Nous avons aussi le droit de vivre et de travailler avec les outils d’aujourd’hui ! Et il nous faut bien aussi évoluer avec la société !» nous a confié Joël Pinsec.
Franchise, dynamisme et optimisme… Voilà notamment ce qui, chez Joël Pinsec, attire d’emblée la sympathie de son interlocuteur.
L’homme est aussi engagé qu’il est ouvert et à l’écoute, homme de convictions fortes, mais capable de ranger son idée si quelqu’un lui démontre en avoir une meilleure, et se mettre alors à la défendre avec lui…
Homme qui aime l’innovation, mais non moins enraciné dans un solide bon sens et des valeurs qui fondent son action.
Car J. Pinsec est homme d’action, aux initiatives et engagements multiples, dans la vie associative, politique, professionnelle… Ce, avec un enthousiasme que ni le temps, ni les épreuves de la vie n’ont abattu.
En l’interviewant ce mois, «Regard d’Espérance» a souhaité solliciter son regard sur son domaine d’expertise, l’agriculture – celle d’aujourd’hui et celle qui se dessine pour demain ; sur la vie et l’évolution de sa commune – Plounévézel – et du Poher ; et sur divers «dossiers» du moment, dans la vie locale, bretonne, nationale et européenne…
Un regard à la fois perspicace, réaliste… mais bienveillant et résolument optimiste.
Voudriez-vous vous présenter brièvement ?
«Je suis un enfant de Plounévézel, né il y a 63 ans à Carhaix, mais j’ai grandi sur la ferme familiale de Kerbastard. J’ai trois enfants, et j’ai la satisfaction de voir aujourd’hui mon fils travailler sur l’exploitation, qu’il a reprise, après que mon grand-père, mon père, puis moi-même l’avons tenue.
Ma fille habite dans la maison familiale, qu’elle a rachetée quand je suis venu m’installer au bourg de Plounévézel, plus près des lieux de vie, si bien que j’ai le plaisir d’avoir mes enfants autour de moi…
J’ai donc été agriculteur tout au long de ma carrière, ayant commencé dans l’exploitation familiale à l’âge de 19 ans, et arrêté à 60 ans.
J’ai fait beaucoup de sport dans ma jeunesse, au club de handball de Carhaix, de 15 à 40 ans, où j’ai aussi assumé quelques responsabilités. J’ai suivi le football local, mais je n’avais pas les pieds pour y «faire carrière»… Et je commence à regarder du côté du club de ping-pong, dans le but de garder la forme.
Pendant une certaine période, je me suis investi au C.L.A.P. (Culture-Loisirs-Animations-Plounévézel) toujours dans l’idée de soutenir ceux qui veulent faire quelque chose, et pendant dix ans, j’ai donné des cours de gym à Plounévézel… J’en garde un très bon souvenir !
Mon engagement depuis plus de trente ans dans la vie municipale était aussi un peu dans la même perspective. C’était moins un engagement politique que la volonté d’aider, à ma modeste mesure, des gens de valeur, et qui me paraissaient mener une action positive pour les autres.
Professionnellement, je me suis investi dans le domaine économique, j’ai participé avec François-Louis Kersulec à la mise sur pied en 1987 de l’usine agro-alimentaire Kersugel, à l’époque; aujourd’hui Dujardin…
Et j’avais essayé de créer une usine de méthanisation sur le Centre-Ouest-Bretagne, avec mon ami Francis Le Jeune – malheureusement décédé – un projet qui n’a pas rencontré le soutien des entités locales, hélas, sans doute parce que c’était trop précurseur…»
Agriculteur, vous aviez adjoint à votre exploitation céréalière une production d’amendement naturel basée sur des coquilles d’œufs… Voudriez-vous évoquer l’origine et le développement de cette activité originale ?
«Etant effectivement sur une exploitation agricole exclusivement céréalière – parce que je travaillais seul et que l’élevage d’animaux est très exigeant en temps de travail – je cherchais un amendement calcique pas trop cher afin de réduire mes frais, dans les années 1980-1985…
Or, il se trouve qu’existait alors à Carhaix une casserie d’œufs qui cherchait, elle, à se débarrasser d’un sous-produit : les coquilles d’œufs.
