«J’ai une passion pour les langues. Je suis allé en Espagne, en Uruguay et dans d’autres pays d’Amérique du Sud et j’aime aussi beaucoup m’exprimer en espagnol. Quand je travaillais pour les Nations Unies je parlais constamment 4 langues: le français, l’anglais, l’espagnol et le portugais… Pendant mon séjour de 5 ans à Haïti, j’ai aussi appris le créole français.

Je me suis toujours intéressé aux langues locales, comme le soussou, le peul… Et maintenant l’étude du «brezhoneg» me passionne! Un vrai défi!»


Que vous le suiviez dans «son tour» du globe, celui des crêtes des Monts d’Arrée ou de la légendaire forêt de Huelgoat, «Pierre le guide» sait trouver, tout naturellement semble-t-il, les accents et les mots qui retiennent l’attention et parlent au cœur…

Il se dit aussi ému devant la beauté de lieux grandioses qu’il a découverts à l’autre bout du monde lors de ses pérégrinations, qu’en certains petits endroits les plus reculés de la campagne bretonne, à cause de «l’âme» qui s’y trouve…

Et il éprouve autant de plaisir à partager ses connaissances sous son grand chapeau breton qu’à continuer à en acquérir sur les bancs des amphithéâtres de l’université, derrière son ordinateur, dans des livres ou à l’écoute des anciens du terroir, à la rencontre desquels il ne se lasse pas d’aller.

C’est une existence peu commune, portée par toute une philosophie de la vie et une vision du monde, que vous proposent de découvrir ces lignes…

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Pouvez-vous vous présenter brièvement?

«J’ai 51 ans. Jean-François, mon frère aîné et moi-même sommes nés en région parisienne où nous avons vécu toute notre enfance. Ma mère originaire de Berrien, avait comme beaucoup d’autres jeunes Bretons dans les années 60, quitté sa région natale pour chercher du travail à la capitale. Elle a exercé sa profession d’infirmière à l’hôpital Raymond Poincaré de Garches. J’ai cependant toujours gardé un lien fort avec la Bretagne puisque je revenais y passer toutes mes vacances auprès de notre grand-mère. Je n’ai par contre, pas eu la chance de connaître Pierre-Marie, mon grand-père, puisque, granitier à la carrière de Huelgoat, à l’âge de 34 ans il a été prématurément emporté comme tant d’autres, par cette poussière de roche accumulée dans les poumons…

Mais l’histoire familiale est devenue particulièrement douloureuse pour moi, quand à 7 ans j’ai perdu ma maman…

Cela fait partie de mon identité, ma personnalité et explique peut-être que je fais partie de ces gens que l’on appelle hypersensibles…

J’ai également été scolarisé de la sixième à la terminale à Vaucresson au Lycée Toulouse-Lautrec qui accueillait des élèves valides mais aussi des jeunes en situation de handicap, en fauteuil… J’ai donc grandi dans cet environnement et baigné dans ce milieu médico-social, de par la profession de ma mère aussi… Sensible à la souffrance, confronté très jeune au handicap, à la différence physique.

Cela a forgé ma personnalité et l’altruisme toujours très fort en moi, ce désir spontané de venir en aide à l’autre. C’est naturel pour moi… et pas toujours facile à porter, mais je suis comme ça!

Je suis très reconnaissant d’être en vie et de mener cette existence que quelque chose gouverne –j’ai la foi– mais dont nous sommes aussi maîtres. Nous sommes maîtres de notre destinée, créateurs de notre vie par nos choix. Avec cette enfance douloureuse, il aurait été facile de se poser en victime et de s’apitoyer sur son triste sort… mais non, il y a un sens derrière tout cela et à partir de ces bases, l’on fait de son mieux, malgré les circonstances, chacune de nos journées…»

Vous avez fait le «tour du monde», ou pour le moins parcouru de très nombreux pays : 40 sur 4 continents… qu’est-ce qui vous a donné envie de partir ainsi à l’aventure ?

«Dès tout petit, j’ai eu soif de voyager. Je me souviens, à 5 ans j’avais dans ma chambre un globe terrestre lumineux que m’avaient offert mes parents. J’ai passé des heures à le regarder, fasciné, rêvant de voyages. Pourtant dans ma famille personne n’était voyageur. Je n’avais personne, pas même un professeur, ni un ami qui ait pu m’inciter à voyager. Cela était en moi et fera toujours partie de moi…

A 8 ans, j’avais une soif d’apprendre, de comprendre le monde et je voulais parler couramment l’anglais. Les voyages et les langues m’attiraient déjà!

