Le 29 janvier 1918, la première Caisse d’allocations familiales, dite Caisse de compensation, destinée à verser un « sursalaire » aux familles ouvrières dont les revenus étaient insuffisants pour nourrir leurs enfants était créée à Lorient par Émile Marcesche, un industriel dont les entreprises employaient plusieurs centaines d’ouvriers.

Cet entrepreneur était né en 1868 à Lézigné, un village d’Anjou où sa mère était couturière et où son père, menuisier, cultivait une petite vigne.

Très bon élève, tant à l’école primaire qu’à l’École Normale d’Angers où il avait été admis à 14 ans, il avait ensuite exercé le métier d’enseignant pendant une dizaine d’années, notamment en tant que professeur de sciences physiques et naturelles dans cette même École Normale.

Un industriel dynamique…

Puis lors d’une visite chez un oncle à Lorient, il s’était intéressé au monde des affaires.

Après avoir démissionné de son poste d’enseignant, il s’était définitivement installé dans cette ville et y avait créé « La Maison Marcesche », une entreprise d’importation de charbon et d’exportation de poteaux de mines vers Cardiff, ainsi qu’une compagnie d’armement à la pêche: « La Compagnie lorientaise de chalutage à vapeur ».

Vingt ans plus tard, il y fondait aussi « La Grande Cidrerie de Lorient », qui produisait un cidre de qualité, contrairement au cidre local qui aigrissait très vite et se conservait difficilement.

Désireux d’améliorer le bien-être de ses ouvriers

Peu après la création de sa première entreprise, Émile Marcesche s’était attaché à améliorer les conditions de vie et de travail de ses ouvriers. Dès 1905, en échange d’une faible cotisation, il leur avait donné la possibilité d’adhérer à une Caisse de secours.

En cas de maladie, celle-ci leur remboursait leurs frais médicaux et pharmaceutiques, leur attribuait un secours journalier et leur versait une petite retraite lorsqu’ils ne pouvaient plus travailler.

Il fut aussi l’un des premiers industriels à faire installer dans son usine de charbonnage des vestiaires, ainsi que «des bains-douches avec eau chaude et eau froide… et une armoire à tables-chauffantes» pour leur permettre de tenir au chaud le repas qu’ils apportaient de chez eux et mangeaient dans un réfectoire.

En 1917, il mit «à la disposition des employés de sa cidrerie industrielle 4000m2 de jardins ouvriers», et plus tard, fit construire une école libre pour accueillir les enfants des ouvrières de sa dernière entreprise, « Les Kaolins d’Arvor », «souvent laissés à eux-mêmes quand ils n’avaient pas de grands-parents» pour les surveiller.

Sensible à la misère des familles nombreuses

Le décès prématuré de son épouse Louisette Chamaillard, fille d’un imprimeur de Rostrenen, qui lui laissait six enfants âgés de 3 à 15 ans, lui avait fait prendre conscience des difficultés rencontrées par de nombreuses femmes, veuves, contraintes d’aller travailler en usine en échange d’un maigre salaire pour pouvoir subvenir aux besoins de leur famille.

Leur situation s’était aggravée pendant la Première Guerre mondiale, notamment dans les usines d’armement, où les tâches les plus épuisantes et les plus insalubres furent effectuées par «les munitionnettes».

Certaines, debout de jour comme de nuit pendant des périodes de 10 à 14 heures de travail, souvent dimanche compris, soulevaient quotidiennement deux fois 2500 obus de 7 kilos chacun pour les polir (soit 35000 kilos par journée de travail).

D’autres, surnommées «canaris» parce que leur peau et leurs cheveux devenaient jaunes, étaient intoxiquées par les produits acides qu’elles manipulaient dans les usines chimiques, ou souffraient de toux chronique, de maux de tête, d’atteintes du système sanguin, voire de lésions rénales provoquées par le T.N.T., une substance explosive qui risquait à tout instant de faire sauter leurs ateliers.

Émile Marcesche songeait depuis plusieurs années à leur venir financièrement en aide.

En janvier 1918, il réussit à convaincre quatre industriels de se joindre à lui pour créer une première Caisse de compensation interprofessionnelle indépendante et totalement désintéressée, alimentée par une cotisation proportionnée à l’effectif total de leurs salariés.

Une semaine de salaire supplémentaire

Dès le mois d’avril, cet organisme commença à verser aux familles ouvrières «chargées de quatre enfants (de moins de 16 ans pour les filles et de moins de 14 ans pour les garçons), ainsi que d’un grand-parent de plus de 70 ans», une allocation familiale équivalente à une semaine de salaire supplémentaire. 

En 1930, cette Caisse deviendra la Caisse d’allocations familiales légale du Morbihan, puis, le 11 mars 1932, ces allocations seront généralisées en faveur de tous les salariés français de l’industrie et du commerce 


1868-1939: Emile Marcesche,
le fondateur des allocations familiales
(Archives du Morbihan)