Au printemps 1763, Jean-Baptiste Trahan, son épouse Madeleine Hébert et leur fils débarquaient dans le port de Morlaix ainsi que quelque 380 Acadiens. Ces 77 familles avaient pris le bateau les 26 mai et 7 juin 1763, quittant l’Angleterre où elles avaient passé sept ans, confinées dans les ports, après leur départ forcé d’Acadie, en Amérique du Nord.

Descendants de Français installés au 17e siècle au sud-est du Canada, les Acadiens y avaient développé une agriculture prospère. Vivant en bonne entente avec leurs voisins, les Indiens Abénakis, ils avaient mis en valeur les zones côtières en aménageant de fertiles polders, grâce à un ingénieux système de digues, les aboiteaux.

Chassés de leurs villages

En 1713, le traité d’Utrecht mit fin au conflit entre la France et l’Angleterre, mais fit passer l’Acadie  sous domination britannique. Un serment de neutralité permit pendant quelques années aux Acadiens de demeurer en paix sur leurs terres, mais au fil des ans les pressions se firent plus fortes pour imposer le serment d’allégeance totale à la couronne britannique, ce à quoi s’opposaient ces «Français neutres», objectant que ce nouveau contrat les déposséderait de leurs droits durement acquis. 

Les Anglais prirent alors en 1755 la décision de chasser tous les habitants de l’Acadie, au cours d’un dramatique épisode appelé le «Grand dérangement». En quelques semaines, des villages entiers furent vidés de leurs habitants. Environ 7000 personnes, furent alors conduites sur des navires et débarquées dans les colonies britanniques plus au sud. Certains réussirent ensuite à rejoindre des possessions françaises d’Amérique, alors que plus d’un millier d’autres furent transportés en Angleterre d’où ils ne purent gagner la France qu’après la signature du traité de Paris en 1763.

Confrontés à l’arrivée de ces rapatriés démunis, les Etats de Bretagne, assemblée de représentants de la noblesse, du clergé et du tiers état, proposèrent une installation à Belle-Ile, récemment reprise aux Anglais, et offrant des terres à défricher. Le baron de Waren, gouverneur de l’île, ne ménagea pas sa peine pour faire aboutir ce projet, qui prévoyait de fournir à chaque famille, cheptel, outils et semences, ainsi qu’une petite allocation jusqu’à la première récolte. «Comme ils sont gens fort industrieux et habiles cultivateurs, je serais enchanté de les voir arriver» déclara cet homme influent qui leur fit visiter l’île en janvier 1764.

Mais loin de susciter l’enthousiasme, le projet d’implantation à Belle-Ile fit l’objet de longues discussions entre les autorités et les Acadiens, qui jugeaient excessives certaines clauses du contrat, marquées notamment par la féodalité, et se montraient peu attirés par les lieux.

Sur les terres du comte du Laz

Dans ce contexte, survint une offre du comte du Laz, puissant propriétaire en Centre-Bretagne, qui proposait «un établissement dans ses terres à des conditions avantageuses», «entre Rostrenen et Pontivy», ce qui intéressa dans un premier temps les Acadiens. Outre des exemptions d’impôts importantes, le comte s’engageait à fournir terres, cheptel ainsi que les matériaux nécessaires à ces hommes habitués aux constructions en bois, et qui craignaient de devoir bâtir en pierre  à Belle-Ile, ce qui à leurs yeux les «exposait à périr sous leurs édifices». 

Connus pour leur sérieux et leurs compétences à mettre en valeur des terres en friches et des marais, les exilés furent l’objet de nombreuses propositions comme celles de les installer «dans les terres incultes près de Callac» ou encore «dans les landes de Poullaouën». Mais les autorités conclurent qu’il serait difficile de les accueillir dans cette dernière localité car «l’on y travaille une mine de plomb et l’on fouille les terrains pour… trouver les veines».

Finalement, en septembre 1765, la famille Trahan comme la majorité des Acadiens, accepta de s’installer à Belle-Ile, alors que quelques autres demeurèrent à Morlaix. Ils accostèrent après un voyage périlleux au cours duquel l’un des bateaux faillit sombrer. Ils furent rejoints par d’autres familles acadiennes, arrivées d’Angleterre par Saint-Malo.

Le rêve américain

Malgré quelques échecs et conflits avec des colons installés avant eux, ils défrichèrent les terres attribuées et bâtirent leurs maisons. En 1785, ayant appris que leurs compatriotes bénéficiaient de conditions favorables en Louisiane,  de nombreux Acadiens de Bretagne et du Poitou répondirent à l’appel du large. 

C’est ainsi que le 27 juin 1785, Jean-Baptiste et Madeleine Trahan, accompagnés de leurs enfants, embarquèrent sur le Saint-Rémy, pour l’Amérique qu’ils avaient quittée 30 ans plus tôt. Ils ne revirent sans doute jamais leur village de La-Rivère-aux-canards en Acadie, mais, comme près de cent-vingt habitants de Belle-Ile cette même année, ils s’établirent dans les marais et bayous du Mississipi, où vivent encore aujourd’hui des descendants des Acadiens  de Bretagne.

N.L.


Partis de Nantes, de grands voiliers débarquaient les Acadiens en Louisiane.
Environ 1500 hommes, femmes et enfants quittèrent ainsi la France en 1785
(Dessin publié en 1905 dans « Les dernières années de la Louisiane française » par Marc Villers Du Terrage).