«Les nouvelles que nous recevons des propriétaires du district de Carhaix… nous affligent, et plus encore qu’ils n’osent se plaindre…» déplorait le procureur général syndic de Quimper en avril 1791, ajoutant qu’on avait menacé ces notables de brûler leurs manoirs et d’attenter à leurs vies.

La chute de l’Ancien Régime en 1789 fut suivie dans le Poher d’une longue période de troubles où les paysans revendiquaient l’abolition de certaines impositions, ainsi que la fin du domaine congéable, un mode de propriété associé à la féodalité.

Terrorisés par le désordre qui régnait, de nombreux aristocrates français se réfugièrent à l’étranger à partir de 1789, où certains s’engagèrent dans les armées contre-révolutionnaires. Ce mouvement gagna aussi le Poher d’où s’enfuirent plusieurs enfants du comte Charles-Robert de Saisy, bâtisseur du château de Kerampuil à Carhaix, ou ceux de Gabrielle de Kerguz, veuve douairière de Roquefeuil, propriétaire des manoirs de Boisgarin en Spézet et de Kerlouet en Plévin, où elle fut malmenée par ses tenanciers. 

Des « suspects » emprisonnés

A partir du mois d’août 1792, à la chute de Louis XVI, la Révolution prit un tournant plus radical, et plusieurs membres de la famille de Saisy furent emprisonnés quelque temps, en compagnie d’un médecin, d’un chirurgien de Carhaix et de plusieurs autres personnes considérées comme suspectes. 

Les lois se durcirent encore sous la Terreur, notamment à l’encontre des exilés, tel ce décret du 28 mars 1793 qui affirmait que «les émigrés sont bannis à perpétuité du territoire français…leurs biens sont acquis à la République»

Obéissant aux directives nationales, les administrateurs du district de Carhaix établirent des listes d’émigrés ou apparentés, dans lesquelles figuraient notamment Paul de la Bourdonnaye de Blossac, propriétaire du Tymeur à Poullaouën, ainsi que Gabrielle de Kerguz de Roquefeuil et le comte de Saisy, qui, tous deux âgés, étaient pourtant restés en Bretagne, où ils moururent en 1793. Mais leurs biens furent confisqués au titre de l’héritage de leurs enfants exilés.

Constitués majoritairement de métairies, les biens saisis furent vendus à partir de 1795, lors d’enchères organisées au profit de l’État. Si certains paysans se portèrent acquéreurs de terres qu’ils exploitaient, les ventes bénéficièrent particulièrement à la bourgeoisie carhaisienne, qui put ainsi accroître son influence au détriment de l’aristocratie. 

A la tête d’une bande de chouans

Face à ces événements, l’attitude de la jeune génération de «ci-devant nobles» fut très variable. Ainsi, alors que ses frères et sœur avaient émigré, l’un des fils du comte de Saisy tenta de sauver une partie du patrimoine familial en se portant acquéreur aux enchères. Quant au marquis de Roquefeuil, il prit les armes à la tête d’une troupe de chouans. Tout en veillant sur sa toute jeune nièce, dont les parents avaient fui, il lutta contre la Révolution en Centre-Bretagne, par des attaques de militaires, ou en tentant de pousser certaines communes au soulèvement. 

Ce combattant redouté, qui bénéficiait de soutiens dans les campagnes, menaçait également les autorités révolutionnaires locales de ses ultimatums. Il écrivit ainsi en septembre 1795 aux édiles de Saint-Hernin et de Spézet qu’il défendait «sous peine de mort à toute municipalité… d’exercer aucune fonction conférée par les usurpateurs de l’autorité légitime du roi…». Des groupes armés tentaient aussi de s’opposer aux expertises et enchères comme ce fut le cas à Scrignac lors de la vente de moulins confisqués à la famille de Roquefeuil. 

Une décision impopulaire

Passée l’époque de la Terreur, Napoléon Bonaparte, sous le Consulat, accorda l’amnistie aux émigrés qui purent rentrer en France et reprendre possession des biens confisqués qui n’avaient pas encore été vendus. Cependant, il refusa de revenir sur les acquisitions déjà réalisées, position qui fut conservée par Louis XVIII à la Restauration. 

Mais son successeur, Charles X, influencé par le parti ultraroyaliste, fit voter en 1825 la loi dite «du milliard» de francs pour indemniser les familles de leurs biens saisis, somme  considérable à une époque où le salaire d’un ouvrier atteignait péniblement 500 francs par an. 

Les enfants de Charles-Robert de Saisy ainsi que les descendants de la comtesse de Roquefeuil présentèrent alors leurs demandes à la Préfecture du Finistère, et reçurent un avis favorable de la commission départementale. Si la «loi du milliard» permit de mettre fin aux  querelles du passé, elle n’en suscita pas moins l’indignation d’une partie des Français.

La famille du comte de Saisy, qui s’intéressait aux questions agricoles, demeura dans le Poher, où l’un de ses descendants créa une ferme-école à Paule en 1850, puis, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, elle fit don du château de Kerampuil, pour servir «d’asile de vieillards». Une des branches familiales conserva le manoir de Kersaint-Eloy en Glomel, qui s’est transmis de génération en génération jusqu’à nos jours.