«Je viens d’un pays, le Salvador, qui a été colonisé par les Espagnols ; contre lesquels je n’ai pas de rancœur. C’est de l’histoire ancienne.

Mais la population maya a été décimée par les guerres et les maladies venues d’Europe. Sa culture a été anéantie… Je vois la souffrance  quand une identité est détruite, la difficulté à se retrouver soi-même…

Tout cela pour dire que je comprends ce que ressentent et vivent les Bretons quant à leur culture. Je sais l’importance d’une langue, d’une culture, de racines, d’une identité, et j’aime voir les Bretons défendre les leurs. Je les y encourage et les appuie !…» Guillermo Florez-Torrès est un Breton venu d’ailleurs… 

Salvadorien d’origine, Français de nationalité, Breton de cœur, ce fils des Indiens mayas d’Amérique Centrale – mélomane et musicien de surcroît – interprète avec bonheur la riche partition de ces trois héritages.

Qui plus est, hier marin de la Royale, puis technicien de l’Aéronavale, et aujourd’hui patron d’une belle crêperie, cet homme à l’abord chaleureux, dynamique et entreprenant, a manifestement acquis au fil de ces voyages dans des univers si divers, une riche personnalité, une réflexion nourrie d’expériences humaines, une solide culture, un esprit ouvert et bienveillant, que l’on devine non moins ferme et avisé…

C’est cet itinéraire singulier – parcouru avec sa compagne Fiorella, maître crêpière à l’enseigne familiale «Le Renard et la Belette»– que «Regard d’Espérance» a voulu retracer avec lui ; histoire d’un Breton d’adoption, qui a perçu et reconnu dans le sort fait à la culture bretonne un écho du sort que subissent la civilisation et la culture de ses ancêtres mayas…

Celui des peuples un jour humiliés, qui veulent retrouver la fierté de leurs racines, sans haine, ni antagonisme, ou esprit revanchard… Simplement comme une manière de «cheval d’orgueil» oublié, et désormais retrouvé.

 



Voudriez-vous vous présenter brièvement?

«Je m’appelle Guillermo Arturo Florez-Torrès, ce qui donnerait en français Guillaume-Arthur Fleur de la Tour… Mais je ne suis pas de sang bleu! Je suis né au Salvador, en Amérique Centrale, et suis arrivé en France à l’âge de 10 ans et demi, au début des années 1980, ma famille ayant fui la guerre civile parce qu’elle a été mise en danger immédiat.

Une de mes sœurs aînées était mariée à un scientifique français, ce qui nous a permis de nous installer ici. L’objectif de mes parents était de rester en France le temps que la situation se calme au Salvador puis d’y retourner…

Mais les mois passant, ma sœur et moi avons dû intégrer l’école, obligatoire en France. Nous avons très vite appris le français, avons grandi ici. Puis après l’adolescence, on nous a demandé si nous voulions avoir la nationalité française. Nous sommes devenus français, si bien qu’à 18 ans, j’ai dû faire le service national, la conscription existant encore à l’époque. Je l’ai fait dans la Marine, où j’ai embarqué durant deux ans sur Le Duperré, en escadre à Brest.

La Royale et la vie de marin m’ayant beaucoup plu, j’ai «rempilé» en tant que technicien dans l’Aéronautique. J’ai fait l’école d’Aéronautique de Rochefort, suivi les formations spéciales, avant d’être affecté à une escadrille de Falcon 10, des avions qui ont l’avantage d’être à la fois civils et militaires, ce qui est plus intéressant en termes de diversité et de complexité des connaissances que les avions de chasse, qui ne sont que des «camions à bombes»…

J’ai ensuite été affecté à la Base Aéronautique de Landivisiau, qui est la base logistique du porte-avion Charles de Gaulle, où j’ai travaillé dans plusieurs ateliers, notamment à ce qu’on appelle les «grandes visites»: le démontage complet des avions après un nombre d’heures de vol donné, pour une vérification totale de tous les éléments avant remontage…

Cela a été mon métier durant dix ans. C’est aussi là que j’ai rencontré ma compagne: Fiorella Contaldo, qui a des racines italiennes et bretonnes, de Paimpol. Jeune, elle avait fait l’opéra de Monaco et c’est le chant et la musique qui nous ont réunis: elle possédait cette grande maîtrise de la voix, et je jouais de la guitare; nous avons assuré des concerts blues-jazz pour des fêtes sur la Base…

