Ils apparaissent rarement à « la une » de l’actualité… et pourtant, de jour et de nuit, ils effectuent une tâche essentielle.
Les Carhaisiens n’ont pas oublié Georges Jouvin qui pendant quelque 64 ans, avec une persévérance et un dévouement à toute épreuve a incarné en Kreiz Breizh la Croix Rouge et ses valeurs…
G. Lejeune, qui a pris le relais, est de cette trempe-là.
En Breton réservé, il préfère l’action à la parole et le terrain à la scène médiatique mais, habité par le désir de partager et le souci de transmettre, il a cependant accepté de répondre à nos questions.
Et ceux qui, comme lui, passent leur vie à sauver celle d’autres ou à la « soigner » au sens littéral et figuré, ont tant à dire…
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Voudriez-vous vous présenter brièvement?
«Je suis né le 5 juin 1955 à l’hôpital de Carhaix mais j’habitais à Poullaouën. Mes parents y tenaient une petite ferme au village de Kerbaol. J’en ai gardé cet attrait pour la nature et les travaux au jardin.
Je me suis marié le 26 juillet 1980, nous avons eu trois filles qui ont été scolarisées à Carhaix et qui habitent la région. J’ai huit petits-enfants qui vont bien!
Quand j’étais à l’école de Poullaouën en classe de onzième, ce qui correspond au CP actuel, j’ai été accidenté par un outil agricole: un manège à chevaux m’a écrasé le pied. J’ai été opéré par le docteur Pierre qui a dû amputer mon avant-pied. J’ai de ce fait, par la suite été scolarisé en internat à l’école de Saint-Trémeur car nous faisions à pied la route du village jusqu’à l’école au bourg et cela était devenu trop laborieux pour moi.
J’y suis resté jusqu’en troisième avant de m’inscrire au lycée de Campostal à Rostrenen.»
Vous êtes devenu infirmier, puis infirmier anesthésiste, pouvez-vous nous expliquer ce qui vous a amené à faire ce choix professionnel et nous en retracer le parcours?
«A l’issue de la terminale, j’ai échoué au bac… Et comme l’école commençait à me fatiguer un peu, j’ai choisi de travailler. Le premier trimestre de l’année suivante j’ai été à la pisciculture, puis j’ai fait les vendanges, etc. Mais je me suis dit que je n’allais pas continuer ainsi et qu’il valait mieux que je retourne à l’école…
J’ai obtenu le bac et ai été admis à l’école d’ingénieur du génie électrique à Brest. Mais voyant tout le monde passer des concours, j’ai aussi tenté celui de l’école d’infirmière de Morlaix que j’ai réussi à avoir.
J’étais également à la Croix Rouge, dès 1975 j’avais souhaité passer le Brevet National de Secourisme. C’était une formation étalée en période hivernale sur deux ans tous les vendredis soirs et cela m’a tellement plu que je me suis inscrit dans les équipes de secouristes.
En tant que secouriste et infirmier à l’hôpital, très vite j’ai voulu faire partie du SMUR qui venait d’être créé. Mais pour cela il fallait «faire l’anesthésie»… Me voilà donc parti pour l’anesthésie!
Dans un premier temps, il n’existait pas de formation spécifique mais par la suite, pour continuer à pratiquer, est venue l’obligation d’obtenir une certification en anesthésie, ce qui supposait de retourner à l’école… J’ai opté pour cette formation de deux ans que j’ai suivie à Brest puis à Morlaix.»
Quelles sont les principales caractéristiques de cette spécialité? En quoi consiste-t-elle précisément selon les postes occupés?
«Nous travaillions à la fois au bloc opératoire et au SMUR. Quand il y avait un départ au SMUR, nous étions dans l’obligation de partir. Nous quittions le bloc en pleine opération, le médecin anesthésiste prenant alors lui-même le relais pour continuer le travail commencé…
Nous pouvions trouver au bloc toutes les spécialités: l’ORL, la chirurgie viscérale, orthopédique, vasculaire, l’ophtalmologie et en maternité se sont généralisées les péridurales…
L’anesthésie, c’est très rigoureux, il faut faire les choses les unes après les autres et il faut toutes les faire!
On compte sur la technique avant tout et la préparation matérielle est très importante: les plateaux d’intubation doivent être méticuleusement préparés, chacun a sa façon de les agencer: chaque chose à sa place.»