J’ai eu l’idée de les maturer pour les transformer en amendement calcaire. Cela se faisait sur mon exploitation, qui consommait tout ce que produisait cette usine carhaisienne.
Puis, dans les années 1990, une autre usine est venue me demander de transformer ses coquilles, qu’elle jetait en décharge. Dans les années 2000, me trouvant avec trop de produits, j’ai commencé à en vendre à d’autres agriculteurs… dont – premier de mes clients– M. Kersulec !
A cette même époque, l’usine de Carhaix a dû se restructurer, et les services de l’État m’ont demandé de faire de même, une nouvelle réglementation européenne ayant classé les coquilles d’œufs parmi les «déchets organiques carnés» en raison des résidus de membranes, de jaunes et blancs qui peuvent y rester collés en très petites quantités.
Dès lors, un cahier des charges très strict nous était imposé.
J’ai dû créer une société, construire une unité de traitement spécifique… Et ce qui a été une contrainte au début s’est transformé en avantage: étant le seul à faire cela, d’autres usines sont venues se greffer sur l’activité. Le volume est passé de 500 tonnes de coquilles traitées en 1985 à 4000 tonnes aujourd’hui, soit environ 50% des œufs cassés industriellement en Bretagne… L’unité tourne à plein régime et j’étudie sa transmission progressive. L’idée était un peu avant-gardiste, puisque l’on parle tant aujourd’hui du retraitement des «déchets», que je préfère appeler «sous-produits», la connotation étant plus positive. »
Aujourd’hui jeune retraité de l’agriculture, quel regard portez-vous sur les mutations, les grandes difficultés, parfois les drames qu’elle connaît à nouveau ?
«Le métier d’agriculteur a évolué comme tous les autres métiers: celui de l’ouvrier, celui du médecin… L’agriculture n’a fait que suivre une évolution générale.
Mais son problème a été l’accroissement constant des exploitations. Les agriculteurs ont été envahis et parfois dépassés par l’expansion et l’accroissement du travail.
Les revenus n’ont pas toujours suivi, ce qui ne leur a pas permis d’asseoir leurs entreprises comme d’autres sociétés peuvent le faire, avec des salariés… D’autres ont été étranglés par les contraintes financières.
Cet agrandissement des exploitations a aussi amené le domaine de la gestion à croître démesurément et à pratiquement prendre le pas sur le travail agricole lui-même…
Or, l’agriculteur de base n’était pas préparé, ou fait pour cela. Les agriculteurs de la génération de mes parents étaient des besogneux…
Aujourd’hui, les contraintes, les primes, les lois et les réglementations en perpétuelle évolution font de nous des gestionnaires plus que des travailleurs de la terre, ou presque, et tous ne savent pas ou ne parviennent pas à faire la part des choses… Labourer et semer, tout agriculteur sait le faire… travailler avec toujours plus de contraintes administratives, tout le monde ne sait pas le faire.
S’ajoute aujourd’hui à cela le poids énorme des investissements, que ne mesurent pas toujours les gens qui veulent s’installer en agriculture. C’est compliqué…»
Dans tous les débats, projets, mesures en cours, quels éléments, quelles orientations vous paraissent être cruciaux pour le monde agricole ?
«Il ne faut pas essayer de parler d’agriculture aujourd’hui, mais d’agricultures au pluriel.
Il y a la spécificité du Bio, qui est très particulier et s’adresse à une minorité de consommateurs. Beaucoup d’agriculteurs s’y engagent, mais c’est très technique. Et beaucoup de ceux qui s’y engagent idéologiquement, mais sans vraiment en maîtriser l’extrême technicité, vont échouer…
Il existe un marché, mais il ne pourra représenter qu’une petite tranche.
Il y a «l’agriculture Label» : une production plus intensive que le Bio, mais en restant dans des normes alimentaires qui respectent plus le temps, la qualité… mais avec, par conséquent, un surcoût, et des prix plus élevés. Ce marché a aussi ses limites, car l’un des enjeux de l’agriculture est de nourrir toute la population…
Il y aura donc toujours – et cela restera, à mon avis, au moins 50% de l’agriculture – une production intensive. Il y avait 50 millions de Français quand je suis né; je crois que nous en sommes à 67 millions aujourd’hui.
