« La souffrance du patient affecte le soignant» Infirmière: malgré les moments difficiles, un beau métier! «L’entrée en EHPAD est à revoir» «Il faudrait une prise en charge personnalisée…»

«Il y a beaucoup de moments riches avec les personnes âgées »

«L’humanitaire n’est pas un départ « à l’aventure »»

Musiques et danses bretonnes,costumes traditionnels… »J’en suis fière »

Le Cercle Celtique porte la culture bretonne au loin

« Du Cambodge, j’étais revenue juste avant Noël, ce n’était pas une période facile : on vous demande quel menu, quel cadeau vous feraient plaisir… et vous avez envie de répondre que non, cela ne vous intéresse pas, ce n’est pas cela que vous voulez ! ce décalage… Rentrée depuis quelques semaines de Madagascar, j’ai encore du mal. Dès l’arrivée à l’aéroport de Paris, les chasses d’eau automatiques dans les toilettes : mais c’est de l’eau potable qui coule ainsi ! Et là-bas, ils n’en ont pas au robinet ! Cette eau est une richesse à laquelle on est tellement habitué, qu’on ne se rend même pas compte de la chance que l’on a!»

Fanny Lautrou semble aussi à l’aise au chevet des personnes âgées au sein de l’Ehpad, qu’au cercle celtique auprès des enfants et des jeunes auxquels elle transmet son attachement à la culture bretonne…

Et cette jeune trentenaire déploie la même énergie positive quand elle se dévoue ainsi dans son Kreiz Breizh natal que pour intervenir en terres lointaines lors de missions humanitaires qui la mènent dans la brousse de Madagascar ou sur les villages flottants du Cambodge.Elle nous parle de son expérience avec plaisir et livre sa pensée avec spontanéité…

___________________

Pouvez-vous vous présenter brièvement ?

«J’ai 33 ans, je suis infirmière et titulaire aussi d’un DU en plaies, brûlures et cicatrisation qui est une petite spécialisation du métier. J’exerce depuis une bonne dizaine d’années.

 J’aime beaucoup voyager. Je pratique la danse traditionnelle bretonne, la randonnée, le sport en général mais aussi le jardinage et la photographie également…»

Vous êtes infirmière de profession, qu’est-ce qui vous a poussé à choisir ce métier ?

«Le bac STL (Sciences et Technologies de Laboratoire) que j’ai préparé, m’a amenée à travailler de mes mains, de façon technique, mais je trouvais que le contact humain manquait. Je me voyais mal rester seule dans un bureau ou un laboratoire à « techniquer »…  Comme tout lycéen, j’ai fréquenté les salons pour futurs étudiants et j’y ai trouvé cette voie-là ! J’ai commencé par des stages d’observation puis je me suis engagée dans une « prépa infirmière » dans la perspective du concours. J’ai ensuite suivi la formation à l’école d’infirmière et là mon choix s’est confirmé : c’était vraiment ce métier que je voulais faire!»

Il est de plus en plus fréquemment dit qu’il y a une crise de vocation chez les soignants, notamment infirmiers, qu’en pensez-vous ?

«Oui, c’est vrai que ce problème au niveau du recrutement est soulevé dans l’actualité depuis plusieurs années déjà… Je trouve que c’est dommage parce que c’est un beau métier ! Ce n’est certes pas facile tous les jours : on y côtoie la maladie, la fin de vie, des gens, personnes âgées, enfants, qui souffrent et n’ont pas « le moral »… Il nous faut «encaisser» beaucoup, mais c’est un beau métier quand même !

Et c’est une profession où il n’y a pas deux journées identiques. Ça change vraiment tous les jours. On ne connaît pas la routine !

Nous partageons beaucoup de moments riches avec les patients, même s’ils sont difficiles pour eux… Ce n’est pas donné à tout le monde de pouvoir accompagner quelqu’un en fin de vie, jusqu’au moment même du départ…

Je trouve que, humainement, c’est un métier très riche et je ne regrette pas d’avoir fait ce choix.

 Peut-être mon avis changera-t-il un jour, mais pas pour le moment!»

Vous avez exercé la majeure partie de votre carrière auprès des personnes âgées en EHPAD, à Gourin, puis à Carhaix. Il semble que ce soit un choix de votre part bien que ce soit un secteur généralement assez peu prisé, pourquoi ?

