«Comme le buraliste de Carhaix est depuis longtemps dans l’usage d’altérer les chiffres marquant le tarif des lettres… j’ai l’honneur de vous envoyer une copie… pour lui faire subir une punition proportionnée à son crime», se plaignait le Sieur Le Rousseau, subdélégué de l’Intendant de Bretagne à Châteauneuf-du-Faou, dans une lettre à sa hiérarchie le 8 juin 1732. 

A cette époque où le prix du port était acquitté par le destinataire d’une lettre, le Sieur Pignard, préposé à Carhaix, était accusé de falsifier le tarif inscrit sur le courrier, et d’encaisser ainsi la différence à son profit. 

Le subdélégué ajoutait que les usagers de Châteauneuf, et notamment les gendarmes de la brigade d’Anjou, subissaient de fréquents retards dans l’acheminement du courrier en provenance de Carhaix, la liaison entre les deux villes n’étant assurée que deux fois par semaine.

Une explication étonnante

Soucieux d’éclaircir ces affaires, l’Intendant de Bretagne sollicita son subdélégué à Carhaix afin qu’il vérifie l’exactitude des faits reprochés. 

L’enquête ne permit pas d’établir la culpabilité du buraliste, et l’Intendant dut se contenter de lui demander «plus d’attention et d’exactitude» dans l’exercice des fonctions. Quant aux retards dans la distribution du courrier, on avança l’explication qu’il y avait «trois Châteauneuf en France, c’est ce qui fait promener tant ces lettres de messieurs les gendarmes»…

Généralisée en France au 17e siècle, la Poste aux lettres avait succédé aux messageries mises en service par Louis XI près de deux siècles plus tôt. L’acheminement du courrier était généralement effectué grâce aux relais de la poste aux chevaux, organisation alors distincte de la poste aux lettres. 

Assurant également le transport des voyageurs, la poste aux chevaux ne fut développée en Bretagne qu’à partir de 1738, et privilégia longtemps les axes côtiers au détriment de l’intérieur de la Province. C’est aussi en ce siècle qu’apparurent les célèbres almanachs distribués par les facteurs dans les grandes villes. Sur l’un d’eux étaient inscrits quelques vers naïfs vantant la profession: «Bien faire son service est l’honneur du Français, le plus rude exercice ne l’effraie jamais…»

Des abus dénoncés par le maire

Cette déclaration de bonne intention ne semblait pas convaincre le maire de Carhaix lorsqu’il déplorait quelques années plus tard, en 1775, que des abus se commettaient «trop communément au bureau de poste où le service est fort mal rempli à tous égards». 

Il dénonçait notamment le retard dans la distribution des lettres et paquets destinés à la mairie, qui n’étaient remis que «vers 7 ou 8 heures du soir» et non le matin.

Cette année-là, une étrange affaire donna lieu à une abondante correspondance entre les municipalités de Carhaix, Ploermel et l’administration, et ce jusqu’au surintendant général des Postes, Anne Robert Jacques Turgot, ministre de Louis XVI. 

«Je crois devoir vous informer d’une circonstance qui prouve avec la dernière évidence une malversation commise dans le service de la Poste aux lettres», écrivit l’Intendant de Bretagne, Gaspard Caze de la Bove, au contrôleur général le 13 décembre 1775. Ainsi, dans un paquet affranchi à la poste de Carhaix, ses services avaient retrouvé un mélange de courriers provenant des mairies de Carhaix, Ploermel et Josselin. Sollicités par l’Intendant, les maires concernés appuyèrent les accusations. 

La violation de correspondance étant alors punie des peines les plus sévères, le ministre enquêta auprès des administrateurs des postes qui récusèrent tout soupçon de malversation au niveau des agences postales de Carhaix et Ploermel, dont les directeurs jouissaient à leurs yeux « de la meilleure réputation ». Ils avancèrent que les mélanges de courriers n’avaient pu se produire que dans les bureaux de l’Intendant de Bretagne. Ce dernier répondit avec assurance au ministre, le 28 avril 1776, qu’il avait toute confiance en son personnel et que si les erreurs  n’avaient pas été commises à Carhaix ou Ploermel,  elles étaient alors nécessairement le fait de la poste de Rennes. 

Pour les caprices d’un prince

Selon le dossier conservé aux archives, les doléances de l’intendant et des maires restèrent lettre morte. En cette même année 1776, il en alla tout autrement pour satisfaire une demande du Comte d’Artois, jeune frère de Louis XVI, et futur Charles X. Ainsi pour livrer les bourriches de gibier, «que ce prince désirait recevoir de Carhaix», la direction des postes ordonna à l’agence locale de faire tout son possible pour en assurer le transport, en utilisant le cheval de service, déjà bien chargé de la malle du courrier.

Quant aux habitants de Châteauneuf-du-Faou, ils durent patienter jusqu’au 19e siècle pour bénéficier du passage des diligences de la poste aux chevaux. En effet, dans une décision de 1770, les députés des Etats de Bretagne avaient «renvoyé à des temps plus heureux la demande des habitants… pour l’ouverture de l’embranchement de la route de Quimper à Morlaix…».


Illustration :
Fondée sous Louis XI au 15e siècle, la poste était à l’origine réservée au courrier officiel. (Illustration de Jacques Onfroy de Bréville)