«Le confinement avait été difficile à mettre en œuvre en termes techniques et administratifs ; le déconfinement l’est encore plus, parce qu’il s’accompagne d’obligations et de préoccupations permanentes, et évolutives.

Un souci est aussi de ne pas connaître l’issue et la fin de cette pandémie. Les informations qui nous sont livrées ici et là ne sont pas très éclairantes…» nous a confié M. Christian Troadec.

«Et maintenant… ?» Le titre de cet interview en résume le fil directeur et la teneur : où en est-on ?…

Il est des moments de l’histoire qui forcent à s’arrêter pour faire le point, réfléchir… Où le cours habituel et ancien des choses, de la vie, est soudain dépassé, renversé, où tout semble être comme en suspens.

En cette période de «rentrée», elle-même bouleversée et marquée par bien des incertitudes, «Regard d’Espérance» a précisément souhaité «faire le point» avec Christian Troadec, maire de Carhaix, réélu au mois de mars pour un quatrième mandat.

Une réélection et un début de mandat aussitôt affrontés au confinement entré en vigueur au surlendemain du scrutin, et depuis lors aux difficiles péripéties et aléas du déconfinement et de l’épidémie qui se poursuit…

Partout, les élus ont soudain dû faire front, au milieu d’un combat ardu, dans une situation  méconnue, inquiétante, insaisissable parfois…

Christian Troadec a donc bien voulu revenir pour «Regard d’Espérance»  sur cette étrange période, la façon dont il l’a vécue – tant dans ses responsabilités que personnellement – sur les pensées qu’elle suscite en lui, les leçons qu’il en retire, et bien sûr les projets qu’avec son équipe il nourrit pour Carhaix ; ses espoirs et desseins pour le Centre-Bretagne, la Bretagne…

Un propos que la gravité de l’époque teinte d’une profondeur particulière, et jalonne de réflexions sur la destinée humaine, la société des hommes, le sens des actions et des choses…


Et maintenant ?
L’évolution du monde où nous vivons est tellement rapide, et souvent surprenante, qu’il est difficile d’en cerner les effets… 
Et pourtant, pour ne pas subir et devenir semblable «aux moutons de Panurge», il est impératif de s’arrêter de temps à autre, de se soustraire au flot débordant des informations, des nouvelles, des commentaires de toutes sortes, des analyses orientées ou subjectives… de découvrir les «fake news» (les fausses informations) et même les approches qui se veulent objectives mais qui ne sont que des opinions. Les médias rivalisent d’immédiateté et de sensationnalisme, oubliant qu’informer, c’est d’abord dire la vérité…
Alors, en cet automne 2020, où en est-on, d’autant plus que l’épidémie en cours a «tout bousculé» dans le monde entier… et donc également en notre région de Bretagne.
Vous êtes, depuis des années, un observateur attentif et privilégié de notre ville et du Centre Bretagne, un élu de longue date aux responsabilités multiples…
A notre question vaste et peut-être simpliste : «et maintenant», que répondez-vous ?

«En revenant un peu en arrière, je parlerais tout d’abord du choc que cela a été: chacun s’est trouvé, du jour au lendemain, «confiné», dans une vie qui était presque à l’arrêt, du moins dans ses activités! Personne ne l’avait prévu.

D’autant plus que l’on avait eu un regard un peu condescendant sur  l’étranger, sur les pays qui confinaient – comme dans la ville de Wuhan où serait née l’épidémie… Je m’étais dit qu’il n’y avait qu’en Chine que l’on pouvait voir ce genre de choses ! Mais, quelques mois plus tard, c’était la même chose en Europe, en France, en Bretagne… Cela a donc été une sorte de sidération !

Je me souviens avoir vu une espèce de panique dans le regard des gens le soir où le premier ministre a annoncé la fermeture des commerces! On entrait dans quelque chose d’inconnu et d’inquiétant…

La première réaction face à une menace de ce type, invisible – un virus – est de craindre pour la santé des proches, de la famille, des personnes qu’on fréquente régulièrement, et en ce qui me concerne en tant qu’élu, des habitants de la ville de Carhaix, du Centre-Bretagne…

Et l’une des questions qui se posent alors est : comment sortir de cette situation ? Et, en sortira-t-on un jour ?…

A titre personnel, et de par les fonctions que j’exerce, cela a été une très profonde inquiétude. D’autant qu’il a fallu, dès le lendemain, continuer à œuvrer pour le bien commun, dans des conditions très difficiles: se rendre utile à l’ensemble de la population, mettre en œuvre à la fois les politiques dictées par le gouvernement – à juste titre pour une grande partie d’entre elles – et celles que l’on pouvait mettre en place ici, adaptées à la réalité locale…

Et maintenant?…

Cette période très difficile à vivre n’est, hélas, pas terminée, malgré un retour à une vie un peu plus normale… Et elle nous conduit à nous interroger vraiment sur nos choix de société !