Dès que je l’ai pu, à 18 ans, j’ai travaillé tout le mois de juillet et dépensé ensuite cet argent au mois d’août à voyager en Europe. J’ai ainsi découvert la Corse, la Grèce, la Roumanie…

C’était une soif, une curiosité insatiables de découvrir le monde.

Depuis, j’ai visité 40 pays et vécu dans 7, et je dis que la Bretagne est en quelque sorte mon huitième pays! Dans chaque pays que j’ai habité, j’ai toujours travaillé…

J’ai commencé par l’Irlande à cause, sans doute, du lien avec la Bretagne: la culture celtique, la musique, le climat, la géographie… et de l’anglais, langue que j’aimais déjà tant et que je voulais perfectionner. Je suis parti avec rien du tout, 3 francs, 6 sous!

J’ai beaucoup aimé ce pays, je me suis tout de suite senti «chez moi», sur le plan linguistique aussi. Et d’ailleurs, quand je suis en colère, quand je prie ou quand je suis triste, c’est toujours l’anglais qui me vient d’abord à l’esprit…

J’ai une passion pour les langues. Je suis allé en Espagne, en Uruguay et dans d’autres pays d’Amérique du Sud et j’aime aussi beaucoup m’exprimer en espagnol. Quand je travaillais pour les Nations Unies je parlais constamment 4 langues: le français, l’anglais, l’espagnol et le portugais puisque j’ai aussi habité au Portugal et en Guinée-Bissau, ancienne colonie portugaise de l’Afrique de l’Ouest. J’ai également appris le créole portugais qui est une autre langue que 95% des gens là-bas parlent exclusivement. Pendant mon séjour de 5 ans à Haïti, j’ai aussi appris le créole français.

Je me suis toujours intéressé aux langues locales, comme le soussou, le peul… Et maintenant l’étude du «brezhoneg» me passionne! Un vrai défi! C’est une langue celtique qui n’a rien à voir avec nos langues latines ou anglo-saxonnes…

Mais le cœur y est: j’ai commencé à l’étudier seul puis en suivant des cours intensifs avec Roudour et maintenant 3 heures chaque jeudi à Morlaix. Je finalise actuellement ma visite guidée de Huelgoat tout en breton…

Les phrases entendues de la bouche de ma grand-mère qui s’exprimait en breton résonnent toujours à mes oreilles…»

Pouvez-vous nous citer quelques pays que vous avez connus et qui vous ont particulièrement marqué ? Lequel avez-vous préféré et avez-vous peut-être quitté à regret ?

«J’ai successivement habité entre une et cinq années: l’Irlande, la Guinée-Bissau, l’Espagne, le Portugal, le Liberia et Haïti.

Il m’est impossible de dire quel pays j’ai préféré… je suis tellement reconnaissant envers chacun. Chacun de ces pays est dans mon cœur. Évidemment, il y en a où c’était plus ou moins facile que d’autres. Par exemple le Liberia où je suis arrivé juste après la guerre civile qui avait duré 15 ans. Le pays était exsangue…

L’environnement est très compliqué également à Haïti avec la violence partout présente sur cette terre et dans son histoire. Au-delà de l’image des belles cartes postales, il semblerait que depuis que Christophe Colomb y a débarqué en 1492, cette île n’a pas eu 10 ans de répit: entre le génocide des Taïnos habitant à l’origine sur place, les tremblements de terre, les ouragans, les coups d’État, l’esclavage, les pirates…

Quand le tremblement de terre qui en 2010 a fait 300000 morts s’est produit, je venais tout juste de rejoindre la France pour quelques jours de vacances, et le bâtiment de l’ONU où je travaillais habituellement là-bas s’est effondré, écrasant 100 de mes collègues âgés de 25 à 45 ans qui s’y trouvaient à ce moment-là… Perdre une personne de son entourage n’est jamais facile, mais en perdre ainsi 100 d’un coup… ce fut un terrible traumatisme.

J’ai aussi vraiment côtoyé la misère quand j’ai travaillé 8 ans en Afrique, alors que dans le dernier pays, la Guinée Conakry, sévissait la fièvre Ebola… la Covid n’était rien à côté!

Après ces quinze années «d’humanitaire» soumis selon l’expression de Gandhi à «la violence de la pauvreté», j’avais donné sans compter tout ce que je pouvais. J’étais à bout de forces, je n’en pouvais plus de cette pauvreté, le temps était venu pour moi de rentrer «à la maison»… avec tous ces pays, ces gens à jamais au fond de mon cœur.»

Et plus globalement, de la découverte de toutes ces cultures, modes de vie, civilisations… qu’est-ce que vous retenez particulièrement? Quels leçons ou enseignements tirez-vous ?

