n’arrive plus aujourd’hui.)

Et ce qui m’a fait le plus plaisir après le concours, c’est la dédicace que le juge en musique bretonne m’a signée, en précisant que j’avais vraiment fait une belle interprétation!

J’étais touché parce qu’à 18 ans, je crois que l’on n’a pas assez d’émotion pour savoir si l’on interprète bien ou pas. Il faut, je pense, toute une tranche de vie pour pouvoir libérer certains cadenas qui nous permettent d’aller au fond de nous-mêmes pour faire vibrer telle note avec telle harmonique, telle chanson, etc. C’est important. Et parfois, on croit le faire et on ne le fait pas…

D’autre part, je venais de perdre mon oncle. Et c’est grâce à lui que je joue de la cornemuse, c’est lui qui a aussi initié mon père au tout début, et qui lui a donné envie de jouer.

Ils étaient des frères très proches qui s’entendaient très bien. Il était comme un second père pour moi! Nous étions nés le même jour avec 30 ans d’écart… Il m’a donné tellement d’énergie, toujours à m’encourager, me flatter même, en fait! Son décès quelques jours avant notre anniversaire et ma majorité, quelque temps avant ce concours, m’a beaucoup affecté…

C’était le premier concours de la saison, quand je l’ai gagné, forcément il y avait la saveur de la dédicace que le juge m’avait faite –qui me prouvait que ce n’était pas volé!– mais il y avait une autre saveur… Quand j’ai reçu cette signature, cette première place, mon père m’a regardé droit dans les yeux… ils étaient remplis de larmes! Il y avait une cohue autour de nous, beaucoup de monde voulait me féliciter, mais je voulais me mettre à l’écart pour ne pas gâcher ce moment avec lui…

C’était le plus beau… Et je n’oublierai jamais!

Après, des concours, j’en ai perdu, en solo comme en bagad. J’en ai gagné en solo comme en bagad, en couple aussi! Comme je l’ai dit, le lendemain, on repart et on se remet à travailler sur quelque chose… Cela fait partie du jeu!

Mais quand on a travaillé pour un concours, l’on est sur une véritable performance athlétique! Pour pouvoir espérer bien jouer, il faut fournir un effort soutenu dans une concentration absolue! Après, si on joue bien, on est content. Et si on est content, c’est le plaisir!

L’on peut cependant tomber sur un jury qui aime bien et un jury qui n’aime pas…

Je dis toujours, à un concours: un jury, un résultat; un jury différent, un résultat différent!

Il faut relativiser et l’accepter!»

  • Que représente la Bretagne pour vous ?

«Toute une vie! Et le Centre Bretagne encore beaucoup plus!

Je trouve qu’il y a une force de caractère ici et “quelque chose” de plus… que j’espère que l’on ne perdra pas! L’avenir le dira…

Même si aujourd’hui nous sommes parfois sur différents clivages, nous conservons quand même une identité très forte qui nous pousse à nous surpasser, de manière un peu inexplicable…

Quand j’ai rencontré Morane, devenue mon épouse, elle venait du pays vannetais que je trouvais très beau, projetant même que nous allions nous y installer ensemble. Mais, originaire de Gourin, je n’ai pas pu quitter mon Kreiz Breizh! A cause de cette identité, ce “quelque chose” qui nous porte… c’est impossible!

Et il se passe tellement de choses en Bretagne, à Carhaix… Ces caractères forts que l’on a, ce n’est pas anodin, le mode de vie, la culture, la musique, l’environnement, la terre même, doivent jouer!

La musique à l’époque était principalement jouée par des paysans, ce sont eux qui gagnaient les concours! Non pas parce qu’ils avaient le temps de s’exercer, mais parce qu’ils “crochaient dedans”! Leur vie était austère dans les campagnes et leur musique, dure, à son image. Cela se ressentait dans la façon de chanter, de jouer… Et ces «gars rudes» quand il leur arrivait de partir, ne naviguaient pas seulement entre Quiberon et le pays bigouden, ils poussaient jusqu’aux États-Unis ou montaient sur Paris pour «exporter» leur musique… (Les femmes aussi, bien sûr avaient du tempérament, il suffit d’évoquer les sœurs Goadec!)

Cela fait partie de notre culture, cet enracinement, cette détermination font notre caractère. Et tu l’as en toi pour grandir… (Bien que ce ne soit peut-être plus aussi vrai pour une certaine nouvelle génération…). Le Breton, le Centre-Breton reste quoi qu’il arrive «accroché» à son pays. Et s’il le quitte, il finit toujours par revenir…»

  • L’âme bretonne est-elle différente des divers courants qui subsistent dans ce pays, la France ?

«Oui, et je pense pour tout ce que j’ai dit, qu’elle est différente. Nous sommes celtes, mais bretons. Il se dit que l’on ne naît pas breton mais qu’on le devient. C’est vrai aussi… Je pense qu’en fait, à partir du moment où tu te mets à te concentrer sur cette culture, cette racine, cette musique, cette langue, ce patrimoine… si tu intègres toutes ces images, tu as quelque chose de fort qui est en toi et qui ne pourra jamais te quitter. Par ma mère, j’ai du sang du sud en moi, j’ai même un arrière-grand-père qui était saltimbanque espagnol, mais je suis né à Gourin d’un père profondément breton: ce que j’y ai vu, ce que j’ai entendu, vécu depuis tout petit m’a imprégné.

Au son des cassettes de Soïg Sibéril et des frères Molard, tout petit, je faisais mon défilé en jouant du tambour sur un seau trouvé dans le garage, concentré, transcendé par cette musique! (Et maintenant, je joue sur scène avec lui!)

C’est difficile à dire, à transcrire, mais oui, je pense que l’âme bretonne est puissante…»

  • Qu’est-ce : être breton ?

«C’est avoir développé, pour les posséder profondément en soi, bien vivants, ce caractère et ces valeurs que j’ai évoquées. Mais si la Bretagne est une terre d’artistes, d’écrivains, de sportifs, elle est aussi une terre d’accueil…

La solidarité, cette force commune qui amenait à aider son prochain existe encore chez certains qui se battront pour qu’elle survive en eux. Les gens de cette «trempe-là» marqueront et laisseront une empreinte pour les jeunes générations qui pourront s’y raccrocher. Je l’espère… Je veux y croire !»