Depuis un peu moins de 60 ans les « cartes de paiement » ont fait leur apparition sur le marché.

Leur praticité, notamment depuis l’arrivée du paiement «sans contact» dans les années 2000, leur a valu un grand succès. Elles ont ainsi gagné la plupart des portefeuilles et, petit à petit, pris le dessus sur les paiements en espèces et par chèques. Mais savez-vous vraiment ce qui se passe derrière cette petite carte en plastique, et désormais cette carte virtuelle sur votre téléphone ou montre connectée ?

Si une large majorité des Français utilisent la fameuse « carte bleue », il n’en a pas toujours été ainsi, et peu savent réellement comment elle fonctionne, et ce que peuvent bien signifier les numéros et logos qu’elle arbore.

Une idée qui peine à percer…

En effet, apparue en 1967, sous l’impulsion de six banques françaises, la première carte de paiement voit le jour sous le nom de « carte bleue ». Mais cette carte peine à se faire une place sur le marché. Peu de commerçants sont équipés du lecteur nécessaire, et les frais occasionnés par ce moyen de paiement les freinent. A cela il faut ajouter que d’autres banques créent leur propre système de carte… et qu’il faut un lecteur spécifique par type de carte. Mais près de 20 ans plus tard, plusieurs banques s’associent aux six pionnières pour créer un système national, qui prend le nom de «Carte Bancaire», avec son logo «CB». Cette fois, un seul type de lecteur permet de lire toutes les cartes !

La carte de paiement commence alors à séduire, et elle tend à se démocratiser. Petit à petit, elle commence à remplacer les paiements en chèques et en espèces. Si ce dernier moyen tente de résister et reste encore à ce jour le moyen de paiement le plus utilisé (environ 50% des transactions en volume), le chèque, lui, tend à disparaître face aux paiements par carte et aux virements bancaires.

Plus de cartes que d’habitants !

Aujourd’hui, ou plus exactement en 2022, il y avait près de 76 millions de CB (comprenant les titres-restaurants dématérialisés) en France, pour près de 68 millions d’habitants!

Et ce sont ainsi plus de 15 milliards de transactions qui ont été réalisées, pour un montant total de 685 milliards d’euros selon l’Observatoire de la CB. Ces chiffres représentent une croissance de près de 6% pour l’année 2022. Ainsi les cartes de paiement poursuivent sans cesse leur croissance. Le relèvement du plafond des paiements « sans contact » à 50€ en mai 2020 a permis à la Carte Bancaire de passer de 41 à 62% des achats en Europe en 3 ans d’après la BCE. Les paiements «sans contact» représentaient d’ailleurs en 2022 près de 7 milliards de paiements pour un montant total de 112 milliards d’euros.

Le paiement par CB atteint maintenant 43% (y compris les paiements en ligne et via les cartes numériques sur smartphone et montre connectée).

Des enjeux colossaux

Si la fameuse carte semble donc de plus en plus largement plébiscitée, elle n’est pourtant pas moins contestée. En effet, pour le consommateur, le paiement par carte bancaire sous-entend un fichage systématique, puisque tous vos achats sont tracés. Là où le paiement en espèces l’effraie, Big Brother «se frotte les mains» de l’essor des paiements «dématérialisés»… et de ces milliards d’informations collectées.

Du côté des commerçants, et autres vendeurs, ce sont plutôt les commissions qui font «grincer des dents». En effet, pour tout paiement par carte bancaire, le commerçant se voit appliquer une triple commission.

Une commission dite « d’interchange » est appliquée, avec un taux plafonné à 0,2% ou 0,3% de l’achat (selon le type de carte). Ce montant est versé par la banque du vendeur à la banque de l’acheteur. S’ajoutent ensuite les « frais de réseau », qui sont quant à eux très variables selon l’opérateur de paiement électronique puisqu’ils fluctuent de 0,01% à 1,26% du montant de l’achat. Ce montant est prélevé pour rémunérer le porteur comme CB, Visa, Mastercard, etc.

Et enfin, la marge de la banque du commerçant, qui prélève entre 0,3 et 1,75%.

Ces infimes pourcentages représentent finalement des montants colossaux une fois appliqués à l’ensemble des transactions. Par exemple, 0,51% de 685 milliards représente tout de même 3,5 milliards d’euros! Auxquels il faut rajouter les locations et abonnements des terminaux bancaires…

L’utilisation massive des paiements par carte contribue donc généreusement à alimenter les quelque 27,75 milliards d’euros de bénéfices des banques françaises en 2022 (selon Le Figaro)… année 2022 qui était toutefois «un peu moins bonne» que 2021 où ces bénéfices s’élevaient à 31,7 milliards d’euros!

Un «détail» qui a de l’importance !

Pour autant, derrière cette mécanique «bien huilée», se livre une guerre économique acharnée pour ce qui vous semble peut-être un détail sur votre carte de paiement.

La plupart des informations qui y figurent servent à vous identifier et à identifier votre carte.

Mais les premiers chiffres de votre code servent à identifier l’émetteur de la carte, et les petits logos représentent les réseaux de paiement que vous pouvez utiliser. Et c’est bien là que se livre une bataille. Une bataille entre le logo CB du GIE (Groupement d’Intérêt Economique) CB, qui est le réseau français, et les réseaux Mastercard et Visa qui sont les géants américains. La plupart des cartes de paiement éditées actuellement sont dites «co-badgées», c’est-à-dire comportent le logo CB et un logo Visa ou Mastercard. Cela signifie que vous pouvez utiliser l’un ou l’autre pour vos paiements. Le premier ne fonctionne que sur le territoire français alors que les deux autres permettent une utilisation internationale.

Pour un paiement sur un terminal bancaire, vous n’aurez généralement pas le choix du réseau utilisé, celui-ci étant fait par le commerçant, ou plus généralement par sa banque.

Mais en ligne il vous sera souvent demandé de cocher le réseau à utiliser.

Un enjeu de souveraineté ?

Grâce au paiement en ligne, où la plupart des utilisateurs ne prêtent pas trop attention à ce choix, les géants américains rognent petit à petit les parts de marché du Français CB, qui représente encore 85% des parts de marché en France. Mais cette érosion des parts du groupe CB au profit des concurrents américains s’accélère rapidement et est accentuée par le développement des « banques en ligne » qui proposent généralement des cartes non «co-badgées» avec uniquement Visa ou Mastercard, et par le fait que plusieurs banques françaises n’ont pas encore intégré le réseau CB dans leurs paiements via les smartphones, qui partent donc systématiquement par le réseau Visa ou Mastercard, mais aussi, depuis deux ans, par un partenariat pour les Jeux Olympiques entre Visa (Sponsor des JO 2024) et le groupe BPCE (Banque Populaire Caisse d’Epargne) qui édite des cartes de paiement «Visa Only», avec uniquement les logos des JO 2024, et de Visa.

Ce partenariat pour les jeux Olympiques en France dessert donc le réseau français.

Mais au-delà de questions de concurrence entre groupes bancaires, se cachent deux autres problèmes: Visa et Mastercard proposent des frais de réseau bien plus élevés que le français CB (et pourraient encore les augmenter s’ils venaient à avoir une certaine hégémonie sur le marché français), ce qui n’est pas sans inquiéter les vendeurs.

Enfin, comme le note KPMG, cela pourrait poser à terme la question de la souveraineté de paiement…

C’est le réseau de paiement qui est maître des informations qui circulent et des transactions. Si le réseau du GIE CB venait un jour à disparaître, les paiements par carte seraient entièrement dépendants des concurrents américains…

Guillaume Keller