Depuis les années 1990, face au développement des maladies dues à une mauvaise alimentation, des étiquetages nutritionnels ont commencé à être introduits sur les emballages en Europe. Des campagnes publicitaires voient le jour pour promouvoir une alimentation plus saine et équilibrée.

Et pourtant, 30 ans plus tard, le bilan n’est «pas brillant»: en 60 ans, le taux d’obésité et de surpoids a été multiplié par 6 pour atteindre 17% des enfants en France, et près d’un adulte sur deux (en France et en Europe)… entraînant leur lot de diabète, d’hypertension artérielle, de maladies cardio-vasculaires diverses, etc. (Pour un coût estimé à 33 milliards d’euros.)

Face à cet échec, un nouvel affichage a vu le jour et a, petit à petit, gagné l’emballage de plus en plus de denrées alimentaires: le Nutri-Score. Mais à quoi sert-il réellement?

Il apparaît officiellement en 2017 à la demande du Ministère de la Santé qui avait missionné Santé Publique France pour produire un système d’étiquetage nutritionnel plus lisible que ceux existants.

Le but étant d’interpeller les consommateurs sur la qualité (ou non-qualité) nutritive des aliments qu’ils achètent.

Ce sont les travaux du Professeur Serge Hercberg et de son équipe qui ont alors été principalement repris pour créer le Nutri-Score tel que nous le connaissons aujourd’hui, à savoir une échelle de couleur allant du vert sombre au rouge, avec une quotition allant de «A» à «E».

Cet indicateur reste cependant optionnel à ce jour et dépend donc de la bonne volonté des producteurs.

Chasse au sucre et au sel ?

Une lettre «A» dans un fond vert sombre vous assure une bonne qualité nutritive, là où un «E» sur fond rouge vous met en garde contre un produit qui serait de moins bonne qualité!

Mais sur quoi se fonde cette note et que représente-elle réellement? Une note «E» signifie-elle danger?

Tout d’abord notons que, comme son nom l’indique, le Nutri-Score étudie la qualité nutritionnelle d’une denrée alimentaire. Et plus précisément des produits alimentaires transformés. Or, les produits alimentaires d’origine industrielle représenteraient 50% de l’alimentation des adultes et les deux-tiers de celle des enfants (Chiffres INCA, 2017)!

Le Nutri-Score n’indique en revanche pas s’il y a des composants néfastes de type pesticides ou autres, pas plus que la manière de produire l’aliment comme pourrait le faire un label «Bio», etc.

La notion de « bon» ou de «mauvais» pour la santé  n’est donc pas automatique en cas de note «A» ou «E».

Le Nutri-Score analyse, via un algorithme (ensemble de règles définies après étude) alimenté par des médecins, scientifiques divers et professionnels de la nutrition, la composition du produit à partir des tables nutritionnelles fournies par le fabricant. Il détermine ainsi, pour une portion de 100g, des ratios de fibres, de protéines, de fruits et légumes, etc., et au contraire d’acides gras saturés, de sucre, de sel, etc.

La proportion des premiers et des derniers fait évoluer le score vers une lettre entre «A» et «E».

Le Coca meilleur que l’huile d’olive Bio ?

Olivier Andrault d’UFC Que Choisir, ardent défenseur et promoteur du Nutri-Score, explique que le Nutri-Score a pour but de faire prendre conscience au consommateur que les produits industriels sont «hypertransformés» et très riches en acides gras, sucre, sel, etc. Mais aussi de pousser les industriels à améliorer leurs recettes en réduisant certains composants jugés trop présents et par là nuisibles pour la santé. Il doit aussi être gage de transparence envers les consommateurs.

Mais ce système d’analyse algorithmique a des limites et ses opposants ne manquent pas de les pointer. Ainsi, l’exemple de la cannette de «Cola Zéro» notée «B» face à la bouteille d’huile d’olive Bio notée «D» a fait le tour des réseaux sociaux.

Mais le «père du Nutri-Score», le Pr Hercberg, précise: «Cette note n’indique pas qu’il faut absolument consommer tel aliment pour être en bonne santé, elle dit seulement que cet aliment est meilleur ou moins bon que les autres aliments similaires, par exemple: que le Coca zéro est relativement meilleur que d’autres sodas.»

Qualité nutritionnelle et «bon pour la santé»…

Le Nutri-Score doit donc permettre au consommateur de comparer des produits de même type, et contrairement à certaines idées reçues, une comparaison entre produits de familles différentes peut vite perdre son sens.

De plus, un produit classé «D» ou «E» n’est pas automatiquement mauvais pour la santé: beaucoup dépendra des quantités consommées. Ainsi la plupart des fromages et charcuteries, ou encore des saumons fumés sont notés «D» ou «E» puisque gras et salés. Cependant une consommation dans des quantités raisonnables est loin d’être nocive.

Les défenseurs du Nutri-Score précisent à cet effet qu’il n’a pas vocation à interdire tel ou tel aliment mais à inciter à avoir une consommation diversifiée et équilibrée.

Une autre limite de ce système est que, comme précisé plus haut, il est optionnel et se base sur la bonne volonté (ou non) des industriels. Or, plusieurs associations de consommateurs, ou professionnels de la nutrition ont constaté qu’environ 40% des marques (et non des moindres) ne l’affichent pas. Et que seul 1% des produits étiquetés affiche une note «D»… pour la simple raison que nombre de producteurs préfèrent ne pas mettre le Nutri-Score quand il n’est pas avantageux!

C’est pourquoi ces associations et professionnels essaient de rendre cet affichage obligatoire au niveau européen. Mais les «pour» et les «contre» n’ont pas terminé de s’affronter faisant, chacun de son côté, du lobbying à Bruxelles…

Vers un Nutri-Score obligatoire ou un abandon ?

Cependant, il a été constaté que nombre d’entreprises ayant adopté le Nutri-Score améliorent leurs recettes. Ainsi, les barres de céréales sont passées de 25% de note A-B-C à 49% en sept ans. Pour les céréales du petit-déjeuner, les notes A et B sont passées de 8% à 38%, et pour les biscottes et pains spéciaux, de 40 à 62%, note l’UFC Que Choisir.

Comme toutes ces notations se font par algorithme, il a été décidé de mettre à jour ce dernier tous les 3 ans, en fonction des découvertes de la science, et des orientations de santé publique.

En ce mois de janvier 2024, les critères ont été mis à jour (pour les nouveaux emballages). Ils se sont notamment durcis sur les quantités de sucre et de sel, et prennent aussi en compte le fait que les édulcorants ne sont pas tellement meilleurs que le sucre, etc. Les viandes rouges seront aussi moins bien notées que les volailles et les poissons, etc.

De ce fait, certains produits voient leur note être dégradée… et des industriels abandonnent alors le Nutri-Score au profit d’autres affichages comme le Planet-Score (qui reflète plus le respect environnemental) ou autre. Le mieux est parfois l’ennemi du bien paraît-il… Ainsi des industriels mais aussi certains pays rejoignent le camp des opposants, ce qui risque de compliquer la perspective d’une légifération européenne rendant obligatoire le Nutri-Score.

Pourtant, comme le racontait le Pr Hecberg il y a quelques mois:

«Lors de la mise en place du Nutri-Score en octobre 2017, il y avait seulement six entreprises qui l’ont immédiatement adopté. Aujourd’hui, on parle de 875 sociétés, soit 60% de l’offre alimentaire à laquelle le consommateur a accès.»

Guillaume Keller