«Où va-t-on si on perd de vue qu’un hôpital est d’abord là pour être au service de la population de son territoire ? De plus, les 80 000 habitants de notre territoire sont aussi des cotisants à la sécurité sociale et des contribuables…

Il y a là non seulement un principe d’équité, mais aussi un postulat républicain. Et on ne peut opposer à cela des arguments désinvoltes ! », nous a confié Jean-Pierre Hémon.

C’est d’une voix posée, au timbre grave et profond, que J.-P. Hémon élabore chacune de ses réponses.

Tel un avocat plaidant une affaire qui lui tient personnellement à cœur, il fait corps avec la cause qu’il défend.

Sa parole sur chaque aspect abordé est fouillée, méthodique et pédagogique, ses accents tour à tour passionnés et nuancés. 

De toute évidence, l’homme maîtrise son sujet, connaît ses dossiers… Et pour cause : des décennies d’engagement opiniâtre ont forgé cette intime connaissance.

Homme de dossiers et homme de terrain – élu local en Kreiz Breizh durant de longues années – J.-P. Hémon est également homme de conviction, de principes, de valeurs qui fondent son action ; et celles-ci sont avant tout des valeurs pétries d’humanité…

Santé, territoire, Centre-Bretagne… sont autant de réalités qui nouent ses combats, agrègent les facettes de son ouvrage inlassablement remis sur le métier.

C’est avec son regard à la fois informé et militant que nous avons voulu ce mois ausculter la situation sanitaire du Centre-Bretagne, notamment, et examiner tout particulièrement la question toujours brûlante de l’hôpital de Carhaix, clé de voûte de « l’offre de soins » dans le  Kreiz Breizh, et pierre angulaire de sa santé économique !


Voudriez-vous vous présenter brièvement ?

«J’ai 73 ans. J’ai trois enfants, deux garçons et une fille – de 45, 43 et 40 ans – et 7 petits-enfants…

Ma femme a été enseignante au collège de Beg-Avel à Carhaix, et ma fille est professeur d’espagnol au lycée de Carhaix.

Nous habitons à Plévin, d’où mon épouse est originaire, et où nous sommes venus habiter en 1979, après être passés par St-Brieuc et Quintin, au gré de ses nominations dans l’Education Nationale…

Je m’y suis toujours beaucoup plu, et intéressé par nature à la «chose publique», j’en suis devenu élu communal en 1983 et pour trois mandats; puis dans la fin des années 1980 et début des années 1990, j’ai participé en tant que représentant de la commune de Plévin à la création de la CCKB (Communauté des Communes du Kreiz Breizh), dont j’ai ensuite présidé la Commission Economie, de 1993 à 2001.

Cela m’a apporté une expérience communale et communautaire, et m’a donné une vision assez large des problématiques de ce territoire auquel je me suis très vite attaché, comme aux personnes qui y vivent…

Ne parvenant plus, après 2001, à mener de front mes activités professionnelles de visiteur médical pour les laboratoires Aventis – aujourd’hui Sanofi-Aventis – et ma fonction d’élu autant que mon devoir l’exigeait, j’ai mis un terme à cette vie élective…

Mais mes collègues sont venus me dire que je ne pouvais pas rester ainsi, et m’ont demandé de rejoindre d’autres personnes de la société civile dans le «Conseil de développement» qui se créait alors dans le cadre du Pays du Centre-Ouest-Bretagne (COB)…

Puis la «Commission santé» ayant été créée dans ce cadre, j’en suis devenu le président.

Enfin, mes activités de loisirs favorites sont la marche, en particulier le long du canal de Nantes à Brest, la lecture, les voyages et le camping «à l’ancienne», le cinéma, et surtout beaucoup de temps consacré à la famille et aux amis!»

Une question incisive : le Centre-Bretagne aura-t-il encore un hôpital digne de ce nom dans les années prochaines ?

«La question est vitale! Car il faut bien réaliser que la seule structure dite MCO (Médecine-Chirurgie-Obstétrique) du territoire, c’est l’hôpital de Carhaix; on ne le répétera jamais assez!

On peut nous raconter tout ce qu’on veut, même de «belles histoires», il ne faut absolument pas s’éloigner de ce postulat, et ne rien céder dans cet espace-là, ce serait faire fausse route.

Des adaptations sont possibles – tel le développement de la chirurgie ambulatoire – et on ne va pas les rayer d’un trait de plume par a priori; mais en l’absence d’alternative, la population de ce territoire du Centre-Ouest-Bretagne n’ayant aucune autre structure MCO, l’hôpital de Carhaix doit être maintenu.

Ce territoire n’est pas très dense en termes de population, mais ce sont quand même 80 000 à 100 000 habitants, selon que l’on intègre tel ou tel canton en périphérie… Pour ce bassin, il est hors de question de céder sur la présence de la MCO à l’hôpital de Carhaix!

