«Aujourd’hui, le patient participe davantage aux décisions qui le concernent, est plus acteur de sa santé.

Mais l’on en arrive maintenant parfois à l’extrême inverse, où le patient – «informé» via Internet et autres – arrive avec son propre diagnostic, sa liste de médicaments, les examens complémentaires qu’il estime nécessaires de réaliser… 

Pour certains, le médecin n’est plus parfois qu’un prestataire de services… 

Heureusement, la plupart n’agissent pas ainsi ; mais il est certain que le médecin doit aujourd’hui expliquer, informer, justifier ses choix, négocier avec le patient même, bien davantage qu’autrefois…», nous a confié le Dr Anna Charles-Jouannet.  

Ses yeux bleus posent sur vous un regard tour à tour scrutateur et pétillant, à l’image d’un visage ouvert dont la physionomie changeante accompagne de sa mobilité expressive des propos soigneusement pensés…

Le Dr Anna Charles-Jouannet possède manifestement dans sa manière d’être et de faire, un calme et une douceur naturelle qui pourraient laisser ignorer la décision, la fermeté de caractère et la force d’âme qui l’habitent tout autant…

A la manière du médecin examinant son patient, elle étudie chaque question posée avec attention et recul, afin de livrer un diagnostic aussi précis, complet et nuancé que possible !

Regard d’Espérance a souhaité s’entretenir ce mois avec cette jeune praticienne qui exerce en Centre-Bretagne, à la fois à l’hôpital de Carhaix et en cabinet privé à Châteauneuf-du-Faou, afin d’effectuer avec elle un large «tour d’horizon» de la médecine dans tous ses états : l’évolution du métier, la relation patient-médecin, l’hôpital de Carhaix, la «désertification médicale» en Centre-Bretagne, entre autres, sans oublier la pandémie actuelle… pour un diagnostic sans concession, mais semé d’anecdotes et empreint d’une profonde humanité.

Un entretien riche, dense, informateur… qui donne à réfléchir.


Voudriez-vous vous présenter brièvement?

«J’ai trente ans, et je suis née à Vannes dans le Morbihan, où mon père est médecin généraliste, et ma mère jeune retraitée après une carrière d’institutrice.

Après le lycée, j’ai débuté des études de médecine à Nantes, où j’ai effectué les trois premières années, avant de rejoindre la faculté de Brest, pour me rapprocher de Carhaix où, avec mon mari, nous nous sommes installés.

J’ai choisi de me spécialiser en médecine générale, après les six années communes à tous les étudiants en médecine, et ai donc poursuivi mon internat à Brest.

J’ai soutenu ma thèse de Doctorat en 2017, et j’exerce maintenant à l’hôpital de Carhaix, dans le service des «Soins de Suite et de Réadaptation», ainsi qu’en cabinet libéral, à Châteauneuf-du-Faou, en tant que collaboratrice.

Mon mari est, depuis peu, artisan en bâtiment : il vient de créer sa société après avoir travaillé en entreprise, puis dans l’enseignement professionnel.

Nous sommes engagés dans le milieu associatif, participant à l’encadrement d’activités de scoutisme, ayant été moi-même scoute à Vannes pendant de nombreuses années. Nous avons aussi d’autres activités au sein de la paroisse protestante du Centre Missionnaire de Carhaix, où nous sommes très engagés.

J’aime beaucoup la lecture, même si j’ai moins de temps à y consacrer maintenant, ainsi que la musique, ayant longtemps pratiqué le piano.

J’apprécie également beaucoup la promenade dans la nature, d’autant que nous avons le privilège de vivre dans une belle région!»

Comme votre père, vous avez choisi d’exercer la médecine… Quelles ont été vos sources d’inspiration ou de motivation dans ce choix ?

«Sans doute le fait que mon père soit médecin n’a-t-il effectivement pas été étranger à mon choix !… Bien que je me sois décidée plutôt tardivement, à la fin du lycée, et après avoir effectué plusieurs stages d’observation en hôpital, auprès d’un médecin scolaire…

Avoir un père médecin donne une vision assez précise du métier, mais aussi de ses contraintes quotidiennes : journées «à rallonge», travail administratif, responsabilités… On ne savait pas à quelle heure il rentrerait. Il ne pouvait pas y avoir d’heure vraiment fixe à la maison pour les repas !

Beaucoup de gens me disaient dans mon enfance «Je te verrais bien médecin» – peut-être parce que mon père et moi avons beaucoup de points communs – mais la médecine n’était donc pas trop mon optique au départ !»

Etre médecin aujourd’hui, est-ce réellement exercer le même métier que votre père exerçait à ses débuts ? Quels aspects de cette profession ont-ils le plus changé ?

«Dans l’essence du métier, je pense qu’il est resté le même, mais les conditions de son exercice ont beaucoup changé ces 20 à 30 dernières années.

L’impression que me laissent les témoignages de médecins anciens, c’est un peu celle d’un exercice solitaire, d’une disponibilité 24 h sur 24 pour ses patients, d’une vie de famille parfois sacrifiée…

Aujourd’hui, même si le métier reste très prenant, ces conditions ont beaucoup évolué. Les organisations de travail permettent souvent de mieux séparer la vie privée et la vie professionnelle.  Je pense que la féminisation de la profession y a beaucoup contribué.

