«Je veux être reconnu en tant que Breton, mais je veux une Bretagne ouverte ! Que notre langue bretonne, notre culture bretonne soient respectées et librement vécues…

Elles sont d’ailleurs appréciées hors de Bretagne. On le constate quand on voit le succès du festival interceltique ou d’autres manifestations comme celle-là ! J’ai aussi pu voir cet intérêt pour la culture bretonne dans des déplacements avec le cercle celtique, ou dans les festoù-noz organisés hors de Bretagne…» 

A l’image de ce que l’on perçoit de sa nature – calme et accueillante – Philippe Le Guennec a la bretonnité solide et sereine, aussi inébranlablement ancrée, qu’elle est résolument dénuée de prétention…

Breton il est. Breton il aime être; sans rien renier de ses racines, de la culture de ses pères, sans autoriser quiconque à les mépriser, mais sans non plus en faire l’objet d’un fétichisme ou d’un affichage ostentatoire.

Ce Breton paisible et ouvert, attentif à l’autre et respectueux de chacun, est de ces véritables chevilles ouvrières de la culture bretonne, travailleurs opiniâtres et enthousiastes remettant sans cesse l’ouvrage sur le métier pour recueillir, porter et transmettre son riche héritage.

Sonneur depuis ses jeunes années, son champ d’expertise est donc la musique bretonne. Surtout celle, traditionnelle, des festoù-noz authentiques, bien qu’il ait joué en cercle celtique au plus haut niveau des compétitions…

A travers son témoignage, nous avons voulu porter à nouveau un regard attentif sur la culture et l’identité bretonnes, cette fois à la lumière de la passion sereine et discrète que vit l’un de ses artisans de l’ombre ; de ceux qui portent en leur cœur la richesse de son héritage, et veulent la faire vivre, pour le simple plaisir de la perpétuer et de la partager.


Voudriez-vous vous présenter brièvement ?

«Je vais avoir 59 ans cette année. Je suis né dans le Morbihan, à Guéméné-sur-Scorff, en pays Pourlet. J’ai vécu toute ma jeunesse à Ploerdut, où mes parents, qui étaient agriculteurs, tenaient une ferme à Locuon.

Je suis venu ensuite sur Rostrenen, où j’ai travaillé quelques années.

Actuellement, je suis chef d’équipe au Centre d’Exploitation des Routes, qui dépend des Agences Techniques Départementales (ATD) du Finistère, et dont les bureaux et les ateliers sont situés à Kergloff depuis 2008, après avoir été à Carhaix. J’y travaille depuis vingt ans, ayant débuté comme agent, puis ayant évolué dans la carrière en passant des examens professionnels…

Je suis marié et nous avons deux enfants.

En dehors de la musique bretonne, j’aime particulièrement le vélo, que je pratique beaucoup en cyclosportif, cyclotouriste. Je participe régulièrement depuis 1994 à la «Pierre Le Bigault» et je dois parcourir 5000 à 6000 kilomètres par an, en Bretagne, en montagne… Mais j’aime surtout rouler ici en Centre-Bretagne, dans les trois départements, où je connais beaucoup de beaux circuits. 

J’aurais du mal à me passer du vélo, et je voudrais pouvoir en faire plus… Mais cela prend du temps! Pour une simple sortie de 100 km, il faut compter quatre heures tout compris…»

Vous êtes féru de musique bretonne, joueur de bombarde, entre autres instruments… Comment tout cela a-t-il commencé ?

«Curieusement et très simplement: un copain d’école, à Ploerdut, Bruno Basso, jouait de la bombarde. J’avais 12 ans. Je m’y suis intéressé. On m’a offert une bombarde pour ma communion, et je me suis mis à jouer avec ce camarade d’école, qui a, lui, ensuite commencé à jouer aussi du biniou…

Nous nous sommes assez vite perdus de vue, à la suite d’un changement d’école, mais j’ai continué à jouer un peu, avant de délaisser la bombarde dans l’adolescence.

J’y suis revenu plus tard, vers l’âge de 25 ans et c’est un petit regret que d’avoir ainsi abandonné la pratique pendant plusieurs années. Mais l’adolescence est souvent un âge où on s’intéresse à d’autres choses. J’étais attiré par la musique de l’époque, celle des années 1975-80…»

Vous avez tout appris en autodidacte ?

«Au départ, oui. Mais quand j’ai eu envie de me remettre à la bombarde, je me suis inscrit à l’Ecole de musique du pays Fisel – aujourd’hui Ecole de musique du Kreiz-Breizh – afin de progresser plus rapidement.

