«Ça y est, je suis mort!» C’est la pensée qui traverse l’esprit de Romain Carlier ce jour terrible où il est littéralement enseveli sous des tonnes de bitume à 180°C.

Nous sommes le 25 avril 2017. Travaillant comme intérimaire dans une grande entreprise de travaux publiques, Romain transporte ce jour du bitume sur un chantier. Soudain, lorsqu’il s’approche du camion-benne pour remplir sa brouette, les portes de la benne s’ouvrent pour une raison inconnue, libérant 7 tonnes d’enrobé bitumeux qui se déversent sur le jeune homme de 27 ans.

«J’avais du goudron des pieds jusqu’aux pectoraux», racontera-t-il plus tard.

Ses camarades de chantier réussissent à le libérer de la gangue mortelle qui enserre son corps et l’aspergent d’eau froide en attendant les pompiers, qui sont contraints d’utiliser un extincteur. Brûlé à 55% dont 48% au 3e degré, il est rapidement évacué par hélicoptère vers l’hôpital d’instruction des armées, le HIA Percy, à Clamart, spécialisé pour soigner de grands brûlés. La première opération dure cinq heures.

36 interventions chirurgicales!

Il est plongé dans un coma artificiel, et six semaines après l’accident, le pronostic vital est toujours engagé. D’autres opérations suivent. Les médecins font tout pour redonner à son corps brûlé un aspect humain en prélevant de la peau saine là où cela est possible, afin de la réétaler pour recouvrir les endroits brûlés. Quelques petits signes encourageants donnent encore de l’espoir à sa famille, au personnel soignant et à ses coéquipiers du rugby-club de Compiègne: même s’il reste dans le coma, il ouvre parfois furtivement les yeux, les reins qui ne fonctionnaient plus, se remettent à marcher, et… tous concluent unanimement: «Romain est un grand battant, il ne lâchera pas.»

Finalement, au bout de presque deux mois de coma, Romain se réveille. Il est toujours intubé et alimenté par sonde, il a perdu 43 kilos, la moitié de son poids, il devra subir des greffes multiples, il sera amputé de deux doigts. Les deux premières années après l’accident, il est opéré 29 fois, et en tout il subit 36 interventions chirurgicales. Mais le pire est derrière lui, et même si le combat est loin d’être gagné, Romain reprend petit à petit sa destinée en main. Pour son médecin, le jeune homme est un «miraculé».

Il se trouve, certes, devant un immense défi, mais c’est un défi qu’il relève sans hésiter.

«Je n’ai jamais eu l’intention d’arrêter le sport, affirme-t-il. Dès que j’ai eu la capacité de parler, après mes deux mois de coma, la première chose que j’ai demandée, c’est si je pourrais reprendre le rugby. C’était ma première phrase. J’ai commencé à jouer dès l’âge de 7 ans, et je compte remettre les crampons».

«Le rugby, c’est une grande famille…!»

«Ne sifflez pas la fin! Le match de ma vie», est le titre d’un livre, co-écrit avec la journaliste Clémence Outteryck, où il raconte son combat.

Le plus dur a été de regarder son corps. «Au début, avoue-t-il, je ne pouvais pas me regarder dans la glace. Voir ce corps greffé, cette couleur rouge sang… Mais aujourd’hui, j’ai appris à m’accepter… Cette expérience m’a aussi appris la patience…» Un point positif: son visage est resté à l’abri des brûlures. «J’ai de la chance dans mon malheur car mon identité est toujours là», confie-t-il à un journaliste.

Dans l’immense combat qu’il engage pour récupérer le maximum de ce qui est possible, il reçoit de partout, mais notamment du monde du rugby, des visites, des messages qui le soutiennent, des photos… de ses coéquipiers du club de Compiègne, mais aussi de rugbymen d’ailleurs, même du Kenya, d’Afrique du Sud, de Nouvelle Zélande, d’Amérique et d’Angleterre!

«J’étais en larmes, raconte-t-il. Je me suis dit: « Je ne suis personne, et toutes les stars de mon enfance me soutiennent… Le rugby, c’est une grande famille…! »»

Et cette solidarité sera pour Romain comme un déclic: «Ces images m’ont boosté… si eux croient en moi, pourquoi pas moi?»

«J’ai gagné le premier round»

Et comme d’autres sportifs qui ont connu des accidents graves ou des problèmes de santé qui les ont parfois retenus longtemps sur un lit d’hôpital ou cloués au fauteuil roulant et qui se sont accrochés au sport pour ne pas sombrer, Romain se lance à fond dans ce nouveau combat. D’étape en étape, il cherche à regagner ce qu’il est possible de regagner.

«J’ai failli mourir, raconte-t-il. Apprendre à marcher à nouveau et me réadapter à la vie quotidienne ont été des souffrances terribles… Peu importe alors que les médecins me disent que je finirai ma vie en fauteuil roulant. J’avais fait le plus difficile. J’étais prêt à me battre pour continuer à repousser mes limites.»

Les séances dans des salles de rééducation, dans des salles de sport, des salles de musculation… sont épuisantes, mais Romain s’accroche, il a un objectif en vue, mais il sait aussi qu’il ne doit pas essayer de brûler les étapes.

«Avec mon corps qui décide à ma place, j’ai appris à vivre au jour le jour.»

En janvier 2018, plus de huit mois après son accident, lors d’une sortie de l’hôpital, il retrouve le stade Jouve-Senez à Compiègne pour assister à un match en fauteuil roulant.

Après plusieurs mois de rééducation à l’hôpital spécialisé de Coubert (Seine-et-Marne), il retrouve petit à petit l’usage de ses jambes. En attendant de rejouer au rugby, il fait du vélo, s’entraîne pour un Paris-Roubaix de 2020, qui finalement est annulé à cause de l’épidémie de Covid 19.

Puis, deux ans après son accident, le club lui propose un poste d’entraîneur des lignes arrières de l’équipe réserve. Il est reconnaissant, il est désireux d’apporter aux joueurs la motivation et l’envie.

Mais pour Romain, ce n’est qu’une étape. «J’ai gagné le premier round», dit-il, mais tout de suite il ajoute: «Ma place n’est pas sur le banc, mais sur le terrain… C’est mon objectif, je travaille tous les jours pour l’atteindre… Je veux transmettre le message qu’il ne faut jamais rien lâcher. On n’a qu’une vie. Même au plus mal, on doit toujours se relever!» Romain regarde l’avenir avec confiance. «Je rêve de devenir éducateur sportif et social pour faire partager mon expérience, confie-t-il. Je suis fier du combat que j’ai mené et que j’ai gagné.»