Les deux randonneuses comprirent tout de suite la gravité de la situation. Impossible de se tromper sur l’intention de cette ourse grizzli qui, accompagnée de ses deux oursons, s’était lancée dans une course folle droit vers elles. 

C’était trop tard pour fuir. Elles n’auraient aucune chance de distancer cet animal qui se ruait sur elles. La seule solution était de faire face, d’éviter tout geste qui pourrait l’exciter davantage… En quelques secondes, l’ourse les avait rejointes et, comme une furie, passa à l’attaque. 

Ann Quaterman, 28 ans, aimait la montagne et faisait souvent de longues marches dans la magnifique chaîne de Selkirk, dans le sud de la Colombie Britannique, à l’ouest du Canada. Mais ce premier octobre 1994, elle n’était pas partie pour une randonnée ordinaire. Elle était attendue dans un refuge de montagne bien connu, « The Selkirk Mountain Experience Lodge », où elle postulait pour un emploi saisonnier de cuisinière. Elle aurait pu s’y rendre en hélicoptère, mais elle avait choisi le sentier terrestre d’une vingtaine de kilomètres, ce qui représentait environ six heures de marche. Elle était accompagnée de Christine Bialkowski, 25 ans, une amie de longue date.

Une ourse est prête à tout pour protéger ses petits !

Elles avaient parcouru une bonne moitié de la distance et se trouvaient à environ 1800m d’altitude lorsque, soudain, elles découvrirent, 200 à 300 m plus loin, l’ourse grizzli avec ses oursons. L’animal les avait repérées bien avant, car déjà il courait à toute vitesse vers elles.

Lorsqu’elles comprirent que la bête allait vraiment charger, elles se mirent à hurler de toutes leurs forces, espérant que leurs cris la feraient fuir. Cependant, l’ourse ne dévia pas d’un mètre de son trajet. Elles tentèrent alors de rebrousser chemin mais réalisèrent rapidement que la fuite ne faisait que l’exciter davantage.

Ann Quaterman connaissait le danger des grizzlis. Elle n’en avait jamais eu peur, pensant que la plupart du temps, ils évitaient l’homme, mais ici, il s’agissait d’une femelle avec ses petits, et là, le danger était bien réel… Une ourse est prête à tout pour protéger ses petits.

Ann gardait toujours dans son sac de randonnée une bombe de défense à gaz paralysant. Elle la sortit de son sac, tira la sécurité et se retourna pour faire face à l’animal. Concentrant toute son attention sur la bête en face d’elle pour ne pas céder à la panique, consciente qu’elle n’avait pas le droit à l’erreur, elle s’arc-bouta, la bombe prête à l’emploi. Mais arrivée à deux-trois mètres, l’ourse se dressa soudain sur ses pattes arrière au moment où la jeune femme appuyait sur la gâchette. Le gaz se répandit sur la fourrure de la bête. Toutefois, une partie fit sans doute effet, car l’ourse pivota et partit. 

Dans un premier temps, Ann crut qu’elle avait abandonné la partie, mais se retournant, elle vit que l’animal avait attaqué son amie. L’ayant attrapé par le coude du bras gauche, elle la secouait violemment. Se précipitant vers la bête, Ann actionna alors une nouvelle fois la bombe, ce qui eut comme effet que l’ourse abandonna Christine pour se retourner contre elle-même. Un troisième jet de spray ne l’arrêta pas et la bombe était désormais vide.

Un combat très inégal

L’ourse mordit cruellement le bras droit d’Ann et la précipita au sol. Elle réussit une première fois à se dégager, mais l’ourse rattrapa son bras dans sa gueule. La randonneuse essaya alors de rouler sur elle-même afin de se retrouver couchée sur le ventre pour ensuite « faire le mort », espérant que cela calmerait la fureur de la bête. Cependant, d’un coup de patte, celle-ci la remit sur le dos, mordant violemment son côté droit. Une nouvelle fois, la jeune femme réussit à rouler sur le ventre. L’ourse s’attaqua alors à son sac, puis, d’un coup de griffe, arracha sa capuche, la blessant à la tête, emportant un lambeau de cuir chevelu.

A ce moment du combat très inégal, Christine avait réussi à se dégager d’un buisson où elle avait été projetée. Voyant la situation d’Ann, elle se lança à son tour contre la bête, lui assénant plusieurs coups de pied dans la tête. Cela suffit pour détourner son attention. Elle abandonna A. Quaterman pour se retourner contre cette nouvelle intruse.

C’est là qu’il se passa quelque chose de complètement inattendu et inespéré. Après avoir infligé encore quelques morsures à Christine, notamment à la hanche, l’ourse partit soudain, laissant les deux femmes sur le bord du sentier de randonnée. Elles étaient couvertes de morsures, elles saignaient abondamment, et surtout, elles se trouvaient toutes seules à plusieurs heures de marche, aussi bien du refuge que de la vallée où leur voiture était garée. Elles choisirent la descente, espérant éviter d’autres rencontres avec des grizzlis vers le bas. 

Des heures de descente douloureuse

Heureusement, en randonneuses expérimentées, elles avaient emporté une petite trousse de secours. Chacune d’elles n’avait qu’un bras valide. Il leur fallut donc s’aider mutuellement pour réussir à bander provisoirement leurs plaies puis, après avoir avalé quelques comprimés anti-douleur, elles se mirent péniblement en route. Durant des heures, elles avancèrent ensemble, pas à pas, se soutenant, s’encourageant mutuellement.

Toutes deux avaient perdu beaucoup de sang, notamment Ann, dont le bandage au bras laissait échapper un filet rouge inquiétant. Elle sentait bien que ses forces l’abandonnaient et désespérait d’arriver jusqu’à la voiture.

Au bout de trois heures de souffrance, elles aperçurent enfin le véhicule. Pour conduire, il fallait encore former un tandem: Christine, installée à la place du chauffeur, tenait le volant de sa main valide, alors que, à côté d’elle, Ann maniait le levier de vitesses de la main gauche.

Après vingt minutes de conduite, juste avant d’arriver sur la route principale, elles croisèrent un bûcheron, puis une équipe de cantonniers. 

« Nous avons été attaquées par un grizzli », crièrent-elles.

Par radio, les hommes purent appeler une ambulance. Pour les deux femmes, l’épreuve était finie. Chacune dut recevoir une cinquantaine de points de suture. Une des morsures de l’ourse avait frôlé l’artère fémorale de Christine. 

Au bout d’un mois et demi, Ann Quaterman, dans un bref article, tira quelques conclusions de cette aventure qui aurait pu leur être fatale.

Elle raconte comment toutes deux progressent lentement vers un rétablissement total et comment aussi chaque petit progrès, comme par exemple réussir à taper une lettre à une vitesse normale, est vécu comme un grand encouragement. Au journaliste qui lui demande de raconter son aventure, elle fait un récit sobre, en soulignant que c’est dans un but d’information pédagogique utile, se méfiant de toute utilisation pour un récit à sensation.


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