Le 1er août 1820, devant un public nombreux de notables et d’habitants de la ville, le docteur Cléret, maire de Carhaix, inaugurait la nouvelle école d’enseignement mutuel. Il fit alors l’éloge de ce modèle de pédagogie innovant, très attendu dans la capitale du Poher où, selon ses propos,  la jeunesse «livrée à des instituteurs sans titre et insouciants, passait des années entières à user des bancs, sans rien apprendre…».

A contre-courant de l’enseignement individuel qui prévalait jusqu’alors, où le maître répétait la leçon à chacun des élèves, une nouvelle méthode pédagogique avait été développée en Angleterre au début du 19e siècle par un protestant quaker, Joseph Lancaster. 

Elle suscita rapidement un grand intérêt en France où elle fut encouragée à partir de 1816 par le gouvernement de Louis XVIII, malgré une vive opposition d’une partie du clergé et de l’aristocratie qui y voyaient un modèle d’inspiration protestante et républicaine, qui risquait de donner des idées d’indépendance à la jeunesse.

Des méthodes innovantes

A une époque où les instituteurs étaient peu nombreux, l’enseignement mutuel associait au maître les élèves les plus avancés, qui le déchargeaient d’une partie de la classe, en servant de moniteurs à leurs plus jeunes camarades. Et, alors qu’auparavant les enfants devaient maîtriser la lecture avant d’aborder l’écriture, l’enseignement mutuel innovait en dispensant les deux apprentissages simultanément. Aux savoirs classiques, s’ajoutait la pratique du «dessin linéaire», très utile pour l’avenir professionnel des élèves.

Relayant les instructions ministérielles, le préfet du Finistère encouragea fortement la création de ces écoles, dans un département qui connaissait l’un des plus faibles taux de scolarisation de France. La proposition des autorités fut très favorablement accueillie par la municipalité carhaisienne, alors que le dernier instituteur reconnu et subventionné par la commune avait quitté son poste en 1817.

C’est ainsi qu’en cet été 1820 arrivait à Carhaix Nicolas Grenet, un instituteur de 44 ans, originaire de Rouen, et titulaire du brevet de capacité exigé par l’inspection académique. Il s’attela à la préparation de la rentrée, en établissant la liste des fournitures nécessaires à la nouvelle méthode, que l’on fit venir de Brest. La commune aménagea également des locaux adaptés, grâce à une subvention du Conseil Général. 

Blâmés par le préfet

Les documents retrouvés aux archives ne précisent pas la localisation de l’école, mais peut-être était-elle située dans l’ancien hôpital Sainte Anne, actuellement rue Brizeux, où demeuraient l’instituteur et son épouse en 1826? Ce lieu était également évoqué dans un projet de reconstruction de bâtiments scolaires quelques années plus tard.

Les travaux terminés, l’école tant attendue pouvait ouvrir et c’est ainsi que le 1er août 1820, tout un cortège, «sous l’escorte de la gendarmerie», s’élançait de l’hôtel de ville, en direction de la nouvelle salle de classe. 

Face à une foule de spectateurs, le maire, Ambroise Cléret, et le juge de paix, M. Veller de Kersalaun, ne manquèrent pas, dans leurs discours, de s’enflammer contre les opposants au projet, parmi lesquels figuraient quelques notables ainsi que le curé de Carhaix. Sans craindre les polémiques, ils allèrent jusqu’à reprendre une citation de Voltaire, pour mieux vilipender leurs adversaires, ce qui valut à ces orateurs un blâme de la part du préfet.

Un enseignant très apprécié

La classe mutuelle connut rapidement le succès espéré, et M. Le Menn de Chansy, qui donnait des leçons privées, dut rechercher un autre poste, voyant les élèves déserter ses cours.

Les qualités de M. Grenet firent la renommée de l’école, comme le notait le comité d’instruction cantonal en 1822: «il tient sa classe avec le plus grand ordre et la plus grande décence, il est d’une conduite exemplaire et a fixé en sa faveur l’estime et la confiance générale». En cette même année 1822, la municipalité sollicita le recteur d’académie pour demander l’ouverture d’une école secondaire, dans un souci de développer l’enseignement à Carhaix, alors que près de 200 communes du Finistère ne possédaient encore aucune école à la fin de la décennie.

Peu de temps après, la loi Guizot de 1833 réorganisait l’enseignement primaire et conduisait à la création des écoles communales de garçons, suivie en 1836 de directives en faveur des écoles de filles. L’enseignement mutuel fut alors progressivement remplacé partout par la méthode simultanée, mais les classes mutuelles avaient d’une certaine manière ouvert la voie au développement de l’instruction. Le préfet du Finistère encouragea de son côté les instituteurs à ouvrir des cours du soir pour adultes, comme à Carhaix, où ils furent «suivis par un nombre considérable d’élèves».

Nicolas Grenet poursuivit sa carrière d’enseignant dans la cité du Poher, avant de se retirer à Morlaix où il mourut en 1854 à l’âge de 78 ans. Son fils Victor lui succéda à l’école primaire, alors que le frère cadet, Alfred, s’établissait comme médecin dans notre ville.


Illustration : Les écoles d’enseignement mutuel se sont développées au début du 19e siècle. Le maître était assisté de moniteurs recrutés parmi les meilleurs élèves. (Lithographie de Jean-Henri Marlet, 1815)