«Je pense que c’est un secteur peu prisé parce que perçu de façon un peu négative, même par les autres collègues de la profession. Un secteur où il n’y a peut-être pas autant de technique que dans un service de médecine, de chirurgie, aux urgences, etc., mais il y en a quand même !

Personnellement,  j’y suis arrivée un peu par hasard. A l’école d’infirmières, j’avais fait deux stages en Ehpad, dont un s’était très mal passé. Je l’avais tout de même validé mais je ne me sentais pas à ma place dans cette équipe au sein de laquelle existaient de sérieux conflits… et j’en avais tiré la conclusion que le travail en Ehpad, ce n’était plus la peine de m’en parler !

Mais finalement, cela s’est présenté un peu naturellement : j’ai appris par une annonce que l’Ehpad de Gourin recherchait une infirmière. J’y suis allée et je m’y suis plu dès le départ tout comme les années qui ont suivi.

Par la suite, j’ai voulu changer et, souhaitant toujours travailler en tant qu’infirmière, mais dans un autre secteur, j’ai quitté Gourin. Je me suis cependant vite rendu compte que le travail en Ehpad auprès des personnes âgées était vraiment ce que je préférais. Ce cadre-là me convient complètement !

Il ne faut pas y aller à reculons. Certains aiment, d’autres pas, il faut le respecter… Mais il est sûr, que même d’un point de vue professionnel, cela paraît moins valorisant…

Quand je suis arrivée à l’école d’infirmière, il y avait 70% de la promotion qui voulait travailler auprès des enfants. Mais auprès des enfants, il n’y a pas que de belles choses non plus ! La cancérologie, la néonatologie sont des services très compliqués autant physiquement que psychologiquement, ce n’est pas facile…

Auprès des personnes âgées, nous trouvons, je pense, une qualité, une richesse relationnelles particulières dont on se « nourrit ». Nous apprenons tous les jours à leur contact: ils ont une vie derrière eux, ils connaissent beaucoup de choses, ils ont vécu des joies, des peines… C’est intéressant !  Peut-être le relationnel humain y est-il encore plus important que la technique de la médecine. Mais je crois que pour faire de la bonne technique, il faut aussi de l’humain.»

Êtes-vous parfois découragée face à des situations de souffrance ou de détresse tant au milieu de personnes âgées que de malades ?               Comment réagissez-vous pour essayer d’aider ceux qui sont en grande difficulté, et pour résister vous-même et garder « le moral » ?

«Nous sommes forcément « touchés » par toutes ces situations… Nous sommes avant tout humains et faisons donc toujours preuve d’empathie envers ces personnes. Nous côtoyons au quotidien la fin de vie. Et il est vrai que l’Ehpad est souvent considéré comme la dernière maison avant le décès, ce n’est donc pas forcément facile tous les jours…

Mais il convient de relativiser : il s’y passe quand même de beaux moments aussi !

Il y a des gens pour qui cela se passe bien. Des personnes qui nous disent qu’elles sont contentes d’être là, que c’est leur deuxième maison et qu’elles s’y trouvent bien !

D’autres arrivent à l’Ehpad puis quand elles vont mieux, décident de retourner chez elles et par force de volonté, elles y parviennent.

Il faut se « nourrir » de cela pour avancer quand les choses se passent moins bien !

Et nous travaillons en équipe, nous échangeons beaucoup entre nous, collègues infirmiers, médecins, aides-soignants, kinés… Ensemble, nous essayons de parler et de trouver la façon de faire au mieux auprès du patient pour que cela se passe bien pour lui… et pour nous aussi. Pour que de chaque côté, tout le monde soit satisfait et content !

Enfin, je pense que sorti du travail, il faut essayer de ne plus y penser, ce n’est pas toujours évident, mais ne pas « ruminer » des situations qui ont posé problème… Il faut d’ailleurs dans la mesure du possible, régler les questions tout de suite, avant de partir, pour pouvoir ne pas y repenser et passer à autre chose, s’occuper différemment…»

Bien qu’encore jeune, vous avez une certaine expérience et un peu de recul sur les EHPAD. Comment jugez-vous leur évolution et celle de l’accompagnement du « grand âge » (qui est parfois remis en question, notamment lorsque des cas de maltraitance sont pointés du doigt jusque dans les médias) ?

«C’est vrai, des émissions mettent le doigt sur des choses qui ne sont pas acceptables. Elles se sont passées réellement mais ne sont pas entendables. On ne peut pas lever la main sur quelqu’un !

