«Il a fait l’âge d’or de la Bretagne… À partir du XVIe, la Bretagne vit au rythme des coups secs qui cassent la fibre, des couinements de roues qui filent, des claquements des métiers à tisser d’où sortent ces toiles, tant prisées de tous… au point de placer notre région au centre du commerce européen».

Si l’historien Jean Tanguy a été l’un des tout premiers à analyser le rôle majeur joué par le lin dans l’économie bretonne du XVIe au XVIIIe siècles, nombreux sont ceux qui, depuis, se sont passionnés pour ce qu’il est devenu courant d’appeler «l’or bleu breton». Car la culture de cette plante à fleurs bleues, mais surtout le savoir-faire développé et menant à la fabrication de diverses toiles, draps, voiles et vêtements, a apporté à la pointe bretonne une richesse parfois encore insoupçonnée. De Roscoff à Locronan et singulièrement dans le Léon, bien des bâtisses, calvaires et autres kanndi témoignent encore de ce temps révolu… de l’avant coton et des matières synthétiques.

Pourtant, aujourd’hui, le lin pourrait reprendre le fil de son histoire et devenir un symbole d’une production faisant rimer développement économique et écologique, naturalité et innovation…
et un enjeu productif majeur pour bien des territoires !

Le lin redeviendrait-il tendance? Oui, à en croire Paul Boyer, directeur de la société coopérative normande «Linportant», à Évrecy, près de Caen : «Toutes les grandes marques de prêt-à-porter réclament du lin !». Mais au-delà des acteurs du textile, nombreux sont ceux qui semblent aujourd’hui découvrir les vertus et propriétés du lin, plus que jamais peut-être considéré comme une matière noble.

«Tout est bon dans le… lin !»

Car, à l’heure où le développement durable est un leitmotiv, le lin est désormais appréhendé comme une fibre à haute qualité environnementale et même reconnue comme numéro un des fibres les plus vertueuses pour l’environnement par plusieurs pays dont la France, l’Italie ou encore… la Chine !

L’illustration la plus frappante de la qualité écologique du lin est sans nul doute son faible besoin en eau (un demi-litre/kg), à l’inverse du coton qui, lui, nécessite 5000 l/kg ! 

Sans oublier qu’«avec le lin, rien n’est perdu, tout est valorisé» explique Pierre d’Arras qui, aujourd’hui, est à la tête de l’entreprise familiale fondée par son grand-père en 1917 et spécialisée dans le teillage du lin. «Une tige donne en moyenne 22% de fibres longues destinées à l’habillement, au linge de maison ou aux tissus d’ameublement. Il sort de 6 à 15% de fibres courtes – l’étoupe – qui serviront aussi aux textiles techniques et matériaux composites. La moitié de la tige est constituée de bois, ce que nous appelons «l’anas». La matière est utilisée dans les panneaux agglomérés, pour l’isolation, les litières ou comme source énergétique». 

S’il est donc vrai que le lin n’a jamais vraiment disparu de nos garde-robes, lisse ou chiffonné, avec ses teintes claires et sa légèreté, il fait le bonheur aujourd’hui des adeptes de naturalité. Mais, désormais, les propriétés de cette plante herbacée offrent un champ des possibles qui dépasse très largement le seul secteur du textile. 

Les deux tiers de la production mondiale

Le lin est devenu une plante aux multiples possibilités et utilisations: huile, encre, peinture, aliment du bétail, papiers spéciaux, litière pour chevaux, paillage, éco-construction, santé du corps, cosmétique, élément pour l’industrie automobile, l’aéronautique, la construction navale ou encore celle des surfs, skis et autres casques cyclistes… La liste ne cesse de s’allonger, tant les qualités de cette fibre naturelle (isolante, anallergique, mais aussi de très grande résistance, etc.) semblent sans fin ! 

De nombreux projets enthousiasmants voient le jour ; le lin et sa fibre vertueuse devenant une véritable valeur ajoutée dans de nombreux matériaux !

Conséquence: la filière est en cours de régénération… Et, selon les experts, le marché semble promis à un bel avenir… Ce, d’autant que la Chine ou l’Inde viennent de s’ajouter à la liste des pays où des classes moyennes et aisées deviennent de plus en plus demandeuses de lin de haute qualité.

Reste à savoir quels seront les territoires et les acteurs en mesure de tirer profit de cet engouement ?

Eu égard à l’histoire et compte tenu de la réalité productive d’aujourd’hui, la France, notamment du Nord-Ouest, avec ses quelque 10000 exploitations, qui représentent, à elles seules, près des deux tiers de la production mondiale, devrait en toute logique tirer particulièrement son épingle du jeu !

4000 chemises à l’hectare !