Quels aspects de la profession vous plaisent-ils le plus? Et lesquels vous paraissent les moins faciles?
«Les techniques se ressemblent mais il faut adapter à chaque patient la prise en charge. L’endormissement d’un malade est à chaque fois différent.
L’on utilise pourtant les mêmes drogues, la même technologie, mais la sensibilité de la personne l’amène à réagir différemment.
Il n’y a pas de routine, ce n’est pas répétitif!
Le moins facile, c’est la fatigue. Surtout quand nous faisions des gardes de 24 heures auxquelles s’ajoutaient les sorties de SMUR.
Parfois nous sortions en SMUR pour récupérer un blessé traumatisé, le squelette cassé de partout, et nous l’emmenions directement au bloc opératoire pour y enchaîner les soins… Tout juste avions-nous le temps de reconditionner rapidement le SMUR pour repartir à nouveau… cela avec une grande vigilance. La charge de travail était conséquente et la fatigue aussi!»
Les progrès apportés par de véritables révolutions scientifiques et technologiques dans ce domaine de la médecine ont été considérables, pouvez-vous en quelques mots nous en présenter quelques-uns?
«Avant, nous utilisions le Nesdonal et des drogues neuroleptiques qui, entraînant des sédations quand elles étaient injectées, étaient des produits fortement dépresseurs respiratoires et cardiaques, des curares un peu dangereux ou du moins à élimination lente, qui obligeaient à garder longtemps les patients sous surveillance en salle de réveil.
Maintenant ce sont des drogues dont la durée est connue et courte, on les injecte puis les réinjecte fréquemment pour maintenir la sédation et l’élimination est rapide…
Sur le plan chirurgical aussi les progrès sont considérables.
Avant, c’était de la laparotomie avec de grandes incisions. Maintenant, ce sont les techniques sous endoscopie avec laser, sous cœlioscopie, etc. C’est plus rapide, l’anesthésie est plus courte, la récupération plus rapide et l’hospitalisation moins longue. On pratique de plus en plus de chirurgie ambulatoire.»
Vous avez fait partie de l’équipe des secours du S.M.U.R., quelles sont les interventions les plus fréquentes? Avez-vous gardé en mémoire quelques-unes vraiment exceptionnelles?
«Les interventions les plus fréquentes concernaient les accidents de la voie publique. Il n’y avait pas de ceintures de sécurité et les contrôles d’alcoolémie n’étaient pas aussi rigoureux que maintenant.
Beaucoup d’interventions à domicile aussi dont le panel est assez large : malaises divers, œdème aigu du poumon, tentative de suicide, alcoolisation, hémorragie, AVC, accident du travail…
Nous faisions beaucoup de transferts, partant en ambulance, seuls avec l’ambulancier jusqu’à Brest –sans la 4 voies– pour transporter des personnes victimes de traumatismes crâniens, d’anévrismes aortiques… Il fallait manœuvrer en douceur comme si nous manipulions une bombe !
Le docteur Busnel nous avait dit un jour: «Si vous voyez que la personne perd connaissance, faites demi-tour et rentrez».
Un accident m’a particulièrement marqué.
Nous avons été appelés pour un accident provoqué sur une petite route des alentours, par une jeune fille de 18 ans qui venait d’avoir son permis de conduire le jour même… Quand nous sommes rapidement arrivés sur les lieux, il faisait nuit: la scène était tellement insoutenable que le médecin que j’accompagnais s’est détourné et m’a demandé si je pouvais pratiquer un acte que lui-même se sentait incapable de faire…»
L’hélicoptère du CHRU survole fréquemment la ville, comment se passent ces transferts ou évacuations de Carhaix vers Brest? Qui s’y trouve auprès de la personne transportée? Quel est le rôle de chacun?
«D’hôpital à hôpital, c’est un transfert de patients qui, hospitalisés en soins continus, nécessitent une réanimation plus importante ou des soins qui ne se pratiquent pas sur Carhaix, ou encore une personne qui, se trouvant aux urgences et sans passer par le service des soins continus, est transférée directement vers un autre hôpital pour AVC, problèmes cardiaques…
Avant que le SAMU n’ait son hélicoptère, nous travaillions avec celui de la Protection Civile pour aller vers Brest, Rennes voire Nantes. Maintenant le personnel de Carhaix ne monte plus à bord, l’équipage est de Brest.