Or, la seule certitude en ce domaine sur la terre, c’est que celle-ci ne peut pas s’agrandir…
On abat 370 000 porcs par semaine en Bretagne… Quoi que l’on dise et veuille, il faut que les élevages fournissent 370 000 porcs chaque lundi matin parce que les 370 000 autres auront été mangés dans la semaine précédente. C’est une réalité incontournable ! Or, globalement, la quantité de porcs produits en France est aujourd’hui consommée en France. Nous sommes à l’autosuffisance. »
L’on entend parfois dire que l’enjeu pour l’agriculture française – et peut-être européenne – n’est rien moins que sa survie, sa pérennité… Qu’en pensez-vous ?
«Je ne suis pas inquiet, car je pense que les agriculteurs européens – et je suis européen dans l’âme – possèdent la technicité, même s’il en est toujours – comme partout et comme cela a toujours existé – certains qui réussissent mal et d’autres qui réussissent bien…
Je suis d’un naturel optimiste, mais cela mis à part, il me semble que les mutations ont été faites dans le bon sens, globalement.
Je craindrais plus que l’aval de la filière agricole ne joue pas le jeu envers les agriculteurs. Je redoute, par exemple, la fusion qui s’opère actuellement entre de très grands groupes comme l’ex.CECAB et Triskalia en Bretagne.
Ils vont concentrer 60 à 70% de l’agro-fourniture et dominer le monde agricole. S’ils se trompent, ils entraîneront 60% de la filière et de la population dans leur échec…
C’est un peu dans cette perspective que nous avions voulu, avec M. Kersulec, créer Kersugel : conserver ici, sur place, la transformation de notre production, et aller jusqu’au consommateur.
C’est aussi pourquoi, l’agriculture Label associée à la vente directe, si elle est bien organisée, me semble avoir de l’avenir.»
Notre pays vous semble-t-il déterminé à sauver son agriculture ?
«Là encore, je trouve – personnellement – que l’agriculture française fonctionne correctement. Le souci vient plutôt de son image dans la société, de son impact social… Tout le monde ou presque est d’accord pour défendre notre agriculture, mais l’on voit sans arrêt des manifestations qui s’en prennent aux agriculteurs : un jour, ce sont les vegans, le lendemain, les anti-pesticides…
On voit des gens aller manifester contre le Roundup en fumant une cigarette… Cela me choque! C’est incohérent.
Je reviens de Grenoble, ville de 400 000 habitants, très écologiste, qui se permet de donner des leçons aux agriculteurs alors qu’elle est une des plus polluées de France…
Mais l’agriculture a fait sa mutation, et la poursuit. Hier les usines rejetaient leurs effluents dans les fossés. Aujourd’hui ils sont traités… L’agriculture a opéré une évolution semblable.
On a été trop loin à une époque dans l’épandage du lisier, de produits nocifs, mais les pratiques évoluent. Cependant, cela n’est pas reconnu.
C’est cette non-reconnaissance sociétale qui me chagrine le plus. Je prends l’exemple de la mortalité des abeilles: l’on sait très bien qu’elle a des causes multifactorielles. Mais c’est plus facile d’accuser les agriculteurs… Sauf qu’on ne trouvera pas les bonnes solutions si on ne veut pas regarder toutes les causes…»
Avez-vous parfois une certaine nostalgie en songeant à la vie rurale d’autrefois ?
«Tout le monde a un peu la nostalgie du passé! Socrate, je crois, avait déjà écrit sur cela…
Non. La principale nostalgie que j’ai, c’est celle de la convivialité, de la vie commune du passé dans les campagnes : les travaux en commun, en équipe, pour ramasser les pommes de terre, faire les foins… Aujourd’hui, on se salue en levant la main dans la cabine de son tracteur quand on croise un voisin…
Le travail lui-même me plaît autant qu’hier, mais je regrette ce « temps social » que l’on prenait autrefois.
C’est malheureusement un phénomène global : les associations ont plus de mal à trouver des jeunes qui s’impliquent. Même pour leurs loisirs, les gens sont plus dans le consommable… On ne sait plus se réunir pour tout simplement partager un moment de convivialité.