D’autant plus que, comme l’explique le président de la CELC: «Nous avons la chance de disposer, dans cette aire géographique, de trois atouts majeurs: un climat exceptionnel propice à la pousse du lin, de bonnes terres et un excellent savoir-faire des agriculteurs et des teilleurs» et d’ajouter «Ce triptyque n’existe nulle part ailleurs dans le monde ! La Chine a bien essayé de développer sa propre production, mais la qualité́ du lin est loin d’être au rendez-vous…». Tous les feux du lin semblent donc au vert !

Et ce d’autant que, d’après Damien Durand, directeur économique de la CELC, « le potentiel de croissance de terres cultivables est proche des 50% et les rendements augmentent régulièrement grâce à la R&D sur les meilleures variétés de lin!»

Ainsi, un hectare cultivé produit aujourd’hui en moyenne 1500kg de fibres (soit 20kg de plus qu’il y a 20 ans), ce qui, au final, permet de produire environ 4000 chemises !

Oui…, mais voilà, c’est bien là que le bât blesse !

Car, si la France est bien la première productrice de lin dans le monde, elle n’est pas à l’origine de la fabrication du fil de lin. Un maillon essentiel manque à l’ouvrage !

Retrouver le savoir-faire des « Juloded »

Le rapport «mode durable et délocalisation», remis en janvier 2021 à la Ministre de l’Industrie, Agnès Pannier-Runacher, déplorait que «la France ne dispose pas, aujourd’hui, des capacités de traitement de filature adaptées à sa production, qui est exportée à 80% en Asie et à 15% dans l’Union européenne (principalement en Europe de l’Est), puis réimportée sous forme de tissu ou de produits confectionnés». 

Sur ce plan, la Chine règne bien en maître. En 2019, 72% de la production de fil venaient de ce pays, 10% de l’Inde et 8% d’Europe. 

Exit donc l’essentiel de la valeur ajoutée, qui jadis a fait la richesse de ceux qui, en Bretagne, ont été appelés les «Juloded», paysans du Léon notamment, ayant développé un vrai savoir-faire pour extraire, filer et tisser le fil de lin !

De plus en plus nombreuses sont donc les voix qui, aujourd’hui, s’élèvent pour réclamer la relocalisation ou, plus exactement, le redéveloppement en France d’une véritable industrie de la filature de lin ! 

«Pleyber-Christ, Commana, terres de lin !»

Plusieurs projets ont d’ores et déjà vu le jour, dans le Nord, en Normandie… et en Bretagne, à Pleyber-Christ notamment. 

Ainsi, début 2023, une filature 100% bretonne, «Linfini», devrait offrir aux quelque 60 artisans tisserands bretons un fil de lin de qualité! Objectif affiché : «200 tonnes de fil de lin par an, puis 400 à 500 tonnes d’ici à 5 ans. Parmi les débouchés : de la toile de lin avec de grandes maisons d’ameublement ou encore du linge de maison» expliquent Xavier Denis et Tim Muller les co-porteurs du projet. 16 emplois dans un premier temps, puis 30 par la suite devraient être créés !

Mais «Linfini» devrait également offrir des débouchés à la production de lin ultra-local, lancée depuis moins de deux années par Guillaume Le Fur et Benjamin Raoul, jeunes néo-producteurs sur la commune de Commana ! 

«Améliorer le revenu des paysans»

«Le projet peut paraître étrange», explique Guillaume Le Fur, «mais l’idée m’est venue en lisant nombre d’ouvrages d’histoire sur la Bretagne. J’ai alors découvert l’importance du lin ici dans le Finistère nord, avec les enclos paroissiaux, etc. Une richesse passée dont le lin était le socle… Je me suis demandé pourquoi on n’en faisait plus… Cela ne s’explique pas vraiment. 

Comme j’ai un peu l’esprit innovant, je me suis dit pourquoi ne pas relancer ça ! Les conditions ici sont idéales… Mon objectif est 600 hectares à terme et la création ici, au centre de la zone linicole qui va de Landerneau à Morlaix, d’une usine de teillage. Je vois cela comme un outil de développement du territoire et d’amélioration des revenus des agriculteurs qui voudront bien mettre ne serait-ce que 5 hectares de lin. Car, à 4000 chemises par hectare, et à 100€ en moyenne la chemise… tout le monde peut être bien rémunéré» ! 

Certes, on est loin encore des milliers d’emplois de la Bretagne du XVIIIe siècle que mobilisaient les semis, l’arrachage, l’égrenage, le rouissage, le teillage, le peignage, le filage (40 000 fileuses), le blanchiment et le tissage du lin (25 000 tisserands) ; on est loin également de l’immense richesse des fameux «Juloded» ! Mais qui a dit que le lin en Bretagne était une histoire passée ? Plus que jamais, il semblerait que cela soit bien plutôt une filière d’avenir !