Dans le Finistère, il y a trois véhicules aéroportés : celui de la Protection Civile, celui du SAMU et celui de la Marine.
La personne est «conditionnée» avant le transport. La réanimation s’est faite dans l’établissement ou sur le lieu de l’intervention. C’est la philosophie du SAMU en France: «Stay and play», «On reste et on joue», c’est-à-dire que l’on pratique tous les actes et la technicité jusqu’à ce que les constantes soient relevées, alors que dans les pays anglo-saxons c’est: «Scoop and run», «On ramasse et on rentre vite à l’hôpital».
Mais quoi qu’il en soit, la «golden hour» doit toujours être respectée: il faut impérativement arriver à l’hôpital avant qu’une heure ne se soit écoulée…»
Vous avez aussi servi 23 ans volontaire chez les pompiers. Ce genre d’engagement signifie beaucoup de disponibilité et plus que du simple dévouement ou altruisme, de l’abnégation et du renoncement pour la personne elle-même mais aussi pour son conjoint et pour toute la famille dont la vie s’en trouve «impactée»…
Comment l’avez-vous vécu?
«J’étais formateur aux premiers secours à la Croix Rouge et chez les pompiers ils n’en avaient pas… Je voulais voir un autre horizon…
Les pompiers formaient un cercle un peu fermé. Quand s’y est présentée une ouverture pour la formation: réactualisation de leurs connaissances pour les pompiers eux-mêmes et aussi tout public, j’ai profité de l’occasion. J’ai intégré les sapeurs-pompiers, plus dans un but de formation parce que j’aime beaucoup cela (j’en fais depuis 44 ans), mais de fil en aiguille, j’ai moi-même suivi des formations spécialisées pour l’incendie, les secours aux victimes incarcérées dans des véhicules, j’ai appris à découper à la cisaille, etc.
C’est vrai que cela demande beaucoup de temps et d’énergie, une grande disponibilité aussi… Je réveillais parfois toute la maisonnée quand je partais pour un appel de nuit, il fallait foncer pour arriver dans les 7 minutes à la caserne et ne pas manquer le départ… Tout en respectant le code de la route, on prenait quelques risques…»
Qu’est-ce qu’à vos yeux un bon «secouriste»? Quelles aptitudes et qualités requièrent ces interventions délicates et parfois vitales?
«C’est avant tout la volonté de porter secours, d’aider son prochain.
Contribuer à apporter des soins à toute autre personne et lui apporter quelque chose sur le plan psychologique… Soins physiques, secours psychologique.
Un bon secouriste, c’est quelqu’un qui ne doit jamais travailler seul: toujours en équipe, collaborer, se soutenir, faire confiance à ses équipiers. Et si l’on manque un peu d’assurance, surtout quand on débute, il faut s’appuyer sur ceux qui ont plus d’expérience.
Pratiquer des soins, c’est faire des gestes techniques et il faut bien maîtriser ces techniques…
Il faut être calme, avoir une grande maîtrise de soi: pas de précipitation, d’abord une analyse globale de la situation pour aller au plus près des choses.»
Ayant pratiqué les deux, selon vous, vit-on vraiment différemment une intervention avec le SMUR qu’avec les pompiers?
«La mission des pompiers et des secouristes, c’est d’empêcher les gens de mourir (on les met dans des postures pour éviter l’aggravation), celle du SMUR, des secours médicaux, c’est de les soigner, les sauver (apporter des soins, une «plus-value», avec une obligation de résultat).
Les pompiers maintiennent l’état de la personne stable, en cas d’hémorragie, ils la stoppent par un pansement compressif et surveillent. Les médecins vont suturer, procéder au remplissage vasculaire pour faire monter la tension, administrer des drogues, prodiguer des soins… Les rôles sont différents mais complémentaires!»
Durant les actions de secours, la collaboration des différents acteurs doit revêtir un caractère très important… Qu’en est-il en fait? Comment assurer une entente parfaite?
«Chacun trouve sa place… Les pompiers font leur travail. Quand le SMUR arrive, ils se mettent au service de l’équipe médicale.
Si le médecin dit qu’il convient de faire un relevage, les pompiers prennent l’initiative d’aller chercher le matériel nécessaire. S’il y a un arrêt cardiaque et que les pompiers ont déjà commencé les compressions thoraciques, quand le SMUR arrive, l’ambulancier prend le relais et quand il commence à transpirer, c’est l’infirmier voire le médecin ou un pompier qui poursuit…
Nous avons un code commun, c’est une prise en charge globale commune.
