« Le geste auguste du semeur… »
Peut-être vous souvenez-vous de ce très beau poème de Victor Hugo, semblable à une ode célébrant les semailles, et plus encore l’attitude hiératique du semeur ?
Au-delà de la puissance évocatrice des mots et du rythme, de la simplicité émou- vante de la scène décrite apparaît la portée considérable du geste accompli :
du labeur naîtra la vie,
le pain de la moisson future.
L’humble paysan devient ainsi un acteur essentiel du théâtre de ce monde !
Comme on est loin de l’irreconnaissance, voire de la condescendance de ton de certains de nos contemporains à l’égard des paysans !
Voici quelques larges échos de ce poème… qui peut-être éveilleront en vous le désir de le relire, de le méditer :
« … Dans les terres de nuit baignées, Je contemple ému les haillons D’un vieillard qui jette à poignées La moisson future aux sillons.
Sa haute silhouette noire Domine les profonds labours.
On sent à quel point il doit croire A la fuite utile des jours.
Il marche dans la plaine immense, Va, vient, lance la graine au loin, Rouvre sa main, et recommence, Et je médite, obscur témoin,
… L’ombre, où se mêle une rumeur, Semble élargir jusqu’aux étoiles Le geste auguste du semeur. »
On discerne chez V. Hugo un respect empreint de reconnaissance envers ce travailleur solitaire qui accomplit une tâche noble.
Que penserait, aujourd’hui, le grand écrivain devant la grande misère que connaissent tant d’agriculteurs, ceux-là mêmes qui nourrissent tous les autres.
D’aucuns feront remarquer que la poé- sie des champs s’en est allée, et que les tracteurs et autres engins bruyants, les engrais et les pesticides, la pollution, les rendements et la productivité imposée, la loi implacable du chiffre, l’angoisse des annuités, des découverts bancaires, la spécialisation à outrance n’incitent pas à rêver ! Et ont à tout jamais enlevé le caractère bucolique et l’harmonie de la vie en symbiose avec la nature.
Est-ce si sûr ?
Certes, l’activité est différente et les contraintes plus grandes, mais l’authentique paysan de ce XXIe siècle n’a- t-il pas toujours l’âme paysanne, et le sens profond du milieu où il évolue…
Peut-être que du semeur de Victor Hugo il ne reste plus de traces, mais combien d’hommes de la terre retrouvent, sinon le geste, du moins cette communion avec la création, qui a marqué la vie des paysans de toutes les époques, et ce sentiment profond de la richesse de son labeur, de son indépendance qu’il appelle liberté !
L’auteur de « La Légende des Siècles » et des « Misérables » se serait certainement ému du sort réservé dans notre civilisation, dans notre société à ces hommes et femmes qui travaillent plus que beaucoup d’autres, assument une tâche exigeante, pleine d’aléas… et ne connaissent pas beaucoup les vacances et encore moins les 35 heures et autres RTT.
Qu’aurait-il conclu en entendant la litanie des suicides, des drames, des dépressions… des découragements, de la résignation de ceux qui n’arrivent plus à faire face aux dépenses, n’ayant même plus de quoi vivre ou presque.
Quelle étrange société, où les « stars », les artistes, les « sportifs de haut niveau », les affairistes et autres « gâtés » du système gagnent des sommes pharamineuses… alors que ceux qui assurent la subsistance de tous, vivent plus que médiocrement et parfois dans la misère…
Pourtant s’il survenait à nouveau quelque guerre ou cataclysme, les valeurs véritables réapparaîtraient comme telles… et les superflues ou très secondaires pâliraient très vite à l’aune de la réalité des faits et de la vie.
Mais qui s’en soucie ?
Si ! Une fois par an, lors du salon de l’agriculture, on redécouvre l’existence des agriculteurs, et de leur irremplaçable travail. Puis, ils retournent dans l’oubli…
Et cependant la France peut être fière de son agriculture, première d’Europe !
Le dynamisme et la faculté d’entre- prendre du monde agricole ne se démentent pas ! Et ce, en particulier en Bretagne où l’esprit d’initiative, l’adaptation au marché, la créativité, sont devenus quasi normatifs.
Quelques chiffres illustrent l’importance de l’agriculture française :
Elle emploie 729 000 personnes…
La collecte du lait s’élève à 24,635 mil- liards de litres,
79,9 millions de tonnes de céréales et oléagineux sont produits chaque année,
5,956 millions de tonnes de « viande » sont commercialisés,
980 milliers de tonnes d’œufs,
5,379 millions de tonnes de légumes frais,
2,588 millions de tonnes de fruits de table,
47,9 millions d’hectolitres de vin… auxquels s’ajoute le « Bio » des quelque
32 326 exploitations, « Bio » qui est en expansion continue…
Oui ! Quelle corne d’abondance, quel immense marché, qui permet à la multitude de Français de se nourrir, de goûter aux fruits de la terre…
Mais quelle surprise, quelle indignation
quand on découvre qu’un agriculteur sur deux ne gagne réellement que 300 Euros par mois.
Et s’il en est qui s’en tirent bien, quelques-uns même très bien, la plupart vivent pauvrement.
Comment cela peut-il être ? Comment cela peut-il durer ?
Quelle est la cause réelle de cette honteuse anomalie ?
Pourquoi ?
Qui a permis que s’établisse et perdure un système vicié et hypothéquant ?
Voilà l’un des plus graves sujets que les candidats et l’élu des futures élections présidentielles devraient traiter !
Mais il est vrai que le nombre des gens de la terre diminue sans cesse, et qu’ils ne forment plus un groupe de pression redoutable.
Qui se lèvera pour défendre cette cause juste entre toutes ?
Il ne s’agit pas d’idéaliser, encore moins de sublimer la vie à la campagne, ni ceux qui y vivent, mais de reconnaître l’importance de leur mission et la dignité de leur travail.
Paysan ! – Ce mot qui fut péjoratif dans la bouche de nombreuses personnes médiocres est devenu une lettre de noblesse !
Que justice leur soit rendue.
La Bible avertit clairement que c’est dans le respect des droits de chacun et de tous
qu’une nation s’élève.