Elle travaillait également sur la B.A.N., étant électronicienne d’aéronautique de métier. Elle s’occupait de tout ce qui a rapport au poste de pilotage de l’avion, tout ce que le pilote a devant lui: ce que nous appelons «les boîtes à cafard» – les «boîtes noires» – les radars, les radios, les systèmes  IFF et ILS, les systèmes de navigation, les systèmes d’armes…

Nous avons quatre enfants. Et aujourd’hui, c’est d’ailleurs un de mes fils qui se passionne pour l’aéronautique… Car après avoir pris notre retraite de la Marine, ma femme et moi avons ouvert cette crêperie – Le Renard et la Belette – à Carhaix.»


Vous avez donc longtemps travaillé sur la Base Aéronavale de Landivisiau… Quels souvenirs, sentiments et impressions fortes conservez-vous de cette carrière dans la Marine ? 

«Jeune, j’habitais à Nantes, un peu comme dans un microcosme… Et c’est en intégrant la Marine que j’ai vraiment découvert et appris à connaître la France et les Français: j’y ai rencontré des Français de tous les coins du pays, des gens du Sud, du Nord, de l’Est, de l’Ouest, avec leurs accents, leurs cultures… Cette diversité de la France m’est apparue. J’ai appris à connaître ce pays et cela a été très important pour moi!»


La Marine est un lieu de traditions souvent spécifiques au sein des armées, ce qui lui confère une atmosphère particulière… Retrouve-t-on ces traditions et cette ambiance dans l’Aéronavale ?

«Non, ce sont deux univers un peu différents. La «Royale» a un énorme héritage historique, elle existe, comme son nom l’indique, depuis les rois de France… Alors que l’Aéronavale est une arme jeune. Elle date de la 2e Guerre mondiale…

L’armée se nourrissant de traditions, l’Aéronavale manque d’ancienneté en la matière!

Dans la Royale, la discipline à bord, par exemple, est  beaucoup plus dure, et la rigueur dans les relations au sein de la hiérarchie des grades beaucoup plus stricte… Dans l’Aéronavale, on se tutoie facilement, même parfois entre techniciens et pilotes, alors que dans la Royale on se vouvoie…

L’atmosphère est plus «familiale». C’est aussi dû au fait que l’Aéronavale est avant tout une armée de techniciens, bien que nous soyons des militaires, que nous portions l’uniforme et défendions le pavillon. Nous n’avons pas le même poids de traditions que l’Armée de terre, ou la Marine «pure et dure»…»


Quels aspects en avez-vous particulièrement appréciés ?

«Précisément cet état d’esprit, qui est «gagnant-gagnant». Car le technicien sait que son travail peut avoir des conséquences désastreuses sur la vie de ses camarades… Une simple tête de vis qui a été mal «freinée» sur une pièce de l’avion, et les énormes vibrations que subit l’appareil en vol vont la faire sauter. Elle peut être avalée par un réacteur, qui peut exploser, et c’est la catastrophe!…

Sur une base aéronavale, il se crée des liens humains très forts entre tous. Ce sont des amis dont la vie peut dépendre de votre travail. La discipline se trouve dans le savoir-faire, et une sorte d’autodiscipline, même si les contrôles sont très nombreux et très stricts, bien évidemment! Le poids de la responsabilité personnelle est là…

J’ai aussi beaucoup aimé voyager. La Marine, c’est la mer et le voyage! J’ai donc eu le privilège de naviguer sur Le Duperré, un bâtiment de 300 hommes, aujourd’hui à la casse.

J’ai participé à ses dernières longues missions, durant la première guerre du Golfe, dans les années 1990. Nous avions été «projetés» en Mer Rouge, dans le Golfe d’Aqaba. Nous faisions de la surveillance maritime, du contrôle de trafics d’armes, et avions donc à bord des compagnies de commandos prêts à intervenir…»


Le «retour» à la vie civile a-t-il été difficile ?

«Tout était programmé de longue date, et cela s’est donc bien passé. Nous nous étions préparés à quitter la Marine. 