 Il y a aussi malheureusement de la maltraitance institutionnelle présente dans des établissements…

C’est par périodes que des émissions abordent ces sujets, l’on en voit quelques unes à la suite et cela « remue » les familles qui se montrent plus présentes et plus méfiantes aussi, inquiètes à l’idée que leur parent pourrait être victime…

Et comme souvent dans ce cas, les médias ne parlent que de ce qui est négatif…

Beaucoup de choses sont mises en place dans les établissements aujourd’hui pour accueillir le nouveau cycle de résidents qui y est reçu. Un réel effort est fait dans le souci de personnaliser au mieux la prise en charge de chacun avec notamment la mise en œuvre des « projets personnalisés».

Grâce aux progrès techniques et médicaux, nous disposons maintenant de nombreux avantages que nous n’avions pas autrefois. Du matériel de plus en plus adapté facilite la tâche du soignant et augmente le confort du patient : les rails de plafond par exemple, qui ont remplacé les lève-personnes, sont tellement plus agréables à utiliser…

En 10 ans, j’ai pu voir cette évolution mais aussi celle de la population que l’on reçoit. Aujourd’hui les familles essayent de garder les personnes âgées à domicile le plus longtemps possible. L’Ehpad a un coût, il n’est pas forcément facile de pouvoir « sortir » tous les mois la somme nécessaire au placement d’un parent dans un établissement.

 C’est aussi faire confiance à une équipe… Les familles ressentent souvent une certaine culpabilité de ne plus s’occuper elles-mêmes de leur proche… Elles n’osent pas toujours dire à leur parent qu’elles sont obligées de le placer en Ehpad parce qu’elles ne peuvent pas s’occuper de lui tout le temps à la maison. Elles n’osent pas le dire parce que ce n’est pas forcément facile de s’exprimer ainsi… Alors il est dit à la personne âgée qu’elle est placée temporairement pour 2, 3 mois et qu’après on verra… mais les 3 mois se prolongent et deviennent du définitif… 

Nous accueillons aussi « dans l’urgence » des personnes très âgées qui, restées un maximum de temps à domicile, lorsqu’un problème a surgi, se sont retrouvées hospitalisées en médecine ou en chirurgie et dont le retour à domicile n’a plus été possible. Elles arrivent donc un peu dans la précipitation à l’Ehpad. Les familles se trouvent parfois dans l’impasse et elles n’ont pas le choix, on leur annonce la veille que leur parent est sortant le lendemain du service de chirurgie et qu’il faut lui trouver une place. La maison de retraite se présente alors….

 Je pense que l’entrée en Ehpad est un « point noir », c’est quelque chose qui est à revoir.

Elle doit se préparer pour que, déjà psychologiquement, le patient soit d’accord de venir, qu’il sache où il va… qu’il puisse visiter l’établissement, rencontrer aussi le personnel en amont ou que celui-ci aille dans le service, lui rendre visite, se présenter, expliquer le déroulement  d’une journée type, etc.

Nous recevons par ailleurs de plus en plus de patients qui relèvent de la gérontopsychiatrie. Ce sont des personnes bien plus jeunes (elles peuvent avoir 60, à peine 70 ans) qui ont eu des relations toxiques avec l’alcool ou des drogues, et souffrent de pathologies psychiatriques. Elles relèveraient davantage de la psychiatrie, mais aujourd’hui, l’entrée, la prise en charge en psychiatrie, c’est compliqué… Elles sont donc placées là un peu par défaut… Parce qu’il n’existe pas de structures plus adaptées – et même de structures tout court!– pour les accueillir. Elles ne relèvent pas d’un service de psychiatrie pure mais pas non plus de l’Ehpad. Il faudrait un « entre-deux » pour les recevoir.

Nous devons donc nous adapter à ce genre de population qui arrive et côtoie des personnes qui ont parfois plus de 90 ans. Ce n’est pas évident car tout ce monde vit en collectivité !

Il faut que la prise en charge soit personnalisée pour chaque patient, ce qui n’est vraiment pas aisé à mettre en place. Il est compliqué de respecter le cycle du sommeil et les habitudes de vie de chacun… Dans un établissement la plupart du temps, malheureusement, tout le monde se lève aux aurores pour un petit-déjeuner à 8 heures, le déjeuner à 12 h et à 18h30 le souper…

Il faudrait que nous puissions accorder plus de temps à chacun. L’idéal serait d’avoir un soignant par résident ! Pour personnaliser au maximum, s’en occuper à son rythme, qu’il puisse garder en institution le plus possible de sa « vie d’avant ».»