Je maîtrisais déjà correctement l’instrument, si bien que j’ai opté pour la musique dansante. Notre professeur était un accordéoniste – qui jouait sur accordéon chromatique – et j’ai donc joué avec un violoniste, un accordéoniste et un guitariste.

Nous avons démarré ensemble un petit groupe de fest-noz, que nous avons appelé Tro Dañs, et qui a duré une dizaine d’années…

Mais à 12 ans, je jouais entièrement «à l’oreille», et c’est comme cela que j’ai appris à jouer de la bombarde. J’avais l’oreille musicale, comme l’on dit !

Encore aujourd’hui, après des années d’école de musique, si je suis bien sûr très capable de lire une partition, je préfère que l’on me dise l’air à jouer. J’ai probablement commencé trop tard pour maîtriser la lecture rapide des notes de musique. C’est à l’oreille que je joue…

Mes parents appartenaient pourtant à une génération que la musique, la langue et la culture bretonnes n’intéressaient pas beaucoup ; on leur avait tellement «tapé sur les doigts» pour qu’ils ne parlent pas breton, qu’ils n’ont pas cherché à nous transmettre tout cela…»

Il vous a fallu faire preuve de patience et de persévérance ! Y a-t-il eu des moments de découragement, la tentation de renoncer ?

«Non ! Quand j’ai arrêté à l’adolescence, cela n’était pas dû à de la lassitude, mais plutôt à l’envie de voir autre chose…

Par contre, la pratique nous a vraiment manqué pendant toute cette période du Covid! Plus de cours de musique, plus de fest-noz, de festival, de concours…»

Vous pratiquez donc la bombarde, la clarinette, le saxophone… Qu’est-ce qui vous a ainsi amené à passer d’un instrument à l’autre ?

«Je jouais donc de la bombarde en «si bémol», la bombarde classique des festoù-noz, celle qui accompagnait toujours le biniou-kohz autrefois…

Mais j’ai un frère qui jouait de l’accordéon diatonique, si bien que pour l’accompagner, je me suis mis à jouer de la bombarde «en sol». Puis de là, le passage au saxophone est venu assez naturellement…

C’est au début des années 2000 que j’ai pensé incorporer le saxo, en complément de la bombarde, dans notre petit groupe Tro Dañs, et que je m’y suis donc mis, en autodidacte aussi. Je prends maintenant des cours, pour améliorer mon jeu. 

C’est plus délicat pour la clarinette, qui exige de très bien maîtriser les «clétages» pour accompagner un accordéon. C’est toute une technique.

Mais ce n’était pas très difficile de passer de la bombarde en «si bémol» à la bombarde «en sol», qui est simplement un peu plus longue et demande de souffler donc un peu plus fort. Les anches sont identiques, le pincer de l’anche est le même. Ce sont des anches doubles, contrairement à celles de la clarinette et du saxophone. L’anche de la bombarde est plus difficile à maîtriser. Pour jouer juste, il faut jouer souvent, sinon on ne parvient pas à jouer longtemps ; les lèvres ne tiennent pas le pincé…

J’admire d’ailleurs les jeunes sonneurs des bagadoù, qui ont aujourd’hui atteint un niveau extraordinaire !»

Avez-vous cependant un instrument de prédilection ?

«Aujourd’hui, c’est clairement la clarinette; en fait, la treujenn-gaol, c’est-à-dire la clarinette bretonne, celle des anciens, qui a 13 clés, différente de la clarinette classique, qui en compte 24, et qui est plus facile à maîtriser. Le son de la treujenn-gaol est plus puissant… Elle est faite pour accompagner la danse bretonne, comme la bombarde.

C’est ce que je joue le plus, en couple de musiciens avec Dominique Jouve, dans les festoù-noz.

C’est avec lui que j’ai commencé à jouer de la treujenn-gaol. Dominique est un très bon musicien, bien connu en Bretagne. Il fait un énorme travail de collectage auprès des anciens, partout dans le Centre-Bretagne, mais aussi ailleurs…

C’est pourquoi nous jouons des airs traditionnels, anciens, qu’on n’entend pas jouer dans les grands groupes. J’ai énormément appris auprès de lui !