Le responsable COS (Commandement des opérations de secours), c’est le chef des pompiers. Le médecin du SMUR est le DMS (Directeur de Secours Médicaux).
Il a un rôle de conseiller technique, c’est lui qui dit ce qu’il faut faire, le pompier a la charge de la sécurité globale, il assure le balisage, évite le suraccident…
(Ceci est vrai à petit échelon; sur un plan de plus grande envergure, en cas de catastrophe par exemple, c’est le préfet qui prend le commandement des opérations de secours.)
On travaille en équipe, en bonne entente, il faut compter les uns sur les autres…»
Quelles sont les qualités humaines que vous appréciez le plus… en général, et en particulier chez les pompiers et secouristes? A l’inverse, quels défauts ou comportements vous paraissent préjudiciables?
«Il faut être empathique, respectueux. Respectueux entre équipiers et respectueux envers les gens, se mettre à leur portée, parler un langage simple, compréhensible pour la victime. L’informer de ce que l’on va faire, être à sa hauteur: pas en position dominante. Elle est déjà physiquement diminuée, alors si psychologiquement, on reste debout à lui demander ce qui lui arrive… Il faut s’accroupir, parfois saisir la main et écouter simplement, ne pas brusquer les choses, être dans l’écoute…
Il faut du respect et de l’humilité.
On peut déplorer certaines attitudes: ces «positions dominantes», quelqu’un qui trouvera toujours la solution de lui-même, se sentant supérieur et se croyant capable de tout faire… Il n’est pas bon d’être trop sûr de soi…
Il faut savoir se référer à ses collègues, savoir ce qu’ils pensent, croiser les regards, juger avec toutes les observations et prendre les décisions après.»
A force d’être si souvent confronté aux accidents, catastrophes ou drames, ne devient-on pas peu à peu moins sensible, ou au contraire plus encore? Davantage conscient que la vie est si fragile et que tout peut «basculer» en un instant, devient-on stressé, anxieux à la pensée de ce qui pourrait arriver à tout moment, et à nos proches ou à nous-même aussi?
«On est endurci malgré tout et on devient un peu insensible parce qu’il faut que l’on se concentre sur la technique, les gestes précis à faire…
On ne peut pas se laisser submerger par les sentiments, ni envahir par l’émotion… Avec l’expérience, on se laisse moins impressionner, mais parfois la sensibilité réapparaît surtout quand on intervient auprès d’enfants…
On anticipe pendant le trajet, on prépare le matériel, on pense à la technique tout de suite… La technicité doit l’emporter sur les sentiments…
Le fait de devenir un peu «insensible», n’empêche pas le stress, mais cela se gère…»
L’image très positive du pompier –admiration et rêve d’avenir pour beaucoup d’enfants, source de reconnaissance et respect pour la majorité des adultes– semble se nuancer quelque peu, exigences et critiques ne lui sont pas épargnées dans une société de plus en plus individualiste, indifférente voire ingrate… La presse et les médias ne font-ils pas même écho, depuis quelque temps, de pompiers parfois «piégés» ou malmenés lors d’interventions… Quelles réflexions vous inspirent ces comportements inacceptables?
«Avant, on respectait le sapeur-pompier et sa tenue…
Ces faits extrêmes –comme des embuscades tendues, dans le but de nuire!– apparaissent surtout dans les grandes villes et les faubourgs. Mais on peut rencontrer un peu d’hostilité aussi chez nous, cela m’est déjà arrivé…
Ici, ce sont surtout des gens qui réagissent « à chaud » et peuvent avoir des réactions désagréables voire violentes. On s’entend reprocher de n’être pas arrivé assez vite…
Mais qui n’est pas critiqué aujourd’hui?»
Sans doute avez-vous suivi de manière particulière les nombreux sinistres de cet été et notamment les incendies qui ont ravagé une partie des Monts d’Arrée mobilisant tant de vos anciens collègues?
«Les pompiers se sont mobilisés, des secouristes de la Croix Rouge aussi pour réceptionner les familles qui étaient évacuées, les accueillir dans des salles municipales, leur offrir café, thé et couvertures…
J’y ai été très sensible, c’est la mission principale des pompiers : gérer des sinistres dont les incendies.»