Infirmière, vous avez à cœur d’aider les autres. C’est sans doute cela qui vous a conduite dans la voie de «  l’humanitaire » ? Comment est né ce projet ? 

«En 2018, 2019, avant le COVID donc, je cherchais une façon de partir en voyage, mais pas de manière touristique dans les hôtels, etc. : ce n’est pas quelque chose qui m’intéresse ! Ce que j’aime en voyage dans un autre pays, c’est découvrir la culture, le mode de vie des gens… c’est ce qui pour moi est essentiel quand on part ainsi.

« L’humanitaire » me tentait donc, mais je ne voulais pas m’engager pour des missions longues de plusieurs mois parce que je souhaitais partir uniquement sur mes temps de vacances. J’ai trouvé une association qui organise des missions humanitaires courtes et suis partie à deux reprises avec elle, en décembre 2019 au Cambodge et il y a quelques semaines à Madagascar.»

Quelles sont les étapes ou le parcours que devra suivre celui ou celle qui, comme vous,  voudrait s’engager dans « l’humanitaire » ?

«La première étape est la réponse à un questionnaire. Ces questions très ouvertes permettent, je pense, de cerner un peu de la personnalité, la maturité, l’ouverture d’esprit du candidat et l’amènent à réfléchir sur sa démarche… se demander s’il se sent prêt à partir à l’autre bout du monde pendant quinze jours avec d’autres bénévoles qu’il ne connaît pas, dans un pays où les gens ne parlent pas sa langue et n’ont pas la même culture, la même nourriture, etc.

La seconde étape est la participation à un séminaire, un week-end de formation et d’évaluation en quelque sorte… Des bénévoles de l’association expliquent la situation géopolitique, la culture des pays dans lesquels ils interviennent.

Et à la fin de ce week-end, a lieu un entretien avec des chefs de mission, partis eux-même plusieurs fois et formés à l’encadrement des bénévoles. A l’issue de cet échange, la demande est validée ou pas…

L’agrément en poche, j’avais le choix des pays, des dates… Le départ pour une mission au Cambodge en décembre 2019 correspondait à ma période de congés. J’ai donc pu m’arranger pour obtenir ces quinze jours de vacances et me lancer dans l’aventure !

 J’ai embarqué avec treize autres bénévoles, plus un chef de mission. Une équipe se compose de six personnes au minimum et quinze au maximum, de tous milieux socioculturels, de tous âges : infirmiers bien sûr, mais aussi professeurs à la retraite, conducteurs de travaux… Pour Madagascar, la plus jeune avait 22 ans et la plus âgée 75.»

Quels conseils lui donneriez-vous ?

«Il faut se lancer, y aller ! C’est humainement très enrichissant, je n’y vois que du positif ! Ces missions sont sécurisées, à aucun moment je ne me suis sentie en danger, nous sommes toujours en groupe et bénéficions de l’aide de membres de la population locale qui connaissent bien le pays. 

Mais il faut bien sûr se préparer. Selon la destination retenue, il est nécessaire de bien s’informer en amont. Le week-end de formation est à mon sens indispensable (de toute façon, pour ce qui concerne l’Association mission humanitaire, il est obligatoire !), il permet de vraiment prendre conscience de ce à quoi on s’engage… Il n’est pas question de partir comme cela à l’aventure !

Matériellement aussi, un minimum de préparation s’impose. Et pour l’aspect alimentaire également, il faut connaître et respecter quelques règles…

 Enfin, financièrement, c’est un budget à prévoir parce que, en tant que bénévole, nous devons payer entièrement notre mission.»

Lors de ces missions au Cambodge et à Madagascar, quelles étaient vos principales fonctions ? Auriez-vous une « journée type » à décrire ?