Il a sorti un double album CD, où je joue aussi trois airs traditionnels. Sur le premier CD, on entend jouer des anciens qu’il avait enregistrés…

Mes tout débuts à la treujenn-gaol ont été assez imprévus: le cercle préparait une chorégraphie sur le pardon du Guiaudet à Lanrivain. Dominique nous a fait remarquer qu’il n’y avait même pas de sonneurs de treujenn-gaol pour une chorégraphie qui évoquait le pays Plinn, pays de la clarinette…

Personne ne voulait trop y aller. Je m’y suis donc mis, avec un collègue qui jouait de la flûte traversière…»

Vous avez fait partie d’un cercle celtique, vous jouez en fest-noz, avez pris part à des concours et festivals… Voudriez-vous retracer à grands traits votre «parcours» dans le métier ?

«Jouer en cercle celtique a été pour moi une belle découverte. Cela s’est fait grâce à un partenariat entre l’Ecole de musique du pays Fisel et le cercle celtique Les Blés d’Or, de Saint-Nicolas-du-Pélem, qui cherchait des musiciens. J’y suis resté pendant six ans.

J’ai découvert la richesse de la culture musicale bretonne, la diversité des airs des différents terroirs de la Bretagne. J’ai participé à des concours organisés par la confédération Kendalc’h – qui a fusionné en 2020 avec War’l leur pour devenir la confédération Kenleur – comme celui de Vannes, Tradi’Deiz, un concours de danse bretonne…

Je connaissais les musiques et danses d’ici, dans le Centre-Bretagne – les diverses gavottes, les danses Plinn, Fisel… – mais là, j’ai appris à connaître les danses, les musiques, les costumes des cercles de toute la Bretagne…

Le cercle de Saint-Nicolas-du-Pélem était en première catégorie, et nous l’avons aidé, avec un peu de fierté, à accéder à l’Excellence, ce qui est la catégorie la plus élevée, où nous sommes restés pendant trois années consécutives, dans les premières années 2010.

Avec Dominique Jouve, les huit musiciens que nous étions dans le cercle, travaillions avec les danseurs sur des chorégraphies complexes, qui racontaient une histoire; par exemple, celle des gens de Saint-Nicolas qui allaient autrefois travailler à Jersey : il fallait «raconter» le voyage en bateau, l’arrivée, le travail dans les champs de pommes de terre (etc.), dans différentes scènes, dansées en musique…

Nous ne faisions donc pas que de la musique de concours traditionnelle, du style Tradi’Deiz, pour couples de danseurs, mais aussi des «choré», comme on les appelle… Avec le cercle, j’ai fait le Festival Interceltique de Lorient, le Festival de Cornouaille, les Filets bleus de Concarneau, les Fêtes d’Arvor à Vannes, «Folklores du Monde» à St-Malo, le Festival de la Baule, celui de Sarzeau…

Aujourd’hui, je joue beaucoup de la treujenn-gaol avec mon compère Dominique Jouve dans les festoù-noz, en couple de clarinettistes donc.»

Avez-vous quelque «maître», mentor ou «modèles» parmi les sonneurs ou chanteurs bretons ?

«J’ai parlé de Dominique Jouve… En clarinette, je dirais aussi Christian Duro, qui est un très bon musicien, et Olivier Urvoy, du groupe Darhaou…

Citons encore Tristan Gloaguen, qui a été directeur de War’l leur et qui est du Centre-Bretagne, joueur de clarinette et de saxophone.

A la bombarde, mon collègue Jean-Elie Le Goff, est un très bon sonneur, tout comme son compère Yann Kerjean au biniou. Ce sont des sonneurs qui ont une longue pratique, et une maîtrise remarquable des airs des terroirs Fisel, Plinn… C’est du haut niveau !

Parmi les chanteurs, je mentionnerais les frères Morvan ; les sœurs Goadec ; Marcel Guilloux, Louise et Annie Ebrel…

On a tous bien sûr écouté Alan Stivell, mais est-il dans la pure musique bretonne traditionnelle… ? Ce sont plutôt des gens comme ceux que j’ai cités qui m’ont inspiré.»

Musique et danse bretonnes sont riches d’une grande diversité, chaque «pays» ayant ses traditions – ses «guises» – ses styles… Avez-vous parmi celles-ci des préférences marquées ?

«J’aime beaucoup le Fisel. Quand les musiciens et les danseurs s’harmonisent bien, se «trouvent» bien, ce sont des airs et des danses qui sont prenants, qui vous «donnent la chair de poule» !

J’ai ressenti cela dans les cercles celtiques, où on trouve de très bons danseurs. Mais jouer en fest-noz a aussi tout son charme…»

Quel regard portez-vous sur les évolutions diverses des musiques bretonnes actuelles, entre tradition, classicisme et «métissage» ou modernisme ?