Il me semble donc qu’un exercice «isolé» de la médecine tend à diminuer, au profit d’un exercice en groupe, ou en réseau de professionnels, non seulement dans les grandes villes, mais également dans les zones rurales.

Par ailleurs, les techniques ayant aussi beaucoup évolué ces dernières décennies, le médecin se doit d’apporter des soins conformes aux données de la «science», des connaissances actuelles, et il a donc une obligation de moyens. On ne voit plus de médecins généralistes effectuer des accouchements, de la petite chirurgie… comme cela se voyait encore il y a quelques dizaines d’années. Je me souviens d’un ancien médecin de campagne qui avait installé dans son cabinet tout un dispositif pour réduire les fractures… Ce serait inconcevable, impossible aujourd’hui!

Et tout cela serait trop «risqué», car la profession s’est aussi beaucoup judiciarisée, à l’instar de la société. Les plaintes se sont multipliées contre les médecins, notamment contre les généralistes et les chirurgiens !

C’est –hélas– un élément que nous devons prendre en compte dans la prise en charge des patients… Un de nos enseignants nous disait, pour nous y préparer, que nous devions tous nous attendre statistiquement, à être confrontés à une plainte au moins au cours de notre carrière…

L’obligation de moyens, c’est aussi le recours aux possibilités que donnent les examens complémentaires, l’imagerie médicale, les examens biologiques…

L’on est à la fois plus aidé dans notre pratique par des possibilités techniques plus grandes, mais plus contraint dans notre exercice.»

N’avez-vous pas hésité à embrasser une telle carrière, au vu des difficultés qu’elle présente aujourd’hui, telles la judiciarisation croissante que vous avez évoquée, les contraintes administratives imposées… ?

«Non, même s’il est vrai qu’il faut bien réfléchir avant de s’engager dans cette voie de la médecine, et avoir des motivations fortes, car les contraintes du métier ne sont vraiment pas négligeables !

Mais je pense que la judiciarisation, les contraintes administratives sont des difficultés que l’on rencontre chemin faisant dans l’exercice, notamment en cabinet médical, et non pas celles que l’on prend en compte dans le choix de cette profession… du moins, cela n’a pas été le cas pour moi.

Par contre, cela peut parfois être une cause d’abandon d’un exercice libéral pour se réorienter vers un exercice salarié…»

Après quelques années de pratique, avez-vous le sentiment, avec le recul, que les longues études faites vous ont bien préparée à l’exercice du métier ?

«Elles ont beaucoup évolué, elles aussi, et nous préparent plutôt bien à notre métier, même si l’on n’a jamais fini d’apprendre, car nos connaissances se périment très vite ! Il faut suivre une formation continue, ce qui est d’ailleurs obligatoire !

Mais les études sont très professionnelles, puisque dès la seconde année, l’on partage le temps d’étude entre des cours à la faculté et des stages hospitaliers, où l’on apprend vraiment le cœur du métier au chevet du malade, tel l’examen clinique… Et ce, avec parfois de l’appréhension au début, même si la très grande majorité des patients se montrent compréhensifs, se laissent examiner de la tête aux pieds en cobayes très indulgents !…

L’on se sent même parfois un peu abandonnés à nous-mêmes quand, dès cette deuxième année – alors qu’on ne sait encore pas grand-chose – l’on nous dit : «Allez dans telle chambre examiner tel malade…»

De même, après avoir longtemps été très centrées sur l’hôpital, les études de médecine sont aujourd’hui ouvertes sur l’exercice libéral, ce qui est important, puisque environ 40% d’une promotion seront généralistes, et que l’essentiel exercera en dehors de l’hôpital.

Sur mes trois années d’internat, j’ai effectué un an dans différents cabinets médicaux de la région. Cela permet en outre d’apprendre des aspects pratiques annexes, tels que la gestion d’un cabinet, les contraintes administratives…

Peut-être pourrait-on parfois regretter encore – les cours étant essentiellement dispensés par des universitaires hospitaliers – que l’on étudie en détail telle ou telle maladie rare, ce qui ne sera utile qu’aux spécialistes, alors que des problèmes de santé très courants – comme la tendinite, que l’on rencontre très souvent en tant que généraliste – sont très peu abordés en cours…»

Quelle impression générale se dégage pour vous des relations entre médecin et patient ?… Vous semblent-elles avoir évolué – et en quel sens – lorsque vous échangez avec des médecins plus anciens… ou les entendez évoquer «leur époque» ?

«Elles ont aussi évolué. Schématiquement, on pourrait dire que l’on est passé d’un modèle un peu «paternaliste» où le médecin, figure très respectée dans la société, décidait assez unilatéralement de ce qui était bien pour «son» patient, à un modèle plus «collaboratif», où le médecin informe, responsabilise… Et où le patient participe davantage aux décisions qui le concernent, est plus acteur de sa santé.