«Je me suis rendu compte avec cette chance immense que j’ai de voyager, que malgré les mondes, les cultures, les religions, les situations politiques, sociales, les climats, tellement, tellement différents, les êtres humains sont eux également à la fois très différents mais aussi partout «pareils»! (et cela est vrai au niveau même de la Bretagne: prenez par exemple quelqu’un qui habite sur l’île de Molène et quelqu’un qui vit à Rennes ou à Nantes…).

Partout sur terre, il y a des gens qui sont sympas, des gens qui sont malhonnêtes, des gens qui sont peureux, timides, jaloux, méchants, gentils… C’est l’humanité comme elle est, et aussi comme on doit l’accepter! On n’est pas tous sur le même plan spirituel, pas tous sur le même chemin… mais voilà, on est des êtres humains, tous à la fois si différents et si similaires!»

Durant ces années de voyage, vous avez dû connaître des joies et des peines, des frayeurs et peut-être au contraire des moments avec un sentiment de calme et de plénitude ?

«Haïti a été, je crois, l’épisode le plus traumatique de ma vie. C’était tellement atroce, impensable. Quand j’ai appris la nouvelle du tremblement de terre, j’étais donc en France. J’ai immédiatement essayé d’appeler puis j’ai pris l’avion pour retourner sur place. Je n’ai pas pu tout de suite accéder à Port-au-Prince, la capitale, parce que tout était bloqué. Mais j’étais à Saint-Domingue, à côté, où je pouvais au moins apporter de l’aide. J’avais des collègues hospitalisés gravement blessés. Trois semaines après le séisme, j’ai enfin pu me rendre à Port-au-Prince: tout ce qui existait était à terre, les églises, les écoles, les magasins… plus rien debout, et sans nouvelles de proches…

Malgré ce traumatisme et la violence que j’ai déjà évoquée, je suis resté jusqu’en 2014 à Haïti… J’y ai rencontré des gens magnifiques, découvert une culture extraordinaire, mélange de cultures africaine, latine, française, américaine, passionnant! C’est un «melting-pot» incroyable…

La montagne tropicale y offre des paysages magnifiques qui pourraient faire penser au paradis mais à Port-au-Prince, j’ai aussi vu des endroits qui feraient plutôt penser à l’enfer… Haïti, c’est cette dichotomie étonnante…

Quand je suis rentré au bout de ces 5 années, j’ai souffert de ce que l’on appelle un syndrome post-traumatique… Pendant très longtemps je me réveillais ne pouvant pas croire que j’étais encore vivant, que j‘avais survécu à cette expérience…

Dès que j’ai eu un peu d’argent et de temps devant moi, j’ai décidé de me lancer dans un pèlerinage vers Saint-Jacques-de-Compostelle à vélo depuis le Pas-de-Calais. 2000 km, à raison de 50 par jour sur ce chemin pendant 2 mois: c’est un des plus beaux voyages que j’ai faits de ma vie. J’ai beaucoup transpiré et j’ai beaucoup pleuré pour enfin réussir à évacuer cette expérience. Formidable!»

Regrettez-vous certains voyages ou certaines destinations ?

«Aucunement… non, aucunement. Il n’y a pas de regret à avoir, il n’y a pas d’échec, il n’y a que des expériences…. Si c’était à refaire, je referais tout pareil!»

Vous avez connu des climats très chauds, d’autres très froids… le corps s’y adapte-t-il facilement ?

«Le corps s’adapte comme il peut. Des gens vivent tout le temps sous ces climats, que ce soit très chaud ou très froid.

Quand j’étais dans le nord de la Scandinavie, sur les îles Lofoten, au mois de décembre, il fait 3 heures de pénombre par jour! A 15 h, il n’y a pratiquement pas de lumière! Nous qui nous plaignons parfois en hiver ici!

C’est le premier emploi que j’ai obtenu après avoir décroché mon diplôme de guide-conférencier. J’ai travaillé du mois d’octobre au mois de janvier sur le Polarfront, un ancien navire météorologique rénové pour des croisières haut de gamme, de grand luxe… En décembre, il fait si froid avec le blizzard que 10 minutes dehors peuvent entraîner la mort! Mais les paysages y sont splendides, nous avons la chance de voir des aurores boréales, des baleines à bosse, des orques…

C’était cependant un travail difficile, entre les conditions climatiques, les tempêtes et les clients hyper riches (ce bateau ne proposait que 12 places… imaginez le prix de telles croisières !).

A l’inverse, en Afrique, à Haïti, j’ai connu la chaleur des climats tropicaux et pendant des années sans électricité ni eau courante! Pas le moindre ventilateur! L’eau arrivait à 3 heures du matin… je m’en aspergeais un peu pour pouvoir dormir. Il s’agit là de ne pas trop bouger: la chaleur «plombe» le corps!