Outre l’obligation de répondre à l’urgence de la situation, et avec toute l’équipe municipale, les services, le personnel municipal et communautaire, qui se sont tous vraiment mobilisés – la découverte, donc, de ce que je ne connaissais pas : la gestion de crise – l’autre aspect de cette période a été pour moi une deuxième découverte, une deuxième chose que je n’avais jamais vécue: une absence soudaine de pression sociale, qui m’a comme ramené à une période de l’enfance – vers l’âge de 9-10 ans – à une vie qui, à côté des obligations très lourdes évoquées, vous ramène à l’essentiel, par la force des choses ; retrouver des valeurs simples, comme celle du partage en famille. Et pouvoir aussi faire ce qu’on ne pouvait plus faire depuis longtemps: lire davantage, jardiner, travailler sur la maison, réfléchir, avoir du temps, se reposer… paradoxalement, trouver une quiétude que l’on n’avait pas ressentie depuis longtemps !»

Voici six mois, vous étiez élu dès le premier tour du scrutin pour un quatrième mandat à la mairie de Carhaix… Avec le recul, quel regard portez-vous aujourd’hui sur cette campagne électorale et sur cette élection ?

«J’ai d’abord un sentiment de grande reconnaissance vis-à-vis de la population. Ce renouvellement de confiance n’était pas une évidence après trois mandats. On comprend que des personnes puissent vouloir, pour diverses raisons, placer leur confiance dans d’autres équipes…

Une élection au premier tour a donc été d’autant plus appréciable, surtout face à deux autres listes, ce qui rend beaucoup plus difficile l’émergence d’une majorité dès le premier tour… Cela a donc été une fierté pour toute l’équipe municipale! Car c’était aussi une reconnaissance de son travail, même si l’on sait que l’on peut toujours mieux faire ; et qu’il y a toujours à faire… L’on se plaçait dans une continuité, ayant hérité de ce qui avait été bien fait par d’autres avant nous, et pouvant poursuivre ce qui avait été initié par notre propre volonté politique.»

La pandémie du Coronavirus «Covid 19», et le «confinement» qui en a résulté, sont tout de suite venus bouleverser ces élections, puis la constitution des conseils municipaux et la prise de fonction des maires… Comment avez-vous vécu personnellement cette étrange période ?

«J’ai surtout pensé aux maires et aux municipalités sortants, dont le score au premier tour des élections n’était pas à la hauteur de leurs espérances, qui ont vu le second tour repoussé à une date inconnue – et qui a tardé à venir – mais qui ont dû gérer toute la crise… Et dont certains ont finalement été battus au mois de juin!

Je pense que cela a dû être difficile à vivre humainement, pour ces maires en ballotage défavorable et pour ceux qui avaient décidé d’arrêter, mais que l’on prolongeait dans une mission encore plus compliquée.

Ici, c’était simple : nous avions été renouvelés dans notre mandat, réinstallés à la mairie… On continuait le travail.

Et le travail n’a pas manqué, dès le lendemain, comme on l’a dit. Toute la municipalité a appelé au téléphone les personnes âgées de la commune, afin de connaître les besoins – spécifiques pour certains – de s’assurer que personne n’était oublié… Heureusement que nous l’avons fait, car beaucoup de gens nous ont appelés à l’aide, que nous avons pu aider au plus près, grâce à une mobilisation des services… Et je veux mentionner l’attitude du personnel communal et intercommunal. Chacun pouvait craindre pour sa propre santé, mais nous n’avons vu à aucun moment de demandes de précaution exagérées. Nous avons pris avec eux les précautions nécessaires et indispensables, permettant à la ville et à l’intercommunalité de fonctionner au mieux pour la population…

Nous avons aussi adapté les mesures pour qu’un minimum de vie sociale, de lien social puisse perdurer: ce pouvait être des petites choses, comme le refus de fermer le cimetière et les parcs, par exemple… C’est un peu l’esprit carhaisien: se plier à la règle générale, car c’est important de le faire – il faut être sérieux, prudent et vigilant – mais on prend aussi des mesures adaptées à la réalité locale, des mesures de bon sens…»

Quel est, pour Carhaix et le Poher… votre principal souci actuel, et quels sont les problèmes majeurs qui se posent à vous… et donc à notre contrée ?