Mais l’on en arrive maintenant parfois à l’extrême inverse, où le patient – «informé» via Internet et autres – arrive avec son propre diagnostic, sa liste de médicaments, les examens complémentaires qu’il estime nécessaires de réaliser… Il veut imposer cela au médecin, quitte à devenir agressif si celui-ci ne se soumet pas à ses exigences !

Pour certains, le médecin n’est plus parfois qu’un prestataire de services… 

Heureusement, la plupart n’agissent pas ainsi; mais il est certain que le médecin doit aujourd’hui expliquer, informer, justifier ses choix, négocier avec le patient même, bien davantage qu’autrefois.

Ceci dit, le «médecin de famille» demeure une réalité, surtout dans les campagnes, où les gens sont attachés à «leur» médecin généraliste; quelqu’un qui les connaît, les suit…»

Vous arrive-t-il d’échanger avec votre père sur votre travail, ou même plus précisément sur des situations rencontrées… ?

«Oui, bien sûr… et souvent! Il n’est pas rare que nous nous appelions, l’un ou l’autre, pour échanger sur des situations complexes…

Et, de façon plus générale, échanger entre médecins me paraît aujourd’hui important pour se sentir bien dans son travail, éviter l’épuisement professionnel qui gagne parfois des médecins plus anciens et plus seuls dans leur exercice.

Cet aspect «collaboratif» est très développé dans le cabinet médical où je travaille à Châteauneuf, et c’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles j’y suis restée…

Avoir un autre regard, confronter des diagnostics, partager un travail d’équipe, quelque peu, me paraît positif et intéressant dans le cadre de ce métier exigeant, aux responsabilités assez lourdes parfois…

Je pense qu’il y a là un grand changement de mentalité de la part des médecins. Sans doute la situation de la démographie médicale contribue-t-elle aussi à cela : la «concurrence» du passé n’existe pratiquement plus. Le jeune médecin qui veut s’installer trouvera facilement à le faire, en tout cas en médecine générale et dans des territoires comme celui-ci…

Une des préoccupations des médecins est aujourd’hui de ne pas être submergés par le nombre de patients, par le travail, de pouvoir «avoir une vie à côté»… Ce n’est plus du tout de parvenir à vivre de son travail.» 

Vous avez voulu travailler à la fois à l’hôpital de Carhaix pour une part de votre temps, et en cabinet privé pour une autre part… Pourquoi ?

«Je travaille donc à temps partiel à l’hôpital, et une journée par semaine en cabinet médical à Châteauneuf, où nous sommes six, et bientôt sept, médecins.

A l’issue de mes études, je n’avais pas très envie de m’enfermer dès le début dans une activité spécifique en milieu hospitalier. Car on oublie très vite ce que l’on ne pratique pas.

Cet exercice mixte me permet au contraire d’avoir une activité très variée: de la pédiatrie à la gériatrie, de la prévention à la prise en charge hospitalière de pathologies assez aiguës, en passant par la rééducation.

C’est d’ailleurs un mode de travail qui devrait se développer, puisqu’il est très encouragé par les mesures du récent «Ségur de la Santé».

Cette collaboration entre l’hôpital et la médecine de ville permet de rapprocher ces deux sphères, de mieux appréhender les contraintes des uns et des autres, de fluidifier le parcours des patients…

Etre «des deux côtés de la barrière» permet d’avoir une meilleure vision de l’ensemble, et lève parfois des préjugés ou des jugements réciproques un peu hâtifs et partiels !»

Le patient a-t-il une attitude différente selon qu’il se trouve hospitalisé ou «à la maison» ? 

«Le patient hospitalisé, qui se trouve coupé de son environnement familier, me semble avoir plus tendance à subir sa situation… C’est un peu le médecin qui décide. A la maison, le médecin doit souvent davantage négocier, discuter… Le malade y est davantage acteur. Chez lui, le patient est en position de force; à l’hôpital, le cadre l’impressionne souvent, et il est psychologiquement dans une situation plus difficile.

C’est même quelque chose que l’on peut constater chez un même patient que l’on voit à la fois à domicile et à l’hôpital, ce qui m’arrive…»

Pour le médecin… quel est le moment le plus difficile, le plus délicat ?

«Il y aurait différentes situations à évoquer… On pense, par exemple, à l’annonce d’une maladie grave, parfois incurable, à faire au patient…

Mais je voudrais ici aborder un aspect dont le patient a rarement conscience: le médecin doit souvent prendre une décision dans l’incertitude, avec des données souvent partielles, tout en sachant que cette décision va avoir des conséquences, et peut en avoir de graves ! La santé du patient est en jeu, et parfois ce peut même être sa vie ! Les situations ne sont pas toujours aussi typiques qu’on les trouve décrites dans les livres de médecine. Et cela est notre quotidien… Décider dans l’incertitude est une lourde responsabilité, et ce n’est pas quelque chose de facile à vivre !»

«Dire la vérité»… ! Face au patient inquiet, ou à celui qui ne se doute de rien, certains médecins ne choisissent-ils pas, devant une découverte très grave, de «mentir», mensonge dit «pieux», ou du moins de ne pas révéler toute la réalité ! Qu’en pensez-vous ? Vous-même, comment procédez-vous dans de telles situations ?