Mais l’homme est un animal incroyable d’adaptation! Sur la terre, c’est une espèce qui est partout… Et quand on a la chance de pouvoir bien se couvrir ou d’avoir un ventilateur, de la climatisation, c’est plus facile!

Le plus étonnant dans tout cela est donc effectivement, la faculté d’adaptation de l’être humain!»

Qu’est ce qui vous a paru le plus difficile durant ces années à l’étranger ?

«Ce qui n’était pas facile, mais c’était un magnifique chemin, c’étaient les différences culturelles, l’interculturalité. Quel défi!

Le fait que l’on n’ait pas les mêmes cultures nous amène à penser autrement, à «fonctionner» différemment. La différence de références culturelles entraîne de l’incompréhension et des jugements, parfois des tensions. Je sais que j’ai moi-même choqué en disant certaines choses, sans mauvaises intentions, peut-être de façon maladroite…

Mais ces différences sont en même temps magnifiques, c’est passionnant! C’est tellement riche de rire de nos différences! Il y a tellement de situations qui sont drôles… D’ailleurs en cela les Africains sont extraordinaires: c’est incroyable comment ils sourient et rient tellement plus que nous…

C’est un challenge… et la diversité humaine est une richesse!»

Comment sont perçus les Français à l’étranger ?

«Notre pays suscite encore souvent un certain émerveillement: Paris, la France!

Mais les «maladresses» voire les «bêtises» que disent, ou font parfois nos dirigeants n’améliorent pas les relations internationales, ni notre image à l’étranger!

Et j’entends ici, certaines personnes se plaindre que des Anglais ne feraient pas d’efforts pour parler le français… mais j’ai vu la même chose avec les Français à l’étranger. Depuis de longues années dans un pays, ils ne parlaient pas un mot de la langue et ne s’y intéressaient même pas… typiquement à Haïti. C’est pareil!»

Vous avez eu l’occasion de collaborer durant 8 années pour les Nations Unies. Comment est née cette collaboration ?

Dans quels pays avez-vous ainsi exercé, et quelles étaient vos missions ?

«J’ai d’abord effectué une mission en Guinée-Bissau pendant 2 ans et demi avec une ONG britannique. J’y avais postulé alors que je travaillais en Irlande. Ayant été retenu, j’ai passé des tests, fait des formations puis sur place appris le portugais. Je donnais des cours d’informatique à des fonctionnaires et des étudiants. Fort de cette expérience, je suis parti au Portugal, mais un an seulement parce que je n’étais pas heureux en Europe, je voulais retourner en Afrique. J’ai donc à nouveau postulé comme volontaire aux Nations Unies pour des missions de maintien de la paix dans le monde. Ils recherchent des gens qui ont déjà une expérience professionnelle et qui pratiquent les langues, mon profil les a intéressés: j’avais déjà habité et travaillé en Irlande, en Guinée-Bissau et au Portugal. Cette mission m’a amené au Liberia pour 2 ans et demi, juste après la guerre civile. J’étais heureux d’y travailler et m’en sentais honoré… En tant que formateur, j’étais en relation permanente avec des pays du monde entier, passant sans arrêt d’une langue à l’autre (l’ONU, c’est 193 pays donateurs…). Ces missions de maintien de la paix sont des villes dans les villes, avec des infrastructures incroyables. Le centre de formation où je travaillais était comme une ville avec des bureaux, des hélicoptères, des chars, des logements, etc.

Je passais donc d’une petite ONG familiale en Guinée-Bissau où nous étions une dizaine, à cette énorme machine de l’ONU au Liberia. Il y avait les checkpoints, la situation était encore tendue après les 15 ans de cette guerre atroce avec les fameux enfants soldats et les «anciens combattants» qui à l’époque avaient 18 ans, des gens complètement traumatisés… La mission de stabilisation a pu voir des réfugiés qui peu à peu revenaient, l’électricité qui était petit à petit rétablie sur les boulevards…»

Vous avez également travaillé pendant la crise Ebola en 2015. En quoi consistait votre travail ?

«Il s’agissait donc de ma dernière mission avec les Nations Unies. Mais cette fois, je n’étais pas seulement volontaire, j’avais un vrai contrat et un salaire. J’étais coordonnateur de formation dans le contexte de l’épidémie d’Ebola vraiment horrible…

Des formations existaient, beaucoup d’ONG étaient là, il fallait faire en sorte de mettre en place une base de données qui aide les acteurs humanitaires à communiquer entre eux.

