Les échanges, qu’ils soient commerciaux ou non, sont à la base des sociétés humaines. Pour ce faire, l’Homme a longtemps utilisé le troc. Mais ce n’est pas aisé : il faut avoir quelque chose à échanger d’une valeur équivalente au bien que l’on souhaite acquérir, et qui intéresse l’autre. Petit à petit, des biens ou des matériaux se sont imposés comme des valeurs d’échange par excellence… Ainsi est peu à peu née la monnaie.

     Crésus et le fleuve Pactole…

Pour autant, il faudra attendre environ 630 ans avant Jésus-Christ pour que la monnaie telle que nous la connaissons (sous forme de pièces) voie le jour, comme en témoignent des pièces trouvées à Sardes. C’est en Lydie (correspondant à peu près à l’actuelle Turquie), que ces fameuses pièces apparaissent. L’or et l’argent qui les composaient seraient tirés du fleuve Pactole…

Et l’histoire ou la légende attribue au roi de Lydie l’instauration du premier système monétaire sous forme de pièces d’or au VIe siècle avant notre ère. Ce roi était un certain… Crésus!

Un peu plus tard, quand les rois de Perse Cyrus et Darius conquerront la Lydie, ils reprendront ce système, le développeront (notamment en frappant les pièces à l’effigie des monarques) et le répandront à travers le monde.

L’apparition des lettres de change, un premier pas
vers la dématérialisation ?

La monnaie en or et en argent a ensuite parcouru les siècles pour survivre jusqu’à l’époque contemporaine et le début du XXe siècle!

Cependant, bien que plus pratiques que le troc, ces pièces en métal précieux restaient volumineuses et lourdes à transporter, et par conséquent voyantes, et de nature à susciter la convoitise… Il était donc périlleux de convoyer ses richesses sur des routes peu sûres.

C’est en partie pour contourner ce problème que les «lettres de change» ont vu le jour, facilitant le commerce entre les grandes cités européennes (on en retrouve datant du XIIIe siècle). Elles étaient des engagements à payer (en pièces de monnaie) qui permettaient d’acquérir des marchandises sans avoir à transporter ses richesses en or et argent.

Bientôt, ces lettres de change vont être «endossées», c’est-à-dire qu’elles vont servir à leur tour de moyen de paiement envers une nouvelle personne, et c’est cette dernière qui pourra prétendre à se faire payer en or ou en argent… Ces lettres deviennent donc au fur et à mesure une monnaie d’échange en elles-mêmes.

La naissance du billet de banque

En parallèle, et pour pallier le même problème, les Chinois ont inventé le billet vers le VIIIe siècle de notre ère. Mais il ne s’implantera en Europe que vers le XVIIe siècle.

Ce billet avait lui aussi vocation à être échangé contre un certain nombre de pièces d’or ou d’argent. Ainsi, la Banque de France nous dit qu’en 1800, en France, un billet de 500 F correspondait à un sac de pièces en argent de 2,5 kg.

La «monnaie d’échange» a alors une valeur escomptée par un échange futur. En France, il faudra attendre le XIXe siècle, après les échecs du «système Law» et des assignats de la Révolution, pour que le billet s’implante pour de bon.

Quel poids pour la livre tournoi ?

Notons qu’en parallèle, les pièces d’or et d’argent elles-mêmes connaissent petit à petit cette perte d’adéquation entre la valeur réelle (poids du métal) et la valeur théorique… Ainsi, l’Encyclopédie Universalis nous apprend que Charles IX frappait des monnaies en argent (Livres tournoi) ayant une valeur de 15 grammes d’argent bien que leur poids soit moindre… mais le sceau du prince leur conférait une valeur de 15 g d’argent.