«Le Code de déontologie du médecin précise que nous devons délivrer au patient «une information claire, loyale et appropriée». Je trouve que cela résume assez bien ce que doit être notre démarche.

Il n’y a pas de recette toute faite. Chaque patient est différent, et pour l’accompagner au mieux, il faut savoir d’abord l’écouter.

Généralement, j’essaie avant tout de cerner ce que le patient a compris de sa situation; quelles sont ses interrogations, ses attentes, ses craintes… afin que la réponse soit appropriée.

Des informations graves doivent être données avec délicatesse,  progressivement… Et il est aussi parfois des questions auxquelles on ne peut pas répondre.

L’on ressent également parfois au fil d’une conversation que la personne n’a pas envie d’en savoir davantage sur sa situation, ou n’y est pas encore prête… Il faut savoir entendre cela et le respecter !

A contrario, on voit aussi que certains patients peuvent être totalement inconscients de la gravité potentielle de leur état et ont besoin d’entendre des mots forts, afin qu’ils prennent la mesure des choses, et qu’ils acceptent de se prendre en charge.

Dire la vérité, oui bien sûr, mais aussi savoir discerner ce que le patient est prêt à entendre et quand il y est prêt, d’autant que certains peuvent avoir des visions terrifiantes de telle ou telle maladie, et vont alors être conduits au désespoir. Or, «le moral» comme l’on dit, est important pour combattre la maladie…

Enfin, il y a parfois cette marge d’incertitude dont nous avons parlé, et qui nous interdit d’affirmer des choses qui pourraient se révéler erronées.»

La confiance entre le patient et le médecin n’est-elle pas essentielle ?

«Si, bien sûr ! Il est essentiel que le patient se sente écouté et respecté. La relation médecin-patient est très particulière, et singulière…

Il m’arrive d’être étonnée, et très touchée, de voir des personnes qui nous consultent pour la première fois, que l’on ne connaît pas du tout, et qui vont nous faire confiance au point d’évoquer des souffrances intimes, des drames qu’elles n’ont parfois jamais  partagés avec personne jusqu’alors… C’est profondément émouvant, saisissant…

Cette relation singulière avec le médecin existe encore, et il faut savoir la respecter, la mériter par sa propre attitude d’écoute, d’absolue discrétion…»

«L’erreur est humaine…», craignez-vous l’erreur de diagnostic et ses conséquences ?

«Oui !… Il faudrait être inconscient pour se croire à l’abri de l’erreur, et un tel médecin serait dangereux !

Il est essentiel de savoir reconnaître ses erreurs, remettre en question ses choix, se remettre en question soi-même – sans pour autant douter en permanence de chaque décision, sinon on ne vit plus, ni ne fait plus rien !»

N’y a-t-il pas, à notre époque, le danger – la facilité – de s’appuyer excessivement sur «la technique» en minorant l’écoute et l’examen clinique ?

«Si, et tous les médecins ne pratiquent pas exactement la même médecine…

L’écoute, l’examen clinique attentif sont vraiment la base du raisonnement médical, de la pratique, et les négliger pour s’appuyer sur les multiples examens complémentaires à notre disposition serait une erreur et un piège.

Ce d’autant plus qu’avec les immenses progrès de la technique dans des domaines comme l’imagerie médicale, la biologie (etc.), on peut aujourd’hui détecter des anomalies infimes, et imperceptibles à l’examen clinique. Or, si un médecin multiplie les prescriptions d’examens complémentaires sans être guidé dans le choix de ceux-ci par le clinique, il va forcément, statistiquement, mettre en évidence de ces anomalies, mais sans pouvoir leur donner un sens, une interprétation…

On en arrive parfois à mettre en évidence des anomalies, face auxquelles on multiplie les examens, sans en comprendre les causes ni les conséquences, alors qu’il s’agit peut-être précisément d’une anomalie sans conséquence !

L’examen «complémentaire» coupé de l’examen clinique risque  de mener nulle part… Il ne faut pas inverser les priorités.

Le temps d’écoute est essentiel, car bien souvent le patient ne livre pas forcément tout de suite au médecin les informations les plus importantes. Il en est qui le font quand toute la consultation est terminée, au moment de partir, la main sur la poignée de la porte…

Il faut donc prendre son temps, laisser parler le patient, car si on veut aller vite, l’on manquera des choses essentielles. Et il est alors évident que le médecin qui voit 50 patients dans sa journée, ne fait pas la même médecine que celui qui en voit 20…»

Certaines personnes en viennent presque à «juger le médecin» sur la longueur de la liste des médicaments prescrits… D’autres insistent pour poursuivre le traitement présent, tel médicament devenant quasi salvateur à leurs yeux… Avez-vous rencontré de telles personnes et comment les persuader de leur subjectivité ?

«Si mes patients me jugent à la longueur de mes ordonnances, je dois être l’objet de critiques, car elles sont souvent légères, notamment pour certaines pathologies virales bénignes !

Je passe un certain temps à réduire la longueur des ordonnances de certains patients, surtout les anxiolytiques et les somnifères…

Il faut savoir que le cumul des effets indésirables des médicaments est responsable du décès de 10 000 personnes par an en France et de plus de 130 000 hospitalisations… !