Comme l’ensemble de la médecine, le secourisme a aussi évolué, des gestes de premiers secours préconisés il y a quelques années sont maintenant proscrits… de nouveaux instruments, comme le défibrillateur se sont généralisés, pouvez-vous nous dresser un tableau succinct de cette évolution ou nous en donner quelques exemples simples?
«Quand j’ai commencé en 1975, un arrêt cardiaque, c’était 5 compressions pour une insufflation, actuellement c’est 30 compressions.
On disait que les compressions thoraciques permettaient au cœur de redémarrer. Les tracés enregistrés par les défibrillateurs ont fait apparaître que c’est faux: elles font seulement circuler le sang (le terme de massage cardiaque n’existe donc plus) et qu’il faut en pratiquer au moins 30 sans interruption pour créer une dynamique circulatoire qui permette au cerveau et autres organes vitaux d’être irrigués et de maintenir la vie. C’est la décharge du défibrillateur qui permet au cœur de possiblement repartir.
Autre exemple: le garrot. Avant l’attentat du Bataclan, on évitait de l’utiliser à cause des effets secondaires. Dans les mois qui l’ont suivi, à cause de tous les morts qu’ont entraînées des fuites de sang par les plaies et les hémorragies, on a lancé des campagnes de formation pour la pose du garrot à nouveau, les «garrots tourniquets» (une cravate et un bâton ou un crayon que l’on tourne et qui serre très fort et peuvent être posés sur un avant-bras ou une jambe…).
Dernière nouveauté de 2022: nous avions tous appris que toute victime inconsciente mais qui respire devait être mise sur le côté en PLS (Position Latérale de Sécurité). Maintenant, une personne ayant perdu connaissance suite à un traumatisme (chute de sa hauteur ou plus) doit rester sur le dos, jusqu’à sa prise en charge par le SAMU. La PLS étant réservée aux victimes d’une perte de connaissance liée à un problème d’origine médicale, hypoglycémique, épileptique, toxique, etc.»
Carhaix et sa région sont-ils bien desservis dans ces divers domaines de l’assistance aux personnes?
«Je pense qu’il y a ce qu’il faut: les pompiers avec deux ambulances VSAV, à l’hôpital le SMUR et aussi les sociétés d’ambulance privées.
Si on peut continuer à garder les médecins, et soulager un peu les urgences en faisant davantage appel aux médecins généralistes…»
La Croix Rouge aujourd’hui: pourriez-vous nous donner un panorama général de ce que représente son activité en France et plus précisément dans l’unité que vous présidez à Carhaix?
«Elle a de très nombreuses activités actuellement…
Créée par Henry Dunant lors de la bataille de Solférino en 1859, la Croix Rouge s’impose dès son origine comme un mouvement d’aide et d’assistance aux victimes: blessés de guerre, prisonniers, réfugiés puis par extension l’ensemble de la population dans toutes détresses qui apparaissent dans la société, accompagnement de tous les âges, de la naissance jusqu’aux personnes en fin de vie…
A Carhaix, nous gérons principalement trois activités: le secourisme, le textile et l’aide alimentaire.
L’aide alimentaire est accordée après recommandation d’un prescripteur (CCAS, CDAS ou la mission locale) selon les ressources, en fonction d’un barème précis, par tranche de quinze jours.
Nous constatons que de plus en plus de gens ont aussi besoin d’une aide alimentaire occasionnelle en fin de mois, celle-ci est accordée sans condition de ressources mais sur prescription. Les Restos du Cœur, le Secours populaire fonctionnent comme cela aussi.»
A quelles difficultés la Croix Rouge, comme d’autres associations de ce genre, se trouve-t-elle aujourd’hui plus particulièrement confrontée?
«Comme partout le problème, c’est le bénévolat. Avoir des bénévoles et qu’ils restent… De nombreuses associations caritatives sont à la recherche de bénévoles, l’effet Covid a accéléré, accentué ce phénomène…»
Vous y êtes témoin de détresses humaines d’un autre ordre que celles rencontrées en tant que pompier ou urgentiste… Constatez-vous une aggravation de plus en plus préoccupante de la situation?
«Maintenant, je suis impliqué un peu plus dans le social. En tant que président, je rencontre beaucoup de personnes dans la précarité… Les violences intrafamiliales augmentent aussi.
J’aimerais construire un lieu accueillant où les gens pourraient venir prendre un café ou un thé, discuter, être écoutés, accompagnés.