«Cela reste aujourd’hui le « COVID 19 »… Il faut sans cesse penser aux protocoles édictés par les différents ministères, et qu’il est impératif de mettre en œuvre, pour la vie scolaire, pour la vie sociale, associative, culturelle, sportive…  pour toutes les réunions à organiser. C’est un travail considérable, à la fois dans l’application des obligations qui s’imposent à nous et dans la nécessaire adaptation aux spécificités qui peuvent exister dans une commune comme la nôtre.

Dès qu’un rassemblement de plus de dix personnes doit se tenir, il faut se référer à la préfecture pour savoir comment le protocole doit être mis en œuvre, s’il est acceptable…

On parvient à fonctionner, mais avec beaucoup, beaucoup de travail, et beaucoup de responsabilités…

Le confinement avait été difficile à mettre en œuvre en termes techniques et administratifs; le déconfinement l’est encore plus, parce qu’il s’accompagne d’obligations et de préoccupations permanentes, et évolutives.

Un souci est aussi de ne pas connaître l’issue et la fin de cette pandémie. Les informations qui nous sont livrées ici et là ne sont pas très éclairantes…»

La campagne électorale avait permis à votre équipe municipale de définir un large ensemble de projets pour la commune de Carhaix, dont un bon nombre était une poursuite de l’action menée dans le cadre des mandats précédents… 
De tous ces «chantiers» en cours ou à mettre en œuvre, lesquels sont à vos yeux les plus importants ou les plus urgents ? S’il vous fallait n’en choisir qu’un seul, lequel vous tiendrait le plus à cœur ?

«Il serait difficile de n’en retenir qu’un seul tant beaucoup de sujets sont complémentaires! Notre politique essaie de balayer tout le spectre de domaines qui font la vie d’un territoire, et qui font qu’on y vive bien…

Bien sûr, chacun sait que la première chose est ici l’économie et l’emploi. Une nouvelle zone économique d’une vingtaine d’hectares va naître à la Métairie Neuve, et la préoccupation est aujourd’hui de pouvoir y accueillir de nouvelles entreprises. 

Le Centre-Bretagne, on le sait, est un pays vieillissant, et c’est par l’emploi qu’on permettra à des jeunes de pouvoir rester vivre sur le territoire. Il faut donc que les entreprises présentes se maintiennent, et que d’autres s’implantent, pour que nous gagnions de l’emploi sur l’ensemble de notre zone.

Ensuite, nos projets concernent tout ce qui peut accroître l’attractivité de notre territoire : la construction de la future Maison de santé, un futur cinéma en centre-ville, le palais des sports, une épicerie sociale, la rénovation du centre-ville, le développement du tourisme, la rénovation des écoles… énormément de chantiers, mais qui sont complémentaires les uns des autres, pour faire qu’une ville se porte bien !»

Qu’en est-il actuellement du projet d’implantation d’un «palais des sports» près de l’espace Glenmor ?

«C’est la grande difficulté. On sait que l’association des Vieilles Charrues est intervenue auprès de la préfecture du Finistère contre ce projet, estimant qu’il gênerait l’organisation d’une édition du festival, ce que nous contestons, des solutions étant trouvées pour faire en sorte que l’on puisse à la fois construire le Palais des sports et assurer que cette édition du festival se déroule dans les meilleures conditions…

Le préfet du Finistère nous a reçus – Sébastien Baugé, technicien chargé du projet, Jacqueline Mazéas, première vice-présidente de Poher Communauté, et moi – pour nous informer que les aides de l’Etat et les subventions étaient conditionnées à ce qu’un accord soit trouvé avec l’association des Vieilles Charrues.

Le dialogue se poursuit donc avec celle-ci et avec l’Etat. L’on en est là, mais il est dommage que cet équipement fortement attendu, notamment  par toutes les associations, prenne du retard !»

