Âgé de 70 ans, ancien greffier à la cour de Carhaix, François Thépaut, sieur de Kerven était en déplacement, et comptait passer la nuit dans une auberge de Carnoët. C’était en plein hiver, le 26 janvier 1698. Ce dimanche soir, chez Marie Marzin, de nombreuses personnes étaient attablées.

Parmi elles se trouvaient les frères Boudehen, meuniers. « L’un d’eux, plus atteint que les autres par les fumées bachiques, Jacques Boudehen, invite aussitôt le nouvel arrivé à trinquer et à boire chopine » (A.Favé). L’ancien greffier, après avoir consommé quelques bolées, prétexta une visite au Sénéchal du lieu pour échapper à cette compagnie qu’il trouvait bien déplaisante. A son retour, les meuniers étaient toujours là, causant bruyamment.

Le voyageur trouva « servis sur la table le lard fumant et le savoureux pain de ménage » qu’il avait commandés. Alors qu’il venait juste de s’installer, Jacques Boudehen, « vantard, hardi, provocateur, s’approche de la table et engloutit en un clin d’œil sans crier gare la provende déposée devant le sieur de Kerven » (A.Favé).

Les esprits s’échauffèrent, et alors que le meunier s’approchait menaçant de l’ancien greffier, celui-ci tira son épée. Un valet des meuniers, Henri Le Nay s’interposa. Bientôt, tous se retrouvèrent dans la rue. Dans la mêlée, le valet fut blessé à la main et réagit en rouant de coups de bâton le sieur de Kerven.

Il tire et touche mortellement l’un des frères Boudehen

Ses cris alertèrent le notaire Julien de Rospabu qui logeait non loin. Bien que déjà couché, « sans perdre un instant, (il) se lève en chemise et bonnet de coton, prend son fusil, et voyant une ombre indécise, celle de Jacques Boudehen, il croit voir l’agresseur de Thépaut, et il tire. Boudehen tombe en gémissant ». Il trépassa le lendemain vers 16H.

Avant de mourir, il avait très clairement désigné Julien de Rospabu comme étant son agresseur, mais celui-ci avait disparu ! Notaire et procureur au siège royal de Carhaix, il était né dans cette ville le 10 mai 1670, fils de Christophe de Rospabu, sieur de la Villandré, également notaire royal et procureur à Carhaix. Julien de Rospabu, homme de loi, connaissait les textes concernant les homicides involontaires, et la légitime défense.

Il savait qu’il pouvait, s’il n’était pas écroué, solliciter du roi une « lettre de rémission », par laquelle le roi accordait sa grâce, arrêtant ainsi le cours ordinaire de la justice. Voilà pourquoi il avait sans délai quitté la Bretagne pour se rendre à Versailles. Les démarches furent longues pour obtenir la lettre de rémission, qui ne fut accordée qu’en mai 1698.

Une intervention du roi annule les poursuites

Nanti de ce document qui lui évitait un procès et la prison, il put revenir dans le Poher. Mais la famille Boudehen n’entendait pas laisser le criminel impuni. Le dimanche 27 juin 1698, la famille Boudehen organisa une expédition punitive. Ils firent irruption après la messe dans la cour du sénéchal de Carnoët, où se trouvait son gendre, le notaire, qui fut saisi sans ménagement, garrotté, et emmené à la prison de Callac.

Son séjour fut bref puisqu’il avait été gracié par le roi. Mais dès lors, Julien de Rospabu dut se garder de la famille Boudehen. S’il les croisait, lors de foires ou marchés, il risquait de se voir pris à parti et couvert d’injures.

La famille voulait que justice soit faite

C’est ce qui arriva à Carhaix au sortir d’une audience. Il fit le récit des événements aux juges royaux de Carhaix : « Claudine Quintin, veuve de feu Jacques Boudehen, à la sortie de votre audience, dans le temps que votre suppliant avait la robe sur le corps, liasse de papiers et bonnet carré dans les mains, sortant de l’auditoire, ladite Quintin le vint attaquer, le chargeant de toutes sortes d’injures, le prit par les cheveux et rabat qu’elle déchira aussi bien que lesdits papiers et sa robe, criante comme une mégère à la force sur lui, le calomniant et vomissant contre son honneur et bonne renommée toutes sortes d’injures atroces comme meurtrier, voleur, bougre et autres vilenies, assisté des quatre Boudehen frères, ses complices, qu’y l’assistaient de près…»

Le notaire demandait aux juges de pouvoir bénéficier de « la sauvegarde du roi et de la justice ».

Cette procédure devait permettre d’engager des poursuites plus facilement envers tout contrevenant, puisque c’était alors l’autorité du roi qui était atteinte. Cette sauvegarde lui fut accordée le 28 août 1698 par Jean Raguideau, sénéchal de Carhaix.

F.K.