Et la réponse à votre question, c’est précisément la mission qui a été confiée par les pouvoirs publics au CHRU de Brest.

Nous y avons beaucoup travaillé avec la Région, le Conseil Régional qui a financé seul l’étude Altao, débouchant sur la proposition de fusion avec le CHRU de Brest comme alternative à la fermeture des services de chirurgie et de maternité à Carhaix, décidée à l’époque par l’ARH…

Il faut continuer dans ce choix initial, qui s’est avéré être le bon. Je ne conçois pas qu’il puisse y avoir une «réduction de la voilure» sur le MCO.

D’ailleurs, même si l’offre en consultation a parfois été discontinue ici ou là, le panel des consultations a augmenté. Il faut encore progresser sur l’éventail et sur la continuité des consultations proposées à l’hôpital de Carhaix…

Mais ce postulat de base que je viens d’exprimer est en lien avec les besoins essentiels de la population en matière de soins; nous en reparlerons sans doute…»

L’hôpital de Loudéac-Pontivy semble menacé… Celui de Carhaix aurait été fermé si la population et des élus ne s’étaient très fortement mobilisés… mais d’aucuns, à divers postes, ne paraissent pas avoir renoncé à leur projet en ce sens ? Qu’en est-il réellement ? Beaucoup ne dépend-il pas de la détermination et de l’engagement des personnes ?

«Il y a effectivement des moments de «flottements», qui sont probablement plus sensibles en Bretagne intérieure, qu’il s’agisse de Pontivy, de Guingamp ou de Carhaix… On sent la menace, qui n’a rien de virtuel !

D’où l’importance d’affirmer constamment que ce territoire a des exigences et que sa population a le droit d’être soignée décemment en proximité.

Nous n’ignorons pas que la crise sanitaire actuelle accentue la révélation des fragilités et des faiblesses, et nous entendons les arguments avancés par les ARS ou la direction du CHRU, qui ne sont pas non plus virtuels. 

Par exemple, la fatigue accrue des personnels; la raréfaction du personnel; le fait que les soins intensifs exigent beaucoup plus de personnel…

Ceci dit, nous n’oublions pas à Carhaix que nous avons vécu avec Philippe El Saïr, l’ancien directeur général du CHRU de Brest, et avec Jean-Christophe Paul, le directeur de l’hôpital de Carhaix, huit années de véritable coconstruction quasi quotidienne, au profit de ce territoire. Cela non seulement dans l’application du Contrat local de Santé, mais dans des échanges, une implication totale de chacun…

Une anecdote typique: à trois semaines de la mise en fonction de l’IRM mobile, Jean-Christophe Paul m’appelle pour me dire que le transporteur de l’IRM est défaillant, et me demande si je ne connaîtrais pas une société de transport qui pourrait le remplacer…

J’ai appelé Michel Guilloré, le patron de TSO, pour lui expliquer la situation. Les relations se sont nouées. Un climat de confiance s’est établi. Tout s’est mis en route, et TSO assure depuis le transport de l’IRM mobile…

Cela me semble bien illustrer ce que nous voulons faire. Il y a des difficultés structurelles et conjoncturelles, mais il y a aussi des gens prédisposés à coconstruire au profit de ce territoire. 

Nous avons démontré que c’était possible, et dans un climat de vraie confiance.

Et je n’ai pas fait mon deuil de cette coconstruction qui me paraît tellement nécessaire!

Car il ne peut y avoir de modèle arrivant d’en haut pour être plaqué tel quel sur ce territoire sans tenir compte de ses réalités, et des gens qui y vivent: population, élus, représentants divers, société civile…»

Dans les derniers jours de 2021, alors que la maternité de l’hôpital de Carhaix était menacée de fermeture pour plusieurs jours, vous avez pris une part active à la recherche de la solution qui a permis d’éviter cette consternante extrémité… Voudriez-vous nous en dire un peu plus ?

«Le directeur de l’ARS m’a appelé plusieurs fois pour m’expliquer les difficultés structurelles dont nous venons de parler, que nous connaissons bien, mais je lui ai dit qu’il était impensable de fermer la maternité le 24 et le 25 décembre, et que tout n’avait pas été fait pour éviter cela!

Et j’ai été ravi quand le Dr anesthésiste Michael Rickmanns, qui habite St-Rivoal, a accepté de renoncer à son réveillon en famille le 24 décembre pour venir au pied levé assurer la garde à l’hôpital, au nom de cette solidarité territoriale, comme il me l’a dit au téléphone lorsque nous l’avons contacté. C’est sa décision qui nous a sauvés!

Et pour le 25, c’est un appel téléphonique de l’hôpital qui a permis de trouver un autre anesthésiste pour la journée du 25.