En caricaturant un peu, je dirais qu’il faut du Disneyland.
Soyons déjà satisfaits que la vie associative soit ici plus développée qu’ailleurs, ce qui est d’ailleurs vrai pour l’ensemble de notre secteur. Il faut accompagner, soutenir, encourager tous ces gens qui donnent de leur temps et de leur énergie, discrètement, pour aider les autres. C’est une des forces du Centre-Bretagne! Il faut la garder!»
Un observateur attentif du monde agricole, participant lui-même en certains domaines à la vie des agriculteurs, déclarait il y a des années : «Paysan, ce n’est pas seulement une profession, mais toute une civilisation»… Qu’en pensez-vous ?
« C’est peut-être encore plus vrai aujourd’hui que ça l’était hier. Le paysan d’autrefois – je me souviens de mon grand-père et de ma grand-mère – allait «à la ville» le samedi, à la messe le dimanche… Il avait en quelque sorte son «week-end».
Aujourd’hui, le paysan travaille du matin au soir, sept jours sur sept, n’arrive plus à lever la tête – sauf quelques-uns qui parviennent à prendre un peu de vacances – et il ne voit plus personne…
C’est aussi ce qui fait que le monde paysan s’écarte de plus en plus du monde de la société des loisirs… Et qu’il est de plus en plus difficile de trouver des jeunes pour venir travailler à la campagne, bien qu’il y ait de l’emploi.»
Quelle est, pour un agriculteur, la raison première de son attachement à son métier ?
«Il s’attache à sa terre, à ses animaux. Il a vu ses parents vivre au contact de la nature et il aime cette vie-là…
Nous voyons passer les saisons : les verts clairs du printemps, le moment magique des récoltes… Nous vivons au rythme de la nature. Les citadins nous parlent d’écologie, mais ils ne connaissent bientôt plus les différences réelles entre l’hiver et l’été !
Et même si la technique a changé beaucoup de choses, l’éleveur qui a une salle de traite robotisée ne passera pas auprès d’une de ses vaches sans poser une main sur son encolure, sans lui parler.
On aime ses bêtes ! On les connaît. On les soigne… On vit en osmose avec sa ferme. C’est un mode de vie. On retrouve cet aspect des choses dans le milieu médical. Des médecins qui vivent pour leur métier…»
La spécialisation sans cesse plus exigeante n’a-t-elle pas modifié le regard de l’agriculteur sur sa situation ?
«Comme dans tous les métiers, la technicité croissante fait que l’on ne peut plus être bon partout. Un éleveur de porcs pourra rarement aujourd’hui être un bon laitier. Et même, le producteur de céréales a de plus en plus de mal à être producteur de petits légumes, persil, épinards, ciboulette, coriandre… C’est devenu un autre métier.
On ne peut être bon partout et si l’on reste moyen partout, on ne tient plus économiquement, tant les marges sont serrées et la compétition difficile ! L’on n’a pas le choix de la non-spécialisation.»
Au-delà de l’agriculture elle-même, comment percevez-vous l’évolution récente, et l’évolution à venir du monde rural ?
«On est encore –et on va être à l’avenir proche– dans un mouvement de concentration des exploitations qui dépeuple la campagne.
Aujourd’hui, une exploitation de 100 hectares est moyenne, voire petite. Dans le Finistère, il existe déjà des fermes de 700 à 800 hectares… Cela m’inquiète. Cet éloignement des fermes isole les agriculteurs.
Nous parlions de rencontres, de convivialité… Qu’en sera-t-il demain ? Comment remédier à cela? Je ne sais pas…»
Existe-t-il toujours un certain antagonisme ou une certaine incompréhension entre ruraux et citadins ?
«Oui, et qui grandissent ! Je crois que ce sont aujourd’hui deux mondes qui ne peuvent plus se comprendre. Ils ne se sont jamais très bien compris, La Fontaine l’avait bien dit dans sa fable sur le rat des villes et le rat des champs… Mais l’écart s’est accru, citadins et ruraux vivent aujourd’hui dans deux mondes totalement différents, avec des mentalités différentes.
