Le 11 octobre 1943, plusieurs coups violents étaient frappés dans la matinée par des agents de la Gestapo à la porte de Robert Lévy, domicilié avec son épouse Berthe, leur fils Jacques âgé de 14 ans, sa sœur Esther et ses parents au n° 95 de la rue Gambetta à Morlaix.

Ce commerçant qui vendait des tissus, était bien connu sur les foires et marchés de Morlaix et de ses alentours.

Il appartenait à une famille juive originaire de Bulgarie, qui s’était établie en France en 1925 après avoir séjourné pendant 5 ans en Turquie.

Persécuté comme tous ses coreligionnaires depuis l’élaboration du « statut des Juifs » par le gouvernement de Vichy en octobre 1940, il avait vraisemblablement été victime d’une dénonciation.

Une absence providentielle

Lors de l’arrivée de la Gestapo, il effectuait avec son épouse l’achat de quelques denrées au marché de Morlaix, tandis que leur fils Jacques jouait au ping-pong chez un camarade qui l’avait providentiellement invité.

A son retour, celui-ci fut prévenu par une voisine que la Gestapo se trouvait chez lui, où elle venait d’arrêter sa tante Esther, âgée de 22 ans, qui fut déportée à Auschwitz, dont elle ne revint pas.

Son grand-père, cloué par la maladie dans un fauteuil roulant, et sa grand-mère, jugés intransportables, échappèrent à l’arrestation.

Faisant demi-tour, Jacques Lévy réussit à prévenir ses parents.

Tous trois quittèrent alors précipitamment Morlaix à pied et gagnèrent Plourin, où une fermière les cacha dans sa grange, mais seulement pendant quelques jours car elle craignait que sa ferme ne soit brûlée par les Allemands s’ils les découvraient.

Grâce à l’aide du docteur Quinioux, leur médecin de famille, membre d’un réseau de résistance, et à celle de François Le Lay, un boulanger qui les cacha dans sa charrette «sous une fournée de gros pains», la famille Lévy  put atteindre la Mission évangélique bretonne créée en 1885 par le pasteur Guillaume Le Coat à Uzel, sur la commune de Trémel, dans les Côtes-du-Nord. 

Le pasteur gallois de Morlaix John Jenkins y avait implanté en 1861 une œuvre protestante.

Chaleureusement accueillis par « Tonton Tom »

Ils y furent discrètement, mais chaleureusement accueillis et hébergés pendant près d’un an, malgré les risques de dénonciation, par Guillaume Le Quéré, affectueusement nommé « Tonton Tom » par ses  amis, ainsi que par son épouse Marie-Yvonne Droniou.

Le but principal de la Mission évangélique bretonne de Trémel, qui avait par ailleurs créé des écoles, un orphelinat, un dispensaire, une usine à lin, et qui exploitait aussi une petite ferme à Uzel, était de diffuser l’Évangile dans les Côtes-du-Nord, le Finistère et le Morbihan.

Des milliers de Nouveaux Testaments (deuxième partie de la Bible), calendriers bibliques, traités, brochures en français et en breton, ainsi que l’Almanach des Bons Conseils édité par la Société biblique d’Angleterre, et les recueils de cantiques en breton composés par le pasteur de Quimper William Jenkyn-Jones, y furent ainsi gratuitement distribués par les colporteurs de la Mission.

La Bible traduite en breton à partir des textes originaux par G. Le Coat en 1889 (qu’il alla offrir en personne à l’Élysée au Président Sadi Carnot) était, quant à elle, généralement vendue à un prix modique à ceux qui désiraient acquérir une Bible complète.

Colporteur biblique pendant 67 ans

A l’issue de son service militaire, Tonton Tom, neveu de Guillaume Le Coat, s’installa donc à Trémel où il devint colporteur biblique en 1896, à l’âge de 23 ans, à l’occasion de la Foire Haute de Morlaix.

Presque chaque jour, qu’il pleuve, neige ou vente, il enfourchait de bon matin la lourde bicyclette noire qu’il avait choisie «sur le catalogue de la Manufacture d’armes et de cycles de Saint-Étienne, qu’il entretenait lui-même avec un soin extrême». 

La veille, il avait  méticuleusement «préparé son sac de colporteur, une énorme musette de cuir où il rangeait… les brochures, traités, feuilles de chants, évangiles et Bibles» qu’il distribuait ensuite tant dans les campagnes que sur les foires et marchés.

A 82 ans, il fut victime d’une grave congestion pulmonaire.

Son médecin, pour lui éviter une rechute, lui défendit alors l’usage de la bicyclette.

Il acheta donc un vélomoteur, et put ainsi poursuivre sa mission jusqu’à son décès, survenu en 1963 à l’âge de 90 ans.

Le 29 juin 2016, Guillaume et Marie-Yvonne Le Quéré recevaient à titre posthume la médaille des « Justes parmi les Nations » décernée par l’Institut Yad Vashem de Jérusalem, pour avoir sauvé de la déportation Robert, Berthe et Jacques Lévy, ainsi que leur fille Nina qui les avait rejoints à Trémel en 1944 avec son oncle et sa tante, Maurice et Léa Kaufmann.


Guillaume Le Quéré (Tonton Tom) fut un des colporteurs bibliques de la Mission évangélique de Trémel de 1896 à 1963.