«J’aime la diversité, mais je préfère retrouver dans la musique d’un groupe la base de la tradition, la musique traditionnelle bretonne. Quelque chose qui reste dans le rythme de la danse, dans ses temps forts, même si c’est joué avec des instruments moins traditionnels. J’aime particulièrement, par exemple, ce que fait Mathieu Messager, un très bon musicien du Trégor, qui joue dans le groupe War-Sav, ou Olivier Urvoy et le groupe Darhaou…

J’aime moins quand l’aspect moderne efface le côté traditionnel. Mais à chacun ses préférences!

En musique de couple, à distinguer de la musique de groupe, j’apprécie la diversité. On peut très bien sortir du classique biniou-bombarde ou clarinette, jouer accordéon et bombarde, ou saxophone ou clarinette et guitare, ou bombarde et violon… Je vais tous les ans au concours des sonneurs de Gourin, où j’aime tout particulièrement les «duos libres». 

νEtes-vous sensible aux héritages musicaux des autres peuples celtiques ?…

«Oui ! J’aime écouter les musiques irlandaises et écossaises.

Constant Le Barh, mon professeur de musique, a monté avec sa compagne Enora Morice et un autre musicien un trio où elle joue de la cornemuse, et où il l’accompagne à la clarinette ou en clarinette basse. C’est superbe !

Enora Morice a participé à des concours de cornemuse en Ecosse… elle enseigne la cornemuse à l’Ecole de musique du Kreiz Breizh.»

Qu’en est-il des autres aspects de la culture bretonne et celtique: langue, histoire, arts… ?

«J’apprécie tout, bien sûr… J’aime le chant, la danse bretonne, les contes dans les veillées, et la langue bretonne, que je veux apprendre. Je connais beaucoup de mots et d’expressions, mais je voudrais pouvoir comprendre et parler le breton! Il nous a manqué quelque chose à nous qui sommes des générations à qui le breton n’a pas été transmis par nos parents ! 

Et je suis très favorable à l’apprentissage du breton à l’école. Personne ne parlera moins bien le français, ni ne l’emploiera moins, en apprenant le breton !

C’est notre langue, celle de nos ancêtres. J’aime entendre et écouter parler le breton.

J’admire la façon dont les Basques, ou les Corses, veulent maintenir leur langue. Je crois que les Bretons dans leur ensemble sont moins largement mobilisés qu’eux. On trouve plus de réticence ou d’indifférence ici…»

Que conseilleriez-vous à un jeune habitant de Bretagne désirant découvrir ses racines bretonnes et vivre ainsi sa bretonnité ?

«S’il veut jouer de la musique bretonne, d’aller d’abord dans une école de musique. Il progressera plus vite. Et avant cela, il découvrira la diversité des possibilités, des instruments… Dans un bagad, il devra tout de suite choisir un instrument et sera placé devant un pupitre: bombarde, ou cornemuse, ou percussions…

Pour la danse bretonne, mieux vaut intégrer un cercle celtique. Et ceux-ci recrutent d’ailleurs, car ils manquent souvent de jeunes, surtout de garçons maintenant.

Il faut faire partager la culture bretonne !»

Le renouveau de la culture bretonne est désormais plus que cinquantenaire… Vous paraît-il s’essouffler quelque peu ou conserver son allant, son dynamisme, et mobiliser toujours autant d’intérêt ?

«Je craindrais qu’il y ait actuellement un certain essoufflement. Il est plus perceptible dans la musique traditionnelle, telle que je l’aime, que dans la musique bretonne moderne, que je ne vais pas appeler «folk» pour ne pas choquer…

On a besoin de trouver un second souffle, dans les cercles celtiques, la musique de couples, en chanteurs et chanteuses… peut-être moins dans les bagadoù, qui recrutent sans doute mieux aujourd’hui.

Mais il est difficile d’intéresser les jeunes : les réseaux sociaux, les jeux vidéo (etc.) les occupent beaucoup. Nous sommes très «américanisés»…

Or, il ne faut pas perdre nos racines.»

Dès l’Après-guerre, Carhaix avait été à la pointe du renouveau des bagadoù, puis Poullaouën de celui des festoù-noz… Le Bagad Karaez a plus récemment apporté à la contrée un remarquable «second souffle», sans oublier le dynamisme de ses cercles celtiques… 

La vitalité de la culture bretonne en Centre-Bretagne, qui en est un des hauts lieux, est-elle un acquis, un atout solidement ancré ou un ouvrage à sans cesse remettre sur le métier ?