A ces centres de formation, arrivent constamment des équipes du monde entier. Ce sont aussi bien des civils que des Casques bleus, des gendarmes, des policiers, des médecins… A leur arrivée, il leur est proposé une semaine de briefing sur la situation du pays, l’histoire, la géographie, la santé, la sécurité… Cela demande toute une organisation, un gros travail de logistique: il faut des formateurs, des salles, etc.

S’y ajoutaient pour moi des cours que je donnais en informatique, en français ou en anglais aux gens de l’ONU et des ONG locales, Libériens ou Haïtiens.

J’ai aussi mis en place des formations dans les régions en des lieux qui étaient absolument inaccessibles par la route, notamment pendant la saison des pluies et pour ce faire l’hélicoptère était mon moyen de transport!

Je voulais que mes formations aillent à tous, même dans les lieux les plus reculés. Je dormais dans des endroits complètement improbables, dans la jungle, sous tente, dans ma classe… me retrouvant parfois dans des endroits où la boue pouvait atteindre jusqu’à un mètre de profondeur: si jamais tu y restes coincé, il faut attendre une semaine avant d’être secouru!

En tout cas, ce fut beaucoup d’aventures, beaucoup de magnifiques rencontres et beaucoup de reconnaissance, de gratitude!»

Vous avez aussi travaillé en Guinée, notamment en lien avec l’institut français de l’Université Kofi Annan. Pouvez-vous nous en dire plus ?

«Cette expérience m’a permis de peaufiner mes compétences en FLE (Formation Langues étrangères). Mais je n’en garde pas un souvenir impérissable: les instituts français sont indépendants les uns des autres et le management laisse un peu à désirer… Il fallait par exemple attendre bien du temps avant de voir toute rémunération arriver…»

La barrière de la langue a-t-elle été un obstacle pour vous ? Comment l’avez-vous contournée ?

«Je suis un linguiste, j’aime beaucoup les langues: ce n’est jamais un obstacle!

Parrain de deux petits Vikings qui vivent en Suède, c’est pour moi un bonheur d’essayer de communiquer en suédois avec eux!

La langue n’est pas une barrière, c’est un défi, c’est passionnant, c’est la richesse de l’humanité!

Nous ne sommes bien sûr pas tous égaux face aux compétences, certaines personnes apprennent les langues plus facilement que d’autres… il semble que c’est mon cas, par contre il n’en va vraiment pas de même pour tout ce qui est chiffre!

Ceci dit, si apprendre une nouvelle langue a toujours été un plaisir pour moi, cela a représenté à chaque fois beaucoup de travail: j’ai passé des heures en cours, des heures en travail personnel… Y compris pour le créole et le breton!»

A quel moment vous êtes-vous dit: «Maintenant, je rentre», et pourquoi ?

«Comme je l’ai dit, j’avais terminé mes missions avec les Nations Unies, je me trouvais un peu dans une impasse sans réelle perspective professionnelle, physiquement et psychiquement épuisé.

Mais c’était très compliqué pour moi de rentrer en France, à cause de ce qu’on appelle le choc culturel inversé. Après plus de 20 ans d’absence, la France m’était devenue un pays étranger.

Je n’avais cependant plus vraiment le choix. Je me retrouvais sans travail ni argent, pas même pour payer un billet d’avion pour mon retour…

Je n’avais pas de logement en France non plus, mais heureusement, mon frère dans le Nord-Pas-de-Calais, m’a hébergé le temps que je me ressource et m’organise pour mettre à jour tant de formalités administratives puis trouver un studio et du travail… Lors des journées du patrimoine, j’ai eu l’occasion de suivre une visite commentée par un guide. Je me suis alors dit que c’était là une activité qui me conviendrait tout à fait! Je n’ai donc pas tardé à me présenter avec mon CV. L’on m’a dit qu’il était intéressant mais qu’en France pour être guide, il fallait détenir un diplôme qui se préparait uniquement à Boulogne-sur-Mer… Qu’à cela ne tienne! Me voilà à nouveau lancé dans des études supérieures!

J’ai pu intégrer directement le master de guide-conférencier parce que, quand je travaillais à Haïti, j’avais aussi préparé –en étudiant à la bougie le soir chez moi– par correspondance au CNED et à l’Université de Rouen –où j’allais passer à plus de 5000 km les examens– une licence et un master en sciences de l’éducation.

J’ai trouvé ces études de guide-conférencier passionnantes, elles donnaient toutes les bases: en architecture, en littérature, en peinture, en histoire de l’Europe et sur le terrain aussi. Notamment par des stages que j’ai personnellement effectués en Angleterre et en Espagne.

Et en parallèle je donnais des cours d’anglais et d’espagnol à l’université populaire de Berck-sur-Mer.