Et la revitalisation du centre-ville ?…

«Elle se poursuit et va se poursuivre. Nous avons toute une politique pour cela, et les aides de l’Etat, de la Région, du Département pour la mettre en œuvre.

A Carhaix, les travaux s’accompagnent toujours de fouilles archéologiques, ce qui peut amener des personnes à s’interroger sur le fait que des travaux – comme Place de la mairie – ne démarrent pas plus vite, et aux dates initialement annoncées… 

Sur ce chantier, l’on va vers une fouille complémentaire, parce que ce qui avait été découvert là mérite d’aller plus loin dans les recherches.

Les archéologues le souhaitaient, et la ville également, car nous pensons que tous les vestiges trouvés dans le sous-sol permettront de mieux connaître l’histoire de Carhaix, mais aussi pourront être mis en valeur dans un projet urbain global où des vestiges pourront être montrés aux visiteurs et aux touristes…

Une portion est achevée, rue du Dr Menguy, où l’on peut se faire une idée de ce que nous souhaitons réaliser.

Pour mémoire, trois secteurs de la ville seront dédiés à trois périodes de son histoire: l’ouest pour la période antique avec Vorgium; le centre-ville pour l’époque médiévale; l’est – du côté de la gare – pour la période plus contemporaine, avec le Réseau Breton… Notre projet de rénovation urbaine se fond dans l’histoire de la ville.

L’on vient dans un centre-ville si on s’y sent bien, si on trouve plaisir à y venir, et cela passe par des aspects très divers: la place laissée aux piétons,  aux vélos, aux personnes handicapées… mais aussi par l’histoire – raconter aux gens l’histoire, et une histoire qui, de plus, est ici très riche: du néolithique à aujourd’hui, plus de 6000 ans !

A côté de cela, nous sommes engagés, avec l’Etablissement Public Foncier Régional, dans une opération d’acquisition des immeubles vides du centre-ville afin de les rénover pour accueillir des commerces et réaliser des logements pour attirer des habitants en centre-ville. Une vingtaine a déjà été rachetée. Il s’agit de créer la dynamique nécessaire…»

Le nouveau conseil communautaire de Poher Communauté a pu être mis en place à la mi-juillet, non sans quelques tensions et surprises… Vous nous disiez en juin 2019, à l’occasion d’un interview donné à «Regard d’Espérance», que l’union était nécessaire, dans la concertation mais avec une ligne directrice claire… Qu’en est-il désormais ?

«Je suis toujours dans cet état d’esprit : je suis favorable au consensus, lorsqu’il est établi sur une base claire, et ne devient pas une entrave à la capacité d’agir. Il faut savoir vers quoi l’on tend. 

On peut très bien ne pas être d’accord. Les phénomènes de majorité et d’opposition sont des règles habituelles et normales de la démocratie ! En l’occurrence, il est normal que les élus communautaires de certaines communes ne soient pas d’accord avec les projets portés par d’autres. Il faut en discuter, mais faire en sorte que l’on ait une ambition et des objectifs communs, avec une capacité, une gouvernance pour les mettre en œuvre.»

Au-delà de cet aspect plus politique des choses, quels projets et «chantiers» vous semblent prioritaires pour la Communauté de Communes ? Et pour le Centre-Bretagne dans son ensemble ?

«La première compétence de Poher Communauté, c’est l’économie et l’emploi. Ce que j’ai dit pour la commune de Carhaix est vrai pour la Communauté de Communes: notre souci premier, c’est l’emploi.

C’est ce pourquoi Jacqueline Mazéas occupe la première vice-présidence, dans des fonctions qu’elle remplit parfaitement, pouvant également s’appuyer sur un élément qui nous manquait beaucoup auparavant: un club des entreprises.

Nous avons eu la chance de voir des gens adhérer à ce projet et le porter par eux-mêmes. Ce club des entreprises a un véritable rôle d’ambassadeur. On a vu comment cela a fonctionné à Rostrenen…

L’on sait que la capacité de développement économique existe sur notre territoire, encore faut-il en créer les conditions. Un exemple: la fin du chantier de mise à 2 X 2 voies de la RN164 est annoncée pour 2026-2028. C’est demain. Il faut se préparer. Châteaulin sera à 1h30 de route de Rennes… tout le monde aura intérêt à passer par l’axe central. On peut se préparer à un développement économique important, mais il faut en créer les conditions: être attractif, dans les services aux entreprises et à la personne, les terrains mis à disposition, l’installation de la fibre optique et des réseaux en général… Je pense que nous n’avons jamais été aussi prêts.