«Il faut veiller ; continuer à travailler, assurer la relève, intéresser les jeunes…»

Qu’est-ce pour vous que l’identité bretonne, être breton ?

«Je suis fier d’être breton !

La Bretagne, c’est mon pays, ma région. Ce sont mes racines, mes ancêtres. C’est penser à mes grands-parents et arrière-grands-parents que je n’ai jamais connus, qui parlaient breton tous les jours…

C’est garder tout cela, un héritage…

Avec un nom comme le mien – Le Guennec – on est forcément sensible à ses racines !

Et puis, sans être chauvin, nous avons une très belle région. Je pars rarement loin en vacances, celles de ma femme ne correspondent pas toujours bien avec les miennes, mais nous parcourons toutes les côtes bretonnes année après année… C’est magnifique !

Mais tout cela, je veux le vivre en étant ouvert aux autres. Il ne s’agit pas du tout de rester renfermés sur nous-mêmes, au contraire.»

L’on peut donc, à vos yeux, concilier une légitime recherche et une mise en valeur de ses racines et de son identité avec une ouverture à l’autre et aux autres identités et cultures ?

«Bien sûr ! Le partage est une richesse. Les Bretons ont d’ailleurs toujours été ouverts sur le monde, sur les autres cultures…

Par contre, les moqueries, les brimades qu’ont subies certains de nos grands-parents qui ne parlaient pas le français, à l’armée, dans les tranchées de 14-18 et ailleurs, comme les enfants dans les écoles à une époque… tout cela était triste et scandaleux. Une langue apporte toujours quelque chose aux autres, au monde. C’est une richesse de plus. »

Le centralisme français a découragé et, à certains moments, voulu effacer les identités et cultures des peuples composant la nation française… la Bretagne, la langue bretonne, la culture bretonne… en ont particulièrement pâti. D’aucuns ont parlé de «génocide culturel»… Comment analysez-vous ces actions ? Considérez-vous que nous vivons un temps plus apaisé ?

«Oui, les temps ont quand même changé. Je pense que la plupart des gens souhaitent aujourd’hui que les régions gardent leur identité et leur richesse culturelles.

Je ne pense pas qu’il y ait encore un combat contre la langue bretonne, comme nos parents et grands-parents l’ont connu dans le passé.

Les choses avancent petit à petit… Et c’est important !

Mais il est dommage que certaines régions françaises aient perdu leur culture…»

Les récents événements qui ont eu lieu en Corse ont remis en évidence les questions du régionalisme, de l’autonomie, de l’indépendantisme… Quelle est votre approche de la dimension plus politique de l’identité bretonne ?

«Je veux être reconnu en tant que Breton, mais je veux une Bretagne ouverte !

Je respecte toutes les opinions, les idées de chacun, mais personnellement je ne suis pas favorable à une Bretagne indépendante.

Par contre, que notre langue bretonne, notre culture bretonne soient respectées et librement vécues…

Elles sont d’ailleurs appréciées hors de Bretagne. On le constate quand on voit le succès du festival interceltique ou d’autres manifestations comme celle-là ! J’ai aussi pu voir cet intérêt pour la culture bretonne dans des déplacements avec le cercle celtique, ou dans les festoù-noz organisés hors de Bretagne.

Le cercle celtique de St-Nicolas-du-Pelem avait été invité à se produire au Monténégro !…

Il faut dire aussi qu’il existe des cercles celtiques ailleurs qu’en Bretagne, à Paris notamment – j’ai joué avec le cercle de Poissy – et même à l’étranger. Un des derniers festoù-noz que j’ai fait avec mon compère Dominique Jouve, a eu lieu à Angers, à l’invitation de l’Association des Bretons d’Angers, qui a un club de danse bretonne… Les Bretons d’Angers ont souvent des parents ou grands-parents qui étaient venus travailler dans les ardoisières de la région, quand celles de Bretagne avaient fermé.»

Les USA ont leurs Etats, la Suisse a ses cantons, l’Allemagne ses Länders… Quelles évolutions vous sembleraient souhaitables et réalisables en France en ce XXIe siècle ?

«Je suis favorable à une vraie régionalisation, à ce que les régions françaises aient plus de possibilités, soient vraiment reconnues en tant que telles, mais pas à leur indépendance.»

L’Europe, malgré ses difficultés et pesanteurs, vous paraît-elle une chance pour la Bretagne de demain ?