Et j’en reviens à ces critiques permanentes des agriculteurs: les tracteurs qui gênent sur les routes, l’ensilage qui y met de la boue… Je dis parfois sous forme de boutade:«Notre société a mis du goudron sur nos champs et elle se plaint maintenant qu’on mette un peu de terre sur le goudron!»
Mais plus largement, il y a aussi parfois une incompréhension du consommateur vis-à-vis du paysan-producteur: dès qu’un produit issu de l’agriculture lui paraît mauvais, le consommateur accuse le producteur, oubliant que celui-ci ne maîtrise généralement rien de la chaîne de transformation et de commercialisation…
Un mauvais jambon vient nécessairement, aux yeux du consommateur, d’un mauvais travail de l’éleveur de cochons. Mais pour avoir mangé nos propres productions, nous pouvons dire qu’elles sont bonnes!…
Je discutais récemment avec des producteurs d’abricots: ils se plaignaient de ce que les grossistes exigeaient d’eux qu’ils cueillent des abricots de plus en plus verts… Comment voulez-vous que ces abricots soient bons en arrivant sur le marché ?
Cette distance entre producteurs et consommateurs fait que les produits sont dénaturés. C’est pourquoi je crois au développement des labels de qualité et au raccourcissement des circuits de commercialisation des produits.»
Les écologistes, ou certains de ceux qui se revendiquent comme tels, ont-ils selon vous une perception juste de la nature ?
«Pour la plupart d’entre eux, non… Mais la question que je pose est celle-ci: pourquoi certains demandent-ils aux agriculteurs d’en revenir à un monde où eux-mêmes ne veulent pas vivre ? Pourquoi vouloir que l’agriculteur en revienne à la faux quand eux-mêmes ne veulent pas prendre une ardoise pour faire leurs calculs en abandonnant leur ordinateur ? Aucun d’eux ne lâcherait son téléphone portable…
Nous avons aussi le droit de vivre et de travailler avec les outils d’aujourd’hui ! Et il nous faut bien aussi évoluer avec la société !
Quand on est aujourd’hui capable de moissonner trente hectares dans la journée, l’exploitation qui n’a que des champs d’un hectare va disparaître… Faut-il la laisser disparaître au nom de l’écologie ou aider l’agriculteur à agrandir ses parcelles pour en vivre ?
Pourquoi détruire des milliers d’hectares de terres agricoles en créant une ligne ferroviaire ou une autoroute, ou en autorisant la construction de pavillons avec jardins autour des grandes villes, et interdire à un agriculteur d’enlever un talus ? Qu’est-ce qui est le moins «écologique» ?
Mais la réalité est aujourd’hui que la France se reboise, et très largement! Laissons donc des espaces à l’agriculture et des espaces naturels à la nature «sauvage»…»
Il existe divers courants parmi les mouvements écologistes… Il en est de pondérés, et d’autres – comme des «antispécistes» – semblent avoir une vision absolue et intransigeante, qui révolutionnerait l’ensemble de la société et la vie de tous ! Comment voyez-vous ces différents courants ?
«Pour moi, de manière générale, les extrêmes n’ont jamais rien apporté de bon. Il faut être modéré et chercher à comprendre.
Je prends souvent l’exemple du fameux Roundup. Il n’est pas plus nocif que l’aspirine : tout est question d’usage et de dosage…
Si on se contente d’idées reçues et d’approximations ou de généralisations abusives, on ne peut pas avancer dans le débat, ni progresser dans le concret.
Et encore faut-il savoir où l’on situe «l’écologie» : on sait maintenant que les panneaux photovoltaïques sont en réalité une catastrophe écologique ; et que l’électricité n’est propre que si son moyen de production l’est aussi… Quand on veut faire de l’écologie, il faut prendre la question de A à Z et étudier tout ce qui se passe entre les deux.
En agriculture, la seule écologie qui existe est celle de l’agriculture vivrière. Mais qui est prêt à y revenir dans les faits ? C’est celle qui existe dans l’essentiel de l’Afrique, où 80% des gens vivent à la campagne…
Beaucoup «d’écologistes» n’ont pas de contact réel avec la nature.»
