En cette fin d’année 1903, le sort semble s’acharner sur Louis Lelong, un agriculteur de 49 ans, habitant le petit hameau du Cosquer en Poullaouën. Son épouse, Marie-Anne Conan, était décédée le 14 mai 1902, le laissant seul avec 5 enfants. Sa vieille mère de 81 ans, Marie-Jeanne Guéguen, veuve  de Joseph Marie Lelong, avait accepté de les prendre en charge. Mais les forces ne suivaient plus. Il fallait trouver une solution. 

Les Lelong, d’une famille d’éclusiers de Chatelaudren, s’étaient bien insérés dans la région de Poullaouën. Un frère de Louis, Joseph Lelong était même devenu secrétaire de mairie.

La parenté du veuf était nombreuse, il avait 8 frères et sœurs. Mais qui pouvait s’occuper de 5 orphelins?

C’est Henri Chopin, le directeur de l’école protestante du Guilly, que les enfants fréquentaient, qui trouva la solution.

 Il connaissait près de Guerlesquin un orphelinat dépendant de la mission évangélique de Trémel, dirigée par le pasteur Guillaume Lecoat. C’est ainsi que les enfants Lelong purent trouver une certaine stabilité, et même effectuer des études. L’une des filles, Joséphine (née le 21 novembre 1897), que tous appelaient «Fine», devint nurse à Paris. En 1937, elle avait la charge d’une petite fille, Nina, premier enfant de Simon et Anne-Marie G.

Et la gestapo surgit…

Elle pensait changer d’emploi, mais la maîtresse de maison, qui attendait un second enfant, la supplia de ne pas l’abandonner. C’est ainsi qu’elle demeura dans cette famille et s’occupa aussi du petit Jacques, né en 1940. Mais des perspectives sombres s’accumulaient pour l’avenir de ses employeurs qui étaient de confession juive.

Au foyer, avec Nina, Jacques et leurs parents, vivaient également la mère et la sœur de Simon. Tous échappèrent à la rafle du «Vel d’hiv» (juillet 1941). La déportation des juifs commençait à grande échelle. Fallait-il fuir comme déjà certains l’avaient fait? C’est ce que Fine conseillait à ses employeurs. Monsieur Simon G. n’avait-il pas un frère à Londres? 

Ils acceptèrent de rencontrer le pasteur baptiste Henri Vincent, de l’église de l’avenue du Maine, qui avait organisé un réseau de sauvetage. Mais la famille ne se croyait pas menacée. Pourtant, une nuit de début mars 1943, la gestapo surgit pour arrêter la vieille grand-mère âgée de 80 ans. C’est seulement alors que Simon et Anne-Marie acceptèrent de suivre les conseils de Fine Lelong.

Elle avait en effet demandé à l’une de ses cousines, Marianne Goubil, épouse de Pierre Ropars, de prendre les enfants dans la ferme des «Léziards» qu’ils exploitaient dans la commune de Sainte-Geneviève-des-Bois (Loiret). La maman put leur rendre visite tous les 15 jours, jusqu’à ce jour fatidique où la Gestapo surgissant dans l’appartement qu’ils habitaient avenue Lannes, tous les occupants furent arrêtés, et déportés par le convoi n°64 du 7 décembre 1943. Aucun n’en revint.

«Je vous confie ce que j’ai de plus cher…»

Avant de quitter la France, la maman put écrire une dernière lettre à Fine Lelong pour lui confier ses enfants, lettre que le professeur Charles-Louis Foulon-Ropars (cousin de Fine Lelong) a publiée dans l’un de ses ouvrages, « 1940-1945, les côtes du Nord en images »:

«Ne vous inquiétez pas, nous allons bien supporter cette épreuve, et j’espère que le jour n’est pas trop loin où nous nous retrouverons. Je vous confie ce que j’ai de plus cher au monde; aimez et veillez sur mes petits anges. C’est comme si on m’arrachait le cœur en m’obligeant à partir, mais il faut être courageux. Confiez-vous au pasteur, il vous aidera toujours… Je vous embrasse de tout mon cœur. N’abandonnez jamais mes enfants. Il me faut tout mon courage pour supporter cette séparation si cruelle. Soignez-vous et faites tout le nécessaire si l’un de vous est malade. … Que Dieu vous garde tous jusqu’au jour où nous nous retrouverons. Mille et mille baisers pour les enfants. Bless you».

Nina et Jacques vécurent les années 1943-1944 en sécurité dans cette ferme du Loiret avec Fine Lelong et ses cousins Ropars. La guerre terminée, c’est l’oncle de Londres qui fut nommé tuteur des enfants, mais il en confia l’éducation à leur nourrice bretonne et tous restèrent dans le vaste appartement de l’avenue Lannes. Fine fit venir sa sœur Marianne comme cuisinière, et accueillit le temps de leurs études, deux neveux Ropars (Edmond de Poullaouën et  Ernest, du Loiret) qui devinrent ainsi les camarades de jeux des orphelins. Ceux-ci firent de bonnes études, Jacques devint architecte, et Nina une psychologue réputée.  Le moment de la retraite venu, Fine habita Rennes dans l’appartement que les cousins Foulon-Ropars lui avaient cédé. C’est là qu’elle termina sa vie le 20 mars 1977

F.K.