J’avais donc de nouveau une vie bien remplie et j’étais très heureux de ce que je faisais…»

Après toutes ces pérégrinations, avez-vous satisfait votre soif de découverte ou rêvez-vous encore de découvrir de nouveaux horizons ?

«Oui, mais c’est maintenant la Bretagne que je sillonne, que je suis avide de découvrir jusque dans ses moindres recoins!

Je suis arrivé en 2020 avec ma carte de guide-conférencier en poche et mon expérience de guide en Scandinavie.

J’ai hérité d’un champ de ma maman à Berrien… Pendant toutes ces années où j’ai voyagé à travers le monde, partout je cherchais ma maison: «Où est ma maison?» et je me disais: «Oh, il est sympa ce pays, cette culture, les gens… peut-être que c’est ici!». Je cherchais, je cherchais sans me rendre compte qu’en fait, c’était ici dans ce champ!

J’ai eu beaucoup de chance que ma mère l’achète dans les années 70. Il est resté en friche pendant 45 ans, maintenant je m’y suis construit une toute petite maison rudimentaire, sans commodité, mais où je me plais beaucoup!

Je suis de retour, et ce sont mes terres!

J’avais envoyé mon CV de Nantes jusqu’à Brest en passant par Rennes, partout en Bretagne ! C’est dorénavant là que je voulais vivre et travailler, peu importe où…

La première réponse positive m’est arrivée de l’Office de tourisme de Pontrieux où j’ai donc cherché à louer un petit appartement que j’ai conservé depuis. J’y ai une boîte aux lettres et des commodités dont je ne dispose pas à Berrien…»

Pourquoi avez-vous choisi de vous fixer en Bretagne après avoir vu tant de pays, et certainement de magnifiques régions ?

«C’est donc par cette attache, par ce champ, les racines de ma mère, de ma grand-mère. J’ai fait des recherches pour reconstituer mon arbre généalogique. Je suis remonté jusqu’en 1649. Mes ancêtres du côté maternel sont pratiquement tous nés et morts à Berrien. Jusqu’à cette Jeanne Guyomard née en 1649 et dont j’ai l’acte de décès daté de 1719, preuve écrite! Je lui ai rendu hommage et fait une plaque…»

Après un Master en sciences de l’éducation, puis un autre de Guide-conférencier, vous avez poursuivi les études supérieures en passant récemment un diplôme universitaire d’études celtiques… Qu’est-ce qui vous a motivé à le faire ? Le contraste devait être fort par rapport à vos années que vous qualifiez parfois de «bohème»; l’adaptation ne fut-elle pas trop difficile ?

«Je viens en effet de recevoir par la poste mon diplôme d’études celtiques: je l’ai mis sous cadre et accroché ! C’est un diplôme qui existe depuis Anatole Le Braz, depuis plus de 100 ans! Il a été «remis en fonction» voici une dizaine d’années par Ronan Le Coadic, un éminent sociologue breton. Il permet d’étudier la Bretagne «sous toutes les coutures»: histoire, géographie, économie, politique, arts et lettres… ce que j’ai donc fait, chaque jeudi à l’Université de Rennes 2, pendant 2 ans.

C’est absolument passionnant! Mais c’est du travail: les examens à préparer, les dossiers à présenter…

Le contraste entre la vie à Haïti et les études par correspondance avec les examens à revenir passer en France était effectivement saisissant, mais celui quand je quittais mon petit «domaine» de Berrien pour me retrouver dans la vie estudiantine et le béton de Villejean à Rennes, ne l’était pas moins!

Je suis pleinement heureux à Berrien au milieu de mon champ entouré de mes oiseaux… mais je le suis tout autant dans un amphithéâtre avec un papier, un crayon, à boire les paroles d’un professeur qui fait son exposé! Je m’y sens aussi chez moi! J’aime apprendre, j’aime l’université!»

Depuis 2019 vous êtes donc Guide-conférencier… après avoir commencé sur les îles Lofoten, vous vous êtes arrêté dans les Monts d’Arrée, à Huelgoat. Pourquoi ce choix ? Et d’où vous vient cette connaissance des lieux et de leur histoire ?

«C’était ma destinée, c’est tellement logique: j’avais ma carte, j’avais mon champ à Berrien et il y a la forêt de Huelgoat…

J’ai donc dans un premier temps travaillé pour l’Office de tourisme à Pontrieux en 2020 et l’année d’après, étonnamment, j’ai cherché un emploi dans d’autres offices de tourisme mais n’en ai pas trouvé. J’ai alors décidé de me lancer, comme auto-entrepreneur.

Je me suis très humblement présenté à la mairie de Huelgoat pour demander l’autorisation, à l’Office de tourisme, la Communauté de communes, l’Office national des forêts, aux commerçants, pour leur parler de mon projet et leur demander ce qu’ils en pensaient… J’ai été très bien accueilli, appuyé même. Il n’y avait pas de guide dans la région.