Des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour s’inquiéter du décalage grandissant qui se crée entre un monde citadin recueillant les attentions des pouvoirs et les projets de développement, et un monde rural dont les spécificités sont ignorées, et qui se trouve relégué au second plan… Voit-on advenir une «France à deux vitesses» ?
«Oui, il y a un monde à deux vitesses… Mais les vrais privilégiés sont à mon avis ceux qui vivent à la campagne ! En tous cas, le monde aseptisé des grandes villes n’est pas celui dont je rêve !
Notre souci en zone rurale, on le perçoit bien aujourd’hui, est le désengagement des services publics. C’est en ce domaine qu’il nous faut être très vigilants quant à la politique de l’État.
Mais je ne suis pas persuadé que nous soyons forcément pour l’heure plus mal lotis qu’en ville…
Nous avons en Centre-Bretagne l’avantage de notre handicap : la forme péninsulaire de la Bretagne fait que nous sommes à la fois loin et proches de plusieurs villes bien dotées : à une heure de Brest, Lorient, Saint-Brieuc…
C’est souvent le temps qu’il faut pour le moindre déplacement à l’intérieur même d’une grande ville pour ses habitants.»
La Bretagne, terre largement agricole et rurale, ne pâtit-elle pas particulièrement de cette évolution ?
«Je pense que son principal problème est la désertification de ses campagnes. Sur le territoire de Poher-Communauté, nous avons perdu la moitié de nos exploitations agricoles en dix ans. Et les chiffres sont semblables dans l’ensemble de la Bretagne.
Cela signifie une forte baisse des populations, et des conséquences en cascade : fermeture des commerces, des écoles…
Mais la Bretagne prise dans son ensemble est très dynamique. C’est l’agriculture qui est en pleine mutation, avec des agriculteurs et une population qui ne sont pas tout à fait prêts à cette mutation.
Il y a des choses à créer dans le domaine de l’agroalimentaire. Mais il ne faut pas croire que nous ayons les moyens d’attaquer les marchés étrangers avec du bas de gamme, en luttant contre des fermes brésiliennes de 5000 hectares… Cela a été l’erreur de la société Doux. Nous avons les moyens de faire de la qualité.»
Récemment, l’idée et le projet d’instaurer une taxe sur la circulation des poids lourds ont ressurgi, ranimant des inquiétudes, et des velléités de mobilisations semblables à celle des «Bonnets rouges» de 2013. L’éloignement et la situation excentrée de la Bretagne par rapport au cœur de l’Europe pénalisent effectivement ses entreprises face à de telles mesures. Dans de tels cas, des dispositions qui paraîtraient égalitaires ne sont-elles pas en réalités très injustes ?
«Sans doute, mais la question est complexe, et je n’ai pas étudié la taxe sur les poids lourds en détail…
Mais d’une manière plus large, je ne pense pas que nous ayons à nous plaindre en Bretagne de notre réseau routier et du transport, ni des possibilités de circulation.
Ayant dernièrement traversé la France, j’ai pu à nouveau constater que nous avons en Bretagne un bon réseau routier, des routes gratuites… Vous pouvez aller de Laval à Brest à 110 km/h gratuitement.
Un axe routier, cependant, souffre : Lorient-Roscoff. Il aurait besoin d’être amélioré. La circulation y est très importante, et c’est un des axes principaux pour le développement du Centre-Ouest-Bretagne. Plus à l’Est, l’axe St-Brieuc-Vannes est maintenant presque entièrement à 4 voies, il nous manque ici une transversale comparable…
Le cœur de l’Europe se déplace vers l’Est, c’est vrai, et la situation géographique de la Bretagne nous pénalise donc. Mais je crois que cela peut – et doit – être compensé par de la technicité. Il nous faut être bons ; les meilleurs ! Avoir de bons produits…
C’est vrai dans le domaine que je connais le mieux : l’agriculture.
Hénaff n’a pas plus de soucis à vendre son pâté à Strasbourg qu’à Rennes ou Paris, parce que ses produits sont demandés. Les produits de qualité trouveront des acheteurs, et la distance pèsera moins sur la vente du produit fini…»
Voici quelques semaines, l’on apprenait aussi que l’Europe envisageait d’exclure les ports bretons – pourtant idéalement situés – du développement du trafic maritime, au profit des ports implantés plus au Nord… N’est-ce pas un déni de réalité et une forme de mépris pour la Bretagne ?
