C’est Ermold le Noir, un chroniqueur de cette époque, qui raconte ces événements de l’an 818.Présentant le préfet Lambert, il déclare:
«C’est à lui qu’est confiée la garde de ces frontières, qu’autrefois, une nation ennemie, fendant la mer sur de frêles esquifs, envahit par la ruse. Ce peuple venu des extrémités de l’univers était les Brittons.»
A la cour séjournait Witchaire, un abbé possessionné non loin des terres du chef breton et qu’il connaissait. Louis le chargea de lui transmettre un ultimatum.
L’empereur laissa derrière lui «un petit nombre des siens»
Il s’acquitta au mieux de sa mission, mais reçut du roi Murman, une fin de non-recevoir:
«Les champs que je cultive ne sont pas les siens, et je n’entends point recevoir ses lois. Qu’il dirige les Francs, Murman commande à juste titre aux Bretons, et refuse tout sens et tout tribut. Que les Francs osent déclarer la guerre, et sur-le-champ je pousserai aussi le cri du combat, et je leur montrerai que mon bras n’est pas encore si faible.»
Le conflit était inévitable. Louis rassembla ses troupes, les passa en revue à Vannes, puis s’avança plus au nord vers le Poher. Il assiégea, près de Langonnet (ou de Priziac?), le camp fortifié de Murman, entre marais, forêts et cours d’eau.
C’est lors d’une sortie de l’intrépide et courageux chef que celui-ci succomba:
«Les Bretons sont alors contraints de venir solliciter eux-mêmes le joug du roi franc, et avec eux comparaissent les fils de Murman et toute sa race. Le triomphant Louis reçoit sur-le-champ les serments des Bretons, leur dicte ses lois, leur accorde sa foi, et leur rend ainsi la paix et le repos. Ce prince victorieux réunit à sa couronne un royaume perdu depuis tant d’années pour l’empire, ne laisse dans le pays qu’un petit nombre des siens, et, avec le secours de la bonté divine, reprend, plein de joie, le chemin de ses puissants états».
Ce récit, si précieux soit-il, n’indique pas le lieu de la capitulation.
C’est de Lausanne en Suisse, que nous vient cette intéressante précision. En effet, les «Annales Lausannenses» mentionnent la campagne de 818, et il est précisé que l’empereur poussa jusqu’à Corophesium, c’est-à-dire selon l’avis de plusieurs historiens, l’ancienne Vorgium: «Ludouicus imperator in britannia fuit usque Corophesium anno domini DCCCXVIII».
Ce texte a fait couler beaucoup d’encre, Corophesium pouvant aussi s’appliquer à Coray.
Le roi Morvan résidait-il à Carhaix?
Mais le copiste a pu écrire Corophesium à la place de Carophesium, qui signifie carrefour (Carophes, qui a donné Carahes-Karaes). Toujours est-il, que les historiens reconnaissent que pour figurer dans des annales carolingiennes, la ville de Corophesium, ou «Corophe», devait être importante, digne d’un empereur qui voulait recevoir les hommages des vaincus.
Coray n’ayant pas été capitale régionale, l’ancienne Vorgium des Osismes avait toutes les qualités pour recevoir cet hôte illustre. Même si son importance n’avait plus rien à voir avec la Vorgium antique, pour Joëlle Quaghebeur, historienne de la période, «Il n’apparaît pas déraisonnable d’envisager que Carhaix, siège de civitas au Bas-Empire, ait gardé au haut Moyen âge un rôle politique. Le détenteur du pouvoir a pu y résider: Murman en l’occurrence; sa révolte expliquerait donc la venue de l’empereur et de ses troupes jusqu’au cœur de la rébellion, dans sa volonté de contrôler à nouveau le siège local de la puissance publique».
Nominoé, à l’origine de la Bretagne unifiée et indépendante
Mais la trêve entre Bretons et Francs ne dura pas. Le chef Wiomarc’h se révolta à deux reprises avant de mourir assassiné en 824. Louis le Pieux, lassé de ces révoltes incessantes, décida alors de nommer en 831 un Centre-Breton, Nominoé, comte de Vannes et son Missus Imperatoris (représentant personnel). Ayant autorité sur l’ensemble de la «Brittania», il resta fidèle à l’empereur jusqu’à la mort de celui-ci, en 840.
Il revendiqua ensuite l’indépendance de la Bretagne, et remporta une importante victoire contre Charles le Chauve en 845. «De cette bataille de Ballon date la naissance d’une Bretagne unifiée et indépendante, derrière un souverain unique: Nominoé».
F.K.