Je pense que les plus jeunes générations –patients et médecins– sont plus sensibilisées à ce risque, mais l’on rencontre chaque jour des personnes totalement dépendantes à leurs anxiolytiques, somnifères et autres… La solution de facilité serait de renouveler leur ordonnance, mais ce n’est pas leur rendre service, au contraire. Il faut donc savoir informer, expliquer, négocier… Et prendre le temps pour ce faire.»

Prend-on encore trop de médicaments, en France, de nos jours ?

«Oui, globalement, même si cela a évolué dans le bon sens ces vingt dernières années. La France, qui était « championne » de consommation de médicaments, se situe aujourd’hui dans la moyenne européenne, sauf précisément pour les anxiolytiques et les antibiotiques.

La dépense en médicaments reste, elle, la plus haute, parce que les Français utilisent des médicaments chers, mais la consommation a baissé en volume.

Un de nos problèmes devient même de parvenir à convaincre certaines personnes de se soigner, tant elles ont une défiance envers les médicaments en général…

L’on voit aussi hélas des gens qui se soignent moins, ou pas, parce qu’ils sont en situation de précarité…»

Quelles sont, dans le cadre de votre exercice de la médecine libérale, vos principales préoccupations ou sources de peine, ou de tristesse ; et à l’inverse, vos plus grandes satisfactions ou sources de joie ?

«Parmi les tristesses, je mentionnerais le fait de se trouver assez souvent devant des patients pour lesquels l’aspect médical n’est qu’une petite partie de leurs problèmes, très complexes : problèmes familiaux, précarité économique, isolement social, problématique éducative…  Et tout cela se conjuguant parfois, hélas…

Et l’on se sent terriblement démuni face à l’ampleur de la situation, ne pouvant intervenir que sur un aspect, alors que les patients semblent parfois attendre bien plus de nous. L’on n’est que médecin, pas employeur, éducateur, assistante sociale…

Les joies, ce sont les témoignages de reconnaissance de patients. Je suis très touchée de voir certains remercier avec émotion, parfois avec larmes pour ce que l’on a pu faire pour eux…»

«Médecin, guéris-toi toi-même», exhorte la maxime empreinte d’humour, de pessimisme voire de prévention. Les médecins, en général, ont-ils tendance à ne pas beaucoup se soigner, négligent-ils leur «santé» ou inconsciemment s’imaginent-ils être hors du sort commun en ce domaine ? Certains en arrivent  à ne pas noter les signes qui, chez les autres, éveilleront leur attention, voire leurs craintes… Est-ce un état d’esprit répandu ?

«Je ne sais si c’est répandu, mais c’est une réalité. Le médecin est souvent subjectif quant à sa propre santé… et j’ajouterais, quant à celle de ses proches.

Cela peut être un piège, perturber le raisonnement médical habituel, parce que l’affect peut empêcher de prendre le recul, et va interférer avec le diagnostic, le biaiser, l’influencer…

Je me rappelle avoir été étonnée, durant mes études, de constater le nombre de médecins, de pédiatres même, qui refusaient d’être les médecins traitants de leurs proches. Je les comprends mieux maintenant… Il n’est vraiment pas simple de soigner ses proches !

A tout cela, il faut ajouter, pour répondre à la question, que certains médecins travaillent tant qu’ils négligent leur hygiène de vie, et leur propre santé, même si cela existe moins aujourd’hui.»

Un médecin qui a lui-même été réellement malade, ou opéré, qui s’est trouvé soudain de «l’autre côté» de la barrière, aura-t-il par la suite une autre approche de son prochain éprouvé ?

«J’ai eu l’occasion de me retrouver dans un lit d’hôpital pour quelques jours. Et comme je le disais : l’on subit alors davantage la situation…

De petits gestes d’attention, un mot d’encouragement, un sourire, de tous petits détails peuvent alors prendre une grande importance pour le malade.

Et dans cette situation, on perçoit très vite le soignant qui fait son travail «comme un autre», même si c’est avec un grand professionnalisme, et celui qui s’intéresse à vous, manifeste de l’attention… La parole de St-Exupéry pourrait  s’appliquer ici : «On ne voit bien qu’avec le cœur» ; on ne soigne bien qu’avec le cœur !»

Voudriez-vous dire quelques mots sur votre travail hospitalier, et le service où vous exercez à Carhaix ?

«Je travaille donc dans le service de soins de suite et réadaptation, qui n’est pas – je tiens à le préciser d’emblée – un service de convalescence, ni une maison de repos…

Il est composé de deux unités: l’une plutôt gériatrique, et l’autre plus polyvalente. Nous avons 45 lits destinés à accueillir des patients à la suite d’hospitalisations pour intervention chirurgicale, AVC, décompensation de pathologie chronique…

L’objectif est de leur permettre de regagner un maximum d’autonomie par la rééducation, ou d’assurer une réadaptation quand les limitations s’avèrent irréversibles, afin qu’ils s’adaptent au mieux à leur handicap dans la vie quotidienne…

Le service a aussi une mission de réinsertion, notamment sur le plan social.

