Madame de Sévigné, une des plus célèbres épistolières du 18e siècle,  écrivant le 20 septembre 1675 du château des Rochers près de Vitré, à sa fille Madame de Grignan, lui donnait quelques nouvelles de Bretagne:  «M. de Mont-Gaillard fut tué il y a cinq ou six jours, par un frère de Tonquédec. Ils étaient mal ensemble. Mont-Gaillard se jeta sur lui comme un furieux, et lui donna des coups de cette canne dont il s’était si bien servi avec son lieutenant. Pont-Gand tire son épée, lui en donne au travers du corps, et le jette mort. Cette scène s’est passée en basse Bretagne où est M. de Chaulnes».

En fait, il y eut double homicide, et c’est Carhaix qui fut le théâtre de ce tragique événement. Les protagonistes comptaient parmi l’aristocratie la plus en vue de la Province: Claude Maurice Percin,  marquis de Montgaillard tout d’abord.

Officier des mousquetaires du roi, colonel du régiment de Champagne, il avait épousé en 1663 Moricette Renée de Plœuc, héritière du château du Tymeur en Poullaouën, érigé en marquisat en 1616. Il était ainsi devenu marquis du Tymeur, baron de Kergorlay, seigneur de Plouyé, etc. 

L’auteur de l’homicide, Sylvestre de Quengo, baron de Pontgand, né en 1630, était le fils de René, seigneur de Tonquédec. La sœur de Sylvestre de Quengo avait épousé en 1648 Toussaint le Moyne de Trévidy, marquis et châtelain de Kergoat (Kergoët), en Saint-Hernin, qui était une des plus importantes forteresses de basse Bretagne. Ce dernier était exécré des paysans de la région, tant il était dur et insensible à leur misère. Il était mort en 1674, mais la rancœur était tenace envers les habitants de la forteresse.  

Le pillage du château de Kergoat

Lorsque la révolte des «Bonnets Rouges» éclata dans le Poher en juillet 1675, Sébastien le Balp, ancien notaire royal de Carhaix, né au Moulin Meur en Kergloff, dirigea les insurgés, et il n’eut aucun mal à conduire les révoltés vers Kergoat. 

C’est ainsi que le 11 juillet 1675, au son du tocsin, quelque 6000 paysans se regroupèrent, investirent, pillèrent puis brûlèrent la forteresse. La châtelaine put s’enfuir, mais l’intendant de la marquise fut mis à mort. Cet assaut eut un grand retentissement dans toute la province. Les aristocrates quittèrent les campagnes pour se retirer en ville.

De son côté, M. de Montgaillard avait une position équivoque. C’était son beau-père, Sébastien de Plœuc, marquis du Tymeur (décédé en 1648) qui avait financé les études de droit à Nantes de Sébastien Le Balp. Ensuite il avait été le notaire de l’héritière du Tymeur. Même dans la révolte, les Montgaillard, qui comprenaient la cause des révoltés, étaient restés en contact avec Sébastien Le Balp.

Mais le marquis du Tymeur restait pourtant fidèle au roi. Le comte de Boiséan, gouverneur de Morlaix lui avait écrit le 26 juillet: «Je crois que si vous pouviez gagner leur chef, ou lui faire couper la gorge, tout ce parti se réduirait en fumée». Ce que Charles Percin de Montgaillard n’osa faire, son frère Claude le fera sans hésiter.

Sébastien Le Balp mortellement touché

Le 3 septembre 1675, Sébastien Le Balp vint au château du Tymeur avec 2000 hommes. Lors d’un entretien privé avec les deux frères, il somma Charles Percin de se rallier à sa cause et de prendre la tête d’une armée de 30000 insurgés pour marcher sur Carhaix et Quimper.

C’est alors que Claude Percin tira son épée et toucha mortellement l’ancien notaire. Les frères Montgaillard purent s’enfuir, et les révoltés, privés de chef, brûlèrent en partie le château puis se dispersèrent. 

 Le baron de Pontgand, désirant venger le pillage du château de sa sœur, la marquise de Kergoat, organisa avec la plus grande cruauté la répression de la révolte, même avant l’arrivée du duc de Chaulnes, Gouverneur de Bretagne, à la tête de ses troupes et des renforts royaux.

On voyait des pendus aux arbres de toutes les routes de la région. Ayant appris que le marquis de Montgaillard désapprouvait son action, et surtout était soupçonné de protéger deux suspects, il était animé d’une rancune tenace envers lui.

Légitime défense, ou guet-apens ?

Y a-t-il eu légitime défense, ou guet-apens? Les témoignages divergent. Toujours est-il qu’accompagnés de quelques fidèles, les deux protagonistes se rencontrèrent à Carhaix près de la porte de Motreff, rue du sel (ou de la moutarde, actuelle rue Amiral Emeriau) le jeudi 12 septembre 1675.

Une altercation éclata: des coups de bâton furent donnés, des coups de feu aussi, puis des coups d’épée atteignirent mortellement le marquis de Montgaillard et un de ses amis.  

Le sénéchal de Carhaix, M. de la Boëssière, prévenu, fit arrêter Sylvestre de Quengo et son compagnon François de Beaumont, qui avaient encore en main leurs épées ensanglantées.

Le procès fut long: les accusés ayant trouvé la mort avant sa conclusion, leurs descendants durent payer 12000 livres d’amende ainsi que 107000 livres de dommages et intérêts  aux familles des victimes.

F.K.