Et fait assez significatif: il y a eu une naissance à la maternité de Carhaix le 24, et trois le 25!…

Mais je me rappelle ce que me disait souvent J.-C. Paul décrivant la façon dont il se «démenait» littéralement en permanence pour trouver des solutions : 

«Je suis un peu comme l’entraîneur du FC Lorient !…», c’est-à-dire déterminé à chercher partout des joueurs.

Cela passe par un apprentissage, l’acquisition d’une bonne connaissance du territoire, ce qu’avait fait Philippe El Saïr. Il était venu nous rencontrer peu après sa prise de fonction, puis nous avait reçus en délégation… et nous avons alors pu travailler en grande confiance entre la «tête» du CHRU, la direction locale de l’hôpital et les acteurs du territoire – M. Paul participait régulièrement à la Commission Santé du COB, ce qui était en soi une démonstration de sa volonté à l’endroit de ce territoire!

C’est comme cela que nous avons pu défendre ensemble, véritablement, des actions contenues dans le contrat local de santé, et c’est la voie qu’il faut suivre, me semble-t-il: tenir compte des réalités du terrain et faire confiance aux acteurs du territoire…»

Une telle décision de fermeture – comme celle de l’une des deux «lignes» du service des Urgences en 2018 – ne manque pas d’alerter, d’inquiéter, quelque 14 ans après les combats menés pour sauver l’hôpital… Récemment, avec Christian Troadec, maire de Carhaix, conseiller régional, vous avez averti : «Nous n’accepterons pas de nouvelles fermetures.» Aviez-vous senti un danger ? Et qu’en est-il en ce mois de janvier 2022 ?

«Oui… Je me suis dit, face à la menace, qu’il était temps de dire avec force notre opposition résolue.

Or, tout est question d’anticipation, puisque l’entièreté de l’anesthésie-réanimation relève de l’intérim à Carhaix. Il faut donc être dans l’anticipation permanente. Et on ne peut se contenter de dire à la fin que personne ne veut venir à Carhaix et qu’il n’y a plus d’intérimaires…

C’est d’ailleurs une prise de risque assez grave que d’obliger les gens à faire ¾ d’heure à 1 h ¼ de route; je pense aux femmes qui accouchent et à certains malades! C’est pour eux une «perte de chance», un risque supplémentaire…

J’ajouterais deux choses : 

premièrement: l’on nous dit – et c’est vrai – que Brest manque aussi de médecins en anesthésie-réanimation. Mais pourquoi faire reposer la pénurie entièrement sur Carhaix? Pourquoi ne pas partager la «ressource», au lieu de privilégier l’intérim, qui coûte cher, pour Carhaix… puis parfois de lui reprocher ce surcoût, et la précarité de l’offre de soins, qui est inhérente à l’intérim…

On ne peut pas reprocher à Carhaix à la fois de ne fonctionner qu’avec des intérimaires en anesthésie-réanimation et ne rien faire pour que ce ne soit pas toujours le cas!

Finalement, c’est une question politique – on me reproche parfois de le dire – non pas de politique politicienne mais de politique de santé. En ce sens, ce serait à l’ARS – qui est le «préfet sanitaire» régional – de dire au CHRU : «Carhaix, c’est chez vous, vous êtes donc responsables de la permanence des soins sur place.»

Deuxièmement: il est faux de dire que «Carhaix n’attire pas». Le problème, c’est que Brest n’attire pas dans certaines spécialités!…

Beaucoup de ceux qui viennent travailler à l’hôpital de Carhaix sont attachés au territoire et font remonter vers la fac de médecine et le CHRU une image positive de notre hôpital.

Il existe une attractivité, qu’il faut faire vivre, en ne se contentant pas de maintenir l’offre – même s’il faut sanctuariser le MCO – mais en ayant des projets de développement, qui attirent des jeunes en leur montrant qu’ils ne vont pas intégrer une structure molle et immobile.»

«Rien n’est jamais acquis. Il ne faut jamais se relâcher, mais au contraire rester vigilants…» disait en janvier 2019 dans nos colonnes M. Philippe El Saïr, alors directeur général du CHRU de Brest. Malgré tous les efforts consentis, les progrès réalisés, la pérennité de l’hôpital, sa survie à long terme et dans son intégrité, demeurent-elles donc un «combat» ?

«Oui ! Et jamais nous n’avons été gênés d’en parler ainsi ensemble. La fragilité de la situation rend indispensable l’anticipation. Non seulement il faut être vigilants, mais capables de repérer les faiblesses, et d’anticiper, mais très en amont.