C’est vraiment un travail d’équipe, enrichissant, où chaque professionnel – médecin, infirmière, kinésithérapeute, assistante sociale…– met ses compétences au service du patient pour l’aider à atteindre un objectif de récupération de son autonomie.

J’y exerce aussi depuis peu les fonctions de chef de service, avec donc une mission de coordination, de développement de projets…»

Quel regard portez-vous sur l’histoire récente de l’hôpital de Carhaix, et sur sa situation actuelle au sein du CHRU de Brest ?

«Etant arrivée à Carhaix en fin 2009, je n’ai pas connu la période du combat pour la sauvegarde de l’hôpital et de la fusion avec le CHRU de Brest. Mais j’en ai bien sûr beaucoup entendu parler !

Aujourd’hui, je pense que la question ne se pose plus : l’hôpital de Carhaix fait partie du CHRU de Brest. Récemment, le président de la commission médicale d’établissement rappelait avec force que Carhaix et Brest sont un seul et même établissement…

Mais il est vrai que l’on peut noter chez certains professionnels brestois, qui ne connaissent pas Carhaix, des a priori ou préjugés un peu tenaces qui s’effacent bien souvent lorsque l’on apprend à mieux se connaître !

Un jeune collègue brestois qui partage son temps entre Brest et Carhaix, me disait qu’avec les échos qu’il avait eus de Carhaix, il s’attendait à arriver un peu sur un champ de bataille… Mais il a été agréablement surpris en travaillant ici, et aimerait même augmenter son temps de travail sur Carhaix, malgré les déplacements quotidiens.

Et ce n’est pas un cas isolé : beaucoup de collègues brestois qui viennent travailler dans l’hôpital de Carhaix y apprécient l’ambiance, dans cet établissement à taille humaine et où les relations entre collègues sont généralement très bonnes.»

Quels impératifs ou quelles évolutions vous semblent indispensables ou premiers pour sa pérennité et son développement ?

«Je dirais tout d’abord que si l’hôpital de Carhaix n’avait pas été sauvegardé tel quel, la population de ce Centre-Bretagne aurait eu un accès très dégradé aux soins.

Il n’est déjà pas facile d’amener les habitants, notamment âgés, des campagnes à se déplacer à Carhaix ; alors aller à Brest… D’autant que de plus en plus de gens sont seuls, n’ont plus de famille à proximité pour les accompagner…

Beaucoup ne se soigneraient pas. Or, l’accès aux soins est déjà bien plus difficile dans les zones rurales telles que la nôtre!…

Il faut bien garder à l’esprit que si l’hôpital de Carhaix n’a pas toutes les spécialités en hospitalisation, il en a beaucoup en consultations.

Pour sa pérennité, je pense que l’essentiel est de parvenir à stabiliser les équipes de médecins: attirer et garder de nouveaux médecins dans un territoire où la démographie médicale est loin d’être favorable.

Comme beaucoup d’hôpitaux, celui de Carhaix est trop obligé de recourir à l’intérim médical, avec tous les problèmes que cela entraîne en termes de coûts, de continuité et de qualité de soins…

Les choses progressent, mais c’est un travail constant, difficile, qui demande un engagement considérable de la part de la direction et des instances médicales.

Il faut aussi poursuivre le développement du travail partagé entre Brest et Carhaix; accueillir davantage d’internes sur Carhaix, et faire en sorte qu’ils s’y sentent bien. Ceux qui y viennent sont, en effet, souvent assez unanimes pour dire que c’est un «terrain» de stage très formateur, où ils peuvent acquérir de l’expérience, faire même parfois des gestes techniques qu’ils n’auraient pas l’occasion de faire dans de plus grands hôpitaux…

Cela mérite de favoriser leur venue, non seulement de la part de l’hôpital, mais aussi de l’environnement : développer l’attractivité globale du territoire…»

Chacun sait donc le problème aigu que constitue en Centre-Bretagne la «démographie médicale»… Comment voyez-vous –et vivez-vous – cette «désertification médicale» de notre contrée?

«La question est complexe, mais je la vis actuellement très concrètement, avec mes collègues de Châteauneuf, l’un des médecins de la commune venant de prendre sa retraite sans être remplacé, et en laissant une très grande patientèle…

Nous sommes confrontés à un afflux massif de patients, inquiets pour certains, ayant peur de ne pas trouver de nouveau médecin traitant, et parfois agressifs. L’agressivité de certains patients devient un réel problème, un danger même. Ils sont probablement anxieux, angoissés même, ne comprenant  pas qu’on ne puisse pas recevoir tout le monde dans la journée, ni suivre tout le monde…

Et ils se retournent contre ceux qui sont là ! Mais nous ne sommes pas responsables des politiques qui nous ont menés dans une telle situation !… Or, elle va durer encore un temps…»

Cette contrée présente-t-elle en outre des particularités que vous auriez découvertes en commençant à exercer ?

