Le savez-vous, la «popote roulante» a le vent en poupe en France ? Oui, et même si le concept n’est pas réellement nouveau, son ampleur et la diversité de son expression en font désormais un phénomène de société. L’année dernière, il s’en serait même créé une tous les deux jours ! Il est vrai qu’à l’heure de midi, nombreuses sont les villes, voire villages, où désormais l’on voit des files, parfois impressionnantes, se former sur un trottoir, une place, etc.

Or la raison de cet attroupement n’est autre que la présence d’un de ces camions-restaurants ou food trucks qui proposent hamburgers, bagels, brochettes, empanadas, crêpes, pitas, falafels, salades orientales et autres «plats» d’origines diverses, ayant tous en commun d’être issus d’une cuisine rapide, faite sur place et à emporter ! Véritable phénomène «de société», les popotes roulantes, comme les nomment – avec le charme qu’on leur connaît – nos cousins québécois, méritent qu’on s’y arrête.  

À en croire Annabelle Schachmes, auteur d’un ouvrage sur le sujet, l’origine du «food truck» serait lointaine à tous égards, puisqu’elle remonterait à l’après-guerre de Sécession en 1866. À cette époque, Charles Goodnight, devenu «cow-boy» après la défaite sudiste, doit conduire du bétail du Texas vers le nord. Il transforme alors un traditionnel «chariot bâché» en petite cuisine. Ce «chuckwagon» devant lui permettre de faire rapidement à manger tout au long de son périple. L’expédition terminée, il perçoit le potentiel de son «idée»…  Il transforme alors une diligence de l’armée en cantine mobile, la chargeant de tout ce dont les nombreux cow-boys faisant route vers l’Ouest auront besoin pour se sustenter: haricots secs, farine de maïs, viande séchée, café… Le food truck est né.


De la désertification à la « branchitude »

En France, c’est Jean Méritan, alias Jeannot le pizzaiolo, qui, en 1962, à Marseille, lança véritablement le phénomène, en aménageant un four à bois dans un fourgon Citroën pour y faire ses pizzas ! À peu près à la même époque, dans le Nord, des baraques à frites mobiles voyaient le jour. 

Puis, quelque peu passé de mode, le food truck s’est, au cours des années 80 et 90, souvent mué en épicerie ambulante, sillonnant nombre de campagnes en mal de commerce de proximité. Il devient alors un marqueur du degré de désertification des territoires ruraux et un objet de curiosité, pour ne pas dire de sourires condescendants, de la part d’urbains qui se penchent sur les «tristes conditions d’existence dans le rural profond».

Mais, au tournant des années 2010, alors que la mode de la «street food», bien que connotée «malbouffe», ne cesse de se développer dans les grands centres urbains, une Américaine venue à Paris pour y apprendre la cuisine française va remettre au goût du jour le concept du «food truck». 

Toutefois en dépit de son amour pour la gastronomie française, ce sont bien des burgers qu’elle compte proposer. Mais pas n’importe lesquels: de vrais burgers, authentiques, traditionnels, faits maison : les burgers de son enfance. Et le 29 novembre 2011, Kristin Frederick lance, avec Frédéric Fédière, le 1er «camion qui fume»! Le succès est immédiat et la presse parisienne, notamment, ne tarit pas d’éloges. Il faut dire que la cible marketing a été bien identifiée: «les urbains adeptes de la “branchitude” » comme la décrit si bien A. Schachmes ! 


« Manger vite mais savoureux »!

Le message est clair: «Nos burgers sont concoctés à base de produits frais et de qualité, cuisinés maison», et les prix le sont tout autant! Mais on parle alors «d’expérience unique de consommation tout droit venue des States» ! Près de 7 ans plus tard, ce sont 3 camions qui sillonnent la capitale… 

Devant l’engouement des consommateurs pour ce «nouveau» concept de restauration, nombre d’entrepreneurs se lancent dans l’aventure, cherchant même à démocratiser le concept. 

En quelques mois, les food trucks se multiplient dans toute la France, rivalisant d’imagination pour proposer une nourriture, présentée comme innovante et haut de gamme, offrant pêle-mêle des produits frais, de qualité, en circuits courts ou issus de petits producteurs locaux, bio, éthiques, vegan, épicés ou sans gluten, d’Asie ou d’ailleurs ! Ils ont pour noms le Bo bun, le canard huppé, Doda, Cantine California, Mozza & Co, Vegalicious, les crêpes de Mamick, la Dune des saveurs, le Tartobus, etc.  

«Le food truck reflète bel et bien notre société et l’évolution des modes de consommation. Il se doit de proposer une nourriture qualitative, tel un restaurant… et d’avoir pour maître-mot rapidité, satisfaction immédiate d’un besoin et ce, qu’importe le prix» explique A. Schachmes. «C’est une nouvelle façon de consommer… Manger rapidement, mais des plats savoureux», complète C. Laval, organisatrice du Salon «Saveurs des plaisirs gourmands». 