Repérer les faiblesses n’est pas une preuve de défaitisme, au contraire! Et cela permet d’avoir des projets; or les jeunes et les professionnels de santé s’attachent à des établissements qui ont des projets; mais l’immobilisme est redouté…

Prenons l’exemple des consultations spécialisées à l’hôpital. Si l’on n’anticipe pas –et de loin– l’on aboutit à une rupture de la continuité des soins, à ne plus avoir telle ou telle consultation pendant trois ou six mois, ce qui est très mal vécu, d’autant plus que nous avons en Centre-Bretagne des spécialités qui n’ont plus aucun praticien exerçant en libéral.

Mais bien au-delà, il faut aussi absolument que la population ait conscience qu’elle doit défendre son hôpital, demander à nos élus de le faire; tous les élus: parlementaires, maires, conseillers départementaux et régionaux…

Le Conseil régional peut faire beaucoup, car même si la santé n’est pas strictement dans sa compétence, l’aménagement du territoire l’est. Or, nous avons le droit de revendiquer une équité dans cet aménagement du territoire, qui inclut l’équité dans l’offre de soins. J’attends donc du Conseil régional qu’il défende cette idée que le CHRU a intégré dans son entité l’hôpital de Carhaix afin de garantir cette offre de soins «à la hauteur»!

Nous avons toujours pensé – notamment avec le Dr Roudaut, qui était dès 2008 président du Comité de défense et de développement de l’hôpital de Carhaix – que proximité devait rimer avec sécurité, compétences et pérennité, pour qu’il y ait confiance de la population envers l’hôpital. Nous n’avons jamais revendiqué que tout se passe à l’hôpital de Carhaix, mais qu’y soit vraiment maintenue et développée une fonction de «première étape» de qualité.

L’on ne nie pas les grandes difficultés de recrutement de personnel soignant de tous métiers, mais dans ce «combat» à mener en permanence, l’on ne doit pas transiger sur le maintien à Carhaix d’un véritable hôpital, car il est la pierre angulaire de l’offre de soins sur le territoire…»

Carhaix a, de longue date, été un lieu de résistance, voire de luttes persévérantes… Le présent demeure-t-il imprégné de cet état d’esprit, de ses racines profondes ? Une réaction, voire une forme de révolte, telle celle du passé récent, peut-elle surgir ? Ressentez-vous cette inquiétude et cette détermination ?

«Je ne suis pas partisan de la «castagne»!… Mais peut-être une forme de révolte serait nécessaire si ce qui a failli se passer les 24 et 25 décembre devait se reproduire dans la durée.

Car on peut craindre que si cela s’est fait une fois, ce pourrait être refait… Dans une telle situation, oui, il faudrait appeler la population à réagir.

Mais nous sommes maintenant dans une situation très différente de 2008, où il s’agissait d’un arrêté de suspension, que j’ose qualifier de scélérat. C’était un casus belli ! Une attaque en règle contre l’hôpital de Carhaix, qui a été vécue dans la population comme une agression contre les gens, ce que l’ARH n’a pas bien compris, je pense…

Aujourd’hui, la fusion a «installé» la fameuse médecine-chirurgie-obstétrique et les consultations avancées.

L’idée de se voir amputer d’une de ces fonctions MCO est donc inacceptable. La différence est que l’ARS n’est pas réellement le décisionnaire; c’est le CHRU lui-même qui propose la mesure à l’ARS… C’est beaucoup plus insidieux: on ne dit pas « On ferme!», mais «Vous comprenez, on ne trouve pas de médecins. On n’en a déjà pas assez pour Brest…»

M. El Saïr disait observer chez beaucoup de responsables et de praticiens du CHRU, une volonté de sauvegarder et de développer l’hôpital de Carhaix… Le percevez-vous de même aujourd’hui ?

«Oui. Et il ne faut pas l’oublier! Je ne les nommerai pas, ils se reconnaîtront. Et il en est qui occupent des postes à haut niveau, et sont dans des spécialités éminentes au sein du CHRU… L’hôpital de Carhaix compte d’ardents défenseurs à Brest. Ils l’ont prouvé encore récemment.

Ils partagent l’idée qu’il faut que l’hôpital de Carhaix puisse avoir des praticiens qui jouent ce rôle cardinal que nous avons évoqué.

Et ils ont sur notre hôpital un regard attentif. Ils savent aussi que l’intérêt bien compris du CHRU est d’avoir ici une antenne avancée qui lui assure un ancrage territorial élargi. Les résultats économiques du CHRU montrent que la part d’activité relevant de Carhaix et de son territoire est importante, et augmente. Carhaix n’est pas qu’un coût pour le CHRU.

Ce n’est pas l’argument essentiel, car le premier est médical: encore une fois, l’accès aux soins est une question d’équité. Je n’accepte pas que celle-ci ne soit pas une vertu défendue d’abord par le CHRU. La fusion, c’était cela!»

