«Notre souhait, c’est que, au final, dans les 7 500 campings de France, on puisse encore camper.» C’est par cette surprenante déclaration qu’Olivier Lemercier, cofondateur du collectif «Sauvons le vrai camping», résume le but de son engagement et de la pétition lancée.

Quelle menace pèse donc sur le campisme derrière cette phrase et ce slogan chocs?

C’est la fonte «comme neige au soleil» des emplacements nus (destinés à accueillir tentes, caravanes ou camping-cars) au profit des mobil-homes et autres «habitations légères» qui est pointée du doigt… Quelles réalités recouvre donc le camping aujourd’hui?

Rappelons tout d’abord que le mot «camping» vient du latin «campus» puis de l’anglais «to camp» qui aurait donné «camping» pour «établir son campement».

Si la vie sous tente semble avoir toujours existé chez les peuples nomades, les peuples sédentaires semblent l’avoir longtemps cantonnée aux campagnes militaires.

Les congés payés

Ce ne serait qu’au XIXe siècle que le camping se serait développé comme loisir dans la bourgeoisie européenne. En France, le premier «Club français de camping» se crée en 1910. Deux grandes tendances de «camping» se développent alors: celle des grandes organisations plutôt bourgeoises, et celle du scoutisme qui émerge au même moment. De nombreux jeunes y seront initiés aux joies de la vie en plein air, sous tente, contribuant ainsi à démocratiser ce mode d’hébergement.

Mais le développement du camping de loisir viendra réellement à partir de 1936 avec l’apparition des congés payés (2 semaines d’abord, puis 3, 4 et finalement 5 en 1982).

Alliés à un meilleur niveau de vie et à l’essor de l’automobile, les loisirs et les vacances se démocratisent, et avec elles l’envie de découvrir la mer ou la montagne (ou simplement la campagne pour de nombreux citadins).

Camping ou Hôtellerie de plein air ?

Majoritairement «sauvage» à l’époque, le camping de masse entraîne des dégradations de l’environnement, le secteur doit se structurer. Dès 1936 est créée ce qui deviendra la FFCC (Fédération Française de Camping et Caravaning), et en 1959 est promulgué le premier décret limitant le camping sauvage.

Dans les années 1960, le développement des caravanes, puis des camping-cars dans les années 1970, oriente le camping vers plus de confort et la conquête de nouveaux publics.

Dans les années 1990, les campings, qui sont devenus des «hôtelleries de plein air» (HPA), commencent à monter en gamme pour offrir plus de confort et moins d’efforts, voire du divertissement.

A cette époque, le chiffre d’affaires de l’HPA en France avoisinait les 800 millions d’euros. En 2022, ce chiffre était porté à près de 3 milliards d’euros, soit plus que multiplié par 3 en 30 ans!

L’année dernière, elle comptabilisait 135 millions de nuitées (contre 129 millions en 2021), ce qui représente près de la moitié des «lits marchands» en France.

Ces nuitées se répartissaient dans quelque 8000 campings et leurs 900000 emplacements.

La France, 1er pays européen, et n°2 mondial !

Pour accueillir ces campeurs (dont les 2/3 sont des Français), ce sont près de 50000 emplois qui sont nécessaires, mais dont les 4/5es sont des emplois saisonniers.

Ces chiffres portent la France au 1er rang européen de l’hôtellerie de plein air (33% du marché), et au 2e rang mondial derrière les états-Unis d’Amérique!

La Bretagne n’est pas en reste puisque deux de ses départements (le Finistère et le Morbihan) se trouvent dans le Top 5 des départements les mieux dotés (respectivement 4e et 5e). Si les régions les plus fréquentées restent celles du Sud de la France, la Bretagne est cependant la destination préférée des caravaniers et des camping-caristes (qui la plébiscitent à 46%) ! Cela permet aux campings bretons d’afficher des taux de remplissage de 80 à 90% de leurs emplacements.

Une profonde mutation…

L’hôtellerie de plein air se porte donc bien, et le cabinet XERFI prévoit encore pour 2023 une croissance du secteur de plus de 3,5%. Et pourtant, paradoxalement, le nombre de campings a diminué ces 10 dernières années (-300 depuis 2016), quand le chiffre d’affaires du secteur croissait de 3 à 6% par an!