Pour l’ensemble du Centre-Bretagne, il faut s’entendre sur l’axe Est-Ouest et sur l’axe Nord-Sud, bien réfléchir entre toutes les communautés de communes sur les possibilités d’accueil des types d’entreprises: certaines pourront peut-être se spécialiser davantage dans l’agroalimentaire, d’autres dans la logistique…

Tout un travail indispensable est à faire, notamment entre les communautés de Châteauneuf, Carhaix et Rostrenen, qui doivent parvenir à une entente forte, tout en travaillant étroitement, sur un projet commun, avec celles des Monts d’Arrée et du Roi Morvan…»

Le Pays semble appelé à disparaitre en tant qu’entité administrative, ne faudrait-il pas que se crée une autre entité territoriale dotée de véritables compétences en Centre-Bretagne, communauté d’agglomérations ou grande communauté de communes, ou autre ?

«Le plus simple serait de bâtir sur ce qui existe. Nous avons cinq communautés de communes sur le territoire. Il faut qu’elles fusionnent et se donnent la capacité de travailler en fédération, avec un respect de chacun des territoires.

Tout cela est facile à organiser. Hélas, on se trouve souvent confronté à des problèmes de politique politicienne, qui font que ce qui tombe sous le coup du bon sens n’est pas mis en œuvre, parce qu’on se heurte à des difficultés qui ne devraient pas exister…

L’habitant de Carhaix vit aujourd’hui à la porte de celui de Rostrenen, de Maël-Carhaix, de Huelgoat, de Gourin, de Châteauneuf… l’on sait que nous vivons sur un même territoire, avec une histoire, une identité, une culture communes, des intérêts communs… 

Et nous avons aussi une obligation commune: nous nous plaignons parfois, à juste titre, que l’Etat n’ait pas un regard assez bienveillant sur nos projets et revendications… Mais inversement, savons-nous les porter nous-mêmes d’une seule et même voix, afin d’être entendus ?…»

Comment garantir l’existence des petites communes et de leurs préoccupations au sein de cette entité plus vaste ?

«C’est indispensable! Et ce n’est pas contradictoire ou antinomique. La commune, c’est la base de la démocratie. C’est le premier échelon, la proximité… Il faut la conserver.

Je ne suis pas forcément favorable à des fusions de communes. L’intercommunalité, c’est différent; c’est se donner un destin commun dans des domaines où on ne peut pas agir seul, mais où chacun est entendu, du fait même qu’il représente sa commune.»

L’on parle beaucoup en ces temps de relocalisation de la production et de l’économie… Quelle carte serait à jouer en ce domaine pour le Centre-Bretagne ?

«Il y en a beaucoup, mais la première est ici celle de l’agriculture et de l’agroalimentaire. Ce sont deux activités essentielles, à maintenir absolument. Il faut trouver des produits à plus forte valeur ajoutée. Il existe aujourd’hui un marché porteur, sur les produits régionaux, de qualité, de goût, de proximité, de circuit court…

Pour prendre un exemple que je connais bien, je citerais la Coreff. Nous étions une douzaine de salariés quand j’y étais, ils sont près de 50 aujourd’hui, sur un marché qui était difficile il y a quinze ans, mais qui est maintenant porteur dans le domaine de produits régionaux…

On constate que quand le produit est de qualité, les consommateurs suivent, et l’emploi aussi.

Il y a des niches à exploiter, à côté d’une agriculture plus productive, qu’il faut sans doute réorienter en partie, mais maintenir sur le territoire, parce que c’est notre avenir. Je fais confiance aux agriculteurs pour trouver des solutions sur les dix à vingt ans à venir. Ils ont prouvé leur capacité d’adaptation et de transformation du modèle agricole !

Parmi les grands domaines sur lesquels nous devons travailler, il y a aussi la formation et l’enseignement: tant que les jeunes continueront à partir, nous n’aurons pas les forces vives pour espérer un redressement. Il faut absolument combattre la dévitalisation du pays, enrayer la perte d’habitants !

