«S.O.S. amitié, j’écoute !»Comme d’habitude, la voix de Madeleine Béraud qui assure la permanence au centre de l’association SOS Amitié est chaleureuse. Elle a répondu à tant d’appels au secours depuis qu’elle est bénévole pour aider, par une écoute attentive, des hommes et des femmes, jeunes ou plus âgés qui se trouvent dans une situation de détresse et appellent ce numéro comme un ultime recours.

Mais ce soir d’octobre 1971, à 23 h, elle est consternée. Pas de réponse ! Un long silence ! Juste un léger soufflement indiquant qu’une personne se trouve bien là, quelque part, peut-être quelqu’un dans une détresse profonde, tenté de commettre l’irréparable. Mais comment aider quelqu’un qui ne dit rien, qui reste muet, un inconnu dont on ne connaît même pas le nom et l’adresse ?

Chaque soir… à 23 heures!

Certes, il arrive de temps à autre qu’un plaisantin appelle ce numéro juste pour faire un canular–plaisanterie d’autant plus mauvaise qu’elle peut empêcher l’appel de quelqu’un qui se trouve réellement dans une situation désespérée–, mais comment distinguer un faux appel d’un authentique cri au secours?

Malgré le silence comme toute réponse, et intriguée par ce souffle qu’elle entend, Mme Béraud essaie prudemment d’établir un contact avec la personne qui appelle. Elle se présente comme une amie qui est là pour écouter, pour aider, quel que soit le problème. Toujours pas de réponse, malgré son invitation réitérée. Alors, pour meubler ce silence lourd, elle commence à raconter sa journée, à présenter son travail, sa famille… Au bout d’un temps la personne raccroche. Cela aurait pu se terminer ainsi : un appel sans suite et dont on ne connaîtrait jamais la raison.

Le lendemain soir, cependant, exactement à la même heure, un nouvel appel suivi du même silence que la veille ! La bénévole reconnaît immédiatement le souffle d’une personne qui certes reste muette mais qui écoute. Aucun doute, c’est la même personne. Soulagée de la savoir toujours en vie, elle se lance à nouveau dans un monologue où elle tente de captiver l’intérêt de son interlocuteur ou interlocutrice, racontant d’autres événements banals de sa vie. Mais rapidement, cette communication se termine comme la veille.

Un mois entier, sans aucune nouvelle

Puis, troisième soir de suite : même scénario. Mais cette fois-ci, Mme Béraud veut vraiment savoir s’il s’agit d’une plaisanterie ou d’un vrai appel de détresse. Pour en avoir le cœur net, elle hausse un peu le ton et pose la question : êtes-vous muet ?

A ce moment, il se produit quelque chose qui va déclencher enfin la possibilité d’un dialogue. L’inconnu frappe un coup contre le combiné du téléphone, un coup que Mme Béraud interprète comme un «oui» ! A une autre question directe, elle entend deux coups sur le combiné : c’est non.

Ainsi, un échange simple peut commencer, un dialogue qui permet d’apprendre que la personne au bout du fil est une femme, qu’elle a 18 ans et qu’elle est muette suite à une maladie.

Et pendant plusieurs mois, cette «muette du téléphone», comme l’appelle Pierre Bellemare qui raconte l’histoire dans son livre «Ils ont osé ! 40 exploits incroyables», cette jeune femme continue ses appels au centre d’écoute de S.O.S. Amitié pour entretenir un lien, qui apparemment lui semble précieux.

Puis, soudain, les appels cessent. Mme Béraud qui a tant de fois essayé de maintenir le dialogue pour aider cette jeune fille muette à surmonter son épreuve, est inquiète, et en même temps, elle se fait des reproches : a-telle échoué dans sa tâche, n’a-t-elle pas réussi à suffisamment encourager son interlocutrice ?

Un mois entier se passe ainsi, sans aucune nouvelle, puis, à nouveau, à l’heure habituelle–23 heures–, le téléphone sonne, mais cette fois-ci, c’est quelqu’un qui parle, et il faut un petit temps avant que son interlocutrice ne réalise qu’il s’agit de la même personne.

Dans sa détresse, elle voulait se suicider!

Que s’est-il passé ? Enfin, toutes les zones d’ombre peuvent être dissipées, et cette jeune femme peut raconter son histoire avec bien plus de détails. Elle revient de l’hôpital où elle a subi une intervention chirurgicale au cerveau, une opération qui a réussi au-delà de toute attente. Elle a totalement retrouvé sa voix.

Tout au début de sa maladie, ne sachant pas qu’une opération était possible, dans sa détresse elle avait effectivement envisagé de mettre fin à ses jours. Mais avant de passer à l’acte, elle avait voulu essayer un appel à ce centre d’écoute. Son premier contact avec cette bénévole de SOS Amitié lui avait alors redonné l’espoir et le goût de vivre, et soir après soir elle avait renouvelé son appel pour seulement écouter la voix chaleureuse de celle qui répondait et qu’elle apprenait petit à petit à connaître. Ces contacts quotidiens avaient continué à entretenir l’espoir, la gardant de commettre l’irréparable jusqu’au jour où elle avait appris qu’une opération au cerveau était possible.

La voix retrouvée, c’est bien sûr avec une grande joie et une immense reconnaissance qu’elle a voulu reprendre contact.

Un exemple parmi bien d’autres: comment un simple coup de fil a permis de sauver une vie !

Le réseau SOS Amitié a empêché de nombreux drames humains. Un appel téléphonique à un des nombreux centres, à différents endroits en France, a pu redonner le courage, le goût à la vie, l’espérance à toutes sortes de personnes qui, devant un problème, une maladie, un échec ou autre épreuve, qui semblait insurmontable, avaient perdu pied et ne voyaient pas d’autre solution que le suicide.

L’idée de proposer une écoute au téléphone pour prévenir le suicide ou autres drames est née en Angleterre, où un pasteur, le Révérend Chad Varah, bouleversé par le suicide tragique d’une jeune de 14 ans,  publie dans le grand quotidien britannique le «Times» du 2 novembre 1953, une annonce pour le moins inhabituelle : «Avant de vous suicider, appelez-moi à M.A.N. 90.00». Ce pasteur, fondateur d’une organisation appelée «The Samaritans» (Les Samaritains), ouvre ainsi un service pour venir en aide aux désespérés, aux isolés qui n’ont personne pour les écouter.

En France, c’est en 1960 que le pasteur protestant Jean Cassalis et son épouse ouvrent un premier centre d’écoute à Boulogne-Billancourt, où des bénévoles se relaient 24 h sur 24 et 7 jours sur 7 pour répondre aux appels de personnes qui se trouvent dans des situations de détresse, puis d’autres centres voient le jour, un peu partout en France. Des bénévoles sont engagés et formés pour cette écoute qui demande à la fois un grand engagement et beaucoup de sagesse et de discrétion. Déjà la première année, on compte quelque 70 000 appels, aujourd’hui, dans les quelque 50 postes d’écoute en France, ce chiffre est multiplié par 10. Comme témoigne un homme dans une profonde détresse après le décès de son épouse : «Le seul fil qui me raccroche à la vie,c’est S.O.S Amitié ».

(Histoire authentique présentée par A.A, en collaboration avec C.A.)