Je me suis donc attelé à la tâche, j’ai peu à peu construit un circuit, étudiant à partir de livres, d’internet, de films et surtout de témoignages des gens du terroir.

Tout ce que j’ai appris dans l’humanitaire me sert beaucoup aujourd’hui, notamment pour le contact avec la population, la façon de gagner sa confiance… Savoir prendre du temps pour se faire accepter de la «communauté»: en Afrique, à Huelgoat et dans les Monts d’Arrée, c’est pareil!

J’ai petit à petit élaboré mon texte, je l’ai appris et puis cette visite, je continue de l’enrichir parce que je continue à apprendre des choses. Je viens d’être accepté partenaire du Parc Naturel Régional d’Armorique. J’en suis vraiment ravi, cela m’ouvre de nouvelles portes, je vais pouvoir acquérir d’autres connaissances…»

En quoi consiste votre travail? Notamment la «face cachée» (sans public) de ce métier ? Comment se gèrent les périodes «hors saison touristique» ?

Menez-vous d’autres activités en parallèle ?

«L’essentiel de mon travail, c’est ma visite guidée de Huelgoat et sa forêt, et le circuit des Monts d’Arrée: Mont Saint-Michel de Brasparts, Roc’h Trevezel, allée couverte de Commana…

Pendant les 4 mois que dure la saison –de juin à septembre– je propose tous les jours sauf le lundi, une visite de 1h30 le matin et une autre l’après-midi. (C’est très intense et vous imaginez donc les bons mollets que j’ai à la fin de la saison!). Le chapeau breton que je porte, c’est ma signature. Quand je le mets, je ne suis plus Pierre, mais «Pierre le guide». Et il est le rappel que l’on est en Bretagne, une terre dont on transmet une histoire…

Grâce au travail avec les médias, les articles, les émissions, etc., j’ai des réservations de groupe à l’avance: familles, écoles, clubs, scouts, hôpitaux ou centres de loisirs…

La face cachée, c’est l’agenda et le téléphone, les réservations sur Internet, les devis, les factures, les déclarations à l’Urssaf. Il me faut être vraiment vigilant et organisé, mais en cela, ce que j’ai appris à l’ONU m’est très utile et j’en suis reconnaissant.

Je propose aussi des conférences, la plus accomplie s’intitule «La Bretagne de A à Z». Je viens de la présenter dans 4 maisons de retraite, à Brest, Saint-Paul, Pleyben et Pleyber-Christ.

J’apprécie beaucoup le contact avec les personnes âgées, j’avais ce projet à cœur et je voudrais le développer notamment à l’automne et en hiver. (L’avantage avec les conférences, c’est que je suis au chaud et au sec!).

Je prends des cours de breton à Morlaix et donne aussi des cours d’anglais à l’INSEAC à Guingamp (Institut National Supérieur de l’Éducation Artistique et Culturelle) et de manière plus informelle, des cours de français à des Anglais ou Américains qui habitent la région…»

Vous qui êtes passionné d’histoire locale, mais pas seulement, quelle période ou quels faits ont votre faveur ?

«Depuis que je suis tout petit, j’aime l’histoire!

Deux choses me passionnent par dessus tout dans la vie: c’est d’abord la planète Terre, cette nature miraculeuse qui nous entoure, sacrée… mais c’est aussi nos ancêtres, tous ces gens qui sont passés sur terre avant nous… Je pense à ma grand-mère, je rêve de personnages comme Guillaume le Conquérant, Jeanne d’Arc, Vercingétorix, etc. Au delà de l’histoire, je me demande ce qu’ils ont réellement vécu… Cela me passionne, je me sens lié à ces gens-là parce qu’ils font partie de nous…

J’aime particulièrement le Moyen âge… mais peut-être plus encore les Celtes, les Gaulois, c’est une période passionnante! Et nous avons la chance à Huelgoat d’avoir le camp d’Arthus!»

Huelgoat, les Monts d’Arrée… terres chargées d’histoire et de légendes… qu’est-ce qui pour vous caractérise le mieux ces lieux et leur histoire ?

«À chaque fois que je passe dans les montagnes, que je traverse Roc’h Trevezel et tout cela, je ressens la même gratitude: merci d’être là! Il n’y a pas à dire: c’est un endroit tellement particulier…

Même à Huelgoat, cette mousse, ces fougères… Il y a comme une «énergie» qui se dégage des éléments: ces roches, ce granit dans cette histoire géologique…

L’«énergie» de la trace de nos ancêtres qui sont passés par là avant nous, aussi.