Ce n’est pas de l’assistanat, nous aidons provisoirement ceux qui traversent une période difficile et nous ne trouvons pas de solutions pour eux, mais nous les aidons dans leurs recherches de solutions.
Certains n’ont plus de logement, ils dorment dans leur voiture et ne peuvent donc plus cuisiner. Nous leur donnons des produits adaptés à leur situation et quand ils retrouvent logement et travail, ils reviennent nous voir pour nous remercier.»
Vous n’avez pas enseigné que les gestes de secours. Une ancienne directrice d’école évoquait récemment avec reconnaissance les heures que vous avez bénévolement passées à apprendre les pas de danse bretonne à ses élèves ravis d’y être initiés… Quelle motivation vous a amené à y consacrer tout ce temps?
«J’ai la culture bretonne à cœur et j’aime m’investir auprès des enfants.
Mon épouse aimait beaucoup la danse bretonne, moi je croyais que les séquelles de mon accident d’enfance ne m’autorisaient pas cette activité… Je chantais déjà le kan ha diskan et me suis finalement petit à petit mis à la danse aussi.
Je me suis documenté, j’ai appris et progressé. J’ai intégré le cercle celtique de Plonévez-du-Faou et me suis investi dans la création d’une association qui organisait un fest-noz à Lannouennec chaque été.
Après avoir animé des séances de danse bretonne à l’amicale de l’hôpital, j’ai commencé à donner des cours du soir à Plounévézel, Poullaouën et des écoles m’ont aussi sollicité.»
Quels souvenirs gardez-vous de ces interventions en milieu scolaire?
«Les enfants s’investissent, ils vous écoutent… Ce n’est pas la perfection dans l’apprentissage des techniques et pas de danse, mais c’est leur implication qui compte, leur enthousiasme qui me plaît!
C’est le désir et le plaisir de transmettre. Les formations aux premiers secours, c’est transmettre ce que l’on sait, la culture bretonne aussi, c’est la «courroie de distribution»! C’est peut-être «la transmission» le mot principal!
J’anime aussi un atelier de chant à la Résidence Autonomie tous les vendredis. Nous avons organisé un temps d’échange intergénérationnel à l’école de Kergloff: les enfants ont présenté leurs chansons aux anciens et vice versa. Pour finir ils ont chanté ensemble des chants «à réponses»: les anciens commençaient et les petits répondaient puis on inversait, c’était super!
C’est la participation à un projet que l’on a pu mener… c’est la joie que l’on retrouve chez les jeunes comme chez les anciens aussi!»
Vous avez travaillé à l’hôpital de Carhaix quand il traversait ses moments les plus difficiles et avez donc connu de l’intérieur les temps de combat pour sa sauvegarde… Comment avez-vous vécu cette période particulière?
«On parlait de la fermeture des services de chirurgie et maternité, et cela a été effectif pendant quelques mois.
Favorables au maintien de la pratique de tous les actes médicaux précédemment effectués sur place, luttant pour la survie de l’hôpital, nous participions aux grandes manifestations organisées. Mais c’était un peu flou… certains étaient pour la fusion, d’autres y étaient opposés. Ce dont je suis sûr, c’est que nous n’avions plus le financement nécessaire à l’entretien du gros matériel, celui de radiologie par exemple, qui nécessite une maintenance, n’était plus réalisé. Étant financièrement asphyxiés, la fusion s’imposait à nous comme seule solution…
Dès qu’elle a été réalisée, nous avons obtenu tout le matériel qu’il fallait pour bien travailler, de nouveaux respirateurs, etc.»
Avec un regard maintenant extérieur, comment analysez-vous l’évolution de l’hôpital de Carhaix? Comment entrevoyez-vous son avenir?
«Maintenant je suis un patient potentiel!
Il est indispensable que demeure une maternité pour couvrir les besoins: il y a des accouchements, des césariennes en urgence qui jamais n’auraient le temps d’accéder à un hôpital périphérique! Il faut également maintenir les urgences coûte que coûte et de la chirurgie, des services d’ophtalmologie, d’ORL, de soins dentaires… ces activités pluridisciplinaires au service de la population comme portes d’accès à ces soins, même s’il faut envisager une prise en charge ultérieure ailleurs dans certains cas car on ne pourra plus tout faire…
Il va falloir se battre encore, ce n’est pas gagné, mais il ne faut pas baisser les bras !»
Entretien recueilli par Gaëlle LE FLOCH