«Je ne sais pas… Sans doute quand elle demande que soient respectées des choses comme la «charte des langues régionales». 

Le mouvement en faveur d’une «Bretagne à cinq départements», territoire de la Bretagne historique, prend de l’ampleur ; y êtes-vous favorable ?

«Oui, pourquoi pas ? Il faut connaître l’histoire ; Nantes a été la capitale du duché de Bretagne…

Mais je ne suis pas du tout certain que les habitants de toute la Loire-Atlantique se sentent Bretons et souhaitent être rattachés à la Bretagne. C’est vrai dans la partie haute du département, dans la région de Nantes, Guérande, La Baule… mais pas dans le sud de la Loire-Atlantique.

Je pense qu’il faut distinguer entre des motivations qui sont culturelles, d’identité, et des considérations politiques ou économiques, financières…»

Voudriez-vous nous dire également en quoi consiste votre métier et votre responsabilité professionnelle dans le secteur de Carhaix ?

«Je suis donc agent de maîtrise, ici, au Centre d’Exploitation des Routes, où je pilote une équipe de cinq agents, sous la direction d’un supérieur hiérarchique, qui est responsable du centre.

Je gère le travail, les plannings, le suivi des travaux, je supervise…

Notre rôle consiste à gérer les 120 kilomètres de routes départementales sur le secteur de Carhaix : mettre en place et entretenir la signalisation routière, nettoyer et faucher les bords de route – ce que nous appelons les «dépendances vertes» – planifier la réfection des chaussées, les entretenir régulièrement, installer les déviations dès qu’il y en a besoin – pour cause de travaux, d’accident, de manifestation sportive…–, entretenir les «dépendances bleues», c’est-à-dire l’accès aux installations de l’assainissement (buses, entrées de champ…), aux ouvrages d’art, entretenir les glissières de sécurité…

Nous avons des «astreintes d’exploitation»: il faut que l’on puisse intervenir à toute heure du jour et de la nuit, 7 jours sur 7, en cas d’urgence, de problème quelconque sur les routes… L’un de nous doit donc être toujours joignable et mobilisable. Cela concerne aussi la «viabilité hivernale», qui va du 1er décembre au 15 mars, pour intervenir en cas de verglas ou de neige, avec la saleuse qui est toujours prête à partir… On suit très attentivement la météo quotidienne.»

Les deux années écoulées, marquées par la pandémie du Covid 19, ont durement touché les activités culturelles, notamment les manifestations de danse et de musique bretonnes en tous genres: festoù-noz, festivals… Comment avez-vous vécu ces mois de privation ?

«C’était difficile à vivre! Les répétitions en couple de musiciens étaient difficiles, les cours de musique étaient fermés, les manifestations impossibles…

On en était réduit à répéter chacun dans son coin, à échanger des enregistrements… Mais c’est plus difficile de se motiver comme cela !

Personnellement, je fais des répétitions quotidiennes pendant ma pause-repas du midi, ici au bureau : une demi-heure à trois quarts d’heure de travail à la bombarde un jour, à la clarinette un autre, au saxo le troisième… Je veille à ne pas trop déranger mes collègues, qui sont très compréhensifs !»

Les perspectives vous paraissent-elles désormais favorables ? Le public est-il au rendez-vous de la relance des événements culturels ? Et les musiciens – et autres – se sont-ils remobilisés ?

«Les choses reprennent petit à petit, mais la situation manque de netteté, de perspective claire…

Les festoù-noz reprennent tout doucement, comme le reste.

Ce sont souvent les grands groupes au style plus «moderne» qui sont invités actuellement. J’aimerais que les organisateurs pensent aussi aux musiciens qui jouent la musique bretonne traditionnelle en couple…

Les développements «modernes» de la musique bretonne reposent sur ses racines profondes. Il ne faut pas l’oublier ; et il ne faut pas les perdre, surtout.»

Quelles sont vos prochaines «dates» ?

«Ma prochaine sortie avec Dominique Jouve sera pour le mois d’août, à Lorient, pour un fest-noz organisé par Dastum, pendant le festival interceltique.

J’en profite d’ailleurs pour donner un grand coup de chapeau au travail magnifique que Dastum a réalisé, depuis des dizaines d’années, pour collecter auprès des anciens le patrimoine bretonnant dans tous les domaines : chant, musique, langue… Le collectage réalisé est d’une richesse extraordinaire ! Ce qu’ils ont fait est tout simplement énorme !»