«Je suis donc partie en tant qu’infirmière, c’est un peu différent pour ceux qui ne sont pas dans le médical ou paramédical. Mais pour tous, la journée type commence à cinq heures du matin, après quelques préparatifs, nous partons en bus pour rejoindre les lieux de mission avec les médicaments et tout le matériel (des tables et des chaises en plastique, etc.) à bord. Il s’agit la plupart du temps d’un camp qui est monté, en brousse à Madagascar, dans des écoles ou des temples au Cambodge. Sur place, l’appel à la population se fait par le bouche à oreille. Le chef de village est informé de notre venue plusieurs jours avant et il relaie l’information aux habitants du village. C’est en fait pour eux, vraiment le rendez-vous de l’année ! Ils ne voient le médecin qu’une fois par an, voire tous les deux ans et certains n’en ont pas vu depuis bien longtemps !

Le camp monté, quand tout est prêt, nous commençons les consultations.

Au poste d’accueil, avec l’aide d’un traducteur, l’identité et le carnet de santé du patient sont complétés. En tant que bénévoles, nous pratiquons les premiers soins, nous prenons la tension, la température, la taille, le poids… Le patient passe ensuite au poste de consultation médicale où le médecin est assisté d’un bénévole français. Il rédige l’ordonnance qui est retranscrite par l’assistant de manière simplifiée et imagée sur un petit papier avec lequel le patient va se rendre au poste de pharmacie pour recevoir des mains d’un autre bénévole français, assisté d’un traducteur, les médicaments dont il a besoin et les explications nécessaires.

 Le dernier poste est celui d’animation où nous recevons les enfants qui viennent en consultation avec leurs parents. Au Cambodge, comme c’était l’école qui était réquisitionnée pour monter le camp, les enfants n’avaient pas classe et venaient tous à l’animation. L’on peut ainsi se retrouver avec 140 enfants à encadrer à 3, 4. Pour les occuper, nous organisions des jeux de ballon, des jeux de cartes. A Madagascar, l’enseignante était en fait la cheffe du village. Elle faisait classe ainsi sans diplôme et elle est venue nous demander si nous étions d’accord qu’elle assiste aux animations pour prendre des idées de jeux à refaire par la suite avec les élèves. Elle avait pris une feuille et notait tout !… C’était bien sympathique, c’est un peu de transmission et on est content de laisser quelque chose derrière soi !

Sur six jours, en trois endroits de la brousse, nous avons vu aux alentours de 900 personnes. Mais, et c’est ce qui est intéressant aussi, nous n’avons pas fait que de la consultation, nous avons participé à des travaux de rénovation sur un bâtiment de l’hôpital de Majunga destiné à accueillir des femmes et des enfants victimes de violence et nous avons également organisé des animations dans un orphelinat.»

Quelles sont les caractéristiques de ces deux pays ? Et qu’est ce qui vous y a le plus marquée?

«Au Cambodge, c’était une mission itinérante, là j’ai donc pu voir plusieurs secteurs du pays autant sur terre que sur les villages flottants. La vie dans ces maisons sur l’eau est vraiment inimaginable…

 J’y ai découvert la religion bouddhiste que je ne connaissais pas… Elle engendre chez les patients des manières de penser très déroutantes qui parfois nous gênent un peu…

A Madagascar, je n’ai vu qu’une ville et les camps en brousse, et c’est encore différent. Dans cette ville, toutes les religions se côtoient sans que cela ne semble poser de problème. Par contre sur le plan culturel, un peu comme au Cambodge, une certaine vision des choses inculquée dès le plus jeune âge et ancrée dans leur mentalité, est étonnante et nous paraît même parfois absurde voire néfaste. Beaucoup de croyances et l’idée même de la réincarnation sont très présentes.

Outre cet aspect, les conditions de vie m’ont aussi marquée. Voir ces enfants qui ne mangent pas à leur faim… Autant au Cambodge qu’à Madagascar, nous avons partagé nos repas de midi avec des enfants venus en consultation qui n’avaient rien mangé depuis la veille, voire l’avant-veille.»

Quelles sont les principales différences entre les cultures de ces pays et les nôtres ? Avez-vous eu des difficultés à vous adapter ?

«Le point commun, c’est la pauvreté ! On m’avait prévenue, mais à ce point, je ne m’y attendais pas ! Honnêtement, c’est dur ! Et il y a des situations vraiment difficiles ! 

Cependant l’adaptation ne m’a pas posé problème. Je n’ai pas eu de soucis à m’adapter, que ce soit avec l’équipe française ou l’équipe locale. L’ambiance y était vraiment très bonne. C’était super ! Par contre, j’ai eu plus de mal au retour : un peu de frustration de ne pas pouvoir faire plus que ce que l’on a fait… 

Du Cambodge, j’étais revenue juste avant Noël, ce n’était pas une période facile : on vous demande quel menu, quel cadeau vous feraient plaisir… et vous avez envie de répondre que non, cela ne vous intéresse pas, ce n’est pas cela que vous voulez!