Quels éléments ou aspects positifs, encourageants, relevez-vous dans les évolutions ou réalisations de ces dernières années ? Et quelles assurances, quelles actions concrètes à l’hôpital et dans son environnement, vous rassureraient et vous permettraient de rassurer la population et les élus ?

«Il suffit de regarder un peu en arrière pour voir des choses rassurantes. Je citerais, sans ordre de priorité et sans être complet: la création de l’antenne carhaisienne de l’IFAS (institut de Formation des Aides-Soignants). Le bandeau porté en fronton du bâtiment est tout un symbole : «CHRU de Brest –Conseil régional – Pays COB»… Au vu des besoins sur le territoire en ce domaine, l’implantation de cette formation est très importante. Le nombre de places devrait d’ailleurs augmenter. C’est notre demande.

L’IRM mobile… Les premiers contacts avec P. El Saïr pour ce projet dataient de 2014-2015! Mais il a fini par se réaliser. Et c’est maintenant une IRM fixe qui est prévue pour 2023, projet dont nous nous apprêtions à demander l’inscription dans le contrat local de santé…

Il faut aussi savoir gré aux médecins libéraux locaux des trois départements pour la création de la Maison médicale de garde, adossée aux services d’accueil et d’urgences de l’hôpital. C’est une réussite, et un vrai service rendu à la population, ce qui est pour moi l’aune à laquelle s’évalue d’abord toute action… Là encore, la solidarité territoriale – entre libéraux, hospitaliers, région… –  a été essentielle pour l’offre de soins.

Ajoutons encore la récente installation des fauteuils dentaires à l’hôpital, dont les prémices du projet remontent aussi à 2015. Nous avions commencé un travail en commun avec le Pr Chirani, doyen de la faculté d’odontologie, Phillipe El Saïr et Jean-Christophe Paul, tous réunis à Carhaix pour en étudier la faisabilité.

Cette antenne est d’abord un lieu de formation pour les étudiants de 6e année, travaillant sous la houlette de dentistes seniors. Mais elle répond à un véritable besoin de la population en matière d’accès aux soins dentaires.

Les deux fauteuils installés ont été «pris d’assaut» par près de 500 patients en quelques semaines, je crois, ce qui montre bien les besoins en la matière, et la nécessité de porter leur nombre à six, conformément au projet initial et à l’idée du Pr Chirani, ce qui permettrait d’en dédier un en permanence aux urgences…

Il faut ici saluer cette totale implication du Pr Chirani, qui a porté cette décentralisation de fauteuils dentaires brestois à Carhaix. C’est lui qui nous l’a proposée.

Enfin, je mentionnerais les consultations spécialisées. Même si la télémédecine peut aider en appoint, elle ne remplace pas les consultations directes. Et Carhaix faisant partie du CHRU, ce n’est pas une vue de l’esprit ou une fiction que de demander à ce que des internes et des assistants viennent y travailler aussi…»

Qu’en est-il de la maternité, service emblématique s’il en est, comme l’ont à nouveau montré les événements récents ? Le nombre des naissances en 2021 a nettement augmenté, malgré une consultation obstétrique qui a été interrompue durant deux mois…

«Oui, et il y a eu 11 naissances entre le 23 et le 31 décembre! Mais nous avions l’habitude de dire, avec Jean-Christophe Paul – et ce n’était de notre part ni arbitraire, ni stratégique – que le chiffre des naissances et les notions de «seuils» ne devaient pas être les critères premiers à considérer, dans l’activité globale de la maternité.

Ce qu’il faut considérer, c’est qu’à l’échelle de notre territoire, l’on doit offrir aux femmes la possibilité d’accoucher à proximité, et non leur imposer ¾ h à 1 heure de route! Ce ne serait pas tolérable.

Donc, oui, la sanctuarisation de la maternité est l’une des assurances propres à rassurer la population. De même que la chirurgie-orthopédique. Car la traumatologie est essentielle, pour une population âgée telle que la nôtre… Il faut aussi pouvoir répondre en proximité!

S’y ajoute la chirurgie viscérale, indispensable à la maternité. Sans chirurgie viscérale ouverte 7 jours sur 7, et 24 heures sur 24, il n’y a plus de maternité! Tout est lié.

Au nombre des évolutions très positives, il aurait fallu citer le Service des Soins de Suite (SSR), où de belles choses sont en projet… Et je voudrais saisir l’occasion pour rendre aussi hommage au travail considérable effectué pour Carhaix dans le domaine de la gériatrie par Josiane Bettler, alors directrice du pôle personnes âgées du CHRU.

Tout cela montre qu’il n’y a pas de fatalité, que l’on peut réussir si l’on a affaire à des gens de bonne volonté!»