«J’ai évoqué la précarité qui amène un certain nombre de personnes à renoncer aux soins…

Mais j’insisterais sur mon travail de médecin dans ce milieu rural, que j’apprécie beaucoup. Il est plus riche et varié qu’en milieu urbain. C’est encore un territoire où le médecin généraliste est un interlocuteur privilégié, de premier recours… alors qu’en milieu urbain, les gens vont aux urgences, ou directement chez le spécialiste, alors qu’ils n’auraient souvent besoin que d’une visite chez un généraliste.

En ville, le généraliste est parfois relégué dans un rôle d’orienteur du parcours de soin. Ici, où le recours au spécialiste est moins facile, la pratique du généraliste est beaucoup plus diversifiée professionnellement et plus intéressante.»

Divers «plans» sont mis en place ou sont prévus dans le domaine de la santé en Centre-Bretagne : Contrat local de santé, Clic (Contrat local d’infos et de coordination), Dac (Dispositif d’appui à la coordination)… Au-delà de ceux-ci, quelles actions vous paraissent les plus urgentes et les plus importantes à entreprendre ?

«Je ne suis sans doute pas la mieux placée pour répondre, n’étant peut-être pas au fait de tous les plans et politiques mis en place…

Mais le problème de la «désertification» médicale – qui concerne aussi d’autres professions de santé – est très préoccupant en Centre-Bretagne.

On voit que les incitations, notamment financières, à l’installation ont leurs limites. Elles ont rarement eu les effets escomptés.

Je pense que l’un des moyens à développer vraiment est l’accueil, en hôpital local et en cabinet médical, d’étudiants en médecine et d’internes. Il faut poursuivre la décentralisation des études, qui s’effectuent encore principalement à l’hôpital. Cela permet aux étudiants de découvrir des territoires, des modes d’exercices différents de la médecine… Les réformes les plus récentes tendent à cela.

Or, il y aura plus de chance de voir s’installer localement des médecins, anciens étudiants qui ont découvert le territoire et s’y sont plu durant un stage.

Pour prendre un exemple très concret et parlant, dans la maison médicale où j’exerce à Châteauneuf-du-Faou, sont accueillis de nombreux étudiants, à différents niveaux de leur cursus : externes, internes, de 1er et de 2nd niveaux… résultat: presque tous les médecins qui y exercent ou remplacent sont d’anciens stagiaires, internes – comme moi – qui s’y sont plu et sont donc restés !

Il est beaucoup plus facile dans ces conditions de trouver des remplaçants, et des successeurs…

De plus, accueillir des étudiants est très stimulant pour les médecins en exercice : cela permet d’échanger, de réfléchir à ses pratiques, de les mettre à jour…»

Quand vous envisagez l’avenir de votre «métier», et de la médecine en France, quels espoirs, quelles aspirations nourrissez-vous ? 

«On peut craindre qu’avec le développement continu et rapide des techniques dans l’essor de la médecine – techniques qui peuvent être très utiles – les médecins ne deviennent davantage des techniciens, qui appliquent des protocoles et des recommandations, au détriment des valeurs humaines essentielles, voire de l’éthique médicale : respect du patient, respect de la vie, indépendance du médecin…

L’on peut d’ailleurs regretter que les capacités relationnelles humaines n’entrent pas du tout en compte dans la sélection des futurs médecins, et très peu par la suite dans leur formation, alors que les aspects relationnels, la communication sont au cœur de notre métier…»

Quelles évolutions vous semblent dangereuses ou mortifères ?

«Une évolution vers la gestion technocratique et comptable des hôpitaux, de la santé ! Elle vient de montrer toutes ses limites, et tous ses défauts.

On ne peut qu’espérer que la concentration hospitalière dans des grands centres, et le démantèlement des hôpitaux de proximité, ne se poursuivent pas. Cela conduit inévitablement à une médecine à deux vitesses, avec des territoires isolés, délaissés, où l’accès aux soins est de plus en plus difficile, et amène beaucoup de gens à renoncer aux soins, tout simplement !

L’exemple de la fusion entre Brest et Carhaix est la preuve qu’un autre modèle est possible.»

Quel devra être le médecin de demain ?

«Si l’essence du métier ne change pas, les conditions de son exercice évoluent beaucoup, avons-nous dit… Mais il faut que le médecin de demain garde les valeurs humaines, déjà si bien décrites dans le «Serment d’Hippocrate», qui date du 4e siècle avant J.C., et qui est toujours d’actualité !

De même, l’évolution technique conduit à des surspécialisations… Mais il ne faut pas oublier que l’on ne soigne pas tel ou tel organe, mais des personnes. Il faut donc garder une vision globale du patient.»

Vous avez été impliquée dès le début dans les dispositifs de la lutte contre la pandémie du Coronavirus – Covid 19… Comment avez-vous vécu le pic épidémique de mars-avril ?

«Fin mars, j’ai été sollicitée pour rejoindre «l’Unité Covid» qui venait d’ouvrir à l’hôpital de Carhaix. Au vu de la situation sanitaire très préoccupante dans certaines régions, la direction avait prévu une équipe médicale vraiment renforcée en prévision d’un éventuel afflux massif de patients…

J’ai donc effectué les premiers week-ends de garde, avec deux autres collègues médecins, et me rappelle avoir passé une bonne partie de la journée à lire…

Le premier patient s’est présenté vers 14H… Et la «vague» tant redoutée n’est jamais arrivée jusqu’à nous. L’activité de l’unité est restée très modérée, si bien que j’ai pu rejoindre mon service habituel une quinzaine de jours plus tard. 

