Tous la croient morte. Étendue sur son lit d’hôpital, elle n’est qu’une masse inerte, sans aucune réaction visible, maintenue en vie par une machine qui « respire à sa place », nourrie par une sonde qui lui apporte les éléments absolument nécessaires à sa survie.

La vie d’Angèle Lieby, une Strasbourgeoise de 59 ans, aurait pu se terminer ainsi… s’il n’y avait pas eu le refus de la famille, de son mari, de sa fille… de couper cette assistance qui la maintenait en vie en espérant, contre toutes les évidences médicales, qu’elle sortirait du coma, qu’elle reviendrait dans le monde des vivants…

« Personne ne sait que je suis consciente… »

Cette femme sportive, active, pleine de joie de vivre, admise aux urgences de l’hôpital le 13 juillet 2009 pour de violents maux de tête, plongée artificiellement dans un coma profond, vit douze jours de souffrances indescriptibles:

Considérée comme inconsciente, comme insensible à toute douleur, comme incapable d’entendre les conversations dans sa chambre d’hôpital, elle est au contraire tout à fait consciente de tout ce qui se passe autour d’elle. Tout geste et toute parole d’encouragement sont pour elle un réconfort, alors que toute remarque désobligeante et tout geste brusque la blessent profondément…

Elle raconte son expérience dans un livre émouvant, paru il y a déjà 10 ans : « Une larme m’a sauvée ».

«On m’a plongée dans un coma artificiel, raconte-t-elle… Et je suis maintenant paralysée. Emmurée en moi-même. Je crois hurler, mais rien ne sort. J’ai l’impression de bouger, mais mon corps reste inerte… Personne ne sait que je suis consciente…»

Certains examens la font terriblement souffrir, mais elle n’a aucun moyen de communiquer sa douleur… Ses proches, ses amis sont là à son chevet, elle le sait, elle les entend, elle reconnaît les voix… mais elle est incapable de leur faire le moindre signe…

«Comme je voudrais vomir, pleurer, gémir, hurler, taper…, dit-elle. Mais je reste toujours aussi tranquille, impassible, apparemment consentante, aussi inerte que le tronc sur lequel la tronçonneuse s’acharne. Tant que l’arbre ne crie pas, le bûcheron scie…»

Totalement à la merci des décisionsdu corps médical

Quatre jours après son arrivée aux urgences, un médecin dit à Raymond Lieby, son mari, qu’il faut songer à la débrancher. Il lui conseille de préparer ses obsèques. Son mari est réticent, mais il finit par aller choisir un cercueil… avant de se raviser, de se rebeller même, en pensant au chagrin de Cathy, leur fille, et de leurs deux petites-filles.

«J’étais perdu, avoue-t-il. Je la voyais morte, mais je ne pouvais pas accepter qu’on la tue.»

En fait, son épouse n’est pas du tout morte. Elle suit les conversations, les interventions, les examens, les soins, pratiqués parfois sans ménagement, avec une angoisse intérieure grandissante; peur qu’on lui arrache le cœur sans anesthésie, puisqu’elle a autorisé le don d’organes…!

Elle est totalement à la merci des décisions du corps médical… Son seul espoir – et celui-là n’est pas déçu – c’est que les siens veillent sur elle, qu’ils fassent barrage à toute conclusion hâtive de la médecine, quelque logique qu’elle puisse paraître…

Enfin, un petit signe : une larme qui coule… !

Et puis, douze jours après le début de cette terrible épreuve, un petit signe de vie se manifeste. Sa fille, à son chevet, murmure à son oreille : «Ne t’en fais pas ma petite maman, je prends soin de Papa.»

Et là, submergée par l’émotion, Angèle arrive pour la première fois depuis son hospitalisation à communiquer par un signe visible. Oh, c’est un tout petit signe, une petite larme qui coule sur sa joue. Comme elle le dit si bien dans son livre : «la larme qui me sauve la vie !»

Parce que Cathy, sa fille, la voit tout de suite cette larme. Elle crie pour appeler les infirmières. Et jamais plus, elle ne lâchera. Même lorsque certains essayent de lui faire croire que c’est le collyre qui coule. Elle sait que sa mère est vivante et elle est prête à tout faire pour convaincre le corps médical qu’il ne faut surtout pas la débrancher.

Petit à petit, Mme Lieby sort de son état comateux. Elle doit réapprendre à respirer, à manger, à marcher, à parler…, mais l’essentiel est là, elle est en vie !

Certes, la rééducation n’est pas facile. Parfois, elle est à bout de forces. Mais, dit-elle : «Quand le découragement pointe… j’emploie toutes les forces qu’il me reste pour le repousser. Le désespoir ne s’installe pas, car il ne fait pas partie de mon caractère… Je ne veux regarder que vers le haut… Je ne me lamente pas sur ce que j’ai perdu, je spécule sur ce que je peux gagner. Je ne me complais pas dans les hypothèses les plus sombres. Le sombre, je connais désormais; c’est la lumière qui m’intéresse.»

Et durant toute cette période difficile et douloureuse où elle doit tout réapprendre, elle prend des notes pour ne rien oublier. 

«Le premier enseignement que je retire de mon expérience est simple, dit-elle: il faut toujours se battre, quelle que soit la mésaventure qui nous tombe dessus. Toujours y croire. Ne pas cesser d’avancer, même si progresser de quelques millimètres exige un effort acharné. Si l’on n’y croit pas, si l’on abandonne, si l’on considère que gagner ces millimètres ne changera rien, on est condamné d’office. Aller de l’avant, c’est fondamental.»

Et évoquant son séjour à l’hôpital, tout en tirant des conclusions nécessaires, elle veut avoir une pensée pour ceux et celles qui se dévouent quotidiennement pour sauver des vies humaines. «Malgré les inévitables exceptions, dit-elle, j’éprouve une empathie naturelle pour toutes ces personnes, des femmes en grande majorité, qui traversent chaque jour les sas sanitaires pour venir travailler ici. J’admire leur engagement…»

Puis, arrive enfin le jour qu’elle attend ardemment, le jour où elle peut retourner vivre avec ceux qu’elle aime et qui l’ont soutenue tout au long de son épreuve.

«A présent, dit-elle, je suis remplie d’une énergie nouvelle. Douce et durable. Je ne redoute pas la vieillesse: avec ce qui m’est arrivé, c’est devenu un honneur de vieillir. J’ai déjà connu ma fin, il ne me reste donc que de belles choses à vivre. Mon sourire était paralysé; il est revenu, et il est encore plus rayonnant.»

Angèle Lieby veut que son témoignage aide d’autres personnes et éclaire tout le monde. La rédaction de son livre a été, comme elle le dit elle-même, «un peu comme une thérapie… Mais c’est surtout un cri du cœur !»