«Des fêtes ont lieu demain à Carhaix à l’occasion de l’inauguration du chemin de fer. A 8 heures  il y aura distribution de pain aux indigents; à 11 heures réception du ministre. A 4 heures ½, course de vélocipèdes. Le soir à 9 heures, feu d’artifice puis bal». 

 C’est par ce court entrefilet que le journal «Le courrier de la Cornouaille» annonçait à ses lecteurs un événement qui allait marquer l’histoire de Carhaix de manière indélébile. En effet, le dimanche 27 septembre 1891, était une «grande première» pour le Centre-Bretagne. Une ligne de chemin de fer allait enfin permettre le désenclavement et le développement de la région. Bien sûr, il y avait les routes, et le canal de Nantes à Brest qui permettait aux marchandises de rejoindre l’ancienne capitale des Osismes jusqu’à Port-de-Carhaix… Mais le train, c’était une vraie révolution. Quoi de plus normal qu’un ministre se déplace pour l’occasion! Celui-ci, Yves Guyot, en charge des travaux publics, était arrivé à Morlaix par train spécial le matin même. C’était en effet la première ligne du futur Réseau Breton, la ligne Morlaix-Carhaix qui devait être inaugurée. Longue de 49 km, elle mettait Carhaix à une heure dix de Morlaix, au lieu de six par la route. 

Un repas aux halles pour 200 convives

La délégation qui accompagnait le ministre était composée du préfet du Finistère, de quatre sous-préfets, de députés, sénateurs, responsables des sociétés de chemins de fer… Le trajet devait être ponctué par des arrêts de 10 mn aux gares de Plougonven-Plourin, Le Cloître-Lannéanou,  Scrignac-Berrien, Huelgoat-Locmaria, puis Poullaouën-Plouyé. Arrivé à Carhaix à 11h20, le ministre et les officiels furent accueillis par monsieur de Saisy, maire de Plouguer et monsieur Bernard, maire de Carhaix. Le cortège se forma alors, pour se rendre à la mairie.  Après une courte halte devant la statue de La Tour d’Auvergne, l’accueil officiel et la présentation du conseil municipal, un repas fut servi pour 150 convives dans les grandes halles de Carhaix.  Les discours d’usage effectués, la délégation reprit le train pour Morlaix à 15 heures 30.

Deux compagnies privées géraient alors les lignes de chemin de fer existantes en Bretagne: la Compagnie d’Orléans assurait depuis 1863 la ligne Paris-Angers-Nantes-Quimper, et la Compagnie de l’Ouest celle de Paris-Rennes-Morlaix-Brest ouverte en 1865. Le Centre-Ouest-Bretagne avait été complètement délaissé. Il fallut attendre l’élaboration du plan Freycinet de 1879 pour que le projet d’un Réseau en Centre-Bretagne soit envisagé par les édiles bretons. Ce plan exigeait qu’aucune ville ne soit à plus d’une demi-journée à vélo d’une gare. La Compagnie de l’Ouest se mit à l’œuvre dès que son projet de ligne Morlaix-Carhaix fut, en 1881, reconnu d’utilité publique. La Compagnie prévoyait tout un réseau de lignes rayonnant à partir de Carhaix. Il fut confié pour l’exploitation  (traité d’affermage du 5 mars 1886) à la Société des Chemins de Fer économiques (remplacée en 1963 par la CFTA, Société Générale de Chemins de Fer et Transport Automobile).

Carhaix, la plus grande gare à voie métrique de France

Pour raison d’économie, les lignes devaient être à voie métrique, c’est à dire qu’une distance d’un mètre séparait les rails au lieu d’1,435 ordinairement. Ces voies étroites permettaient «de pouvoir passer partout, contourner les collines, en faisant des courbes très prononcées, et ainsi ne nécessiter ni viaduc ni tranchées ». Le «Réseau Breton»  était le plus important à voie métrique de France: 390 km sur 427 km de lignes, desservant 52 gares. «Carhaix se trouvera au centre, entre l’Atlantique et la Manche» remarqua le ministre lors de son passage à Carhaix. Et comme à l’époque de Vorgium, la ville va rayonner non plus avec des voies romaines, mais avec des voies ferrées. Plusieurs lignes étaient déjà en cours de réalisation en 1891, et furent bientôt ouvertes à la circulation des trains: vers Guinganp (54 km, 1893) et Paimpol (1894); Rosporden (50 km, 1896); Rostrenen (1898), Loudéac (1902) et La Brohinière (vers Rennes, 1907); Pleyben (1904), Châteaulin (1906), et Camaret (1925).

Ce nouveau moyen de transport va modifier en profondeur la situation et les habitudes des habitants du Centre-Bretagne.

Une nouvelle population va faire son apparition. Des mécaniciens, conducteurs, ouvriers qualifiés vont venir s’installer à Carhaix, en provenance d’autres régions.

Le français va durablement s’installer comme langue véhiculaire. Jusqu’à près de 900 cheminots travailleront à la  gare et aux ateliers (Ch. Kerboul). L’apparition du syndicalisme va ancrer durablement la région à gauche politiquement.

Les Centre-Bretons découvrent enfin la mer

Mais c’est dans le domaine économique que les modifications seront les plus remarquables : le matériel agricole, les engrais, la paille même étaient importés, le bétail et les productions agricoles pouvaient être exportés plus facilement.

Des industries s’installèrent (dans l’agroalimentaire surtout) à proximité des voies. Les foires et jours de marchés ou d’événements sportifs voyaient des trains spéciaux affrétés pour l’occasion.

Le tourisme se développant, surtout grâce aux congés payés à partir de 1936, de nombreux Centre-Bretons découvrirent enfin la mer. Mais le développement de l’automobile et du transport routier va petit à petit amoindrir l’importance du rail.

Le déclin était inévitable. En 1967, il fut décidé de supprimer le transport ferroviaire, sauf pour la ligne Carhaix-Guingamp, que les Centre-Bretons réussirent à conserver, et qui fut mise à voie normale.

F.K.