C’est encore le moment. J’ai encore espoir, à condition que nous sachions nous entendre et travailler ensemble…»

Comment pourrait-on y organiser encore davantage le tourisme afin que le territoire en tire profit au mieux ?

«Même si le contexte était particulier, j’ai été heureusement surpris par l’affluence de l’été ! Mais il faut des équipements.  On a bien vu que le Centre d’interprétation de Vorgium est, par exemple, un outil porteur… Le camping, avec ses trois étoiles, en est un autre, comme celui de Cléden. On commence donc à avoir sur le territoire des outils performants.

Et cela s’ajoute aux atouts de ce territoire: son histoire à mettre en valeur pour y intéresser les gens, son identité et sa culture bretonnes, son environnement et son cadre de vie préservés… La présence du canal, de la voie verte, de la Vallée des saints…

Il faut faire valoir nos richesses, nos spécificités, sans jalouser d’autres territoires, ni esprit de concurrence, mais en étant complémentaires et en travaillant en synergie.

Le loisir d’aujourd’hui n’est plus celui d’il y a vingt ou trente ans. Le tourisme qui se développe, très axé sur la culture et la nature, est pour nous une force, parce qu’il correspond à ce que nous pouvons offrir, et à notre sensibilité…»

Le Centre-Bretagne a été très peu touché par l’épidémie du Covid 19 elle-même, le virus y ayant peu circulé… Qu’en dites-vous ?

«C’est vrai que nous avons eu la chance d’avoir peu de cas en Centre-Bretagne. En particulier, je n’ai pas connaissance de décès…

Mais nous avons été très inquiets lors de la visite du centre spécifique «Covid 19» à l’hôpital, où nous était annoncé le pic de l’épidémie pour la semaine suivante. Toute une aile d’un bâtiment avait été vidée pour accueillir les malades… Heureusement, il n’a finalement eu quasiment personne à accueillir !

Je crois que nous avons alors eu une vingtaine de cas sur le Centre-Bretagne. Les zones rurales du pays ont été les plus épargnées, et les gens ont ici bien respecté le confinement et les «gestes barrières».

De l’intelligence, du bon sens, de la prudence nous ont donc aussi permis d’être relativement épargnés. C’est pourquoi il faut continuer à avoir ce même comportement, et respecter les «gestes barrières»…

En revanche, l’impact économique risque d’être ici aussi dévastateur qu’ailleurs, ou presque… Quels atouts ou forces notre territoire a-t-il pour limiter ou contrecarrer cette crise économique majeure ?

«L’on a dit que les territoires ruraux avaient mieux résisté, parce que le tissu économique y est souvent constitué d’un maillage de petites entreprises plus résilientes…

C’est vrai, mais il reste que la crise a quand même frappé durement, et que la vie économique a beaucoup souffert !

L’action de l’Etat a été critiquée, parfois à juste titre, dans la gestion de cette épidémie, mais il faut reconnaître que les aides apportées aux entreprises ont été très appropriées. Elles ont souvent permis aux très petites entreprises de maintenir un minimum de trésorerie. Après, selon les secteurs d’activité, la situation est plus ou moins délicate pour celles-ci…

Au niveau social, localement, la collectivité est tout de suite venue en aide à beaucoup de familles qui se sont trouvées en difficulté, par le moyen de «chèques-solidarité», essentiellement destinés à l’aide alimentaire, et qui se sont d’ailleurs retrouvés dans les commerces locaux. 

Elle est également intervenue, par exemple, pour soutenir les commerçants en participant avec eux à une animation, en juillet. Le public a joué le jeu de la solidarité, et on a vu les établissements profiter de cette initiative. Cette synergie plus importante avec l’association des commerçants nous amène d’ailleurs à penser qu’en animant ainsi régulièrement les choses – à notre façon, avec notre spécificité – l’on pourrait créer un mouvement vers plus de solidarité.

Il faut trouver des solutions pour augmenter le chiffre d’affaires en développant l’activité commerciale et industrielle…»

L’on entend beaucoup parler du «monde d’après»… Croyez-vous qu’il sera réellement et fondamentalement différent de celui d’avant ?