Quand l’image l’emporte sur la réalité…

Pour autant, le concept n’est pas sans paradoxe. Il n’est qu’à observer ce qui se passe réellement pour le constater. Ainsi, le concept «vend» une façon de consommer rapide et à l’envie. Or «quand vous voulez acheter votre repas à un food truck, vous faites la queue, parfois très longtemps même» explique celle qui est aussi l’auteur de «We love street food». «Et les gens, pressés par ailleurs, sont prêts à attendre pour un hamburger» ! Comme par enchantement, la file d’attente passe au second plan: l’image dépasse la réalité ! 

De même, «l’expérience de consommation» efface également une autre perception, celle du prix ! Ainsi, dans bien des centres urbains, «acheter de la street food à des prix identiques à ceux de la restauration de table ne paraît pas un problème ! C’est quand même une certaine élite qui s’y rend» note, avec ou sans malice, C. Laval.

Toutefois, il est une spécificité du food truck qui, tout en étant «dans l’air du temps» semble répondre réellement à une demande de nombre de consommateurs, et qui peut donc aussi expliquer son succès: la transparence. «Vous voyez les produits de qualité qui vous sont proposés. Le résultat est d’autant plus apprécié que votre repas est préparé devant vous»! Le besoin de proximité, de contact entre «producteur» et consommateur est ainsi satisfait. 


Une dynamique locale controversée

Bref, le concept séduit… Ce qui explique que ces cinq dernières années le nombre de food trucks a été multiplié par quatre en France. Ils seraient aujourd’hui quelque 700 (hors camion pizza et friterie). Toutefois, tout cela n’est pas sans poser un certain nombre de problèmes!

D’abord, beaucoup de mairies de grandes villes ont eu à gérer l’afflux de ces «cantines roulantes» sur les places, dans les rues ou sur les trottoirs.

En certains lieux, c’est même un véritable bras de fer qui s’est engagé entre les «camionneurs et les pouvoirs publics», amenant ces derniers à «légiférer» et réglementer les installations ! Ainsi Marseille, par exemple, a eu jusqu’à 70 demandes par an, nécessitant l’établissement d’une liste d’attente de quelque 100 places !

Outre les installations anarchiques, l’impact économique de ces restaurateurs ambulants est souvent au cœur des débats, la cohabitation de ces nouveaux arrivants (qui bénéficient d’un statut juridique plus avantageux) avec des restaurateurs «sédentaires» déjà sur place étant source de tensions !

La rentabilité en question…

Dès lors, pour contourner ces obstacles, certains food trucks n’ont pas hésité à signer des accords avec des établissement privés (entreprise, cinéma,…); ceux-ci leur offrant la possibilité de s’installer sur leurs parkings, mettant doublement les municipalités dans l’embarras, puisque aux tensions locales s’ajoutent pour les collectivités la perte d’une source de revenus!

Toutefois, il serait erroné de penser que les food trucks soient le nouvel eldorado! Bernard Boutboul, directeur du cabinet de conseil Gira spécialisé dans la restauration, déconseille carrément ce créneau: «L’investissement de départ est entre 80000 et 110000€; donc, pour en vivre, il faut au moins faire cela en termes de chiffre d’affaires annuel. Or, en sortant cinq midis par semaine, le compte n’y est pas. Même en sortant le soir et le samedi, il est très difficile de rentabiliser une telle activité. En travaillant beaucoup, entre 3 et 5% du chiffre d’affaires, on peut gagner un peu moins qu’une restauration classique»!

Or ces dernières années, si nombreux ont été les nouveaux arrivants, remarquées quelques belles réussites, le nombre de faillites a également été important ! 

Alors quelles seraient les clés de la réussite ?


Une niche économique sur trois roues ? 

Le nom se doit d’être «vendeur», le créneau, à savoir les produits proposés (notamment le rapport qualité-prix et l’originalité), bien étudié; enfin, l’emplacement est primordial ! «Se positionner le midi dans un quartier de bureaux, de grosse densité, plutôt haut de gamme est une nécessité», trouver d’autres emplacements porteurs le soir ou être régulièrement sur le lieu de grandes manifestations, le week-end, permet alors de vivre de son activité.

«Toutefois, analyse B. Boutboul, ceux qui aujourd’hui restent le mieux dans la course sont des «mobiles légers», style triporteur, plus petits, avec un investissement nettement inférieur et au final, bien plus rentable !

Bref, vous l’avez compris, la «niche économique» de la «popote roulante» se doit de ne pas être considérée comme la cinquième roue de la charrette, si elle veut être mise sur de bons rails et garder le vent en poupe !

 

 


 

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