Après sa première journée à l’école pour enfants sans abri dans la ville de Salt Lake City dans l’Utah, Stacey Bess ne peut s’empêcher de fondre en larmes. Qu’est-elle venue faire dans ce lieu sinistre, connu comme « l’École sans nom », dans les quartiers difficiles de la ville où s’entassent, dans des abris de fortune, des familles en grande précarité ?

              Le matin même, la jeune institutrice a découvert son lieu de travail. Certes, elle ne s’attendait pas à une école de grand standing, elle savait qu’elle aurait à faire à des enfants venant de milieux défavorisés, mais elle pensait quand même trouver un vrai bâtiment solide, une salle de classe équipée de tables et de chaises et d’un minimum d’outils pédagogiques. Lorsqu’elle voit le hangar en tôles rouillées qui fait office d’école, situé sous un viaduc très fréquenté, où chaque passage de camions fait trembler les murs, elle n’en croit pas ses yeux. Autour du hangar, posés dans la boue, des espèces de wagons désaffectés servent de maisons à des familles entières.

15 chaises pour… 37 élèves !

Nous sommes en 1987 et Stacey Bess n’a que 23 ans. L’Académie de Salt Lake City dans l’État de l’Utah a ouvert ici une des toutes premières écoles de la nation pour des enfants qui vivent dans des conditions matérielles très précaires.

« Quand je suis entrée dans la salle de classe ce premier jour, se souvient-elle, j’avais 15 chaises, 15 tables et… 37 élèves ! J’ai paniqué. J’ai regardé autour de moi et j’ai dit : « Qu’allons-nous faire ? »

Ce sont alors les enfants qui arrivent au secours de leur nouvelle enseignante, apportant des tables de nuit et retournant des poubelles pour compléter le mobilier.

La première journée terminée, elle s’effondre. Comment apporter un enseignement digne de ce nom à ces enfants de la maternelle jusqu’à la sixième, tous mélangés dans une seule pièce ?

Elle a envie de partir pour ne plus jamais revenir, mais il y a quelque chose qui l’en empêche : ces enfants, pourtant si sauvages, pourtant si indisciplinés et pour certains même remplis de haine, ont déjà gagné son cœur. Elle sait que, malgré tout, elle veut rester là et faire tout ce qui est en son pouvoir pour les aider, et surtout pour leur montrer qu’elle les aime, qu’elle s’intéresse à eux. Elle se sent déjà responsable de ces petits qui n’ont pas choisi de naître et de grandir dans un tel milieu…

« Mais maman, ne quitte pas ces enfants !»

Et si, parfois, découragée, elle a envie d’arrêter, ses propres enfants l’encouragent à continuer, en disant : « Mais maman, ne quitte pas ces enfants ! Qu’est-ce qu’ils vont devenir ?»

Les débuts sont extrêmement difficiles, mais Stacey Bess est une femme qui a appris à surmonter les difficultés. Elle a connu elle-même une enfance difficile avec un père alcoolique, qui a abandonné la famille, elle s’est mariée très jeune, à seize ans, son mari Greg a juste un an de plus qu’elle, et avant de terminer ses études à l’université, elle est déjà mère de trois enfants. Elle doit donc mener de pair une vie familiale très prenante avec des enfants en bas âge et la scolarité de ces enfants pour qui l’école est sans doute leur seule chance de réussir dans la vie. Et – épreuve supplémentaire de taille – on vient de lui découvrir un cancer.

Dès les premiers jours, elle se trouve devant des cas qui la dépassent, comme lorsqu’un garçon, au beau milieu d’un cours, sans prêter attention à l’enseignante, se lève et crie devant tous : « C’est l’heure de la récréation », et comme c’est un meneur, tout le monde le suit en quittant la salle.

Ce même élève, chaque soir après la classe, passe devant son bureau, s’arrête, lui tapote l’épaule en la regardant dans les yeux, et lui dit : « Rentre chez toi ! Nous n’avons pas besoin de toi ! »

«Pourquoi ne m’aimes-tu pas ?»

Un jour, elle en a assez. Elle le prend par la main et lui dit : «Viens dans mon bureau!»

Il s’assoit sur la chaise de l’enseignante, met ses bottes de cow-boy sur son bureau et demande : « Que veux-tu prof ? »

Elle lui demande simplement : «Pourquoi ne m’aimes-tu pas ?»

La réponse fuse immédiatement : « Je n’aime pas les femmes ».

Puis, il lui raconte une histoire tragique : ses parents ont divorcé, et sa mère a gardé tous les enfants sauf lui qu’elle a abandonné à son père. Le garçon en a été dévasté. Chaque fois que son père avait des liaisons brèves avec une femme, il s’attachait à celle-ci, mais cela ne durait jamais longtemps, car il allait constamment d’une ville à une autre. Alors, maintenant il ne veut plus s’attacher à aucune femme, car il pense que chaque fois cela se terminera de la même façon…

Ce soir-là, Stacey rentre à la maison, découragée. Elle parle à son mari de ce garçon qui est intelligent, capable, meneur… Comment faire pour gagner son cœur ?

A ce moment, sa fille, une toute petite gamine qui a entendu la conversation, la regarde et lui dit : « Maman, montre-lui que tu veux devenir cette dame qui ne l’abandonne pas… ! »

Elle écoute le conseil de sa fille. Elle fait tout pour gagner la confiance de ce garçon, et plus le temps passe, plus des relations de respect et même d’amitié s’installent entre eux. L’élève s’accroche, réussit ses études jusqu’au Bac, et des années plus tard, il revient comme bénévole dans cette école pour exprimer sa reconnaissance.

Stacey reste 11 années à ce premier poste d’enseignante. Comme elle le dit dans de nombreux témoignages écrits et oraux, avec ces enfants, venant de milieux tellement difficiles, elle a appris des choses qu’elle n’aurait jamais apprises ailleurs, dans un cadre scolaire ordinaire.

« Pour moi, dit-elle, cela a été les 11 années les plus belles de ma vie. »

Et si elle arrête, c’est parce qu’elle sent qu’elle doit partager son expérience avec d’autres en parcourant le pays pour donner des conférences et en écrivant un livre.

Dans toutes ses conférences, elle souligne tout d’abord l’importance d’aimer les enfants, puis insiste sur la trace que chacun laissera.

« Vous êtes dans cette profession grâce à vos diplômes, grâce à vos titres, dit-elle, mais un jour, devant un jeune garçon, j’ai appris la leçon la plus importante de ma vie :

« Ce n’est pas nos diplômes qui font de nous un bon enseignant, c’est ce que nous sommes vraiment devant les enfants… le souvenir que nous laisserons sera en fonction de notre humanité, en fonction de ce que nous aurons apporté en tant qu’êtres humains.

Souvenons-nous que chaque petit enfant, et –soyons honnêtes– chacun d’entre nous, ce dont avons le plus besoin, c’est d’être aimés totalement et sans condition…»

(Histoire authentique présentée par A.A, en collaboration avec C.A.)