Serrés les uns contre les autres dans l’étroite cellule de béton, les trois hommes, encore jeunes, attendent leur exécution, prévue cinq jours plus tard. Sur les murs, des inscriptions, gravées à l’aide d’un outil sommaire, témoignent du désespoir d’autres prisonniers qui les ont précédés dans ce lieu lugubre. Leur projet d’évasion a échoué ! Résignés, ils ne voient plus aucun espoir… 

Ce 30 septembre 1943, ils se trouvent au camp de la mort d’Auschwitz-Birkenau, ce camp où plus d’un million d’hommes et de femmes, d’enfants, jeunes ou vieillards ont été exterminés en l’espace de cinq ans ! Ils passent leurs derniers jours dans le «Bloc n°11», surnommé le «Bloc de la mort», où les bourreaux nazis parquaient, comme des bêtes destinées à l’abattoir, des prisonniers récalcitrants qui osaient encore se révolter contre la barbarie. 

Ce que l’on reproche à Josef Rosensaft, Zeev Londner et son frère Moshe, c’est d’avoir, dans les baraquements du camp, élaboré un plan d’évasion.

Il plonge dans les eaux glaciales de la Vistule

Josef Rosensaft a 32 ans au moment où les SS rassemblent les membres de sa famille avec d’autres Juifs du ghetto de Bedzin, en Pologne, et les entassent dans des wagons à destination d’Auschwitz. Josef profite d’un moment d’inattention des surveillants SS pour sauter par la fenêtre du wagon et plonger dans les eaux glaciales de la Vistule. Les nazis ouvrent immédiatement le feu mais le jeune Juif, bien que blessé par trois balles, arrive à se sauver et regagne le ghetto.

Plus tard, il apprendra que pratiquement tous les Juifs de ce convoi furent envoyés directement aux chambres à gaz.

Le répit pour Josef est toutefois de courte durée. Une nouvelle fois, les SS arrivent dans le ghetto, le vidant de tous ses habitants. A nouveau, Josef se trouve dans un train bondé en route vers Auschwitz, cette fois-ci sans réussir à s’échapper.

Mais au fond de son cœur, il garde la même combativité, la même détermination à lutter jusqu’au bout contre un destin qu’il ne peut se résoudre à accepter. 

C’est ainsi qu’avec quelques autres prisonniers, notamment les frères Londner, encore plus jeunes que lui, il élabore un plan d’évasion. S’ils arrivent à fuir, ils se rendront chez un médecin allemand à Katowice, près de Bedzin. Certes, ce médecin est nazi, un SS même, mais c’est un ami de la famille de Josef qui lui a dit qu’il était prêt à le cacher en cas de besoin.

Mais dans le groupe des initiés du plan d’évasion, il y avait un traître, un sous-capo, qui les dénonce aux gardiens du camp, explique leur plan en détail, et dévoile aussi l’adresse du médecin à Katowice.

La punition pour tentative d’évasion, c’est la mort !

Un jeune officier SS du nom de Otto Klaus explique aux trois Juifs que pour tentative d’évasion, il n’y a qu’une punition : la mort ! En attendant leur exécution, ils passent ces quelques jours dans l’étroite cellule du redoutable «Bloc 11» du camp central. Ils ont été dénoncés le jeudi 30 septembre, et comme les exécutions ont en général lieu le lundi, il leur reste cinq jours à vivre. 

Le lundi matin arrive. Les trois amis entendent le bruit de bottes dans le couloir, ils entendent les gardiens ouvrir des cellules tout autour de la leur, traînant dehors les prisonniers, ils entendent les coups de feu dans la cour quand ceux-ci sont exécutés… Josef dit au revoir à ses camarades. «Puissions-nous nous retrouver dans le monde nouveau», leur dit-il.

Puis, ils attendent… une minute, dix minutes, une heure… et personne ne vient les chercher!

Enfin, l’officier, responsable du «Bloc 11», Jacob Kozelczyk, arrive dans leur cellule, visiblement ému.

«Rien ne vous arrivera, leur dit-il, pas aujourd’hui…», puis il ouvre la porte et les conduit jusqu’aux baraquements où ils se trouvaient avant.

Que s’est-il passé? Comment ont-ils pu échapper à une mort qui semblait si certaine? C’est ce que, quelque 80 ans plus tard, Menachem Rosensaft, le fils de Josef, essaie d’élucider.

«Souviens-toi toujours du mal afin qu’il ne puisse plus jamais ressurgir!»

Dans son bureau à New York, plongé dans d’innombrables documents, archives d’Auschwitz ou témoignages de rescapés de ce camp…, il cherche, guettant la moindre petite information pouvant l’éclairer sur le destin de son père.

Celui-ci, libéré à la fin de la guerre, avait pu fonder une famille. Très jeune, son fils Menachem avait entendu ses parents et d’autres personnes évoquer des souvenirs douloureux des camps d’extermination, et lorsqu’il fut en âge de comprendre, son père lui raconta certaines choses, exhortant son fils à ne jamais oublier.

«Souviens-toi toujours du mal, lui dit-il, afin qu’il ne puisse plus jamais ressurgir. Souviens-toi de la force qui a vaincu ce mal et ne la laisse jamais s’étioler, souviens-toi de la foi qui a soutenu le peuple juif !»

Mais son père est décédé sans lui raconter comment il est passé tout près de la mort dans cette cellule du «Bloc 11», et comment lui et ses camarades ont été sauvés.

Ce jour de janvier 2014, derrière des piles de papiers jaunis, il découvre soudain un e-mail d’une amie qui réside en Israël. Elle a retrouvé un livre, en hébreu, où un des frères Londner, co-prisonnier de son père, enfin jette une lumière sur ces jours terribles. Peu après leur libération, celui-ci avait rencontré à nouveau Josef Rosensaft qui lui fit savoir qu’il avait retrouvé son ami, le médecin de Katowice, qui devait les héberger après leur évasion. 

Et c’est celui-ci qui lui avait alors raconté comment un jour il avait reçu une visite inattendue : Otto Klaus, l’officier SS en charge des condamnés à mort, était venu pour l’arrêter parce qu’il recevait et sauvait des Juifs. Seulement, si Otto Klaus connaissait l’adresse du médecin qu’il devait arrêter, il ne connaissait pas son nom. Et lorsque celui-ci lui ouvrit la porte, il le regarda, stupéfait. Il le reconnut immédiatement. Et cette rencontre lui rappela un événement qui remontait à la Première Guerre mondiale. A ce moment-là, ce médecin avait sauvé la vie du père d’Otto Klaus.

Soudain, l’officier nazi se trouve devant un dilemme : va-t-il vraiment arrêter celui qui avait sauvé la vie de son père ?

Son choix est vite fait. Au lieu d’arrêter le médecin, il retourne à Auschwitz écrire un rapport, qui non seulement n’évoque rien qui puisse se retourner contre le vieil homme, mais qui innocente aussi les trois prisonniers qui devaient être exécutés.

Pour Menachem, en prenant connaissance de ces détails, ce fut comme si un rayon de lumière soudain illuminait cette page parmi les plus sombres de l’histoire :

Au milieu des ténèbres de l’horreur absolue, il découvrait là une étincelle d’humanité, capable de toucher le cœur d’un officier nazi et libérer ainsi trois prisonniers qui attendaient la mort.