«Je n’ai pas fouillé le sujet, mais le problème des ports bretons est leur capacité d’accueil, et là il faudrait, c’est vrai, un très gros effort de l’État français pour que nous ayons en Bretagne au moins un port de très grande capacité. Lequel… ? Comme toujours, il ne faut pas que chacun défende son clocher au point de paralyser tout projet chez le voisin !
Les ports de commerce bretons fonctionnent beaucoup avec le secteur de l’agroalimentaire. Mais quand on voit, comme encore récemment, des manifestants venir s’opposer au débarquement de soja, dans le port de Lorient je crois, au motif qu’il serait transgénique, le signal envoyé à l’Europe et aux pays partenaires n’est pas très bon pour le choix de nos ports dans le développement du trafic maritime international !
On ne peut pas quémander d’un côté et interdire de l’autre…
Plus de la moitié du transport de marchandise se fait aujourd’hui en containers. Mais la France a manqué il y a déjà des années le tournant et le marché du container…»
Quels enjeux et quels «combats» vous semblent essentiels à mener pour le développement de notre région dans l’Europe et le monde de demain ?
«Il faut avant tout parvenir à un consensus en Bretagne même. Que tout le monde «tire dans le même sens». S’il y a division, une péninsule comme la nôtre ne peut pas s’en sortir. Je ne dis pas que tout le monde doit penser la même chose, mais que l’on agisse ensemble, en cohésion.
Voyez pour les aéroports. Chacun veut le sien. Et personne n’en a d’important, nulle part en Bretagne.
C’est de cela que la Bretagne me semble souffrir le plus actuellement: chacun veut tirer la couverture à soi !
Par ailleurs, je ne crois pas que nous aurons d’industries «lourdes» à s’implanter ici. Il faut donc développer des créneaux intelligents. J’avais beaucoup cru au recyclage, et m’y étais engagé. Mais il y a eu des freins, des lenteurs, on a traîné les pieds… De même pour la méthanisation. Et je le redis, je crois beaucoup en un nouveau développement de l’agroalimentaire, mais qui vise moins la masse que la qualité, la valeur ajoutée !
Il ne faut pas continuer à expédier des carcasses de porcs entières dans le reste du pays, mais des produits élaborés, travaillés ici, en Bretagne. Et le coût du transport est mieux absorbé dans le prix du cochon transformé en saucisson que dans celui de la carcasse brute… S’il y a plus de valeur dans le camion, le transport de la marchandise est «moins cher».
Élu municipal depuis longtemps, vous avez toujours voulu avoir un engagement dans «les affaires de la cité»… Pourquoi ?
«Pas pour «faire de la politique» ! Je me suis engagé dans la vie municipale parce que j’estime qu’il faut aussi apporter un peu de soi à la collectivité, tout simplement. Et très concrètement, je me suis senti des convergences avec Xavier Berthou, qui en était alors à son deuxième ou troisième mandat et l’ai donc rejoint. Je trouvais qu’il menait bien la commune de Plounévézel…
Cela fait plus de 30 ans que je l’accompagne dans son travail de maire.
Puis, un autre tournant dans cet engagement a été l’arrivée de Richard Ferrand dans notre secteur. J’ai vu en lui un homme de valeur, un besogneux, et j’ai voulu l’aider – à ma petite mesure – à émerger dans la politique locale. Je pense que la suite ne m’a pas donné tort…
Enfin, j’ai voulu travailler au niveau de la Communauté de Communes du Poher, aux côtés d’un homme que j’ai apprécié, François-Louis Kersulec, qui la pilotait à l’époque : un homme de consensus…
André Le Roux était alors maire de Carhaix, et c’étaient des hommes qui ont su faire avancer le Poher, en travaillant ensemble, au-delà des étiquettes politiques…»
Que vous ont appris ces années de travail au service de la population ?