Le choc culturel est là, ce décalage… Au week-end de formation, ils abordent la question : certains ont du mal avant de partir, d’autres, pendant le séjour, mais la plupart, c’est au retour, quand on rentre chez soi… Rentrée depuis quelques semaines de Madagascar, j’ai encore du mal. Dès l’arrivée à l’aéroport de Paris, les chasses d’eau automatiques dans les toilettes : mais c’est de l’eau potable qui coule ainsi ! Et là-bas, ils n’en ont pas au robinet ! Cette eau est une richesse à laquelle on est tellement habitué, qu’on ne se rend même pas compte de la chance que l’on a!»

Avez-vous quelques anecdotes particulières à raconter ?

 «Un jour, sur les villages flottants, nous avons accueilli une famille extrêmement pauvre. La maman invalide accompagnée de trois enfants, avait dans les bras un bébé d’un an que l’on aurait plutôt cru nouveau-né. Ils étaient tous dénutris… C’est l’aîné de 18 ans qui faisait vivre la famille, en travaillant dans une usine de poissons. Ce jeune homme qui parcourait tous les jours des kilomètres en barque pour s’y rendre, avait pour seule nourriture une canette de Red Bull par jour, donc autant dire rien du tout ! Pas de protéines, aucun apport…

Nous les avons accueillis et ils sont tous passés en consultation. Nous avons donné des médicaments pour les membres de la famille qui en avaient besoin et des vêtements aussi.

Puis ils sont repartis. Mais, en fin de journée, alors que nous pliions le camp car c’était le dernier jour et que nous devions retourner sur terre, nous les avons vus revenir en barque : la maman avec ses enfants. Leur barque était remplie de poissons, de légumes, de fruits, et tout cela, c’était pour nous ! C’était très gentil mais très gênant : ils n’avaient pas à manger et étaient complètement dénutris ! Avec délicatesse, la cheffe de mission a expliqué à la mère pourquoi nous ne pouvions pas accepter un tel cadeau. Cette nourriture qu’ils avaient obtenue, était pour elle et ses enfants qui en avaient tellement besoin !

Plus drôle, à Madagascar, cette fois : quand je suis arrivée à l’aéroport, j’ai montré comme il se doit mon visa où figurent mes quatre prénoms dont Fanny le premier et Pauline le deuxième. Or durant le séjour, je constatais que tout le monde m’appelait Pauline… je me suis dit qu’il devait y avoir quelque chose avec « Fanny » sans que personne n’en parle… Ce n’est que plus tard qu’un traducteur local m’en a donné l’explication : Fanny en malgache signifie « chauve-souris » et ils n’osaient donc pas m’appeler ainsi de peur de me froisser, moi qui n’en savais rien!»

Quels enseignements tirez-vous de ces expériences humaines ?

«Les deux anecdotes que je viens d’évoquer illustrent à leur manière le « choc de deux cultures » que l’on y vit… Nous venons chez eux, nous ne devons pas arriver « avec nos gros sabots » en tant que Français… Ils ont leur religion, leur culture que l’on doit respecter, ne pas juger trop vite, rester « neutre ». Ils nous étonnent parfois comme on doit les étonner… En cela, l’étroite collaboration avec des « locaux », traducteurs ou autres, est importante et nous aide beaucoup.

La souffrance humaine que nous découvrons là-bas n’est pas la même que celle que nous rencontrons ici auprès des patients. Ici, ils savent que l’on peut être mieux, les gens des villages flottants du Cambodge – peuple qui n’est pas reconnu par l’État cambodgien – ne connaissent pas le reste de la planète, ils ne savent pas ce qui se passe ailleurs ni que l’on peut vivre autrement. Dans la brousse de Madagascar, c’est un peu la même chose… Ils semblent vivre « comme s’ils manquaient de tout, mais n’avaient besoin de rien »  s’adaptant à ces conditions de vie si difficiles…

Quand nous rentrons en France, on relativise bien des choses ! Il nous semble que l’on se plaint pour des broutilles, on revendique… Il faut bien sûr conserver nos acquis, on ne va pas s’aligner sur ce qu’ils vivent, mais quand même… L’on serait parfois tenté de réagir, mais on préfère ne rien dire, garder ces réflexions pour soi…

il y a des choses tellement plus importantes sur terre…

On a vécu quelque chose d’humainement, d’émotionnellement tellement fort. On garde beaucoup de scènes, d’images en tête, des visages que l’on n’oubliera pas…

15 jours, c’est peu : « une goutte dans l’océan »… mais c’est déjà ça!»