La «planche à billets» ou la porte ouverte vers l’inflation

Au fil des siècles, la monnaie se déconnecte donc de sa valeur physique (poids de métal précieux) au profit de sa valeur théorique, ou de confiance ; c’est la monnaie dite «fiduciaire» (monnaie physique dont la valeur est fixée par la confiance). Le développement des billets de banque au XIXe siècle va accélérer ce phénomène. En effet, l’Etat et les banques observent que de moins en moins de personnes réclament les pièces d’or et d’argent en échange des billets; ils sont réutilisés comme moyen de paiement. Il est donc possible de créer plus de billets qu’il n’y a de pièces d’or et d’argent correspondants… et c’est ainsi que la fameuse «planche à billets» a commencé à tourner sans lien direct avec la richesse réelle en or et argent. Les billets de 20F, 10F et 5F arrivent durant la Seconde Guerre mondiale. Ces billets remplacent peu à peu les pièces en or et argent…

Si cette évolution de la monnaie déconnectée de la valeur des métaux précieux est très pratique, elle ouvre aussi toute grande la porte à l’inflation, aux krachs boursiers, et autres crises financières…

L’avènement de la monnaie virtuelle

Dans le même temps, les chèques avaient fait leur apparition, pour connaître un fort développement à partir des années 1960 avec la démocratisation des comptes bancaires pour les particuliers.

Peu à peu, le contact avec la monnaie physique va se perdre au profit de la monnaie «virtuelle» dite scripturale (écrite sur un compte), notamment avec l’arrivée en 1967 des cartes bancaires. Il n’y a alors plus d’échange physique (de monnaie) lors d’un achat. Avec les années 2000 et l’avènement d’internet, se développeront encore de nouvelles formes de paiements, telles que les plates-formes de paiement en ligne, virements, paiement «sans contact» (par carte bancaire ou smartphone), etc.

Le règne de la carte bleue

Si le liquide et le chèque ne disparaissent pas, ils cèdent peu à peu le terrain à ces nouvelles formes de moyens de paiement plus rapides et pratiques.

Bien que frileux les premières années, les Français et plus largement les Européens, ont de plus en plus utilisé la carte bancaire, surtout depuis le développement du «sans contact». Le relèvement à 50€ de son plafond de paiement durant l‘épidémie de COVID a fait bondir de 41% à 62% entre 2019 et 2022 la part des achats par carte bancaire en Europe (en volume) analyse la Banque Centrale Européenne (BCE). Dans le même temps, les paiements en ligne sont passés de 6 à 17%.

En France, 50% des transactions (en nombre de transactions) seraient encore en liquide, contre 43% pour la carte bancaire, et 7% pour les autres moyens de paiement. Mais la situation évolue de plus en plus rapidement, et la croissance du e-commerce et des plates-formes de paiement en ligne (y compris entre particuliers) entendent bien faire de l’ombre au fameux «cash».

En effet, il y a 3 ans les paiements en liquide représentaient encore 59% des transactions (et 68% en 2016), contre 35% pour les cartes bancaires.

Vers la revanche du liquide ?

Cependant, malgré ces évolutions rapides, le liquide a des arguments à faire valoir. Si 55% des Européens interrogés préfèrent payer par carte contre 22% pour la monnaie, 60% estiment important de pouvoir continuer à payer en liquide. Et la BCE, tout comme la Banque de France, s’engagent à préserver la «liberté de choix du mode de paiement» des consommateurs.

Si elle représente encore 92% des transactions de moins de 5€, et a la préférence pour les paiements entre particuliers, la monnaie fiduciaire a l’avantage de préserver l’anonymat et d’échapper aux «Big Brother» qu’ils soient commerciaux ou étatiques.

Par ailleurs, en ces temps où les menaces de coupures de courant en lien avec la «crise énergétique» nous rappellent la fragilité de notre société bâtie sur l’électricité et internet, un article plein de bon sens rappelait il y a peu qu’en cas de coupure de courant un peu prolongée, la monnaie scripturale ne serait plus accessible. Et l’auteur de rappeler que garder un minimum de liquidités chez soi pouvait s’avérer utile…

La vieille monnaie ancestrale n’a donc pas encore dit son dernier mot, et qui sait si les temps à venir ne lui permettront pas de redorer son blason !

Guillaume Keller