C’est donc que la nature de l’offre a évolué, avec des prix plus élevés… Notons à ce propos qu’en 2022, près de 60% de ces campings étaient labellisés de 2 ou 3 étoiles, et 20% de 4 ou 5 étoiles.

Effectivement, si la tente était l’instrument de base du campisme à ses débuts, rejoint par la caravane, puis le camping-car, depuis le tournant du XXe au XXIe siècle, les mobil-homes, puis les chalets se sont peu à peu imposés sur les terrains de camping, coupant ainsi avec le nomadisme.

La tendance étant à toujours plus de confort et de divertissement, les campings ont également investi d’autres champs, et ainsi 43% des campings proposent de la restauration, 42% un service d’épicerie, 49,5% une piscine, etc.

Vers la fin des campings familiaux ?

En parallèle, la structure de la gérance des campings a entamé une mue profonde, avec un renforcement croissant des grands groupes ou chaînes de camping. Aujourd’hui, 70,5% des campings ont une gestion privée, 24,5% une gestion publique, et 5% une gestion associative.

Ainsi, 29 groupes et 11 chaînes regroupent 1043 campings et 249000 emplacements, soit 28% de l’offre nationale. Et, 610 sites représentent 18% des emplacements, et 26% du chiffre d’affaires du secteur… et a contrario 50% des campings ne représentent que 15% de la fréquentation et 10% du chiffre d’affaires.

Les «campings familiaux» disparaissent ainsi petit à petit au profit des «centres d’accueil».

Le bas coût des emplacements nus est un des arguments du campisme nomade; 23€ par nuitée en moyenne pour 2 personnes, même s’il convient de ne pas négliger l’investissement initial nécessaire en matériel. Mais c’est aussi une des raisons de sa perte d’intérêt du côté de l’offre.

Mobil-homes ou «poule aux œufs d’or» ?

Ainsi, en 2022, ils occupaient 49% d’emplacements contre 51% pour les hébergements locatifs légers… si la proportion peut paraître raisonnable, il convient de noter que c’est un recul de 190000 emplacements nus en 10 ans. Et la tendance s’accélère puisqu’en 2011 le locatif ne représentait que 29%, contre 46% en 2021 et 49% l’an passé!

Et pour cause, quand on sait qu’un emplacement nu en bord de mer peut rapporter entre 1000 et 5000€ par an, et que le même emplacement doté d’un mobil-home pourra rapporter entre 7000 et … 45000€(!) en étant loué jusqu’à 1300€ la semaine! Sachant que le coût d’un mobil-home se situe entre 20 et 60000€, le calcul de rentabilité est rapide. D’autant plus que la durée de séjour moyenne en camping «classique» est de 5 nuits par séjour contre 6,5 pour le locatif.

Ces modes d’hébergement (locatif) répondent à une réelle demande d’une catégorie de la population désirant plus de confort, et sont une nécessité financière pour les hébergeurs comme le rappelait Michel Nore, président de la Fédération de l’hôtellerie en plein air du Var: «Quand vous avez un mobil-home sur un emplacement, vous faites un chiffre d’affaires qui est 4 fois supérieur à un emplacement de caravane, donc cet argent-là permet de réinvestir en masse et de monter en gamme.»

Camping ou Glamping ?

Cette tendance se trouve renforcée par la dernière mode dite du «Glamping» (comprenez la contraction de Glamour et Camping, soit du campisme haut de gamme, sinon de luxe, et souvent «insolite», tel en yourte aménagée, en cabane dans les arbres, roulottes et autres)!

Mais l’alerte donnée par le collectif «Sauvons le vrai camping» rappelle qu’au rythme où «fondent» les emplacements pour «vrai campeur» et au vu du nombre croissant de «campings» refusant ces derniers, il pourrait bientôt devenir compliqué de trouver un emplacement pour planter sa tente ou poser sa caravane…

Il est vrai que ne plus pouvoir planter sa tente dans un camping semblerait être un comble et interrogerait sur la valeur des mots.

On pourrait alors craindre qu’à vouloir les avantages sans les contraintes, le camping perde ce qui fait son charme et son âme !

Guillaume Keller