Allongé sous la remorque, en plein effort pour desserrer un boulon, il n’avait pas remarqué que le morceau de bois mis en place pour caler le timon avait commencé à glisser. Brusquement, il cède et la remorque-citerne pesant quelque 9 tonnes tombe sur sa jambe, écrasant le mollet et le pied. Cloué au sol, la jambe pliée, la circulation du sang coupée par le poids qui l’écrase, il se trouve dans une situation dramatique. Sur des kilomètres autour de lui, il n’y a personne.

Ce matin-là, le 1er octobre 2013, Barry Lynch, entrepreneur agricole de 54 ans, est parti à 5 heures du matin de son domicile dans le Queensland, au nord de l’Australie pour se rendre aux immenses plantations de canne à sucre où il doit répandre un traitement.

Arrivé sur place dans son pick-up, il prépare rapidement le matériel et démarre le puissant tracteur, auquel est attelé une grande remorque-citerne. Soudain, au moment où il franchit une crête, le timon de la remorque casse sous le poids du chargement.

Après avoir constaté les dégâts, Barry Lynch parcourt rapidement les 500 mètres qui le séparent de son pick-up pour prendre sa trousse à outils et des chaînes. Il en profite pour jeter son téléphone portable sur le siège du passager afin de ne pas le perdre, puis il repart, pressé d’effectuer une réparation de fortune qui lui permettra de reprendre le travail.

Personne n’entend son appel au secours

Il réussit à soulever la citerne grâce au relevage du tracteur en glissant des chaînes sous la barre d’attelage puis la fait reposer sur une cale en bois. Ensuite, s’allongeant au sol, il tente d’atteindre un boulon qu’il doit à tout prix desserrer. C’est en prenant appui, sans s’en rendre compte, sur la pièce de bois qui maintient le timon de la remorque que la cale glisse, faisant tomber tout le poids de la citerne sur sa jambe, juste au-dessous du genou.

La douleur est insoutenable. Son mollet et son pied enflent à vue d’œil, doublant de volume en quelques secondes.

Sur des kilomètres à la ronde, il n’y a pas un seul être humain, et personne ne peut entendre le cri de douleur qu’il pousse.

Il réalise qu’il ne peut compter que sur lui-même pour se libérer. Désespéré, il pense à son téléphone qu’il a laissé dans le pick-up pour ne pas le perdre. Il n’a aucun moyen d’appeler au secours. Après quelques instants de panique, il se ressaisit. Il ne voit que deux options : soit essayer de s’amputer la jambe, soit réussir à se dégager. Mais comment ? Il a sur lui un petit couteau de poche avec une lame de cinq centimètres qui a appartenu à son père et auquel il est très attaché. Alors tout son espoir repose sur ce minuscule outil pour creuser le sol sous sa jambe prisonnière.

Malgré la douleur et l’épuisement qui en résulte, il se met au travail. Dans une position inconfortable, utilisant la clé à molette comme un marteau pour frapper le couteau, il essaie d’enfoncer la lame dans le sol. Mais il s’aperçoit rapidement que le chemin, tassé par le passage régulier de gros engins agricoles, est aussi dur qu’une route goudronnée. Il lui faut de longues minutes de travail acharné pour voir apparaître une toute petite fissure.

Il souffre de la douleur intense, mais aussi de la chaleur. La région est subtropicale et la température, même en octobre, monte jusqu’à 30°C. Tenaillé par la soif, il regarde avec envie le trop-plein d’air conditionné du tracteur d’où s’écoule quelques gouttes d’eau. Il réussit à récupérer un peu de ce liquide dans sa casquette. Il sait qu’il n’est pas potable, mais il est désespéré. Il lui faut au moins humecter ses lèvres. A midi, le soleil darde ses rayons juste au-dessus de lui. Il ne peut pas s’en protéger. Pensant aux siens, il pleure, désespérant de les revoir.

Il pose un garrot avec la ceinture de son pantalon

Après six heures de travail intense, il n’est toujours pas libre. Il sent ses forces décliner et craint de s’évanouir. L’accumulation de sang a fait quadrupler le volume de sa jambe. La peau est noirâtre et tellement tendue qu’il pense qu’elle va éclater. Il se demande s’il ne vaudrait pas mieux trouer la peau à l’aide de son couteau pour laisser couler le sang et diminuer la tension, mais avant qu’il ne trouve le courage de le faire, la peau se fissure toute seule sous ses yeux, laissant apparaître un trou de la taille d’un poing d’où le sang se met à couler tellement qu’il a peur de mourir d’une hémorragie.

Avec la ceinture de son pantalon, il pose un garrot. Mais il sait que son temps est compté. Alors, avec le peu de forces qui lui restent, il creuse comme un forcené et en fin d’après-midi, il a réussi à dégager une tranchée d’entre 10 et 15 cm de profondeur sous sa jambe et 50 cm autour. Alors, prenant appui sur le relevage du tracteur pour faire levier, il réussit, d’un coup sec, à la libérer. Dans l’euphorie, il essaie de se mettre debout, mais sa jambe brisée cède sous lui et il s’écroule au sol.

Et pour être sauvé, il faut encore qu’il atteigne rapidement le pick-up et son téléphone.

Dans un sursaut d’énergie, il se traîne sur le dos, prenant appui sur sa jambe saine, gagnant mètre par mètre. A tout moment, il est au bord de l’évanouissement. Arrivé près du véhicule, il réussit à ouvrir la portière, attrape son téléphone et appelle les secours.

26 interventions chirurgicales

Lorsque l’ambulance arrive, Barry Lynch gît à côté de son véhicule, presque inconscient. Les ambulanciers, voyant sa jambe toute noire, sont étonnés de le trouver encore en vie. Transporté en avion jusqu’à l’hôpital de Cairn, il est pris en charge par des chirurgiens qui essaient de sauver sa jambe. Il souffre de multiples fractures et son genou est totalement brisé. Il doit rester à l’hôpital plus de cinq mois. En tout, il subit 26 interventions chirurgicales, ainsi que de multiples greffes de peau.

Aujourd’hui, Barry Lynch marche à nouveau, avec un appareil orthopédique. Il souffre de douleurs chroniques à la jambe, mais il est heureux d’être en vie. Son couteau de poche se trouve dans une vitrine de sa maison. Il symbolise le souvenir de son père et aussi sa propre détermination inébranlable qui lui a permis de survivre.»