Avez-vous d’autres projets de ce type pour l’avenir ?

«Oui, j’aimerais bien repartir ! Pourquoi pas vers une autre destination : l’Inde, peut-être… L’association a arrêté d’intervenir au Togo et le Bénin m’attire moins. S’il y avait une des deux destinations à refaire, je pense que je partirais plutôt sur Madagascar. Mais c’est un peu « à chaud » encore et donc à réfléchir!»

Par ailleurs, depuis toute jeune vous fréquentez les cercles celtiques. Comment les avez-vous découverts, et qu’est-ce qui vous fait poursuivre l’aventure ?

«Je suis membre du cercle celtique de Carhaix depuis 1997. J’avais 7 ans quand j’ai commencé. Mes parents n’étaient pas particulièrement dans le milieu culturel breton, mais ma maman, qui était enseignante, avait été sollicitée par une mère d’élèves appartenant au cercle celtique car ils recherchaient des brodeuses. Elle en avait les compétences… et de fil en aiguille cela s’est fait ! J’ai intégré le groupe, d’abord chez les enfants pour danser puis chez les ados et maintenant chez les adultes. J’ai par la suite pris la coprésidence du Cercle en 2010 ou 2011. J’y suis encore et je pense continuer…  J’ai toujours apprécié la bonne ambiance, je trouve intéressant le travail de collectage de photos anciennes avec les costumes, se produire sur scène aussi, lors des spectacles. Et surtout, je veux transmettre à mon tour aux plus jeunes ce que l’on m’a transmis.»

Que ressentez-vous lorsque – avec de jeunes enfants – vous revêtez ces costumes de vos aïeux et exécutez ces pas de danse ancestraux au rythme de cette musique tout aussi traditionnelle?

«Je ressens de la fierté ! Je pense que visuellement, c’est joli et que c’est important aussi de continuer à garder tout ce qui se faisait autrefois…. Garder le passé tout en continuant à avancer, à innover même, en apportant un peu de renouveau à tout cela!»

Qu’est-ce qu’un cercle celtique ? Quels sont ses composants, ses missions ?

«Le cercle celtique est une association qui va promouvoir la culture bretonne, autant la danse que la langue, les costumes et la musique. A Carhaix, nous avons un « groupe enfant », à partir de 5 ans, c’est le vivier de l’association. Nous avons un « groupe ado » entre 10, 12 ans jusqu’à 15, un « groupe adulte » et un atelier de broderie-perlage où l’on reproduit selon les techniques anciennes les costumes d’autrefois… Les nouveaux costumes ainsi réalisés sont portés lors des spectacles, fêtes, festivals, défilés et présentations de costumes auxquels le Cercle est invité.»

Les cercles celtiques sont organisés en catégories, comment cela fonctionne-t-il ?

«Je dirais que c’est un peu comme au football ! Il y a 5 catégories : de la 4e catégorie à l’excellence. Un championnat dans chaque catégorie a lieu tous les ans. Il comporte plusieurs épreuves : le défilé et la partie traditionnelle qui se passent au mois d’avril à Vannes, les danses traditionnelles y sont présentées, en rond, en quadrette, en cortège telles qu’elles se dansaient autrefois…

Une autre épreuve, la partie dite libre, se déroule au mois de mai-juin à Saint-Brieuc. Là est présenté un spectacle de 15, 20 minutes, créé sur un thème de notre choix, le plus souvent en lien avec la culture bretonne.

S’y ajoute une épreuve de présentation de costume orale pour laquelle, comme pour l’épreuve traditionnelle, tout un dossier a été monté en amont. A l’issue de cet exposé, le jury pose des questions et attribue une note. Et c’est en fonction des notes obtenues que le cercle est classé au sein de sa catégorie. Les premiers peuvent monter en catégorie supérieure, les derniers malheureusement descendent…»

Vous avez été primée dans plusieurs concours…

 «Au niveau du groupe, en 2022, nous avons eu le bonheur d’accéder à la 3e catégorie : belle récompense pour les efforts et le travail réalisés tout au long de l’année ! Cette année, nous avons également obtenu le 2e prix à l’épreuve costume et le 2e prix aussi à l’épreuve défilé. Nous étions bien fières de rapporter ces deux prix-là à Carhaix !