Le Centre-Bretagne, le Kreiz Breizh, ne peut vivre «médicalement» sans un hôpital de proximité… Mais les conséquences en chaîne d’une disparition de celui-ci se feraient sentir dans cette grande région de Bretagne, au-delà de la «vie médicale» de la population : n’y aurait-il pas à redouter l’effondrement progressif de pans entiers de l’activité et une désertification ? 
Le monde médical au sens large ne peut se développer sans s’appuyer sur un centre hospitalier et ses services… mais d’autres franges de la population et d’autres secteurs de l’activité seraient rapidement touchés : commerces, écoles, administrations, loisirs… 
Nombre de personnes, entreprises et activités hésiteraient à s’installer dans une telle contrée… ou à y demeurer.
Ce n’est pas être «catastrophiste» que de jeter un regard prospectif, d’établir une évaluation sur ce qui risquerait d’arriver ; ne pas le faire ne serait-il pas au contraire inconsidéré, voire une négligence coupable ?

«Il est évident qu’aujourd’hui, quiconque veut s’installer dans un territoire regarde l’offre de soins de proximité, comme l’on regarde l’offre scolaire quand on a des enfants…

Et on ne s’installe pas volontiers dans un territoire qui n’offre pas toutes les garanties en ce domaine essentiel qu’est la santé, le sanitaire…

C’est encore plus évident lorsque l’on est un professionnel de la santé travaillant en libéral !

La pierre angulaire que constitue l’hôpital est donc capitale pour tout le secteur de la santé, mais aussi pour l’économie locale, et l’ensemble de la vie du territoire…»

Cette crise sanitaire du «Covid 19» que traverse le monde depuis deux ans a révélé que le «système de soins» français – et particulièrement son système hospitalier – tant vantés, étaient en réalité bien mal en point, ainsi que nombre de ses praticiens s’évertuaient à nous en avertir, sans être très écoutés… Vous paraissent-ils vraiment plus entendus désormais, ou rien n’a-t-il changé ?

«J’entendais dernièrement le Pr Grimaldi redire ce qu’il a dit depuis 20 ans, et dénoncer en particulier la fameuse «T2A» –la tarification à l’activité, qui a été une véritable calamité pour l’hôpital public– mais aussi les conditions de travail et la fatigue des soignants, le peu d’attractivité des métiers de la santé aujourd’hui…

Ce qui revient le plus dans les plaintes des soignants, ce que l’on observe quand on regarde en surplomb ce qui est saillant dans leurs reproches, c’est: «Je n’arrive plus à faire mon métier!…»

Quand on en arrive à un tel constat de vérité, cela signifie qu’il faut réformer en profondeur!

J’espère que les pesanteurs administratives et les pesanteurs politiques ne vont pas stériliser toute véritable réforme…

Je ne comprends pas que depuis 20 ans, aucun bord ne se soit attaqué frontalement à cette T2A, qui portait manifestement en germe une grande partie des problèmes que nous avons aujourd’hui!

Dire qu’un territoire comme le nôtre a un besoin vital de son hôpital, c’est presque affirmer quelque chose qui est aux antipodes du principe de la T2A!

Où va-t-on si on perd de vue qu’un hôpital est d’abord là pour être au service de la population de son territoire? De plus, les 80000 habitants de notre territoire sont aussi des cotisants à la sécurité sociale et des contribuables…

Il y a là non seulement un principe d’équité, mais aussi un postulat républicain. Et on ne peut opposer à cela des arguments désinvoltes!»

Les «vagues» successives de cette pandémie ont relativement peu touché la Bretagne jusqu’à présent, et singulièrement le Centre-Bretagne, par comparaison à d’autres régions du pays… Qu’en pensez-vous ?

«On se pose tous cette question… mais il est difficile d’y répondre de manière satisfaisante, car les réponses sont souvent un peu lapidaires et caricaturales.

De plus, il faut rester prudent, car la pandémie se poursuit. Elle nous touche aussi, bien que –c’est vrai– avec relativement moins de gravité…

Est-ce que les Bretons sont plus précautionneux dans la mise en œuvre des «gestes barrières»? Sommes-nous plus «obéissants»? Je ne pense pas. Mais peut-être plus prudents ou plus raisonnables…

Le taux de vaccination en Bretagne est particulièrement élevé. Au passage, je tire un «coup de chapeau» aux libéraux qui portent le centre de vaccination de Carhaix, actifs et retraités! L’implication de l’Association des libéraux et l’implication personnelle de libéraux et de quelques hospitaliers sont encore un révélateur de la solidarité qui existe sur ce territoire.