«Je l’espère ! Je crois qu’il faut une spiritualité dans tout ce que l’on fait ; c’est ma sensibilité. Je crois que cette période négative – avec son impact sur la santé, les dégâts qu’elle a provoqués dans la vie sociale et économique… – nous a aussi amenés à nous « retrouver » nous-mêmes, à retrouver des valeurs oubliées, ou que l’on avait un peu mises de côté, comme je l’ai dit tout à l’heure…

Je ne suis pas favorable à la course effrénée à la consommation. Cela m’interroge beaucoup…

J’espère donc que l’introspection que chacun a pu faire à ces moments-là, ce parcours humain dans une période très particulière de l’histoire, ne disparaîtra pas des mémoires; que régulièrement l’on se demandera s’il ne faudrait pas faire une pause, une halte pour réfléchir à nouveau, se réorienter. C’est indispensable à faire au cours d’une vie humaine, qui est courte, et que l’on a obligation de rendre utile, pour soi et pour les autres… 

Il serait important également, que l’on retrouve, lorsque le règlement du problème du Covid 19 aura été trouvé, notre vie sociale de façon pleine et entière et que l’on puisse reprendre aussi nos codes de convivialité et de civilité…

Le risque serait que l’on ne reprenne pas ce qui fait aussi le sel et le charme de la vie !»

Comment l’historien de formation – et de passion – que vous êtes considère-t-il cette pandémie ? Qu’en retiendra l’histoire, une fois son ampleur remise en perspective ?

«C’est Erwan Chartier, directeur du « Poher », qui avait relativisé les choses en me disant que la peste au Moyen âge avait duré cinq siècles !…

On sait aussi le nombre de victimes que la «grippe espagnole» a faites après la Guerre 14-18 : 50 millions de victimes, je crois… plus que la guerre elle-même !

Mais on a cependant vécu une «page d’histoire» que l’on pensait éloignée pour toujours. Imaginer que l’humanité entière puisse s’arrêter en même temps… C’était inimaginable. Et cela nous ramène à notre propre vérité, à notre destin simplement humain, et à réévaluer les choses ensuite…»

Entre nécessité de la protection de la population et risque ou tentation d’assujettissement de celle-ci, que pensez-vous des mesures imposées ?

«Etre «aux affaires» est toujours difficile… Ce que je n’ai pas apprécié, c’est la référence à la guerre. Ce n’était pas approprié. Et ce que l’on peut reprocher au gouvernement, c’est l’absence de vérité. Il fallait dire les choses : «Nous manquons d’équipement. Nous n’avons pas fait les commandes nécessaires à temps…» – d’autant que les responsabilités étaient partagées avec les gouvernements précédents – «il va donc falloir se confiner pendant un temps…»

Un discours de vérité aurait instauré la confiance, alors que c’est une défiance permanente qui s’est créée, d’autant que les médias s’en sont mêlés. C’est dommage. On a toujours intérêt à dire la vérité, et à avoir confiance en l’intelligence des gens !

Si nous avions eu les équipements nécessaires, l’on aurait pu faire différemment : sectoriser, en particulier et par exemple, car la situation en Centre-Bretagne était très différente de celle de Paris ou de l’Est de la France, comme nous l’avons déjà dit. Les campagnes ne sont pas les métropoles… Mais l’on n’a pas fait confiance aux régions.»

Y a-t-il eu parfois infantilisation des citoyens, comme d’aucuns le disent ?

«Oui, certainement! Mais je suis assez admiratif de la façon dont, généralement, les consignes ont été respectées par la population… On a vu prévaloir le sens de la responsabilité, et se développer un bon comportement général dans la population locale. L’enjeu a bien été compris.»

Que dire des «Etats d’Urgence» à répétition ? Et que disent-ils de notre époque ?

«Cela nous ramène à l’interrogation sur le «monde d’après». Que voulons-nous qu’il soit ? Veut-on vivre des états d’urgence permanents? Comme beaucoup de gens, je pense, je ne veux pas de cela !

Donc, orientons-nous vers une vie plus tranquille, et chassons ce qui conduit à ces états d’urgence-là, ce qui nous empêche d’avoir une vie pleine et entière…»

Quels enseignements vous semblent devoir être tirés de cette pandémie ? 

«La vie et le destin seront ce que nous en déciderons en partie nous-mêmes, et fonction de nos propres comportements.

Là encore, il faut de l’introspection. Si cette pandémie devait en rester là, elle devrait à mes yeux nous servir de «piqûre de rappel», de révélateur. Elle nous dit: «Attention ! Voilà la fragilité de notre monde !»