 Personnellement, j’ai été 2e demoiselle d’honneur de la reine de Cornouaille en 2011. C’est vieux maintenant ! C’est un concours qui se déroule tous les ans depuis 1923, lors du Festival de Cornouaille à Quimper. Seules des jeunes filles élues au sein d’un cercle celtique peuvent se présenter. Elles doivent porter un costume de mariée de leur terroir et soutenir un mémoire rédigé sur un aspect de la culture bretonne. Une danse Glazik doit également être présentée au jury, effectuée sur scène avec un cavalier… 

La dernière reine que l’on ait eue à Carhaix était Odile Le Goff en 1989 et en 1996, Emmanuelle Gouriou a été élue première demoiselle…»

En 2017, le Bagad Karaez et le Cercle Celtique d’Ahès avaient célébré ensemble leur 70e anniversaire, le Bagad vient de fêter « les 30 ans de sa renaissance », qu’en est-il du cercle celtique ?

 «Le Bagad et le Cercle celtique sont deux associations différentes, mais nous avons fêté ensemble nos 70 ans d’existence, avec une exposition à l’Espace Glenmor et un repas réunissant tous les membres dont les anciens. Le Cercle espère fêter ses 80 ans en 2027, se retrouver autour d’un repas…De nouveaux adhérents se sont joints à nous depuis, d’autres ne sont malheureusement plus là…

En attendant, comme chaque année, nous préparons notre participation au concours annuel de la Confédération Kenleur et à diverses rencontres, fêtes et festivals… Mais nous aimerions aussi à nouveau porter la culture bretonne au loin, à l’étranger comme en 2014 en Belgique ou en 2016 au Mexique. Nous étions partis à 30 danseurs d’un peu toute la Bretagne pour présenter un spectacle à l’occasion des Folkloriades qui sont en quelque sorte les jeux olympiques de la danse. 88 pays, je crois, y étaient représentés. Cette petite tournée de 3 semaines, nous avait amenés dans plusieurs états du Mexique.

Mais dans ce projet de prochain voyage, la destination est encore à déterminer…

Coprésidente du cercle celtique, vous êtes quelqu’un d’engagé. Vous avez aussi été élue au conseil municipal de Motreff. Quels enseignements avez-vous tirés de cette expérience ?

Vous n’avez pas souhaité poursuivre dans cette voie ?

«J’ai été élue au Conseil à Motreff et je ne le regrette pas parce que j’ai appris beaucoup de choses autant sur l’aspect de la gestion des finances d’une commune que sur l’aspect social. C’est très intéressant… Débattre de certains sujets, avoir l’avis de l’autre et exprimer le sien. J’ai  été jusqu’au bout du mandat parce que je m’étais engagée, mais je n’ai pas souhaité repartir, en fait je ne crois pas que je sois faite pour cela!»

Que représentent pour vous Carhaix et sa région ? Comment voyez-vous son avenir ?

 «Je suis donc motreffoise, installée à Motreff et je pense y rester ou du moins dans le canton de Carhaix. J’espère que Carhaix se développe, tout comme son hôpital. Nous avons besoin de services de proximité en Centre Bretagne, de commerces de proximité dans tous les domaines, alimentaire, vestimentaire, etc. C’est important pour ne pas être obligé de se déplacer dans des grandes villes comme Quimper ou Brest et de devoir faire une heure de route pour recevoir des soins, rendre visite à des proches hospitalisés ou faire des achats. D’ailleurs tout le monde n’a pas la possibilité de le faire… Je me sens bien ici ! J’y ai tous mes proches, ma famille, mes amis… C’est vrai que j’ai une maman originaire du Cap Sizun, j’apprécie d’y aller et j’y ai des attaches, des connaissances aussi, mais pas comme j’en ai ici ! C’est donc plus au niveau social, en fait que je me sens plus à ma place ici, le fait aussi d’être dans des associations, de travailler ici. On connaît du monde et on s’y sent bien ! Et pour l’avenir, je suis optimiste, il faut l’être !