Peut-être notre situation géographique joue-t-elle aussi: la Bretagne est une presqu’île, entourée par la mer sur ses trois principales façades et non par des terres densément peuplées, comme le sont des régions françaises comme la Lorraine, les Hauts-de-France, les Alpes… qui sont aussi des régions de passage… Notre habitat est dispersé. Les concentrations urbaines sont peu nombreuses…»

Votre engagement et votre mission vous conduisent à vous intéresser à l’ensemble de la situation sanitaire en Centre-Bretagne… Quel constat général en dresseriez-vous ?

«Notre détermination à défendre sans concession le maintien et le développement de l’hôpital de Carhaix est précisément en lien avec la situation sanitaire sur ce territoire, qui présente des spécificités bien répertoriées.

On estime que sur les 80000 à 100000 habitants du Centre-Bretagne, environ 30000 personnes sont dépendantes, voire captives de l’offre de soins de l’hôpital de Carhaix. Ce sont des personnes qui n’ont le choix qu’entre le retard de soins ou le renoncement aux soins…

Je ne peux ici dresser un tableau complet de la situation. Le Pays COB a réalisé en octobre dernier un document «Indicateurs de santé et socio-démographique» qui rassemble les données principales…

Quelques chiffres cependant: les proportions de la population du Centre-Ouest-Bretagne vivant en Zone d’Intervention Prioritaire ou en Zone d’Accompagnement Régional définies par l’ARS et traduisant une difficulté d’accès aux soins, sont respectivement de 35% et 42%; à comparer aux chiffres de l’ensemble de la Bretagne: 10,9% et 10,6%! Près de 80% de la population locale du territoire se trouvent donc en difficulté d’accès aux soins.

29,5% des plus de 17 ans sont en situation d’affection de longue durée, contre 23,7% pour l’ensemble de la Bretagne. 28% de la population a plus de 63 ans; 14,3% plus de 75 ans… ce qui dit aussi quelque chose sur les besoins en matière de santé…

Près de la moitié de ces plus de 75 ans vivent seuls… Or, on sait que la solitude majore les besoins de santé. Les indicateurs de pauvreté et de niveau de vie moyens sont accablants…

Notons encore que près de 15% des Centre-Bretons ne trouvent pas de médecin traitant!

La question est donc simple: la Nation et la République peuvent-elles admettre et tolérer que tant de dizaines de milliers de personnes aient un accès aussi dégradé aux soins?»

La «désertification médicale» de notre contrée, qui n’est cependant pas au nombre des plus déshéritées, réduit «l’offre de soins», amène des patients à moins consulter, prive certains de «médecin traitant» durablement… Espérez-vous ou entrevoyez-vous une embellie dans ce sombre tableau ?

«Je pense que la situation difficile va perdurer encore pendant quelques années. Les représentants du Département Universitaire de Médecine Générale de Brest me disaient cependant récemment –lors du colloque consacré à l’attraction du territoire pour les professionnels de santé organisé à Rostrenen le 9 décembre– que «nous avons mangé notre pain noir»…

Une quarantaine de jeunes futurs médecins généralistes de la Fac de Brest étaient venus pour assister à ce colloque. Et j’ai été heureux d’entendre plusieurs d’entre eux dire que les témoignages de médecins fortement impliqués à l’hôpital de Carhaix avaient changé la perception qu’ils avaient de ce territoire…

Nous avons maintenant près de 25 médecins maîtres de stage sur le territoire, ce qui permet à des jeunes de découvrir l’exercice en milieu rural. 

Une jeune médecin qui s’est récemment installée à Plouguernével nous disait qu’elle avait trouvé de bonnes conditions d’exercice auprès de sa maître de stage, et qu’elle avait beaucoup apprécié le contact avec les gens d’ici: le respect, la reconnaissance, la politesse… 

Le mode d’exercice a beaucoup changé, ce qui doit modifier aussi notre manière de calculer les besoins: les jeunes médecins ne veulent plus exercer avec les contraintes horaires, notamment, de leurs aînés… Si bien que l’on ne peut se contenter de compter le nombre des plaques professionnelles sur les murs des cabinets de médecine et de les comparer aux chiffres d’autrefois…

En nombre de médecins, nous sommes presque revenus sur le territoire du COB aux chiffres des années 2005-2010… Maël-Carhaix a aujourd’hui 7 médecins, dont le mode de fonctionnement est différent de celui des «médecins de campagne» du passé. C’est une réussite que d’avoir pu attirer autant de médecins, et cela prouve que le mode d’exercice est attractif, et qu’il y a cooptation entre eux…

Le directeur de la formation du Département Universitaire de Médecine Générale déjà cité, me disait qu’il y aurait de plus en plus de jeunes médecins à rechercher des solutions d’exercice adaptées à leurs attentes sur des territoires comme les nôtres…

A nous donc de les leur offrir! Présence d’un hôpital, de maîtres de stage, de structures capables de les accueillir…

Aux collectivités locales d’anticiper suffisamment tôt, et d’explorer tout ce qui peut être fait, mais sans tomber dans la surenchère…»

Vous présidez la «Commission-Santé» du COB – pays du Centre-Ouest-Bretagne – quels sont l’origine et le rôle de cette instance ?