J’insiste aussi à nouveau sur la quiétude. Nous avons besoin de retrouver de la quiétude. Je choisis à dessein ce mot, que j’aime beaucoup…

C’est quelque chose d’important pour notre vie personnelle, pour la société, et cela se construit, à travers toutes ces valeurs dont nous avons déjà parlé.»

La Bretagne aux cinq départements, la Bretagne historique vous tient à cœur, et vous participez à la mi-octobre, à Nantes, à une grande rencontre politique en faveur de la réunification de la Bretagne… Pourquoi ?

«Tout simplement parce que c’est  la Bretagne. Elle s’est construite sur ce territoire, qui couvre aujourd’hui cinq départements. C’est la Bretagne historique. Une Bretagne qui a plus de 1500 ans d’histoire.

L’on n’imaginerait pas amputer aujourd’hui une région comme la Bavière, ou autre. Même en France, pays jacobin, on crierait au scandale, au charcutage territorial… Pourquoi donc accepter ce qui s’est fait au coin d’un bureau de haut fonctionnaire à Paris contre la Bretagne ? Ce n’est pas acceptable ! Et c’est donc ce que je considère devoir combattre…

C’est aussi cela relocaliser. C’est considérer que la Bretagne a, sur ses cinq départements, une culture, une identité, une histoire…

Nantes est en Bretagne, géographiquement, historiquement, culturellement, socialement !

Or, une pétition de 105 000 signatures en faveur du rattachement n’est même pas réellement prise en compte par le département de Loire-Atlantique. Cela pose un problème démocratique.

Mais les choses se feront. Elles avancent. Un consensus est en train de naître…

Et ce rattachement permettra à la Bretagne de peser au niveau européen.

Il y a un peuple breton, que l’on doit respecter comme les autres peuples de la terre. J’étais récemment en Italie, dans une région – le sud-Tyrol – qui était autrichienne avant la Guerre 14-18, et a été rattachée à l’Italie en 1919. Mais les Etats alliés ont alors imposé que la culture et l’ensemble des droits de la minorité sud-tyrolienne soient maintenus en Italie, dont la langue, parlée par 30000 personnes…

Ici, une langue bretonne qui a des centaines de milliers de locuteurs n’a pas le droit d’exister vraiment, alors que parler sa langue est un droit fondamental des Droits de l’Homme.

L’Etat français n’est pas assez respectueux des minorités. Je le perçois comme une terrible injustice.»

Le Centre-Bretagne a-t-il un rôle particulier à tenir dans cet ensemble, à la fois historique et en mouvement ?

«Bien sûr, comme toutes les autres composantes de la Bretagne. Il y a ici une histoire particulière, et une capacité de résistance. Les gens savent construire, mais aussi résister. C’est un peu ce qui fait la force de notre tempérament!

Et ce territoire envers lequel trop d’erreurs ont été commises, aura peut-être un peu plus droit de voix au chapitre pour son développement économique. La métropolisation telle qu’elle s’est faite à Nantes, et ailleurs, avec ses problèmes croissants d’insécurité, de pollution, de circulation (etc.) révèle les limites d’un modèle de développement.

Nous avons su ici préserver les choses, et ce qui a été dit ici par certains depuis tant d’années mérite d’être entendu, respecté et mis en évidence aujourd’hui !

Nous avons un beau petit pays, qui n’est pas mieux que les autres – je n’aime pas les hiérarchies de ce genre – mais qui possède des réalités aujourd’hui recherchées par de plus en plus de gens.

Notre avenir nous appartient… tranquillement !»

Quel message adresseriez-vous aujourd’hui aux habitants du Centre-Bretagne, dans la situation actuelle, et pour demain ?

«Un message d’espoir, toujours !

Même s’il y a des inquiétudes, s’il faut parfois gérer des crises, comme celle du COVID, et avoir une attention permanente…

Mais nous avons la solidité d’une culture locale, aujourd’hui enviée par beaucoup de monde. Nos « petits » territoires ont un avenir, car ils s’inscrivent dans une aspiration nouvelle des gens pour un environnement de qualité, à taille humaine, de proximité, d’échanges humains…

Je pense que ceux qui, il y a longtemps, nous ont dit de préserver ce que nous avions ici ne se sont pas trompés. C’est en grande partie grâce à eux que nous avons un avenir qui sera intéressant.»