«Le travail en mairie, et auprès de François-Louis Kersulec, m’a précisément appris le consensus : savoir se mettre d’accord, ranger sa propre idée si un autre en a une meilleure, pour tirer ensemble dans le même sens. Quand on est quinze autour d’une table, chacun défend ses idées, c’est normal, puis quand le vote est passé, on l’accepte et on travaille ensemble !»
Quelles ont été les plus grandes satisfactions ?… Et les déceptions ?
«Ce que nous avons pu réaliser sur la commune est la principale satisfaction. De bons projets qui ont abouti, comme les lotissements où les gens semblent plutôt heureux de vivre. Des infrastructures qui se sont avérées utiles, et sont très utilisées par la population…
Nous avions été un peu critiqués pour la construction de la grande salle de sport. Mais aujourd’hui, grâce à cela, la commune a, entre autres, un club d’archerie, un club de ping-pong… Les aménagements réalisés pour le football permettent au club de bien fonctionner…
Je pense qu’il y a un bon équilibre entre le coût de ce que nous avons pu réaliser et le plaisir qu’ont les gens à vivre à Plounévézel. Des personnes qui viennent d’ailleurs habiter dans les logements sociaux choisissent de construire sur la commune trois ou quatre ans après. C’est bon signe !
La déception… C’est surtout de constater, d’une manière générale, que des gens bornés peuvent empêcher le travail collectif… »
Vous avez donc également été élu de Poher-Communauté ; comment avez-vous vécu cet engagement et le travail à cet échelon de la vie locale ?
«J’ai dit pourquoi j’ai beaucoup aimé travailler avec François-Louis Kersulec. Cela a été une très belle expérience… La création de la Communauté de Communes a été finalisée, la T.P.U. (taxe professionnelle unique) mise en place… J’ai eu l’honneur et le bonheur d’avoir en charge le chantier de la piscine. Cela a été ma petite contribution. Mais la piscine reste un outil nécessaire à notre région…
En dehors de ces engagements dans la vie politique locale, mais toujours au nombre des satisfactions, finalement, je citerais aussi l’élaboration de Kersugel, en 1987. Même si nous y avons laissé beaucoup de temps et d’argent, l’outil est resté, l’usine donne du travail à des gens, des légumes sont transformés sur place…»
Qu’est-ce qui vous paraît essentiel pour que se vivent un véritable développement et une vraie collaboration communautaires, au-delà du fonctionnement d’une entité administrative ?
«Que tout le monde s’entende. Sans cela ce sera l’échec assuré !
Dès le début de mon engagement à ce niveau, j’avais l’idée que la Communauté de Communes devait devenir une seule et grande commune. Je pense que ce sera le cas, à terme…
J’ai aussi toujours pensé qu’il n’était pas très bon que le président soit un des maires des communes qui la composent. Il y a trop de conflits d’intérêts, me semble-t-il…»
Si vous aviez à vous interviewer vous-même, quelle question vous poseriez-vous en premier lieu… Celle qui vous paraîtrait la plus importante ?
«Je me serais posé cette question: «Que pensez-vous de la société d’aujourd’hui ?»… pour répondre qu’une certaine dérive m’inquiète particulièrement: la disparition du respect et en particulier du respect des gens qui nous apprennent des choses…
Les parents, tout d’abord. Je dois beaucoup à mes parents, qui m’ont donné une bonne éducation…
Et d’autres personnes. Je me rappelle toujours de mon instituteur à l’école de Plounévézel – M. Guillerm…
Si on ne respecte pas les gens qui nous apprennent des choses, notre société ne pourra pas aller bien. Tout être humain a droit au respect. Mais tout particulièrement celui qui nous a transmis quelque chose. Notre société regarde de haut l’Afrique noire, mais en ce domaine, celle-ci aurait beaucoup à nous apprendre !
Et je m’inquiète quand je vois un jeune arrêté par les gendarmes pour un contrôle se mettre à les insulter… Ou la cantinière à l’école ne plus être écoutée lorsqu’elle donne des consignes… Je pense que c’est grave, beaucoup plus que cela n’y paraît.»
Et en second lieu, quelle question vous semblerait la plus délicate ?
«Je ne ferais pas de commentaires sur la vie politique locale !…»
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