«Avec Jean-Yves Le Saux, alors président du Conseil de développement du pays COB, nous sommes allés voir en 2002 le directeur de la DRASS (Direction Régionale de l’Action Sanitaire et Sociale), qui se trouvait être Elie Guégen, originaire de Carnoët.

Il nous a incités à répondre à un appel à projet lancé par la DATAR (Délégation interministérielle à l’Aménagement des Territoires) pour la création dans les territoires d’une animation territoriale de santé, dans le domaine de la prévention, dont l’Etat s’engageait à assumer seul le financement. L’Etat se rendait compte à l’époque que les politiques publiques ne diffusaient pas forcément dans les territoires…

Notre projet a été retenu, et c’est ainsi que tout a commencé en fin 2002.

Puis, très vite, après 3 années axées uniquement sur la prévention, des élus nous ont demandé d’étendre nos travaux, pressentant l’augmentation des difficultés liées à la démographie médicale, et donc la désertification médicale.

Et les chiffres que nous a fournis en 2005 l’Union régionale des Caisses d’Assurance maladie témoignaient effectivement d’une situation déjà fragilisée, mais surtout annonciatrice d’une situation très difficile à venir…

Le conseil de développement a donc créé une cellule «offre de soins» dédiée à l’offre médicale et paramédicale, libérale et hospitalière.

Au fil des années, les trois champs que sont la prévention, l’offre de soins et le secteur social et médico-social se sont de plus en plus interpénétrés. Les conditions de logement des personnes, par exemple, ont une incidence sur leur santé…

La «commission santé» du COB a donc été créée pour répondre à cette problématique, dans le sens de la loi «Hôpital-Patient-Santé-Territoire» qui demandait aux ARS (Agences Régionales de Santé) d’occuper tout le spectre défini là…

Cette commission réunit les acteurs de tout cet ensemble autrefois sectorisé et maintenant regroupé, avec des libéraux et des hospitaliers, des représentants des syndicats, des associations… tous ceux que ces champs intéressent.

Elle a notamment joué un rôle important dans les prémices du «contrat local de santé» dont le premier a été signé en 2012 entre l’ARS et le pays COB, et dont nous préparons le troisième, pour signature en 2023.

Ce document est important, même s’il n’est pas «juridiquement opposable», car il s’impose à tous les signataires, qui sont nombreux: l’ARS, le pays COB, la Commission-Santé, deux départements, le Conseil régional, l’Etat, les trois caisses primaires d’Assurance maladie (CPAM) et la MSA.

Cela donne une force de base à cette construction collective qu’est le contrat local de santé…»

Quelles réflexions, convictions et valeurs guident et nourrissent votre action ?

«Je me sens profondément solidaire des gens qui vivent sur ce territoire. C’est ce qui a motivé mes mandats électifs, mon travail à la commission-santé du COB… J’ai été président de l’ESAT (Etablissement et Service d’Aide par le Travail) de Glomel, qui s’occupe donc de l’insertion par le travail de personnes porteuses de handicap. Je suis vice-président de l’Association Hospitalière de Bretagne…

J’ai toujours «baigné» dans ces problématiques du médico-social, du handicap, de la santé mentale… de la solidarité finalement. Mais je crois qu’on touche-là à l’ADN des Centre-Bretons: la solidarité… Le tissu associatif qui existe ici le montre bien.

Cela va paraître un peu «vieux jeu», mais mon éducation m’a aussi très tôt inculqué la valeur travail…

Mais ce que je recherche avant tout, c’est l’équité; et donc particulièrement l’équité dans l’accès aux soins. Sans équité, il n’y a plus de société.

La misère est souvent silencieuse. Il lui faut donc bien avoir quelque porte-parole parfois un peu bruyant!

Je pense être dans mes valeurs au travers de mes engagements: la défense d’un territoire et de ses habitants les plus vulnérables…»

Qu’est-ce qui vous attache à la Bretagne ? Et à ce Kreiz Breizh ?

«Je me sens tellement bien ici que je n’ai jamais ressenti le besoin ou l’envie d’aller ailleurs! J’ai fait ma vie dans ce pays…

Nous avons en partage des paysages préservés, la culture bretonne, la solidarité, le respect…

Je vois tellement d’avantages à vivre ici ! Et c’est aussi pourquoi je veux agir pour que les gens d’ici puissent continuer à y vivre bien, à égalité d’accès aux services publics et aux moyens proposés ailleurs.

On ne peut pas à la fois regretter les méfaits de la métropolisation et de ses densités urbaines, et laisser se désertifier des régions entières !»