C’était un choix et un plan bien arrêté. Il n’y a pas eu de mauvaise surprise, ni de regrets…»


Le chemin d’une base aéronavale jusqu’à l’ouverture d’une crêperie en Centre-Bretagne ne paraît pas aller de soi… Comment cette idée vous est-elle venue ?

«Rendons à César ce qui appartient à César»: l’idée ne vient pas de moi mais de ma femme ! Depuis toute jeune, elle rêvait d’ouvrir son restaurant. «A 40 ans, j’aurai mon restaurant» répétait-elle; elle l’a eu à 42 ans…

Il faut dire qu’elle a toujours été passionnée par la cuisine, et qu’elle était déjà un vrai cordon bleu!

Ceci dit, c’est bien sûr un projet à deux. Je ne sais pas «tourner les crêpes». Tout ce que j’en sais, c’est Fiorella qui me l’a appris, mais j’avais des idées et des notions sur le reste.»


Pourquoi ce choix d’une crêperie de préférence à un autre type de restauration ?

«Nous n’étions pas du métier, et il nous fallait quelque chose que l’on puisse maîtriser assez rapidement, afin de faire un pas en avant sans trop tarder… Ce qui ne veut pas dire que la crêperie soit un domaine facile!

Cela a donc été un choix de Fiorella, et une démarche bien réfléchie, bien étudiée…»


Comment ce projet a-t-il mûri, puis s’est-il concrétisé ?

«Après 18 ans de Marine, ma femme a suivi une formation de crêperie à Brest, dans le cadre d’un projet de reconversion professionnelle pour l’entrée dans la vie civile. Mais sa passion ancienne pour la cuisine faisait qu’elle maîtrisait déjà très bien l’art culinaire, les saveurs, les condiments, les épices…

Elle a grandi à Nice et connaît bien les traditions et goûts méditerranéens qu’elle aime conjuguer avec le blé noir pour amener un peu de nouveauté tout en ayant cette très ancienne saveur traditionnelle du blé noir…

L’une de nos crêpes s’appelle «La Coarazéenne», en référence au petit village de Coaraze dans l’arrière-pays niçois, où Fiorella a grandi…

Ensuite, le temps que je monte le projet de mon côté, elle a trouvé un emploi dans une crêperie. Nous sommes restés moins d’une année, en tout, dans cette phase de transition avant notre installation ici.»


Et pourquoi avoir choisi Carhaix et le Poher en Bretagne centrale plutôt qu’une région côtière, par exemple dans le Léon que vous connaissiez bien ?

«Nous avions secrètement envie de partir ouvrir une crêperie en Nouvelle-Zélande ou au Costa-Rica…

Mais notre quatrième enfant ayant quelques ennuis de santé, nous avons finalement préféré rester en France, souhaitant aussi ne pas hypothéquer l’avenir de nos trois aînés.

Nous cherchions une maison plus grande, avec un terrain – la nôtre, dans le nord-Finistère, ouvrait directement sur la rue – quand ma femme a trouvé magnifique la voûte de pierre  cintrée de la porte d’une longère…

L’annonce indiquait Carhaix, en Centre-Finistère. Nous avions bien entendu parler de Carhaix, par les «Vieilles Charrues», mais ne le connaissions ni l’un ni l’autre. Cela me paraissait loin de Landivisiau, où Fiorella travaillait encore à la B.A.N. à l’époque… Mais nous sommes venus «faire un tour» ici, un week-end, et en un quart d’heure, nous avons décidé d’acheter et de rénover la longère, à Croaz Ar Marechal.

Puis notre idée a un moment été d’ouvrir la crêperie là-bas, avant que nous nous ravisions en faisant notre étude de marché: la clientèle serait-elle prête à aller en campagne l’hiver, par mauvais temps?…

Finalement, nous avons opté pour une crêperie en centre-ville, et avons trouvé ce local proche de la gare… Mais il a fallu un an de travaux avant de pouvoir ouvrir!»


Effectuer une telle «reconversion» – ou plutôt évolution – était un véritable défi… N’avez-vous pas hésité ou craint de vous lancer dans pareille «aventure»? Quels ont été, chemin faisant, vos sentiments, états d’âme, pensées… ?

«D’une part, si l’on ne croit pas au projet, il faut arrêter tout de suite!… Mais d’autre part, c’est humain, nous nous demandions chaque matin pendant les mois de travaux ici, si nous en verrions un jour la fin.