Bien sûr, comme beaucoup d’hôpitaux, nous avons manqué de masques, mais, comme en divers lieux, on a vu des entreprises locales venir très vite nous en apporter, donner des équipements, faire des dons… Toute une solidarité s’est mise en place.»

Comment considérez-vous son évolution depuis lors ?

«Depuis le déconfinement et durant l’été, j’ai été un peu agacée d’entendre de nombreux médias nous annoncer tous les quinze jours l’arrivée d’une seconde vague alors que, pour y travailler, je savais très bien qu’il n’y avait quasiment pas de patients hospitalisés pour Covid sur l’ensemble du CHRU de Brest, ce pendant tout l’été…»

Où en est-on aujourd’hui, selon vous ?

«Je ne vais pas me risquer à faire des pronostics, n’ayant pas les compétences pour cela !

On observe une ré-augmentation progressive d’hospitalisations, mais dans des proportions qui n’ont actuellement rien à voir avec le pic de mars-avril, ni dans l’ampleur, ni dans la cinétique des courbes…

Pour mémoire, il y avait 800 à 1000 décès par jour à l’époque, alors que depuis plusieurs semaines, l’on en est à moins de 100…

Je suis bien plus inquiète de voir notre société dominée par la peur, l’angoisse jusqu’à en occulter tout le reste. Or, si la prudence est nécessaire, la peur est très mauvaise conseillère, comme l’on dit…»

Quel sentiment ou impression générale vous laisse la façon dont nos sociétés ont vécu ou «géré» cette pandémie inédite ? Quels enseignements en tirez-vous ?

«Je vois au quotidien beaucoup de gens inquiets, perdus, qui ne savent plus qui et quoi croire, à force de voir des experts ou pseudo-experts leur dire tout et son contraire…

Et comment faire confiance quand l’on s’est entendu affirmer hier que les masques étaient inutiles, voire nocifs, pour le grand public, et aujourd’hui qu’ils sont indispensables pour notre sécurité et obligatoires, même dans la rue !… 

La médiatisation, la communication autour de cette crise ont été extrêmement anxiogènes et l’immédiateté de l’information, l’information continue – sans prendre le temps de l’analyse et du recul – ont encore alimenté cette crise.

Je me souviens encore du battage médiatique au milieu du mois de juillet, quand le Finistère a fait la Une suite à une «explosion de cas positifs»… dont j’ai appris de bonne source il y a peu qu’elle était en réalité probablement due à tout un lot de tests défectueux, qui donnaient des faux positifs…

Encore une fois tout est vu par le prisme de cette épidémie, qui a occulté tout le reste, alors que son taux de létalité (nombre de décès par rapport au nombre de personnes touchées) est de 0,3 à 0,6%, selon l’Académie de médecine elle-même. Celui des épidémies de peste du passé était proche de 100%…  Cela aide à prendre un peu de recul.

Il me semble que nous vivons dans une société habituée à l’abondance, qui veut tout maîtriser, refuse tout risque et développe le principe de précaution jusqu’à l’extrême…»

Nous vivons dans une société qui nous abreuve jusqu’à «plus soif» de conseils en tous genres pour notre santé… Quels seraient les vôtres, pour l’essentiel, en tant que jeune médecin ?

«Effectivement, les conseils ne manquent pas, au risque d’infantiliser plutôt que de responsabiliser nos concitoyens !…

En tant que jeune médecin, les conseils de santé que je donne se limitent généralement à quelques mesures de bon sens sur l’hygiène de vie, l’activité physique, les dangers des écrans… Des conseils qui n’ont rien d’extraordinaire mais qui, dans notre société en manque de repères, ne sont parfois pas superflus.

Je prendrais pour exemple cette jeune personne qui me demandait un médicament pour maigrir, sans réaliser que sa consommation d’un litre de coca-cola par jour était pour quelque chose dans sa prise de poids…

Elle est ressortie de mon bureau sans médicament, bien évidemment…»

Que vous paraît dire de notre époque cette préoccupation, devenue omniprésente et quasi-tyrannique, pour la santé et le corps ?

«La santé est certes un bien précieux, mais elle n’est pas une valeur  en soi – à l’inverse de la liberté, de l’amour… Comme le rappelait dernièrement un penseur.

Cela signifie qu’il faut veiller à ce que des mesures nécessaires à notre protection sanitaire, dans l’actualité, n’en viennent pas à trahir des valeurs humaines essentielles, et l’éthique médicale. C’est ce que dénonçaient, dans une tribune récente, de nombreux médecins en évoquant ces situations dramatiques dans des EHPAD, où des personnes âgées sont décédées privées de l’affection et de l’accompagnement de leurs proches lors du pic épidémique du printemps…

Plus généralement, cette préoccupation omniprésente chez beaucoup pour le corps et la santé, me semble symptomatique d’une société en perte de repères, angoissée à l’idée de vieillir. Elle traduit aussi un individualisme exacerbé.»