C’est vraiment spécial!»

Ont-ils des pans de leur histoire qui seraient méconnus mais que vous trouvez particulièrement intéressants ?

«Le mystère de la formation du chaos granitique qui suscite tant de questions, et de réponses, scientifiques ou légendaires: de la formation de la terre avec la tectonique des plaques à la colère de Gargantua affamé qui, fâché de la bouillie d’avoine que les Huelgoatains peu fortunés lui avaient proposée, a jeté ces cailloux sur leur village…

J’aimerais avoir une machine à remonter le temps pour savoir ce qu’il s’est réellement passé sur le plan géologique!»

La transmission semble revêtir une importance particulière à vos yeux. Est-ce ce qui vous anime ? Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans ce métier ?

«La transmission fait partie de mes passions aussi bien que l’histoire et les langues!

Dès mon premier emploi –opérateur téléphonique en Irlande– j’ai commencé à donner des formations…

Et présentement, ce qui me plaît le plus ce sont les rencontres. C’est magnifique les rencontres que je fais! Il y a des émotions qui passent, j’ai vu des gens avoir les larmes aux yeux…»

Quelles leçons retirez-vous de ces années très riches en expériences humaines ? Qu’est-ce qui vous semble le plus important pour l’Homme ?

«Apprendre et progresser !

Je pense que la vie est un terrain de jeu. C’est comme du théâtre, pour que l’on fasse l’expérience, cette expérience de vie sur la terre… Je crois que nous ne sommes pas sur terre pour rien. Nous avons les bases de cette vie, et à partir de là qu’en faisons-nous? Qu’en faisons-nous avec nous-mêmes, avec les autres?»

«2024!» Comment caractériseriez-vous la civilisation de notre époque ?

«Cela ne vous aura pas échappé, nous vivons dans un monde en pleine transition.

J’ai vu partout où j’ai été, cette transition qui s’opère… La vie est faite de cycles, les civilisations aussi, rien n’est perpétuel…

Dans ce monde occidental –qui ne va pas forcément continuer à durer ainsi– nous sommes arrivés à un point où le capitalisme, l’argent, les chiffres ont pris le dessus et nous font perdre «les pédales» et le bon sens !

Et la multiplication de ces procédures administratives imposées… il est temps de revenir à quelque chose de plus humain! J’y crois, j’ai la foi, mais il faut que cela se fasse de la façon la plus douce possible… Or les révolutions malheureusement…

Je pense aussi qu’il faut cesser d’opposer la planète Terre à l’homme et dire qu’on «lui fait du mal». Nous pouvons en être son gardien, en prendre soin, retrouvant le profond respect de la vie, de toute vie…»

Les guerres et les bruits de guerre qui agitent ce monde et l’Europe particulièrement vous semblent-ils anachroniques ou au contraire révélateurs du comportement des êtres humains ?

«Les leçons et drames de l’histoire ancienne ou récente n’ont donc pas été retenus?

C’est comme si l’être humain était encore un grand enfant qui joue, c’est terrible!

Je pense que l’humanité est en processus d’apprentissage…

J’ai connu des Africains, analphabètes parfois, mais remplis d’une grande sagesse et qui pensent à nous Occidentaux, Européens comme de grands enfants qui ont fait «joujou»… Nous avons fait beaucoup de mal à l’Afrique.

Les accords de Berlin qui ont divisé des pays, c’est criminel! L’on a parfois aussi mis du désordre dans des lieux qui n’en avaient pas.

Nous apprenons, mais il semblerait que ça prenne du temps…»

Pensez-vous que de graves conflits voire un conflit généralisé puisse embraser à nouveau l’Europe ?

«J’ose espérer que cela ne se produira pas !

Dans tous les conflits, il y a toujours tellement de civils qui n’ont rien demandé à personne et qui souffrent tant! D’autres enrôlés…»

Quelle est la position de la France dans cet ensemble…

Quel rôle peut-elle jouer ?

«La France, je pense, ferait bien d’être un peu plus humble. Parce que «liberté, égalité, fraternité», nous ferions bien déjà de l’appliquer à nous-même. Et arrêter de donner des leçons! Pour qui se prend-on? Nous ne sommes pas mieux que les autres! Le fait d’avoir habité à l’étranger me donne un regard extérieur, une autre façon de voir les choses, d’autres fonctionnements…

Je trouve l’histoire de France passionnante. J’ai un immense respect pour les gens qui ont «fait» cette histoire: le peuple de Paris, les petits paysans qui ont tant souffert pendant les 10 ans de la Révolution…

Mais il faut maintenant à la France de l’Humilité avec un H majuscule ! Être humble, c’est très important et cela veut dire beaucoup de choses ! »