Et encore la veille de l’ouverture, nous n’étions pas rassurés: les gens allaient-ils venir? Viendraient-ils une fois par curiosité? Et si ce que nous avions fait ne plaisait pas?… Si cela était le cas, notre temps de survie serait très court.

Or, nous avions investi, engagé notre vie, l’avenir de nos enfants, nos finances, dans cette aventure… Nous pouvions tout perdre!

Pendant toute cette période, nous plaisantions entre nous sur cela, mais nous tremblions parfois secrètement. Ne pas trembler un peu dans ces cas-là, ce n’est pas humain!»


Qu’est-ce qui a été le plus difficile ?

«Certainement, les travaux très lourds que nous avons eu à réaliser. Il a fallu plus qu’une petite rénovation: remettre à neuf la maison de fond en comble, littéralement. Planchers et même poutres à changer… Des travaux qui n’étaient pas prévus au départ, qui se sont ajoutés au budget, et aux délais!

Les artisans carhaisiens avec lesquels nous avons travaillé ont été consciencieux et de bon conseil, les banques compréhensives…

Mais nous avons entendu dire que des Carhaisiens finissaient par se demander si nous allions ouvrir un  jour. La rumeur disait que nous n’allions pas aboutir!»


«Faire des crêpes», en Bretagne, pour des «étrangers» diraient certains, des non-Bretons, diraient d’autres, n’est-ce pas une gageure ?

«Si!… Mais l’avantage de la crêpe bretonne, c’est sa diversité: crêpe ou galette; les Bretons se disputent déjà sur l’appellation, alors quant aux goûts et aux couleurs…!

Et la crêpe est cosmopolite. Elle est connue à travers le monde. La crêpe bretonne a cet avantage de posséder un socle immuable – une tradition solide, une culture, des références fortes – et sur cette base-là de permettre de l’innovation, de la diversité…»


«La billig» est tout un symbole… Comment et où avez-vous appris à réaliser des crêpes «bretonnes»? Avez-vous étudié le passé et la présence si ancienne de la crêpe et des «crêpières» dans la vie quotidienne des Bretons? Et vous sentez-vous quelque peu continuateurs de cette antique tradition ?

«Oui ! Nous avons étudié plus que les techniques de fabrication: les traditions gustatives. Il y a les puristes qui ne veulent pas d’œuf dans la  pâte; ceux qui en veulent au contraire ; ceux qui veulent du blé noir de telle origine; ceux qui en veulent du bio…

Malgré mes origines mayas, je veux faire mienne la culture bretonne, et –oui– m’inscrire dans la continuité d’une tradition. Que les Bretons ne le prennent pas mal de ma part !…»


Qu’est-ce qu’une bonne crêpe… et qu’est-ce qu’une «médiocre» crêpe ?

«Ce serait présomptueux de dire que nos crêpes sont les meilleures !… Les «retours» de la clientèle qui nous font le plus plaisir, et dont nous apprenons le plus, sont ceux des anciens. De ces Bretons âgés qui viennent voir ma femme pour lui dire : «Vos crêpes me rappellent celles de ma jeunesse !»

C’est le compliment qui lui fait le plus plaisir. Ce sont ces gens qui sont les vrais juges; les grands-pères et grands-mères, dont beaucoup aiment bien s’installer à un endroit de la salle d’où ils peuvent observer Fiorella faire ses crêpes… Certaines «mamies» viennent même voir de plus près. Et les appréciations de celles-là valent plus que tout !» 


Quels ingrédients sont indispensables et où vous les procurez-vous ?

«Les ingrédients de base sont bien sûr le blé noir, le froment, le beurre et tous les «classiques» de la crêpe. Notre démarche est de privilégier autant que possible les produits bretons, et un approvisionnement local; même s’il nous faut aussi parfois passer par la grande distribution.

Mais pour prendre un exemple, nous achetons de la tomme de pie noir bretonne fabriquée à Plévin par Tifenn Le Moal, qui est une passionnée de cette race, dont il reste un peu moins de 2500 têtes, et dont des éleveurs essaient de remettre en évidence les grandes qualités. Tifenn Le Moal possède un petit cheptel de pie noir et fabrique elle-même du beurre et une excellente tomme, qui donne une saveur, une fleur sans pareille.

