Dans la nuit du 22 au 23 août 1792, les administrateurs de la ville de Carhaix reçurent une nouvelle alarmante: «Un attroupement considérable de gens de Berrien se grossissait de tout ce qu’il rencontrait dans les paroisses voisines, et notamment à Scrignac, où il forçait les particuliers à les suivre, que ces hommes, rassemblés en armes, menaçaient les propriétés, qu’ils avaient déjà commis des atrocités en pillant, volant et maltraitant des particuliers, qu’ils menaçaient de brûler la commune de Poullaouën, la ville de Carhaix, et même de se porter sur Quimper pour brûler le département.»

____________________

Il est vrai que la période était propice à tous les débordements. La Révolution débutée trois ans plus tôt était gravement menacée. L’Autriche et la Prusse étaient en guerre contre la République.

Un décret en date du 11 juillet 1792 avait proclamé «la Patrie en danger», et l’Assemblée Nationale réclamait la levée en masse de volontaires pour affronter l’ennemi.

Mais la situation économique se dégradait. Qui allait cultiver les terres? La famine menaçait, la situation était intenable dans les campagnes.

96 hommes armés en route pour Scrignac

En fait, les différends entre paysans et républicains s’étaient multipliés au fil des mois. En mars, le curé de Scrignac avait été arrêté et conduit à Brest parce qu’il refusait le serment républicain.

Fin juillet un prêtre assermenté s’installa au bourg, mais l’opposition resurgit, et la troupe venue de Carhaix et Morlaix affronta et mit en déroute une forte troupe de paysans révoltés.

Quand un mois plus tard, les commissaires civils de Carhaix apprirent l’existence d’un nouveau soulèvement contre-révolutionnaire, ils se dirent que tout allait recommencer!

Ils disposaient dans la ville même de deux compagnies du régiment de «Port-au-Prince».

Réquisitionnés pour aller à la rencontre des révoltés, ils étaient appuyés par les gendarmes de Carhaix, ainsi que par 42 volontaires de la garde nationale de Poullaouën sous la conduite de l’ingénieur des mines, J. G. Schreiber.

La troupe, forte de 96 hommes armés, arriva au bourg de Scrignac le jeudi 23 août à 11h du matin. Tous les habitants avaient fui!

«Nous entrâmes et nous prîmes poste sur la place, dans le cimetière, dans l’église et le presbytère, que nous trouvâmes sans porte ni fenêtres, tout pillé et ravagé par les rebelles.»

«Les rebelles se jetèrent à plat ventre dans les bruyères»

Les combats qui suivirent sont également décrits dans le rapport des autorités carhaisiennes: «Vers les 3 heures de l’après-midi, les sentinelles postées sur les tours nous firent remarquer un rassemblement d’environ 500 hommes qui se formait sur une hauteur (…)

Nous les débusquâmes à coup de fusils et ils prirent la fuite vers la montagne (…)

Vers les 6 heures du soir nous vîmes descendre du côté du sud, une colonne d’environ 2000 hommes (…)

Nous décidâmes de les attaquer (…)

Dès que nous parûmes dans la plaine, les rebelles se jetèrent à plat ventre dans les bruyères. Alors il ne nous resta d’autre parti que de les faire lever par la gendarmerie, qui les chargea ardemment au milieu d’un feu très vif et les mit à bout. Dès que la gendarmerie se fut déployée, la deuxième division, qui fut bientôt suivie de la première, avança dessus, fit ensuite quatre décharges de mousqueterie(…).

Bataille ou échauffourée ?

Alors la déroute des rebelles fut complète; ils furent poursuivis très loin. D’après les renseignements que nous avons pris et que nous avons vus, quoiqu’ils aient enlevé tous leurs morts, nous estimons qu’ils ont perdu 25 hommes tués et qu’il y a eu un très grand nombre de blessés».

Ce rapport avait été rédigé par le commissaire Blanchard (trésorier du district), et signé par son collègue Hervé (procureur syndic).   

Dans son ouvrage sur la Révolution à Carhaix, Prosper Hémon montre que le rapport de l’administrateur Blanchard était des plus fantaisistes. Qui peut imaginer 96 hommes s’attaquer à une troupe de 2000 rebelles, qui soudain à la vue de l’ennemi se seraient couchés dans les bruyères?

L’imagination du commissaire Blanchard a singulièrement grossi les choses. Mais le procureur Hervé avait de son côté également donné son compte rendu de la bataille.

«Nous venons d’essuyer un choc avec près de 600 hommes de différentes paroisses». Même là, P. Hémon estime que le nombre de révoltés était exagéré. Toujours est-il que l’étude des actes de décès de ces communes: Scrignac, Berrien, Bolazec, Huelgoat… ne révèle que trois morts pouvant se rapporter à ces événements!

L’état civil de Scrignac rapporte les décès de Jacques Primel, 60 ans, Thomas Guéguen, 30 ans, et Pierre Guéguen 60 ans, tous trois trouvés morts dans ou près de la garenne du Sieur Goujon, les 23 et 25 août 1792.

Les rebelles royalistes finiront effectivement par  prendre Carhaix, mais ce sera bien plus tard, le 30 juin 1815 après la défaite définitive de Napoléon Bonaparte.

F.K.