On trouve aussi maintenant de plus en plus de blé noir produit en Bretagne, et nous sommes toujours à la recherche de blés noirs de caractère, de blé noir bio… Nous nous approvisionnons beaucoup auprès de minoteries comme celle de Lanhouarneau dans le Nord-Finistère…

Nous travaillons le sucré-salé, en faisant des crêpes dessert au blé noir.

Un maître-glacier de Haute-Savoie nous fabrique des glaces au blé noir, au chouchen, aux pommes cidrées… C’est un fournisseur de glaces aux saveurs vraiment exceptionnelles.»


Votre crêperie offre, tant par l’aspect de sa façade que dans sa décoration intérieure, un cachet que l’on devine soigneusement pensé, et réalisé… Quel fil directeur, quels «concept» ou réflexions ont guidé vos choix ?

«L’idée de Fiorella était que je décline le Gwen ha Du dans la décoration du restaurant, ce qui m’avait paru compliqué…

Il fallait déjà oser le noir, couleur délicate à obtenir en peinture dans un joli ton, et surtout à maintenir. Une peinture qui résiste aux intempéries, à la poussière, aux traces, aux rayures, et qui vieillisse bien.

J’ai fait la conception du restaurant, et Charles-Etienne Foyer, ébéniste, a réalisé la devanture.

J’ai dessiné le blason qui nous sert de logo, et obéit aux lois de la héraldique, tout en disant un peu notre histoire: la couronne du duché de Bretagne parce que le premier monument historique que j’ai visité en France était le château de Nantes, château de la duchesse Anne de Bretagne. Les hermines et le Gwen ha Du pour mon arrivée en Bretagne bretonnante et ma découverte du monde celtique. Le Renard et la Belette parce que c’est la première chanson bretonne que j’ai apprise. Le blé noir et le froment stylisés pour symboliser la crêperie.

J’aime bien que les choses aient un sens.

Il fallait aussi décliner le Gwen ha Du à l’intérieur du restaurant, dans les tissus, la décoration, aux côtés de vieux meubles bretons…

J’ai longtemps hésité pour le drapeau breton accroché en façade: cela n’allait-il pas faire «trop»… Les Bretons aiment affirmer leur identité mais sans tomber dans l’ostentatoire…

Finalement, il donne la clé d’interprétation de la devanture et de la décoration intérieure.»


«Crêpiers bretonnants» c’est une aventure… et une carte de visite… !

«Oui, tout cela a fait la «signature» de la crêperie «Le Renard et la Belette». Nous ne pouvons désormais plus la changer sans déconstruire cette identité et ce que nous avons construit, comme plusieurs personnes nous l’ont dit. Il nous faut donc trouver des solutions maintenant que nous devons changer nos chaises, par exemple, qui avaient été achetées d’occasion et qui sont désormais fatiguées…»


Pourquoi avoir choisi cette appellation «le Renard et la Belette» ?

«C’est bien sûr en référence à la célèbre chanson bretonne «J’entends le loup, le renard et la belette…»

Nous cherchions un nom pour la crêperie. Ayant été un peu Web-designer, j’ai travaillé le sujet.

L’idée du «Renard et la Belette» me trottait dans la tête, mais certaines personnes me disaient que cela faisait un peu trop «cliché»… J’avais l’impression que c’était plutôt pertinent en raison de l’identification immédiate à la Bretagne que cela permettait, tellement la chanson est connue partout en France…»


Plus de deux années se sont  écoulées depuis l’ouverture… A-t-elle été telle que vous l’aviez imaginée ? Quelles sont aujourd’hui vos impressions, et premières conclusions ?

«Le succès a dépassé tout ce que nous avions pu anticiper dans nos «prévisionnels» les plus optimistes. L’accueil a été très positif, et la fréquentation telle qu’il a très vite fallu embaucher une troisième personne, puis une quatrième –alors que nous avions prévu de ne travailler qu’à deux– et nous avons été jusqu’à huit, le temps que nous apprenions bien le métier. Cela nous a permis de «tourner» sans nous épuiser à la tâche. Nous fonctionnons alors un peu comme à l’armée: deux jours de travail suivis d’un jour de repos, et ainsi de suite, pour chacun.

Nous voulions, et voulons toujours, travailler dans un esprit d’équipe, comme nous l’avons connu dans l’Aéronavale, avec rigueur mais dans l’entraide, l’amitié, la bienveillance réciproque… Les salariés sont des amis. Nous voulons que chacun vienne travailler avec plaisir.» 


Qui vient déguster des crêpes – et autres mets – à «Le Renard et la Belette» ?

«Tout le monde! Carhaisiens comme gens de passage à Carhaix, visiteurs, touristes et voyageurs professionnels; clients occasionnels et habitués, dont certains viennent deux à trois fois par semaine…»


Comment définiriez-vous le contact avec la clientèle centre-bretonne ?

«Il est vraiment très bon. Nous avons été très bien accueillis, «adoptés»… C’est ce que nous avons ressenti, et qui se confirme par le fait que de plus en plus de Carhaisiens viennent manger chez nous.

Pour nous, ce contact humain est très important. Il faut bien sûr que la crêperie nous permette de vivre, mais nous ne faisons pas ce métier pour l’argent. Cela a été un choix de vie, une passion. Quand vous êtes passionnés, l’argent compte peu dans ce que vous faites. Ma femme aime cuisiner et faire plaisir par ce qu’elle cuisine, gustativement et par le partage.»


Est-ce une clientèle de «connaisseurs» et partant, plus difficile à satisfaire ?

«Parfois, oui… Il arrive que des anciens trouvent que les crêpes manquent de beurre, par exemple. Mais l’époque et la mode ne sont plus au gras, au contraire!

Alors, la crêpière vient parfois voir la grand-mère, on discute, on explique, et la famille lui offre une autre crêpe, faite à son goût… Et tout est parfait!

La critique de ces anciens n’est jamais blessante. Elle est positive, constructive. On la reçoit avec plaisir, car elle nous permet d’avancer.»


Et au-delà, quel regard portez-vous sur notre contrée et ses habitants ?

«Ils sont accueillants et ouverts. Je n’ai jamais rencontré d’a priori, de problèmes, on ne m’a jamais renvoyé à mes origines… Les Bretons sont des voyageurs, qui connaissent le monde et ne se ferment pas aux gens venus d’ailleurs, au contraire.»


Vous êtes-vous aisément adaptés au Centre-Bretagne ? La mer ne vous manque-t-elle pas ?

«Je l’ai craint un peu au début. Bien que n’ayant jamais vécu en bord de mer –hormis quand j’ai navigué– c’est vrai que j’aimais me sentir à proximité, à dix minutes de voiture… Venir en plein centre de la Bretagne me faisait l’impression d’être un poisson qu’on sort de l’eau. Mais en fait, je m’y suis parfaitement adapté.

Très vite, nous avons participé à la vie locale. Je fais partie de l’association des commerçants. Je rencontre beaucoup d’acteurs de la vie carhaisienne…

Nous avons vraiment le sentiment d’avoir été adoptés, et de nous être bien adaptés.»


Votre crêperie possède donc une forte identité bretonne… La cause de la «bretonnité» vous tient-elle à cœur ?

«Oui, mais sans entrer dans des polémiques politiciennes, sans antagonisme…

Je viens d’un pays, le Salvador, qui a été colonisé par les Espagnols; contre lesquels je n’ai pas de rancœur. C’est de l’histoire ancienne.

Mais la population maya a été décimée par les guerres et les maladies venues d’Europe. Sa culture a été anéantie; l’écriture maya glyphique, les almanachs, leurs mathématiques fondées sur une base 20…Tout cela a été rayé par le colonisateur.

Aujourd’hui, l’Amérique Latine est très américanisée. Mais avec la culture nord-américaine, «hamburger et coca-cola»… Je n’ai rien contre l’Amérique du Nord, mais sa puissance commerciale balaie tout.

Les seuls gens capables de lire le maya sont actuellement des érudits américains et non des Indiens, qui ont oublié leur culture.

Au Guatemala, des personnes essaient de créer des écoles pour enseigner le nahuatl aux enfants, un peu comme les écoles Diwan. Des scientifiques forment des enseignants…

Deux ou trois grandes tribus –les Lacandons au Mexique, les Cakchikel et les Tz’utujils au Guatemala– portent encore les tenues traditionnelles, sortes de kilts dont le tissage signale aussi la tribu et le clan auxquels on appartient…

Mais ces grandes civilisations ont disparu et ces peuples ont perdu leur identité. Depuis 500 ans, ils «flottent» dans un entre-deux…

Je vois la souffrance  quand une identité est détruite, la difficulté à se retrouver soi-même…

Pourtant, quand on voit leurs réalisations, l’ingéniosité et le savoir qu’ils possédaient pour construire des cités comme Tical, la cité maya du Petén, Tenochtitlan la capitale des Aztèques, ou les cités des  Toltèques, des Olmèques, des Pipils, comme celles des Incas au Sud…

Et encore, on vient de découvrir que sous la couche forestière du Petén s’étend une «Rome antique» enfouie. Et au Pérou, ce que l’on croyait être des dunes sont aussi des pyramides enfouies !…

Tout cela pour dire que je comprends ce que ressentent et vivent les Bretons quant à leur culture. Je sais l’importance d’une langue, d’une culture, de racines, d’une identité, et j’aime voir les Bretons défendre les leurs. Je les y encourage et les appuie! 

On vante beaucoup la «diversité» aujourd’hui; voilà une façon de la respecter et de la vivre !»


Comment vous inscrivez-vous dans cette «bretonnitude» et comment la concevez-vous ?

«Je m’intéresse à la culture bretonne, à sa littérature, à son art… Mais j’ai encore beaucoup à découvrir !

Et j’espère pouvoir un jour me mettre au breton, quand je disposerai d’un peu plus de temps.»


Vous voici acteurs de la vie économique locale ; quelle est votre analyse de la situation ? Quelles sont à vos yeux les forces et les faiblesses de notre contrée en ce domaine ?

«Je ne prétends pas pouvoir apporter grand-chose de nouveau ou d’original sur ce sujet!

L’enclavement du Centre-Bretagne reste une de ses faiblesses. Et si Internet apporte à une région enclavée, il lui nuit aussi car son commerce local souffre énormément de cette concurrence.

Or, cette concurrence est aujourd’hui hors norme, irrésistible. Nous vivons une transformation, à laquelle survivront ceux qui parviendront à s’adapter. Les autres disparaîtront. C’est un tsunami et il faut en mesurer l’ampleur. Car on ne peut pas arrêter un tsunami: il vient doucement mais sa pression est gigantesque.

Mais nous sommes des hommes dotés d’une intelligence. A nous de réfléchir. On peut trouver des solutions…

Carhaix et le Centre-Bretagne ont des atouts. La situation géographique, la qualité de vie…

On voit naître un mouvement de fuite des grandes villes vers les campagnes. Il faut parvenir à en tirer parti.»


Quelles actions primordiales sont à entreprendre, quelles pistes sont à suivre prioritairement pour développer ce Centre-Bretagne  et favoriser l’implantation et la vitalité des commerces ?

«Je crois à des entreprises comme un développement des potentialités qu’offre le Canal de Nantes à Brest, mais pour en faire plus qu’une voie navigable: une voie culturelle, jalonnée de centres d’intérêts différents, qui se complètent…

Il faudrait implanter ici une «université», un pôle d’excellence dans un domaine pointu, spécialisé, dispenser un enseignement de haut niveau, pour faire venir des jeunes… Il faut attirer ici du savoir-faire.

La Bretagne, c’est la mer et la terre, donc toutes les évolutions touchant les nouvelles énergies, la ressource en eau, les nouvelles façons de produire et de consommer, nous concernent directement, par exemple…

De tels chantiers réclament de gros investissements, qui relèvent de la compétence et des moyens de la Région, mais qui seraient profitables à terme. Le problème est que nous vivons maintenant dans une société de l’immédiateté. Il faut un retour rapide sur investissement…

J’insiste sur la jeunesse, parce que c’est elle qui fera le pays de demain, qui peut apporter du dynamisme, de la créativité, l’envie de construire, de faire des projets d’avenir…

Personnellement, j’aime l’aventure, j’aime faire des projets.

Pour l’instant, je laisse celui-ci se consolider, mais j’espère le moment venu, pouvoir réaliser d’autres projets. Je  crois que cette région a un fort potentiel.»

 


 

Télécharger l’article au format PDF